Jeudi 12 décembre 2019

« Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation. Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant »
Xi Jinping lors du discours qui célébrait le 70e anniversaire de la République Populaire de Chine

Après des mots du jour du début de cette semaine qui parlait d’émotion, de souvenir et d’humanisme, je vais revenir à ce sujet qui m’intéresse, m’interpelle et m’inquiète quelque peu dans la géopolitique du monde, la Chine de Xi Jinping.

La Chine est un empire qui veut être une nation.

La différence entre un empire et une nation avait déjà été abordée lors du <mot du jour du 30 octobre 2019> consacré à la dichotomie entre les Kurdes et la Turquie.

J’expliquais ainsi que les empires comme l’empire ottoman, l’empire austro-hongrois, l’empire russe et aussi l’empire chinois sont composés de plusieurs peuples, avec toujours un peuple dominant : les turcs pour le premier, les allemands pour le deuxième, les russes pour le troisième, les hans pour le quatrième. Dans un empire il est admis et nécessaire que l’empereur ou celui qui dirige l’empire soit en mesure, tout en préservant la domination de son clan, de faire en sorte que ces peuples puissent vivre ensemble.

La différence, la diversité sont non seulement acceptées mais aussi organisées.

Dans un État nation, c’est beaucoup plus compliqué d’exprimer ses différences. Le récit est celui de l’unicité de la nation.

Indiscutablement la Chine est formée de plusieurs nations, les tibétains, les ouïghours sont des peuples spécifiques.

<La constitution de la République Populaire> le reconnaît d’ailleurs, même si elle parle d’ethnie et non de peuple.

Cette constitution commence par un long préambule.

La première phrase du préambule est :

« La Chine est l’un des pays dont l’histoire est l’une des plus anciennes du monde. Les ethnies de Chine ont toutes ensemble créé une brillante culture et possèdent une glorieuse tradition révolutionnaire. »

Et plus loin dans le préambule nous lisons :

« La République populaire de Chine est un pays multi-ethnique unifié fondé en commun par toutes les ethnies du pays. Les relations socialistes déjà établies sont des rapports d’égalité, de solidarité et d’entraide, elles continueront à se renforcer. Dans le combat pour la sauvegarde de l’union des ethnies, il faut s’opposer au chauvinisme de grande ethnie, et en particulier au chauvinisme grand Han, il faut aussi s’opposer au nationalisme local. L’État doit consacrer tous ses efforts à la prospérité commune de toutes les ethnies. »

Et puis, il y a le fameux article 4 de la constitution :

« Article 4 : Toutes les ethnies de République populaire de Chine sont égales. L’État protège les droits et intérêts légitimes de toutes les ethnies, maintient et développe des relations inter-ethniques fondées sur l’égalité, la solidarité et l’entraide. Toute discrimination ou oppression d’une ethnie, quelle qu’elle soit, est interdite ; tout acte visant à briser l’unité nationale et à établir un séparatisme ethnique, est interdit.
Tenant compte des particularités de chaque ethnie minoritaire, l’Etat aide les régions d’ethnies minoritaires à accélérer leur développement économique et culturel.
Les régions où se rassemblent les minorités ethniques appliquent l’autonomie régionale ; elles établissent des organes administratifs autonomes et exercent leur droit à l’autonomie. Aucune des régions d’autonomie ethnique ne peut être séparée de la République populaire de Chine.
Chaque ethnie a le droit d’utiliser et développer sa propre langue et sa propre écriture, a le droit de conserver ou réformer ses us et coutumes. »

Cet article débute très bien en affirmant l’égalité de toutes les ethnies et surtout cette règle que même les « droits de l’hommiste occidentaux » honnis de Xi Jinping ne sauraient qu’approuver : l’interdiction de toute discrimination et oppression d’une ethnie. Cette règle devrait être de nature à rassurer les tibétains et les ouïghours … Les rassurer en théorie…

On attribue à Pierre Desproges ce beau souhait utopique : «Un jour j’irai vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien.». <Marc Levy> affirme cependant qu’il n’y a nulle trace montrant que Desproges soit l’auteur de cette phrase.

Il y a toutefois une limite qui est dressée dans ce même article 4 : il est aussi interdit tout séparatisme ethnique. Dès lors, dans ce régime qui vante son efficacité et son pouvoir centralisé fort, il suffit pour sortir de la théorie d’accuser une ethnie de séparatisme pour pouvoir exercer une force unificatrice et violente sur ses membres. Nous verrons cela dans des mots du jour ultérieurs.

Sur une page du site de l’ambassade de Chine en France, visant à faire connaître ce grand et vieux pays, on peut lire :

« La population chinoise comprend 56 ethnies identifiées. La population des diverses ethnies connaît de grands écarts ; les Han sont beaucoup plus nombreux, et les 55 autres groupes sont appelés « ethnies minoritaires ».

Selon une enquête effectuée au moyen de sondages auprès de 1 % de la population du pays en 2005, la population totale des 55 ethnies minoritaires était de 123,33 millions, représentant 9,44 % de la population nationale. »

Ceci trace immédiatement une répartition extraordinairement inégalitaire de l’empire du milieu.

Le gouvernement chinois reconnaît donc 56 ethnies mais l’une représente 90,5% de la population et les 55 autres ensembles 9,5%.

Vous pourrez trouver sur cette page la liste des 56 ethnies, leur implantation géographique et leur importance numérique.

Les « Han » : presque 1,2 milliard, les «Tibétains » 5,416 millions, les « Ouïgours » 8,3984 millions et certaines ethnies sont vraiment peu nombreuses « Les Tatars » 4 900 personnes.

Remarquez la précision, au millier près, du nombre de personnes constituant une ethnie sauf pour les han où la précision s’arrête à la centaine de millions….

Dès lors, quand une ethnie est soupçonnée de séparatisme sur un territoire, il suffit de puiser dans les réserves inépuisables de l’ethnie majoritaire pour aller changer totalement l’équilibre ethnique du lieu. C’est ainsi que <Le Tibet> est de plus en plus une région habitée par l’ethnie Han.


Comme toujours, la situation est plus complexe que celle décrite ci-avant, l’ethnie Han ne constitue pas un bloc totalement homogène. Wikipedia nous apprend que l’anthropologue Dru C. Gladney indique qu’il existe au sein même de la population han une diversité notamment dans les populations du Sud comme les Cantonais, les Hakkas ou les Mins du Sud du Fujian. Ainsi la majorité han est composée de locuteurs de huit groupes de langues différentes (mandarin, cantonais, wu, xiang, hakka, gan, min du Nord et min du Sud). Le chinois mandarin est la langue officielle depuis le début du XXe siècle, standardisé sur le parler de la région de la capitale, Pékin. Il coexiste donc, même à l’intérieur de l’ethnie Han, diverses langues parlées.

En pratique, le nom de cette ethnie fut d’abord « Huaxia » mais elle changea de dénomination à l’époque de la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.), et pris le nom de la dynastie.

Indiscutablement, ils constituent le peuple chinois « historique ». Devant une telle situation inégalitaire il est difficile de ne pas assimiler la « culture chinoise » à la « culture Han ».

Mais cela est l’introduction.

  • En 2019, il y a une révolte extraordinairement puissante à Hong Kong, c’est un défi pour Pékin.
  • En 2019, il y avait aussi les 30 ans de la répression de Tien an Men. Cela c’est un déni pour Pékin. J’en avais fait un mot du jour : « Le massacre de la place de la porte de la Paix céleste» publié le jour anniversaire le 4 juin.
  • Pékin a célébré, en revanche, les 70 ans de la création de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949.

Et la célébration a magnifié la grandeur de la Chine et sa puissance militaire.

Un nombre impressionnant de vidéos montre cette parade : <Démonstration de force en Chine pour les 70 ans du régime>, <La Chine communiste fête ses 70 ans>, <La République populaire de Chine fête ses 70 ans>

Toutes ces vidéos durent moins de 3 minutes.

Mais pour notre information pleine et entière sur l’empire du milieu il existe « CGTN » China Global Television Network, financé par le gouvernement chinois. Et nous disposons donc, grâce à ce canal, une vidéo de 4h59 minutes qui montre la cérémonie, avec des commentaires français, dans sa durée et sa splendeur : < En direct : Célébrations du 70e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine>

<Le Monde> nous explique :

« A Pékin, tout était sous contrôle. […]Il s’agit, selon les dirigeants, du plus grand défilé militaire organisé à Pékin depuis 1949. L’occasion pour la Chine d’exhiber quelques-uns de ses fleurons, notamment des drones high-tech et – pour la première fois – des Dongfeng-41, des missiles balistiques intercontinentaux possiblement dotés d’ogives nucléaires et qui peuvent atteindre les Etats-Unis en trente minutes.

[…] Ces nouvelles capacités militaires, qui sont, comme le martèle la propagande, « au service de la paix », illustrent les ambitions mondiales de la Chine de Xi Jinping. Lorsqu’il s’adresse aux 90 millions de membres du Parti communiste, celui-ci ne cesse de mettre en garde contre les « menaces » qui l’assaillent. En revanche, l’image qu’il entend donner au pays et au reste du monde est au contraire celle d’un parti qui a accompli un «miracle».

[…] Le mot figure en toutes lettres dans le Livre blanc publié le 29 septembre par le gouvernement chinois sur le rôle international du pays. « En soixante-dix ans, sous la direction du Parti communiste chinois, la République populaire de Chine a connu de profonds changements et réalisé un miracle de développement économique sans précédent dans l’histoire de l’humanité », est-il écrit, dès l’introduction. « La Chine a réussi à accomplir quelque chose que les pays développés ont mis plusieurs centaines d’années à réaliser », ajoute le document. Le PIB du pays est passé de « 67,9 milliards de yuans [8,7 milliards d’euros] en 1952 à 90 000 milliards de yuans [11 570 milliards d’euros] en 2018 », est-il précisé. Pourtant, le Livre blanc affirme que la Chine reste un « pays émergent ». Pas question en effet d’accepter de perdre les avantages qu’octroie ce statut au sein de l’Organisation mondiale du commerce, à laquelle la Chine a adhéré en 2001. »

Et le plus important, à 10 heures, au balcon de la Porte-de-la-Paix-Céleste, au sud de la Cité interdite, qui donne sur la place Tiananmen, là même où Mao Zedong avait proclamé le 1er octobre 1949 la création de la République populaire de Chine, Xi Jinping, secrétaire du Parti communiste depuis 2012 et président de la République depuis 2013, a prononcé un discours très bref de sept minutes.

Et c’est dans ce discours qu’il a eu cette phrase :

«Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation. Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant»

Là il est question de « la nation chinoise », unique, unifié dans laquelle les différences doivent être minimes.

Une nation prête pour la conquête économique, prête à se défendre contre n’importe quel ennemi, une nation où chacun doit souscrire aux messages de Xi Jinping et dans laquelle les particularismes doivent se dissoudre dans l’Unité et ….

le culte de la personnalité…

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