Vendredi 9 septembre 2022

« Est-ce la décroissance ou la croissance qui, sur le long terme, est un mythe ?
Question qu’il me semble légitime de poser

Antoine Bueno est né en 1978.

Je ne le connaissais pas.

« Le Point » le présente ainsi : essayiste et conseiller au Sénat en charge du développement durable, est notamment l’auteur de « Futur, notre avenir de A à Z » (éditions Flammarion). Son prochain ouvrage « L’effondrement (du monde) n’aura (probablement) pas lieu » (Flammarion) sortira le 19 octobre prochain.

Il a commis un article dans Le Point, publié le 4 septembre 2022 : « La décroissance est un mythe »

Il cite Élisabeth Borne qui comme Aurélien Barrau avait rendu visite au MEDEF et a déclaré :

« La décroissance n’est pas la solution. »

Il est d’accord avec cette opinion et regrette que

« [La décroissance] est pourtant devenue incontournable dans le débat écologique. Des experts comme Jean-Marc Jancovici s’en font l’avocat, des personnalités politiques telles que Delphine Batho en font un programme, des penseurs tels que Gaspard Koenig, un objet de rêverie philosophique. »

Il explique que personne ne dispose d’un mode d’emploi pour savoir comment faire, c’est-à-dire décroitre tout en préservant le corps social d’une implosion.

Il tente une définition :

« La décroissance peut être définie comme une action volontaire de réduction de la taille physique de l’économie, un processus organisé visant à réduire la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine (Susan Paulson). »

Pour lui, une politique de décroissance est impossible à mettre en œuvre.

Et je vous livre ses arguments :

« La première raison à cela relève du plus froid réalisme : aujourd’hui, personne n’en veut. Aucun pays n’est prêt à se lancer dans une réduction volontaire de la production et de la consommation.

Peut-être sera-ce le cas dans un avenir plus ou moins lointain. Mais c’est aujourd’hui que le monde a besoin de décroissance.

Pour qu’elle ait un impact écologique, elle devrait être mise en œuvre au plus vite. La planète n’a pas le temps d’attendre la maturation d’une idée.

Ensuite, pour qu’une politique de décroissance porte ses fruits, elle devrait être mise en œuvre par le monde entier en même temps.

Dans un monde ouvert et interconnecté, un ou plusieurs pays ne peuvent pas décroître isolément, indépendamment des autres, même de très grands pays.

On ne peut pas décroître seul, contre le reste du monde. Le faire se traduirait par une politique d’autarcie. En décroissant seul, un pays aurait de moins en moins de moyens économiques pour financer les importations dont il a besoin. Il devrait donc devenir totalement autosuffisant. C’est impossible pour les petits pays qui dépendent, entre autres, de ressources énergétiques ou alimentaires extérieures. Et on sait que même les grands pays bien dotés en ressources naturelles ont du mal à assurer leur autosuffisance.

De plus, un tel pays n’attirerait plus d’investissements étrangers puisque ceux-ci ne sont réalisés que dans l’attente d’un retour, c’est-à-dire d’une rentabilité condamnée par l’absence programmée de croissance. Au contraire, les intérêts étrangers en activité sur son territoire s’en retireraient. Sur le plan intérieur, ce pays verrait donc rapidement son tissu économique se rétrécir et se déliter. La décroissance dans un pays isolé ne peut mener qu’à une catastrophe économique à l’image de celle observable en Corée du Nord.

Enfin, même si par un coup de baguette magique le monde s’entendait pour mettre en œuvre un programme global de décroissance, ce dernier ne pourrait aboutir qu’à une réduction considérable du niveau de vie moyen sur la planète. En effet, pour éviter cet effet, pour maintenir voire augmenter le niveau de vie des peuples tout en décroissant, les partisans de la décroissance en appellent à la redistribution. L’idée est que l’on peut rendre socialement indolore une réduction de l’économie en redistribuant bien mieux qu’aujourd’hui ses fruits. Une telle redistribution serait cependant illusoire. »

Ces arguments me semblent très forts.

L’auteur montre que la décroissance aurait des conséquences fâcheuses dans nos sociétés. Et il proclame sa croyance dans une croissance durable.

Ces sujets sont évidemment très complexes. Toutefois il faut en revenir à des sujets solides et physiques.

Si on en revient à la définition de la décroissance de Susan Paulson qu’Antoine Bueno met en lumière : « une réduction de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

La « non décroissance », appelée plus simplement « la croissance » est donc le contraire. C’est-à-dire : « une augmentation de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

J’ai écouté des conférences Philippe Bihouix qui systématiquement explique une chose simple que vous êtes capable de reproduire sur un simple tableur.

Imaginez une croissance de 2% chaque année de manière infinie.

Ce n’est pas grande chose 2%, c’est très raisonnable.

Donc l’année 1 on a 1 et l’année 2 on a 1,02.

Vous verrez sur votre tableur que l’année 36 on est à 2 : on a doublé le PIB

L’année 57 on est à 3, l’année 71 on est à 4. L’année 118 on est à 10

On a multiplié par 10 le PIB dans le monde fini qu’est la terre.

On a fait à peu près cela depuis le début de l’ère industrielle et on voit où nous en sommes par rapport au réchauffement climatique, la bio-diversité, la pollution etc..

Pour arriver à 100 il faut attendre l’année 234 !

Donc dans ce système, au bout de 234 ans, on multiplierait la quantité de matière et d’énergie exploitée par 100 !

Certains diront, oui mais on va améliorer l’efficacité : et donc on va multiplier le PIB par 100 mais pas la quantité de matière et d’énergie en proportion !

Peut être, mais on sera obligé quand même d’augmenter l’énergie et la matière exploitée, de manière considérable.

La terre ne peut pas faire face à cette demande.

Alors oui probablement la décroissance est infaisable ou très très compliquée.

Mais ce qui est un vrai mythe, c’est la croissance infinie pour la société d’homo sapiens sur terre !

Et si vous avez encore des doutes je vous invite à regarder cette vidéo passionnante de Philippe Bihouix <La technologie ne nous sauvera pas>

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Vendredi 19 juin 2015

«Croissance zéro ?»
Patrick Artus & Marie-Paule Virard

Patrick Artus est chef économiste de Natixis, professeur à l’Université Paris I Panthéon- Sorbonne, membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier Ministre.

Il a écrit un livre avec Marie-Paule Virard, paru chez Fayard : «Croissance zéro, Comment éviter le chaos ?».

Si nous restons simples, il y a deux grands types d’économistes :

Ceux qui pensent que nous ne pourrons nous en sortir que par la croissance, que seule la croissance permettra l’emploi et que sans emploi nos économies et nos sociétés vont imploser.

Ils attendent donc la croissance ou veulent la provoquer par tous les moyens.

Les moyens ce sont essentiellement l’initiative privée, la diminution du poids économique de l’Etat et « l’adaptation » de l’Etat providence ou social aux exigences d’aujourd’hui. Bref son rétrécissement. Certains ont foi dans la «croissance verte».

Le plus souvent ils sont Schlumpeterien, adepte du concept de « la destruction créatrice ». C’est à dire qu’étant donné le progrès technique, des emplois sont détruits par millions dans des branches obsolètes mais, dans d’autres branches qui émergent, des emplois au moins aussi nombreux sont créés et sont mieux rémunérés.

Ces économistes sont souvent appelés les orthodoxes.

Ce sont eux qui ont aujourd’hui, de très loin, le plus d’influence dans le monde du pouvoir politique et économique.

François Hollande, par exemple, est totalement dans cette ligne même s’il hésite beaucoup pour diminuer de manière drastique l’Etat social et y va donc par petit pas. Les prétendants de Droite (Sarkozy, Juppé et Fillon) sont exactement dans la même ligne mais veulent avancer plus vite.

Il y a une autre grande catégorie d’économiste qui s’oppose à cette vision. Il est plus difficile de résumer leurs pensées. Mais ils font essentiellement un constat : la croissance de la production sur toute la terre, pour que tous les humains puissent consommer comme les américains ou les européens se heurte inexorablement aux limites de ce que la Terre peut absorber. Beaucoup d’entre eux parlent de décroissance ou de limitation de la croissance. En tout cas, ils cherchent des alternatives à la croissance. Bernard Maris faisait partie de ces économistes.

Patrick Artus fait indiscutablement partie de la première catégorie.

Mais en faisant des analyses et des études sur plusieurs décennies et sur plusieurs régions économiques, il a compris quelque chose qui l’a beaucoup perturbé. Il a publié ses conclusions avec une collègue Marie-Paule Virard dans le livre cité plus haut.

Ce livre débute ainsi :

« Et si la croissance ne revenait pas ? La seule évocation d’une telle éventualité nous remplit d’effroi. N’avons-nous pas été nourris au lait de la croissance depuis notre plus tendre enfance ? En particulier cette génération gâtée qui est entrée dans la vie adulte pendant les Trente Glorieuses et qui tient, pour l’essentiel, aujourd’hui les rênes du pouvoir ? Une génération qui n’est manifestement pas « équipée » pour penser l’impensable : imaginer, accepter et gérer la rareté du produit intérieur brut. Une génération qui a organisé la société autour d’un mouvement continu d’expansion économique, mouvement devenu un facteur essentiel de la concorde sociale et de la vitalité démocratique. Et cette « divine croissance » se déroberait tout à coup sous ses pieds ? Depuis 1945, nous avions oublié que cela pouvait arriver. »

Et il avait été l’invité des matins de France Culture, où il a expliqué ses découvertes : http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-chomage-un-mal-francais-2015-02-02

Je vous invite à l’écouter c’est très intéressant et aussi inquiétant.

Je résume ces propos ci-après :

Il distingue d’abord la croissance à long terme (sur plus de 10 ans) et la croissance conjoncturelle.

Actuellement, en Europe, il y a une conjoncture extrêmement favorable pour un économiste orthodoxe : le prix du pétrole est très bas, l’Euro est plus faible par rapport aux dollars, les politiques budgétaires sont plus souples et enfin les taux d’intérêt sont quasi nuls. On peut espérer un peu de croissance à court terme.

Mais ce n’est que la croissance à long terme qui peut créer des emplois de façon stable. Croissance à long terme qui est la conséquence de l’augmentation de la productivité et des innovations technologiques. Nous sommes dans la ligne la plus orthodoxe des économistes orthodoxes.

Mais Patrick Artus a constaté, dans ses études, que la croissance à long terme diminue et tend vers zéro dans tous les pays, pas seulement en Europe.

Les croissances qui existent sont soit la conséquence d’économies émergentes qui sont dans une logique de rattrapage qui va cesser, soit des croissances conjoncturelles reposant le plus souvent sur des bulles spéculatives ou sur des leurres.

Il existe un problème global pour créer de la croissance et du progrès technique.

Cela relativise grandement ce que l’on peut faire dans un seul pays, en améliorant les politiques du pays.

Il y a bien sur un problème de formation en France. L’étude PISA mesure les performances des jeunes, il y a l’équivalent pour les adultes, c’est à dire la formation professionnelle, la France est avant dernier de l’OCDE, l’Italie est dernière.

Mais le problème essentiel du progrès technique et de la croissance à long terme n’est pas un problème spécifique à la France.

Même si on faisait des grands progrès dans nos politiques de formation et d’Économie, nous ne serions pas en mesure de régler ce problème de croissance à long terme.

Patrick Artus parle d’un « problème angoissant » :

« Quand il y a eu l’invention du moteur à explosion on a fait une croissance à long terme extraordinaire.

Il y a une tendance lourde. Le numérique constitue une question énorme qui n’est pas assez étudié.

On pense que nous sommes dans une période d’innovation énorme.

On voit toutes ces start-up qui produisent tous ces produits incroyables.

On se dit, avec toutes ces innovations forcément il y a des gains de productivité incroyable.

Forcément non ! Quand on regarde les chiffres il n’y a pas de gain de productivité ! »

Trois explications :

  • 1/Il faut attendre, le numérique va bientôt créer de la croissance et des emplois dans 10 ans ou 20 ans quand les outils seront plus matures.
  • 2/ Ou bien ce ne sont pas de vraies innovations,
  • 3/ Ou bien on ne mesure pas bien la nouvelle économie que cela produit, économie du gratuit, du non marchand, de l’échange (par exemple échange de maison de vacances par Internet) qui ne se trouve pas dans les chiffres que l’on mesure

Il faut que j’abrège et vous renvoie vers d’autres sources qui peuvent vous permettre d’approfondir cette question.

Mais Patrick Artus dit deux choses importantes :

« A l’exception de l’Allemagne le niveau moyen des emplois baissent dans tous les pays développés. Il donne cet exemple parlant, désormais un ouvrier de Général Motors qui est licencié trouve un boulot chez Mac Do. C’est la réalité de l’économie d’aujourd’hui. Il y a quelques créatifs pour qui les revenus et les patrimoines explosent et le plus grand nombre qui en moyenne subissent une régression de la qualité de leur emploi qui s’accompagne d’une baisse de leurs revenus. »

L’autre chose c’est que

« L’économie du gratuit et de l’échange et du troc ne permet pas le prélèvement d’impôts et de cotisations qu’autorisent les revenus marchands. Nous avons donc un grave problème de modèle économique pour conserver un Etat social, redistributeur capable notamment de prendre en charge les problèmes de retraite et de santé.»

Comme Patrick Artus reste un économiste traditionnel qui possède au fond de ses gènes l’optimisme de la volonté, il donne avec sa collègue des conseils aux gouvernants permettant d’éviter le chaos : «Ils préconisent un meilleur partage des ressources :

  • entre les revenus du capital et ceux du travail,
  • entre travailleurs précaires et travailleurs qualifiés,
  • entre actifs et retraités,
  • entre prêteurs et emprunteurs. »

Voilà le seul moyen, selon eux, de ne pas basculer dans un affrontement dévastateur. Pour obtenir ce nouvel équilibre, Artus et Virard prônent une thérapie d’urgence en 10 mesures-chocs, parmi lesquelles le recul immédiat de l’âge de la retraite, la baisse du smic ou encore la création d’un contrat de travail unique. Un manuel de survie à usage des gouvernants. »

Donc je vous redonne le lien vers les matins de France Culture : http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-chomage-un-mal-francais-2015-02-02

<Ici un article sur le livre de l’Expansion> qui explique :

« [Les auteurs] portent un regard décapant sur les maux qui rongent les économies occidentales, celle de la France en tête. « Et si la croissance ne revenait pas? » interrogent-ils d’emblée. Une hypothèse sérieuse, qui fait écho à la thèse de la « grande stagnation », développée dès l’été 2012 par l’économiste américain Robert J. Gordon, soutenue par d’éminents confrères tels que Larry Summers ou encore James K. Galbraith, dont l’ouvrage The End of Normal est publié ce mois-ci en français, sous le titre La Grande Crise. »

< Ici un article d’Alternatives économiques qui compare ce livre Croissance zéro avec un autre : stop au mirage de la croissance>

<Laurent Joffrin parle de remède cheval à propos de ce livre>

Ce mot du jour est très long et très lourd.

J’ai la faiblesse de croire qu’il aborde un sujet essentiel.

J’exprime ma plus vive perplexité devant le paradoxe d’un économiste qui me parait intègre qui constate que le modèle qu’il défend ne fonctionne plus, que les chiffres auxquels il croie lui montre que cela ne marche plus mais qui persiste à raisonner dans son modèle et de croire (car il s’agit là de foi pas de rationalité) qu’il peut encore être sauvé ​par des mesures adéquates.

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