Mardi 4 juin 2019

« Le massacre de la place de la porte de la Paix céleste»
Episode fondamental de l’Histoire de la République Populaire de Chine

Le 4 juin 1989, le mur de Berlin n’était pas encore tombé, mais les pays communistes dans l’Europe de l’est étaient en pleine ébullition et Gorbatchev essayait vainement de réformer l’Union soviétique.

Je ne m’en souvenais pas, mais le jour précédent, le 3 juin 1989, l’austère et fanatique Ayatollah Khomeini venait de mourir.

Et le 4 juin fut le jour du massacre de la place Tian’anmen à Pékin

Or « Tian’anmen » signifie « la porte de la Paix céleste ». C’est une porte monumentale de l’avenue qui constitue l’entrée Sud de la Cité impériale. Elle borde au Nord la place qui porte son nom.

Le 4 juin 1989, il y a 30 ans, fut donc le jour du massacre de la place de la porte de la Paix céleste

Associer « la paix céleste » et « un massacre » constitue un oxymore dont la Chine communiste semble coutumière.

J’avais souligné lors du <mot du jour du 24 mai 2013> l’extraordinaire article 1 de la constitution de la Chine populaire :

« La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire dirigé par la classe ouvrière et fondé sur l’alliance entre ouvriers et paysans.

Le système socialiste est le système fondamental de la République populaire de Chine. Il est interdit à toute organisation ou tout individu de porter atteinte au système socialiste. »

D’ailleurs la seconde partie de cet article « Il est interdit à toute organisation ou tout individu de porter atteinte au système socialiste » semble lourd de sens et annonciateur de ce qui s’est passé en juin 1989.

En 1989, la Chine était au début de son extraordinaire développement économique qui l’a amené à son niveau d’aujourd’hui, à savoir en rival des États-Unis d’Amérique. Tout le monde attribue cette évolution remarquable à Deng Xiaoping qui est arrivé à écarter le successeur désigné de Mao : Hua Guofeng. De manière officielle Deng Xiaoping sera le principal dirigeant chinois à partir de décembre 1978

Autour de Deng Xiaoping trois dirigeants vont jouer un rôle éminent dans toute cette affaire :

  • Hu Yaobang qui a été le secrétaire général du parti communiste chinois de 1980 à 1987. Mais il sera limogé en 1987 de ses fonctions à la tête du Parti à la suite déjà de manifestations étudiantes dont il aurait soutenu les revendications démocratiques. Il avait l’image du réformateur.
  • Zhao Ziyang était Premier ministre de 1980 à 1987 puis il remplace Hu Yaobang comme Secrétaire général du Parti communiste chinois de 1987 à 1989.
  • Li Peng qui a pris la place de Zhao Ziyang comme Premier ministre en 1987 et le restera jusqu’en 1998.

Ces 3 hommes sont des disciples et des proches collaborateurs de Deng Xiaoping, mais n’auront pas toujours sa confiance

En avril 1989, Deng Xiaoping ne se présente plus au premier plan mais tire encore les ficelles. Au premier plan, il y a Zhao Ziyang le chef du Parti et Li Peng le premier ministre.

Et c’est dans ce contexte que Hu Yaobang meurt le 15 avril 1989. Des manifestations spontanées ont lieu dans tout le pays pour saluer son rôle de réformateur et .demandent la réhabilitation politique de Hu Yaobang. Le 18, quelques milliers d’étudiants et de civils se rendent sur la place où ils organisent un sit-in devant le Grand Palais du Peuple (l’assemblée nationale). C’est la première grande manifestation.

C’est ainsi que commencent les évènements de Tian’anmen.

Ce sont des intellectuels, des ouvriers et des étudiants qui vont manifester, faire des grèves de la faim et finalement même ériger une statue de la liberté « chinoise ». Ils dénoncent la corruption et demandent des réformes politiques et démocratiques.

Ces évènements vont durer du 16 avril jusqu’au 4 juin. Ils vont durer aussi longtemps parce qu’il y a désaccord au sein du groupe des dirigeants Zhao Ziyang étant à la tête du groupe qui souhaite négocier et accéder à certaines réformes, Li Peng à la tête d’un groupe qui veut tuer dans l’œuf toute évolution du régime et de remise en cause du rôle du Parti Communiste Chinois.

Finalement c’est le groupe de Li Peng avec le soutien de Deng Xiaoping qui va gagner, la ligne dure l’emporte, et après l’établissement de la Loi martiale en 19 mai, Zhao Ziyang est immédiatement limogé et placé en résidence surveillée où il restera jusqu’à sa mort.

Mais les manifestants restant mobilisés, malgré la Loi martiale, le gouvernement chinois va envoyer l’armée et réprimer le soulèvement dans le sang le 4 juin 1989 de triste mémoire.

Les officiels chinois prétendront qu’il y a eu 200 morts, d’autres sources dont l’Union Soviétique comme les États-Unis estiment ce massacre à plus de 10 000 morts.

Tous ces évènements sont précisément décrits dans <Wikipedia>

Il y a aussi ce documentaire <d’Arte> :

Et puis dans une perspective contemporaine, il y a cette émission du Grain à moudre sur France Culture : « Que reste-t-il de Tiananmen ? ».

Parmi les invités, il y avait la journaliste Laure Guilmer qui avait couvert ces évènements et qui est retourné en Chine en 2019 pour retrouver les étudiants désormais cinquantenaires qu’elle avait connus alors. Elle raconte combien il est difficile de les faire reparler de ce moment de leur vie, certains sont totalement dans le déni.

Le gouvernement a d’ailleurs poursuivi une vraie politique d’occultation, d’omerta et continue à le faire.

Comme l’écrit le journal : « La Croix » <Pékin minimise toujours la gestion des « turbulences » de Tian An Men> :

« Cet incident était une turbulence politique et le gouvernement central a pris les mesures pour mettre un terme à ces turbulences, ce qui a été la décision correcte », a expliqué dimanche 2 juin à Singapour le général chinois Wei Fenghe à une question d’une journaliste portant sur la répression militaire le 4 juin 1989 à Pékin. […]

Pékin n’a jamais reconnu le nombre de victimes, parlant de « 200 ou 300 dont beaucoup de soldats ». Le nombre de victimes se chiffre beaucoup plus autour de « plusieurs milliers », pas seulement sur la Place Tian An Men et à Pékin mais dans des dizaines de villes chinoises où les étudiants s’étaient également soulevés. […]

La mémoire de ces tragiques événements est toujours portée par de nombreux militants à travers le monde et même à Hong Kong, seul endroit du territoire chinois où il est encore possible d’évoquer « Tian An Men » et où les défenseurs de la démocratie se battent encore, convaincus de voir la vérité triompher en citant le grand auteur chinois Lu Xun (1881-1936) : « Les mensonges écrits à l’encre ne peuvent camoufler les faits écrits dans le sang. »

Cet échange entre le général chinois et le journaliste ne sera pas évoqué dans les médias chinois en Chine.

Depuis 1989, il n’est pas possible de parler de ces évènements en Chine. Les moteurs de recherche chinois ne permettent pas d’accéder aux sites qui parlent du 4 juin ou des massacres de Tien an Men.

Le <Figaro> rapporte :

« Dans un éditorial, le quotidien de langue anglaise Global Times, très proche du parti au pouvoir, estime que «l’incident» du 4 juin 1989 «est devenu un événement historique oublié» et que cet oubli même a permis à la Chine de poursuivre son spectaculaire développement économique.

«Depuis l’incident, la Chine est parvenue à devenir la deuxième économie mondiale, avec une amélioration rapide du niveau de vie», salue le journal, alors que l’ensemble des autres médias gardaient le silence sur l’anniversaire du massacre. «En vaccinant la société chinoise, l’incident de Tiananmen augmentera grandement l’immunité de la Chine contre tout trouble politique à l’avenir», estime le quotidien, dont l’éditorial ne figurait pas dans la version du journal en langue chinoise et n’était pas non plus disponible en ligne. »

Quelles conclusions tirer de ces évènements et de leurs suites ?

  • En Chine, le régime fort et sans remord mis en place par Deng Xiaoping a enterré, l’illusion de beaucoup d’occidentaux qui prétendait que le développement du capitalisme se réalisait en parallèle avec un développement des libertés démocratiques. L’évolution chinoise a démontré exactement le contraire. Le développement a continué de plus belle et jamais la population chinoise n’a été aussi surveillée et privée de liberté.
  • Les dirigeants chinois ont explicitement proposé ce « contrat » à leurs citoyens : Vous pouvez vous enrichir autant que vous voulez, mais personne n’a le droit de toucher à l’organisation politique et au rôle du Parti communiste.
  • Seules des difficultés économiques importantes pourront remettre en question « ce contrat ».
  • Enfin, la Chine constitue un exemple parfait de la soumission qu’on obtient quand on parvient à transformer les citoyens, en simples consommateurs. Même si je doute que tous soient atteints par ce trouble du discernement qui est celui de se réfugier dans la seule et exclusive consommation.

En tout cas, la Chine n’est en aucune façon, dans le contexte d’aujourd’hui, un État et une organisation politique désirables.

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