Mardi 14 mai 2024

« Leys, l’homme qui a déshabillé Mao »
Documentaire consacré à Simon Leys, sinologue belge qui, le premier, a regardé la réalité du maoïsme en face

La mort de Bernard Pivot a conduit à mettre la lumière sur certaines de ses émissions qui ont été sinon un moment d’Histoire, au moins un moment essentiel de révélation.

Il en a été ainsi de l’émission « Apostrophes » du 27 mai 1983 dans laquelle il invite, enfin, Simon Leys, cet immense sinologue qui a dénoncé avant tous les autres, les crimes et l’incompétence de Mao Tsé Toung et de la politique menée par le Parti communiste chinois.

J’avais déjà consacré un mot du jour à cette émission : « Que les idiots disent des idioties, c’est comme les pommiers qui produisent des pommes, c’est dans la nature. Le problème, c’est qu’il y ait des lecteurs pour les prendre au sérieux. ».

Dans cet épisode, Bernard Pivot avait également invité Maria-Antonietta Macciocchi, qui avait écrit des livres très élogieux sur la Chine de Mao et qui était une référence pour les maoïstes français.

Simon Leys parviendra sur la chaîne nationale à démonter l’argumentaire de Mme Macciochi et hésitera pour qualifier son dernier ouvrage entre « stupidité totale » ou « escroquerie ». D’après une interview de Bernard Pivot, ce fut le seul cas où, à la suite d’un passage à Apostrophes, les prévisions de vente d’un livre furent révisées à la baisse.

Il faut absolument voir le documentaire de 50 minutes diffusé sur la Chaîne « Public Sénat » : <Leys, l’homme qui a déshabillé Mao> qui montre le combat de Simon Leys pour dévoiler la vérité sur la Chine de Mao.

Simon Leys s’appelait dans l’état civil Pierre Ryckmans. Il est né en 1935, en Belgique dans une famille de la grande bourgeoisie catholique belge.

En mai 1955, il a l’opportunité de participer au voyage d’une délégation de dix jeunes Belges invités durant un mois en Chine. La République populaire de Chine avait été proclamé par Mao, 6 ans auparavant. Ce séjour très encadré par le Parti communiste chinois lui permet de rencontrer et d’échanger avec Zhou Enlai, le numéro 2 derrière Mao. Il en sortira fasciné.

Il décide d’apprendre le chinois afin de pouvoir s’ouvrir à la langue et à la culture du pays et d’aller l’étudier dans le monde chinois.

Il commencera à étudier à la section des Beaux-Arts de l’Université nationale de Taïwan. Puis il voyagera beaucoup dans le monde et se fixera d’abord à Singapour, mais devra en partir car il sera soupçonné d’être pro-communiste et ensuite s’installera, à partir de 1963, à à Hong Kong.

Il épousera une journaliste chinoise en 1964 : Han-fang Chang qui sera sa compagne jusqu’à la fin de sa vie et avec qui il aura quatre enfants.

Il étudie beaucoup et a du mal à trouver des emplois suffisamment rémunérés., il complète son salaire en rédigeant tous les quinze jours, de 1967 à 1969, un rapport analysant le déroulement des événements en Chine, pour le compte de la délégation diplomatique belge de Hong-Kong.

Ce sont ces rapports qui se fondent sur les publications officielles du régime communiste, comme sur le témoignage des chinois qui ont pu fuir le pays du livre rouge qui lui permettront d’écrire son premier ouvrage « Les Habits neufs du président Mao » dans lequel il dénonce ce qu’il sait de ce régime horrible et assassin

Il prendra pour nom d’auteur Simon Leys pour des raisons qui sont expliquées dans le documentaire.

Je ne vais pas écrire tout ce que le documentaire décrit. Il me parait très important, en revanche, d’insister sur un point essentiel : Le monde des intellectuels et universitaires, le monde des journalistes et des hommes politiques de gauche feront plus que critiquer le travail de Simon Leys : ils le couvriront d’injures, l’ostraciseront et lui fermeront définitivement les portes de l’Université française, alors qu’il était un des sinologues les plus compétents et les plus lucides qui existait alors sur la place.

Je veux donner la liste de ceux qui se sont trompés et qui, au moment où Simon Leys révélait la vérité, se sont trouvés dans l’autre camp :

  • Philippe Sollers et la revue Tel Quel
  • Le journal Le Monde
  • Le journal Libération qui a été créé par des maoïstes dont Serge July
  • Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir
  • Roland Barthes
  • Michel Foucault
  • Louis Althusser et ses disciples Benny Lévy, les frères Miller (Jacques-Alain et Gérard),
  • André Glucksmann, père de Raphaël qui se distinguera des autres en pratiquant la plus sévère autocritique, quand il constatera qu’il s’était trompé.

Il sera cependant soutenu immédiatement par Jean-François Revel et René Étiemble.

Tous ses critiques reconnaîtront, plus ou moins, leurs erreurs et la justesse des écrits de Simon Leys sauf le philosophe Alain Badiou qui continue à affirmer que « Les Habits neufs du président Mao » est une « brillante improvisation idéologique de Simon Leys dépourvue de tout rapport au réel politique »

En attendant Simon Leys trouvera la sérénité et la reconnaissance en Australie, où l’Université ouvrira ses portes à cet homme lucide et habité par la recherche de la vérité. Il s’y installera en 1970, et y finira ses jours en 2014.

« Le Monde » tentera, par un hommage appuyé, un rattrapage de l’aveuglement, 40 ans auparavant :

« Il possédait un goût pour le savoir qui soutenait son immense érudition ainsi que son énergie pour lire, traduire et comprendre. Néanmoins, conscient de la fragilité de nos connaissances, il mêlait volontiers l’humour du sceptique et la modestie du sage. C’est sans doute cette lucidité qui lui permit de voir la Chine maoïste sous son véritable visage et de publier, en 1971, le livre le plus percutant sur la Révolution culturelle, « Les Habits neufs du président Mao » »

Je crois que nous pouvons beaucoup apprendre de ce moment d’affrontement entre un homme lucide, sage et modéré et une cohorte de gens, pour la plupart classés à gauche, convaincus de détenir la vérité et d’être du côté du bien, aveuglés par leur dogme et leurs certitudes.

Le maoïsme et le stalinisme ne sont plus d’actualités, le trotskysme presque plus, mais il reste encore bien des dogmes et des nouveaux combats dits « progressistes » qui aujourd’hui continuent à aveugler des femmes et des hommes qui sont certains d’être du bon côté du combat. Qu’en sera-t-il dans quarante ans ?

Je redonne le lien vers le documentaire : <Leys, l’homme qui a déshabillé Mao>.

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