Mardi 14 juin 2022

« Que se passerait-il à l’Assemblée Nationale s’il y avait un autre mode de scrutin ?»
Un exercice intellectuel et spéculatif

Si vous avez lu le mot du jour d’hier, vous avez pu comprendre que nous utilisons en France un mode de scrutin que peut être tout le monde nous envie (quoique ce n’est pas certain) mais que personne n’utilise (ça c’est un constat).

Alors je tente aujourd’hui un exercice intellectuel et spéculatif qui consiste à partir des résultats de ce dimanche d’imaginer le résultat en nombre de sièges si nous appliquions un autre mode de scrutin.

Je veux insister sur le fait que cette démarche est spéculative et n’a aucune vocation à prédire ce qui se passerait si on changeait de mode de scrutin.

Tant il est vrai que le mode de scrutin induit des organisations et des comportements politiques qui sont très différents les uns des autres.

Autrement dit, si nous avions un autre mode de scrutin les acteurs politiques auraient un comportement différent.

S’il fonctionne bien, ce qui n’est plus le cas en France, le scrutin uninominal à deux tours induit une organisation de blocs de Partis, idéalement deux blocs, et une multiplication de Partis. Au premier tour, il y a de nombreux partis qui se présentent dans chaque circonscription. Et puis au second tour, il reste un candidat par bloc, celui qui était le mieux placé au premier tour, tous les autres partis du même bloc se désistant pour lui. Cela fonctionnait très bien quand il y avait un bloc de gauche et un bloc de droite

Si on reprend le tableau que j’ai présenté hier auquel j’ajoute une colonne pour faire la somme des voix du vainqueur et du second, 9 scrutins sur 16 sont dans ce cas avec deux blocs qui représentent 75% des votants


En 1981, les deux blocs représentaient 97,23% des Voix.

Le scrutin uninominal à 1 tour induit l’existence de très peu de Partis, 2 ou 3 avec quelques partis régionalistes. Parce qu’au-delà il n’y a aucune chance d’être élu, puisqu’il faut être premier dès le premier tour. L’organisation par Bloc n’a pas de sens pour ce mode de scrutin. En réalité, dans ce cas les blocs se réunissent tout de suite en Parti. C’est le cas en Grande Bretagne et aux États-Unis.

Le scrutin par liste à la proportionnelle peut prend plusieurs formes selon la circonscription qui peut être nationale ou infra nationale et selon l’existence d’un seuil en deçà duquel on ne peut avoir d’élu.

Ainsi en Israël, il n’y a pas de seuil. Cette situation a pour conséquence la création de beaucoup de petits partis, surtout religieux qui en contrepartie d’une ou deux concessions pour satisfaire les fantasmes de leurs électeurs acceptent de se joindre à une coalition pour lui apporter la majorité nécessaire pour appliquer sa politique. Cela peut créer des relations et des coalitions assez toxiques pour l’intérêt général du pays.

Mais le plus souvent le mode de scrutin est assorti comme en Allemagne d’un seuil, ce qui élimine la tentation des petits partis et favorise les coalitions de quelques Partis sérieux.

Avec toutes ces précautions, commençons cet exercice intellectuel.

1/ Si La France votait comme les britanniques ou les américains.

Nous sommes donc en présence du scrutin uninominal majoritaire à un tour.

Celui qui arrive en tête gagne l’élection.

« Le Monde » a publié cette carte accompagnée de la liste des Tendances politiques arrivées en tête au premier tour des législatives.


Donc en reprenant ces chiffres et en faisant quelques regroupements envisageables, voilà ce que cela donnerait :


2/ Si la France votait comme les allemands

Cette fois il s’agit d’un scrutin proportionnel sur une liste nationale avec la nécessité d’un seuil de 5% des voix.

Il faut savoir que les allemands aux législatives votent deux fois : une fois pour un député et une seconde fois pour la liste d’un Parti.

Cette manière de faire permet à chaque allemand d’avoir un député dédié.

Mais la règle fondamentale est bien la proportionnelle intégrale.

Autrement dit c’est la répartition selon le scrutin par liste qui détermine la répartition des sièges. Les listes présentées par les Partis complètent les députés élus sur leur nom pour arriver à une stricte répartition proportionnelle.

Reprenons « Le Monde » et les Résultats officiels qu’il a publié :

Le Monde ne reprend pas les résultats du Ministère de l’intérieur qui donnent un peu d’avance à Ensemble, la coalition macroniste.

Je ne rentrerais pas dans cette querelle qui consiste à écarter certains candidats de la coalition NUPES.

Tout ceci n’est que spéculatif et n’a qu’une vocation à donner une idée du fonctionnement d’un mode de scrutin.

On constate que si on applique le seuil des 5%, Reconquête, le parti de Zemmour n’aurait pas de députés.

Je pense que cet exemple montre toutes les nuances et limites à apporter à ma démonstration.

Il est vraisemblable que des électeurs qui se sentaient plus proche de Reconquête que du Rassemblement National, ont pourtant voté pour le second choix en pratiquant un vote utile. Le mode de scrutin français est très exigeant pour arriver au second tour. Pour ne pas risquer qu’il n’y ait pas de candidat d’extrême droite au second tour, ils ont voté pour le candidat de cette tendance ayant le plus de chance d’accéder au tour suivant.

Il est donc probable que si ce mode de scrutin existait en France, le parti Reconquête aurait atteint les 5%. Mais tenons-nous strictement aux résultats.

On aboutit alors ce résultat


3/ Mais la France vote à la manière des Français

Donc il y aura un second tour.

5 députés sont déjà élus : 4 NUPES et 1 Ensemble.

Nous savons qui sera présent au second tour dans chacune des 572 circonscriptions qui restent à pouvoir.

Des analystes politiques se sont donc risqués à faire des prévisions pour le second tour.

On trouve cette projection dans « Le Monde »

A partir de ces éléments, je peux donc tenter une troisième répartition.

Les analystes proposent des fourchettes.

Je reste simple, je prends le milieu de la fourchette.

Et on comprend donc, par le dessin, le système français.

Les députés macronistes flirtent avec la majorité absolue, ce sera un peu en dessous ou un peu au dessus.

Certains diront peut-être que les deux premières représentations correspondent à des situations ingouvernables, alors qu’ici gouverner reste possible.

C’est un argument assez risqué.

La démocratie est aussi la gestion de la conflictualité.

Si on insiste sur l’efficacité et la capacité de gouverner, je crains que le régime chinois qui repose sur les décisions d’un petit comité de 7 responsables répond mieux à ce désir

Dans cet exemple français, nous avons un gouvernement qui a pour opposant 75% des électeurs qui se sont prononcés et dont le pouvoir de prendre des décisions et très peu limité.

Tout ceci reste une spéculation intellectuelle.

Et le mode de scrutin qui est un vrai problème en France n’est pas le seul problème de notre démocratie.

L’hyper présidentialisation en est une autre.

Et puis, et peut être surtout les contraintes des interdépendances, la mondialisation, la financiarisation de la Société laissent peu de marge de manœuvre au Politique, surtout à l’échelle d’un petit pays comme la France…

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Lundi 7 mars 2022

« La meilleure preuve qu’il voulait la guerre, c’est qu’il s’en défendit ! »
Citation que fit Georges Pompidou, lors d’une de ses conférences de presse alors qu’il était Président de la République (1969-1974)

L’écriture des mots du jour est compliquée en ce moment.

Je voudrais parler d’autre chose, mais je n’y arrive pas, tant mon esprit est occupé par ce qui se passe en Europe : Une puissance nucléaire a attaqué son petit voisin parce qu’il prétend qu’il le menaçait.

Alors bien sûr, il faudrait en revenir à l’Histoire et même l’Histoire récente, quand l’Union soviétique s’est effondrée et que la guerre froide s’est achevée.

On pourrait parler des erreurs des occidentaux et de l’OTAN, comme le rappelle Hubert Vedrine se référant à Henry Kissinger qui a dit que nous avons fait des erreurs et que nous avons mal agi avec la Russie.

Mais il n’est pas temps de parler de cela, parce que la Russie a attaqué son petit voisin qui ne le menaçait pas et qui n’appartenait pas à l’OTAN.

Rien ne peut justifier cela !

L’OTAN se serait trop approché de la Russie dit-on ?

Mais prenons l’exemple de la Pologne, ce ne sont pas les États-Unis ou les européens qui ont obligé la Pologne à entrer dans l’OTAN, ce sont les polonais qui ont supplié d’intégrer l’OTAN.

Pourquoi ?

Mais tout simplement parce qu’ils connaissent leur Histoire, l’Histoire de l’Empire russe qui n’a pas cessé de les envahir, de les soumettre, de les massacrer.

C’est parce que la Russie qu’elle soit l’empire tsariste ou l’empire soviétique s’est toujours très mal comportée à son égard.

Et paradoxalement, la énième invasion russe vers un de ses voisins montre que l’Ukraine avait raison de vouloir faire partie de l’OTAN pour échapper à ce sort funeste imposé par son immense voisin insatiable.

Et justement, les occidentaux n’ont pas voulu offrir à l’Ukraine qui le demandait, la protection de l’OTAN, pour ne pas fâcher leur irascible voisin.

Alors oui des erreurs ont pu être commise dans le passé, mais Poutine raconte des calembredaines, son pays n’était pas menacé.

C’est son pays qui est menaçant et c’est pourquoi ses voisins veulent une protection pour ne pas tomber une nouvelle fois sous son joug.

Parce que visiblement aucun de ces pays n’a le désir d’être soumis à la Russie.

Parce qu’ils en ont l’expérience et que celle-ci n’en donne pas l’envie.

Rien ne justifie l’agression ordonnée par Vladimir Poutine.

Rien, ni les manquements occidentaux, ni l’agression injustifiée contre l’Irak, ni la sombre histoire du renversement de régime en Libye, ni les insuffisances du gouvernement ukrainien, rien ne justifiait cette guerre totale.

Il n’y a qu’une justification à cette guerre, c’est que Poutine voulait montrer sa puissance et qu’il pensait que le moment était propice car Biden est faible, Merkel est partie, le nouveau chancelier est au début de son mandat, La France est en campagne électorale, Boris Johnson est empêtré dans le Brexit, ses mensonges et ses frasques.

Je trouve bien imprudent celles et ceux qui croient que devant un tel personnage, quelques concessions bien présentées auraient pu le contenter.

Les concessions auraient certainement entrainé chez lui d’autres exigences.

Toute cette situation me fait penser à une conférence de presse de Georges Pompidou, lors de sa présidence.

J’étais fort jeune alors, mais je m’en souviens encore.

Je ne me souviens plus de la question mais de la réponse du Président :

« La meilleure preuve qu’il voulait la guerre, c’est qu’il s’en défendit ! »

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Mardi 1 mars 2022

« La guerre, aujourd’hui, revient au cœur de l’Europe. Nous avons perdu ce 24 février notre innocence »
Dominique Moïsi

Les analyses du politologue Dominique Moïsi sont toujours d’un grand intérêt.

Trois mots du jour ont déjà partagé ses réflexions :

« Le Point » l’a interrogé sur ce que l’invasion de l’Ukraine par les russes pose comme questions : « L’histoire bascule aujourd’hui » .

Du haut de ses 75 ans, il est né le 21 octobre 1946 à Strasbourg, il peut nous nous distiller les fruits de son expérience :

« Oui, nous sommes clairement à un point de bascule historique car, pour la première fois depuis 1945, au cœur de l’Europe, un pays est envahi par un autre pour l’asservir complètement en niant son droit d’existence. Il y a bien sûr eu des moments violents depuis 1945 en Europe. Je pense en particulier aux conflits dans les Balkans, dans l’ex-Yougoslavie. Mais cela n’était que l’éclatement d’un empire. Donc oui, l’invasion de l’Ukraine par la Russie marque un tournant historique majeur. C’est la fin de la période d’après-Seconde Guerre mondiale. Celle-ci se décompose d’ailleurs en deux phases : une guerre froide, de 1945 à 1989, et une paix chaude, de 1989 à nos jours. »

Hubert Vedrine le répète, le leadership de l’Occident est de plus en plus contesté. C’est-à-dire que ce n’est plus l’Occident qui dit ce qui est bien et mal ou plus exactement il continue à vouloir le dire mais il n’est plus écouté.

Et Védrine a même rapporté dans un entretien que j’ai entendu tout récemment que des intellectuels chinois ne parlent pas du « déclin occidental » mais de « la fin de la parenthèse occidentale ».

Poutine se place aussi dans cette perspective, c’est ce que pense Dominique Moïsi :

« Les régimes autoritaires ont une vision très négative de l’Occident. Ils voient notamment les démocraties américaine et européennes comme des systèmes politiques absolument inadaptés à notre époque. Dans l’esprit de Vladimir Poutine, des événements, ces derniers mois, n’ont fait que confirmer la vision décadente qu’il a des États-Unis. Je pense en particulier à la marche des trumpistes sur le Capitole le 6 janvier 2021 et à la reprise de Kaboul par les talibans le 15 août dernier. Une décadence intérieure et extérieure. »

Pour Dominique Moïsi la défaite de l’Ukraine semble inéluctable et à court terme. Ce qui lui semble essentiel, c’est penser l’après asservissement de l’Ukraine par les russes :

« Aujourd’hui, mieux vaut penser au coup d’après, à savoir faire en sorte que Vladimir Poutine n’aille pas au-delà de l’Ukraine. Car les prochaines victimes potentielles sont les États baltes de Lettonie, de Lituanie et d’Estonie. Ces républiques, pour mémoire, font à la fois partie de l’Union européenne et de l’Otan. Si la Russie allait jusque là-bas sans susciter une forte réaction occidentale, alors ce serait la fin de l’Alliance atlantique. »

Les dernières heures ont cependant montré un grand dynamisme des européens pour sanctionner les russes et le soft power n’est pas en reste avec le monde sportif qui exclut la Russie des compétitions et le monde des arts qui écarte les artistes proches de Poutine et qui refuse de contester son attitude.

En cas de victoire de Poutine, il faudra conserver les sanctions si l’Europe veut être cohérent avec les motifs de leur déclenchement.

Mais est ce que les sanctions économiques feront plier Poutine avant les gouvernements européens qui vont probablement se trouver contesté par des populations soumises à des difficultés de pouvoir d’achat de plus en plus importantes. Surtout que cet épisode vient après la crise de la COVID qui a déjà eu un grand impact sur la vie des gens.

Pour Moïsi les deux grandes conséquences de ce conflit sont le renforcement de la Chine et un renforcement de l’Union européenne :

« Dans un futur proche, ce conflit entre la Russie et le monde démocratique est un don de Dieu pour la Chine. Elle a depuis bien longtemps l’ambition de redevenir un grand empire. Grâce aux Occidentaux d’abord et à Poutine ensuite, son projet de retour au premier plan s’est considérablement accéléré. Le centre de gravité géopolitique sera désormais en Asie. Ce conflit a cependant une vertu. Poutine nous force à l’union. Les tentations illibérales de la Pologne n’ont plus beaucoup de sens quand les chars russes sont pratiquement à la frontière. Continuera-t-elle sérieusement à dénoncer le supposé impérialisme juridique de Bruxelles ? »

Il fait aussi le parallèle entre Poutine et Hitler, comme je l’avais écrit dans le mot du jour de vendredi et insiste sur le fait comme lui, il avait écrit ce qu’il ferait :

« Hélas, quand vous regardez les images qui nous parviennent d’Ukraine, vous voyez de vieilles femmes et des enfants errant dans la rue à la recherche d’un abri. Les fantômes du passé, c’est l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie en 1939. Oui, il y a un parallèle entre Poutine et Hitler, c’est net. Les deux ont dit clairement ce qu’ils avaient l’intention de faire : l’un, Hitler, dans son livre Mein Kampf ; l’autre, Poutine, dans une série de discours et dans un article. »

Bien évidemment cet évènement aura de grandes conséquences dans nos vies : psychologiquement et économiquement.

« La première est psychologique, et c’est d’ailleurs la plus importante. Nous allons vivre désormais à l’ombre d’une guerre qui peut, un jour, nous concerner. Les guerres étaient jusqu’ici réservées au Moyen-Orient, comme l’Irak, le Yémen ou la Syrie, ou à l’Asie, comme au Myanmar, sans oublier bien sûr l’Afghanistan. La guerre, aujourd’hui, revient au cœur de l’Europe. Nous avons perdu ce 24 février notre innocence.
La guerre n’est plus du passé.
C’est le présent de l’Ukraine.
C’est peut-être notre futur.
La seconde conséquence durable est économique. Le prix du pain sera plus cher. Le prix du chauffage sera plus cher. La tension maximale dans laquelle nous sommes est mauvaise pour l’économie mondiale. »

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Lundi 28 février 2022

« Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition c’est qu’elles le veuillent ! »
Raymond Aron cité par Nicolas Baverez

C’est incroyable et terrifiant !

Vous passez par l’Allemagne notamment par Dresde, puis vous traversez la Pologne en passant par Varsovie et vous vous trouvez sur la frontière est de l’Union européenne.

Et là se trouve un État démocratique, un peuple citoyen qui choisit librement son président et ses députés.

Bref, un pays qui nous ressemble.

Ce pays est sous les bombes, les missiles de l’armée de son voisin qui n’est pas une démocratie, tout au plus une démocrature, c’est-à-dire une dictature qui se donne l’apparence d’une démocratie.

L’Ukraine est sous les bombes et menacée par une armée d’hommes capables de tout, déguisés en civil ou en soldat ukrainien. Cette armée est accompagnée d’une milice tchétchène, c’est-à-dire des nervis qui ont prêté allégeance à Poutine quand il a détruit leur pays et rasé Grozny leur capitale., parce qu’ils préféraient être dans le camp du fort et du vainqueur. Pour lui être agréable, ils ont accepté de faire toutes les basses besognes, trop vil pour un soldat russe.

En parallèle, circule parmi eux une liste de 100 ukrainiens dont il faut se débarrasser, parmi eux bien sûr le président Volodymyr Zelensky.

Il faut s’en débarrasser, afin qu’il soit plus simple de transformer le régime de l’Ukraine, en démocrature.

Parce que c’est le premier crime de l’Ukraine ! Ce pays aux marches de l’empire russe, démontre qu’un État proche dans la culture, la religion, l’histoire du peuple russe est capable de désigner ses dirigeants après des élections libres, élections qui peuvent même renvoyer le président sortant.

Il y a bien un second crime : ce pays veut être indépendant, choisir librement ses alliances et ne pas se soumettre à son irascible et surarmé voisin, puissance impériale de toujours dont il connaît historiquement le joug et la cruauté (cf. Holodomor).

Et nous assistons à cela, nous laissons faire !

Un tyran qui utilise sa force supérieure et ses forces du mal (milice tchétchène) pour écraser et massacrer des gens qui nous ressemblent, qui sont nos amis.

Il en est même dans nos rangs qui ont, depuis des années, encensé le criminel de guerre qui se terre dans son palais du Kremlin.

Jean François Kahn, dans un article publié le 26 février : <Poutine centre de la présidentielle> dresse ce constat accablant :

« C’est un fait : celles et ceux qui, en France, ne cachaient pas une certaine proximité idéologique ou géopolitique avec Vladimir Poutine et avaient, en conséquence, tendance, au début de la crise ukrainienne, à manifester beaucoup de compréhension à l’égard de la position russe, représentaient 45 % des intentions de vote à l’élection présidentielle. C’est Emmanuel Macron, et non le nouveau tsar de Moscou, qui était alors l’objet de leur vindicte (et encore samedi, en plein assaut sur Kiev, sur les sites des médias conservateurs, la majorité des réactions étaient beaucoup plus anti-Macron qu’anti-Poutine).

Selon Marine Le Pen, la présidence française était totalement dépendante des exigences américaines ; selon Jean-Luc Mélenchon, Macron agissait en petit télégraphiste de l’Otan ; selon Éric Zemmour, quand le président tenta de négocier avec un maître du Kremlin, plus fort que lui, il se comportait comme un petit garçon ridicule (et samedi, Mélenchon reprenait à son compte les mêmes termes). Aucun des trois ne croyait à une invasion militaire de l’Ukraine et tous criaient à la désinformation et à l’enfumage.

Alors, depuis que Poutine a violé les frontières de la souveraineté ukrainienne, ils ont concédé que ce n’était pas bien. Jean-Luc Mélenchon a même condamné fermement. Mais pour très rapidement crier à la folie de la course aux armements des allemands.

Parce que l’Allemagne a dû reconnaître que « Le sous-investissement chronique de la Bundeswehr la rend peu opérationnelle» et a donc décidé d’augmenter le budget de la défense à 2% du budget. L’armée française est un peu mieux dotée, mais selon un rapport du Sénat elle ne pourrait opposer qu’un nombre dérisoire de bataillons opérationnels en face de l’armée russe.

C’est ce qu’on apprend et bien d’autres choses dans l’émission « C Politique de France 5 » : <Partie 1> <Partie 2>

Parce que si nous n’intervenons pas, alors que c’est moralement inacceptable, nous avons une raison officielle : l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN et donc nous ne pouvons pas appliquer l’article 5. CQFD.

La raison moins officielle et qu’on ose avouer c’est que l’adversaire, non le vrai mot dans cette situation est « ennemi » est une puissance nucléaire. Ce ne serait pas prudent d’entrer en conflit avec lui, surtout qu’il est imprévisible.

Mais la raison objective, c’est que nous n’avons pas du tout les moyens d’aider militairement les ukrainiens, nous ne sommes pas prêts, nous avons désarmé, massivement. Sans les États-Unis nous ne sommes rien militairement, des nains.

Après les deux terribles guerres mondiales, nous avons cru à un monde de paix, de commerce et de droits.

Et nous avons créé une entité riche, prospère et en paix : L’Union européenne.

Dans l’émission C Politique, un intervenant rappelle cependant que cette prospérité n’a été rendue possible qu’à l’abri du bouclier américain.

D’ailleurs les présidents américains, avant Trump, Obama, Busch et Clinton ont répété que les européens ne faisaient pas le job.

Un autre intervenant a décrit l’Union européenne se vivant comme n’ayant plus aucun ennemi. Et Jean Quatremer a eu cette formule :

« L’Europe n’avait pas d’ennemis que des amis potentiels »

Certains analystes ont décrit cette situation par cette autre formule :

« Les européens se comportent comme des herbivores dans un monde de carnivores ! »

Parce que pendant ce temps, la Russie, la Chine, l’Inde et d’autres ont augmenté de manière massive leurs dépenses militaires.

Bien sûr qu’il faut réarmer, sinon nous serons avalés.

Le courageux et lucide président ukrainien Volodymyr Zelensky a interpellé l’Europe :

« Comment allez-vous vous-mêmes vous défendre si vous êtes si lent à aider l’Ukraine ? »

C’est un changement de monde pour nous comme le dit Nicolas Baverez, le spécialiste de Raymond Aron, dans l’émission de ce dimanche du <Nouvel Esprit Public>

Cette situation rappelle la fin des années 30 : une démocrature et un homme fort qui suit son plan avec un récit de l’encerclement de la Russie par l’Otan et du génocide des russes dans le Donbass par des ukrainiens.

En face, il y a le déni. Le déni de la violence de Poutine, de sa haine de l’Occident et de sa volonté d’asservir.

Le déni qui a conduit à la construction de la dépendance de l’Allemagne au gaz russe sous le prétexte de la transition énergétique verte. Et en sus, la commission européenne est arrivée à faire du prix du gaz russe le prix directeur de l’énergie dans l’Union.

Et puis comme le rappelle le journaliste Emmanuel Berreta, le déni de tous ces hommes politiques issus de l’Union européenne qui ont, par faiblesse pour l’argent, accepté de devenir des agents d’influence de ce régime aux valeurs si éloignées des nôtres :

« La Russie a aussi déployé son entregent à l’ouest dans une entreprise de capture des élites, à commencer par Gerhard Schröder, l’ancien chancelier allemand devenu le « Monsieur North Stream 2 » de Vladimir Poutine, son ami. Jeudi, Christian Kern, l’ancien chancelier social-démocrate autrichien, a fait savoir qu’il démissionnait pour sa part du conseil de surveillance de la société nationale ferroviaire russe. L’Italien Matteo Renzi (qui siégeait chez Delimobil, un service d’autopartage en Russie) et l’ancien Premier ministre finlandais Esko Aho (qui siégeait au sein de la plus grande banque russe, la Sberbank) ont également démissionné. François Fillon a lui aussi renoncé, vendredi, à ses mandats d’administrateur indépendant de sociétés pétrolières russes. »

Force est de reconnaître que l’essentiel de ces hommes sont issus des Gauches européennes.

Nicolas Baverez a ajouté :

« Le défi que lance Vladimir Poutine, est une menace mortelle pour l’Europe. Soit on réagit, soit on mobilise et on change de mode de pensée et d’action, soit la démocrature russe va liquider la liberté politique en Europe. Il faut réarmer. Ce n’est pas seulement un réarmement militaire mais aussi un réarmement politique et idéologique. Il faut rétablir une dissuasion efficace vis-à-vis de Moscou. […] Je rappellerai une phrase de Raymond Aron : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition c’est qu’elles le veuillent » »
Nicolas Baverez dans l’émission le Nouvel Esprit Public de Philippe Meyer (vers 10 min environ)

Il faut réarmer si nous voulons rester libre.

Bien entendu si le budget de la défense augmente, d’autres devront baisser

Il faut savoir payer le prix de la Liberté.

Liberté que vont perdre les ukrainiens dans les prochaines heures, les prochains jours.

Mais voulons nous rester libre ? demandait Raymond Aron

Ou la douce somnolence de notre confort étouffe t’elle le désir de la liberté et considère t’elle que le prix à payer est trop cher ?

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Jeudi 24 février 2022

« Les fins de règne – car nous sommes dans une fin de règne en Russie – sont longues, chaotiques et souvent sanglantes. »
Michel Foucher

Poutine constitue une énigme.

Certains (comme Zemmour ou Marine Le Pen) le considère comme un stratège génial.

Mais Libération pose la question : « Poutine est-il fou ? »

Le journal raconte d’abord comment lors d’une réunion de son Conseil de Sécurité, qui a précédé son fameux discours dans lequel il a nié la possibilité qu’il existe une nation ukrainienne distincte de la nation russe et qu’il a reconnu l’indépendance de deux territoires qui se trouvent à l’intérieur des frontières de l’Etat ukrainien, le Président russe a littéralement terrorisé le responsable des services de renseignements. Il existe une vidéo de cet échange entre <Vladimir Poutine et Sergueï Narychkine>. Libération évoque les visages anxieux des autres membres du conseil de sécurité. Il compare cet épisode avec le jour où les fauves du Colisée ayant eu raison trop rapidement des gladiateurs, l’empereur Caligula ordonna de jeter dans l’arène les spectateurs qui n’avaient pas assez applaudi.

Concernant le discours, Libération rapporte :

« Réagissant le premier aux événements, Emmanuel Macron a qualifié l’intervention télévisée du chef de l’Etat russe de «discours paranoïaque». Notre correspondant en Ukraine, Stéphane Siohan, y a vu «une heure de logorrhée historique stupéfiante», bientôt suivi par le correspondant à Moscou du Financial Times, Max Seddon, pour qui Poutine avait «clairement fait une déclaration de guerre complètement folle». La Première ministre de la Lettonie, Ingrida Šimonytė, observa que le président russe « rendrait honteux à la fois Kafka et Orwell », tandis que l’ancien ambassadeur français Gérard Araud, d’ordinaire placide et hyperréaliste, le qualifiait de discours « proprement ahurissant, un délire paranoïaque dans un univers parallèle ».

Vladimir Poutine est-il fou ? La question a son importance, et après le fameux dîner de six heures d’affilée avec son homologue russe la semaine dernière, Emmanuel Macron a plus d’éléments que beaucoup pour y répondre. Mais on peut aussi revenir à la fameuse « théorie du fou » chère à Richard Nixon, qui avait voulu faire croire aux dirigeants russes qu’ils avaient en face d’eux un président américain au comportement imprévisible, disposant d’une énorme capacité de destruction, et qu’il valait donc mieux lui lâcher plus de terrain qu’à un leader raisonnable. Poutine a-t-il voulu renverser les rôles ? »

« Le Un Hebdo », dans son numéro daté du 23 février pose la question : Que veut Poutine ?

Il met sur la première page ce qu’écrivait la journaliste Anna Politkovskaïa qui a été assassinée en 2006 et dont j’avais parlé dans le mot du jour du 8 octobre 2013 < « Qu’ai-je fait ?…J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin.» :

« Ce n’est ni un tyran ni un despote-né. Il a juste été formé à réfléchir selon des catégories qui lui ont été inculquées par le KGB, dont l’organisation représente à ses yeux un modèle idéal, ainsi qu’il l’a publiquement déclaré plus d’une fois. C’est la raison pour laquelle, lorsque quelqu’un est en désaccord avec lui, Poutine exige “qu’on coupe court à cette hystérie”. D’où son refus de participer à des débats électoraux. La discussion politique n’est tout simplement pas son élément. Il ne sait pas dialoguer. Son style, c’est le monologue de type militaire. Dans l’armée, le subalterne se tait, il écoute le chef et a le devoir de faire semblant de l’approuver. Dans l’armée comme en politique, toute insubordination ne peut que déboucher sur une guerre ouverte. »
La Russie selon Poutine, trad. fr. de Valérie Dariot © Buchet-Chastel, 2005

Laurent Greilsamer avance cette analyse :

« Au cœur du système poutinien, il faut imaginer une énorme fabrique de brouillage impulsant le chaud et le froid, créant la confusion et l’inquiétude sur la scène internationale. […]. C’est ainsi que le président Poutine, quand bien même le PIB de son pays ne dépasse pas celui de l’Espagne, affole les chancelleries et parvient à se placer au centre de la « conversation mondiale ». C’est ainsi qu’à la tête d’une armée modernisée de 900 000 hommes, il se retrouve à la table des négociations avec toutes les cartes en main. »

Au cœur de ce numéro, se trouve un entretien avec Michel Foucher, géographe et diplomate qui pense que Poutine a tout à fait les moyens de son ambition, tant il est vrai qu’il a rénové et réorganisé en profondeur son armée qui constitue aujourd’hui l’outil central de sa politique étrangère et qui est une priorité budgétaire.

Et surtout il nous explique la doctrine militaire de Valéri Guérassimov :

«  Poutine a adopté la doctrine militaire de Valéri Guérassimov, son chef d’état-major, qui consiste à mobiliser toutes les ressources non militaires à des fins militaires : les moyens économiques, politiques, diplomatiques, informationnels. Ils la nomment la « dissuasion stratégique ». L’objectif de la doctrine Guérassimov est de brouiller notre compréhension, notre lecture des événements. Il s’agit bien d’empêcher les pays occidentaux de déterminer si nous sommes face à une situation de paix ou de guerre. Ces méthodes étaient autrefois l’apanage des services de renseignement. Cela rend très difficile l’évaluation des risques à chaud, et donc la décision. Et l’on constate bien aujourd’hui qu’il n’y a pas d’analyses convergentes entre Washington, Ottawa, Londres, Paris, Berlin, Rome et Varsovie. »

Michel Foucher nous apprend que Poutine a fait distribuer à tous les soldats, en septembre dernier, un texte de 5 000 mots intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Vus de Moscou, les Russes, les Biélorusses et les Ukrainiens forment un seul peuple. La dislocation de l’Union soviétique, en 1991, est encore vécue comme une catastrophe géopolitique parce que le monde russe a été séparé

L’Ukraine , comme la Russie est un pays de corruption forte, mais contrairement à la Russie, l’Ukraine est une démocratie avec des élections libres dans lesquelles les présidents ou les gouvernements sortants peuvent être battus électoralement et remplacés par leurs opposants.

Poutine n’aime pas la démocratie dans lequel le pouvoir peut changer de main.

Et puis il ne supporte pas que l’Ukraine, cette région qui dans son esprit est russe, puisse se rapprocher de l’occident voire adhérer à l’OTAN.

Ainsi la révolution de Maïdan, en 2014, qui montrait cette forte aspiration vers l’occident d’une partie de la population ukrainienne particulièrement de Kiev a constitué pour Poutine, dans son système de valeur, la provocation de trop :

« La première réponse de Poutine a été d’annexer la Crimée. La deuxième d’encourager le Donbass, qui peut s’apparenter à la Lorraine ou à la Ruhr, à faire sécession.

Et [la troisième peut être] la guerre ou la paix. L’histoire le montre, c’est une seule personne qui en décide. On en est là. Et en stratégie, les cartes mentales sont fondamentales. Moscou a la perception d’une asymétrie qu’il faut relativiser. Ce sont bien les forces militaires russes qui campent en Biélorussie, dans le Donbass et bien entendu sur la mer Noire, où les manœuvres navales bloquent tous les ports ukrainiens depuis un mois. L’usage de la géographie corrige l’asymétrie. »

Michel Foucher décrit une situation ambigüe de l’Ukraine par rapport à l’OTAN, moins catégorique que certains journalistes qui prétendent que l’Ukraine est très loin de l’OTAN. Bien sûr, elle ne peut bénéficier de l’article 5, ce qui constitue une limite essentielle :

« Elle a un accord de coopération renforcée avec l’Otan qui en fait un quasi-membre. Elle reçoit des équipements, des armes antichars, des missiles. L’Ukraine est de facto dans l’Otan. Avec une nuance très forte, car elle ne bénéficie pas de l’article 5 : donc il n’y a pas de solidarité militaire, d’alliance au sens classique. Mais, pour Moscou, c’est trop. Dans la conception de Poutine, tous les voisins de la Russie doivent être soumis à la Russie. »

Pour le géographe, le moment d’agir a été rigoureusement choisi par le maître du Kremlin :

« Le moment lui est favorable : Angela Merkel est partie, il n’aurait jamais osé faire cela avec elle ; Joe Biden est faible ; l’Otan est fracturée ; l’Occident est en fait divisé. Et il a Pékin derrière lui. Il a en main toutes les cartes : le militaire, la diplomatie, les calculs stratégiques froids, la propagande, le ressentiment historique, l’émotion. Ce qui est fascinant, c’est sa capacité à utiliser tous ces outils. »

Michel Foucher parle des risques de fin de règne et pense probable l’envahissement de l’Ukraine par les armées russes. Je pense qu’il veut dire au-delà de la région du Donbass :

« En tout cas, tout est prêt pour que cela soit possible. Les fins de règne – car nous sommes dans une fin de règne en Russie – sont longues, chaotiques et souvent sanglantes. Il est sage de se préparer au scénario d’une entrée des forces russes en Ukraine. Dans ce cas, il y aura une résistance sur le terrain. Les Ukrainiens ne se laisseront pas faire. Ce sera un drame et un déchirement pour de nombreuses familles russes. »

Michel Foucher penche donc davantage vers l’hypothèse du stratège que du fou.

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Mardi 8 juin 2021

« Les 9 symphonies de Beethoven interprétées par 9 orchestres dans 9 villes d’Europe »
La journée Beethoven 2021 organisée par ARTE

C’était en 2020 que nous avons célébré les 250 ans de la naissance de Ludwig van Beethoven.

Il est né en décembre 1770 à Bonn. J’avais écrit la série sur Beethoven du 10 au 30 décembre 2020. Vous trouverez la page de cette série derrière ce lien : <Beethoven est né il y a 250 ans>

ARTE avait l’intention de faire une journée spéciale Beethoven lors de cette année 2020.

Le concept était de faire interpréter la même journée, successivement les 9 symphonies, dans 9 villes d’Europe, avec 9 orchestres et chefs différents.

Plusieurs de ces concerts devaient avoir lieu en extérieur.

C’est pourquoi, ARTE n’a pas choisi le mois de naissance, décembre, pour cette célébration mais le mois pendant lequel les jours sont les plus longs : juin 2020.

Mais je n’apprends rien à personne, puisque nous l’avons tous vécu. La France, l’Europe, le Monde tous à des degrés divers nous étions confinés en raison de cette incroyable pandémie qui s’est abattue sur notre espèce.

La seule solution raisonnable était de reporter.

Et c’est ainsi qu’un an plus tard, le 6 juin 2021, ARTE a pu enfin aller au bout de son idée. Ce fut un marathon musical De 12 h 45 jusque tard dans la nuit.

C’est une somptueuse et merveilleuse idée.

Et il est possible de regarder ces 9 bijoux pendant 6 mois encore jusqu’à la fin de l’année sur <ARTE REPLAY>.

ARTE a placé l’Europe au centre de son hommage au génial démiurge. C’est en raison de son engagement humaniste que l’Europe a choisi symboliquement l’Ode à la joie sur un poème de Schiller, conclusion de la IXe Symphonie, comme hymne de l’Union européenne. D’où le projet de voyager de ville en ville en une seule journée, au fil des neuf symphonies créées par Beethoven entre 1800 et 1824, interprétées par neuf orchestres différents sous la baguette de neuf chefs différents !

LE 6 juin ARTE a diffusé les symphonies dans l’ordre chronologique, sept des neuf concerts étaient captés en direct.

Je ne suivrais pas cet ordre pour la présentation

Symphonie n° 1 Opus 21 (1800)

Très naturellement le marathon a commencé dans la ville natale de Beethoven Bonn

Le concert a été diffusée en direct depuis la cour du château des Princes-Électeurs. Dans ce château, Beethoven a commencé sa vie musicale publique.
L’orchestre choisi pour débuter est le formidable Mahler Chamber Orchestra fondé par Claudio Abbado en 1997.
Très rapidement Daniel Harding devint le chef associé à la tête de cet Orchestre. Daniel Harding qui devint plus récemment Directeur de l’Orchestre de Paris, mais quitta sa fonction pour devenir Pilote de ligne. Je ne sais pas si c’est en raison de la pandémie qui a dévasté les compagnies aériennes qu’il a repris des fonctions de directeur musical à l’Orchestre de la Radio suédoise ou s’il avait jugé ce prétexte Crédible pour quitter l’Orchestre de Paris avec qui la relation de confiance était disons mesurée.

<Symphonie n° 1 Opus 21 à Bonn – Mahler Chamber Orchestra – Daniel Harding>

Symphonie n° 9 Opus 125 (1822 – 1824)

Et c’est tout aussi naturellement à Vienne, dans la ville où Beethoven a composé tous ses chefs d’œuvre que le marathon s’est achevé.
Dans les jardins du palais du Belvédère, c’est l’autre orchestre de Vienne : l’Orchestre symphonique de Vienne qui jouait sous la baguette de la jeune cheffe américaine Karina Canellakis que nous avons déjà eu le bonheur d’avoir deux fois à l’Auditorium de Lyon, où elle a dirigé l’orchestre de notre ville.

<Symphonie n° 9 Opus 125 à Vienne – Orchestre Symphonique de Vienne – Karina Canellakis>

Symphonie n° 7 Opus 92 (1811 – 1812)

Cette symphonie qui a été désignée par Wagner comme « L’apothéose de la danse » a fait l’objet de l’interprétation la plus surprenante en raison du chef adulé par les uns et honni par les autres, le jeune chef gréco-russe : Teodor Currentzis.
Dans ses interviews et même dans son attitude avant le concert, comme pendant, il révèle une personnalité assez sure de ses talents. Pour ma part je dirai qu’il est souvent très passionnant à écouter même s’l peut être assez horripilant à regarder.
Le lieu du concert est somptueux, il s’agit du Théâtre Antique de Delphes
L’orchestre est celui qu’il a créé Musicaeterna.

<Symphonie n° 7 Opus 92 à Delphes – Musicaeterna – Teodor Currentzis>

Symphonie n° 5 Opus 67 (1807 – 1808)

Pour la célèbre cinquième symphonie, c’est la ville de Prague qui a été choisie. Ville de culture historique de l’empire austro hongrois.
On admire le centre de la ville tchèque, le concert a lieu sur la place de la Vieille-Ville de Prague.

<Symphonie n° 5 Opus 67 – Prague – Orchestre symphonique national tchèque – Steven Mercurio>

Symphonie n° 3 Opus 55 (1802 – 1804)

Le lieu de l’interprétation de l’Eroica l’autre symphonie célèbre est aussi très impressionnant.
Il s’agit d’une église d’Helsinki qui a été creusés dans la roche : l’église monolithique Temppeliaukio d’Helsinki, bâtie dans les années 1960.

<Symphonie n° 3 Opus 55 – Helsinki – Orchestre symphonique de la radio finlandaise – Nicholas Collon>

Symphonie n° 8 Opus 93 (1812)

Il fallait bien une ville de France. C’est celle qui abrite le parlement européen qui a été choisi : Strasbourg avec son orchestre.

<Symphonie n° 8 Opus 93 – Strasbourg – Orchestre philharmonique de Strasbourg. – Marko Letonja>

Symphonie n° 4 Opus 60 (1806)

Autre ville importante de l’Union européenne : Luxembourg est le théâtre choisie pour la 4ème symphonie.
En direct de la Philharmonie Luxembourg, l’orchestre local interprète cette symphonie. Une chorégraphie luxembourgeoise Sylvia Camarda a pris l’initiative avec 8 jeunes réfugiés de réaliser une scénographie dansée sur la musique.

<Symphonie n° 4 Opus 60 – Luxembourg – Orchestre philharmonique du Luxembourg – Gustavo Gimeno>

Symphonie n° 2 Opus 36 (1801 – 1802)

C’est à Dublin que se passe cet épisode.

<Symphonie n° 2 Opus 36 – Dublin – RTÉ National Symphony Orchestra – Jaime Martín>

Symphonie n° 6 Opus 68 (1807 – 1808)

Dans mon cheminement, je finirai par la symphonie appelée « Pastorale » jouée en Suisse italienne à Lugano, au milieu des cols alpins.

<Symphonie n° 6 Opus 68 – Orchestre de chambre suisse I Barocchisti – Diego Fasolis>

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Mercredi 5 mai 2021

«L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord.»
Napoléon Bonaparte

Napoléon est mort le samedi 5 mai 1821 à 17 h 49, dans sa résidence de Longwood sur l’île de Sainte-Hélène. Il était âgé de cinquante et un ans, huit mois, vingt jours.

C’était, il y a deux cents ans.

Il débarqua sur l’île de Sainte Hélène le 17 octobre 1815, il y vécut donc 5 ans et demi. Grâce à Google Maps nous pouvons situer facilement ce lieu. Nous pouvons aussi savoir, tout de suite, qu’il se trouve à plus de 7000 km de Paris et à 2000 km de la côte, si on prend comme ville pour accoster, Abidjan


Si je compte bien, Napoléon a donc pu bénéficier de sa retraite à 45 ans. Cela me semble appréciable.

Quand il mourut, il fut enterré à Sainte Hélène.

Un site entièrement dédié à <l’exil à Sainte Hélène> nous donne de nombreuses informations, permet d’acheter des livres et des objets, à prix non bradés, sur la boutique en ligne, annonce pour ce jour une retransmission des cérémonies pour célébrer les deux ans et présente beaucoup de photos.

Nous pouvons donc contempler le lieu calme, éloigné de la pollution parisienne, où le corps de Napoléon a été enterré. C’est bien sûr une photo récente


Nous savons qu’il ne restera pas là. En 1840, Louis Philippe et son premier ministre, Adolphe Thiers, il fut aussi dans ce coup-là, trouvèrent politiquement pertinent de demander l’autorisation aux anglais de rapatrier le corps à Paris et de l’installer sous le dôme des Invalides.

En 1840, le tombeau imaginé par l’architecte Louis Visconti, n’était pas prêt. On installa donc le cercueil dans un local annexe. Le corps du défunt ne fut réellement placé dans son tombeau que le 2 avril 1861. L’architecte Visconti était déjà mort depuis 8 ans.

Et puis, Louis Philippe avait été chassé du pouvoir en 1848. Entre temps, la deuxième république avait fait élire le premier président de la République française. Le choix fut pervers pour la République, les français, probablement mal influencé par « une suite de mensonges » éliront le neveu de Napoléon. Ce dernier, trouvant le poste de président de la république trop médiocre, fit un coup d’État pour créer le second empire et devenir empereur comme son oncle.

L’un comme l’autre de ces deux empires s’achevèrent par un désastre et une France défaite, humiliée et affaiblie.

Dans ma série sur la Commune le second désastre a été un peu décrit. Il a permis à Adolphe Thiers qui fut au pouvoir sous Louis Philippe et dans l’opposition sous le second Empire, de revenir à la tête du gouvernement.

Victor Hugo a désigné Napoléon III comme « Napoléon le petit », laissant percevoir que l’oncle était « Napoléon le grand ».

Et c’est le récit qu’on a fait dans nos livres d’Histoire, pendant longtemps.

C’est ce que j’ai appris dans les cours d’Histoire, on ne disait quasi rien de la commune mais on parlait de la gloire du général devenu premier consul puis empereur.

On glorifiait ses victoires militaires et on excusait ses défaites. Les victoires étaient le fruit de son génie, les défaites des concours de circonstances malheureuses.

<Le Monde> dans une vidéo dans laquelle je retiens surtout la fin : une France redevenue un territoire, très loin des rêves de l’empire, affirme que Napoléon a gagné 77 batailles sur un total de 86., ce qui ferait un taux de 90% de victoires.

C’est à faire pâlir d’envie Didier Deschamps qui selon les dernières statistiques se situe à un taux de victoire de 66% (73 victoires sur 111 rencontres.). Fort heureusement, la stratégie de Didier Deschamps n’a jamais provoqué de victimes, contrairement aux batailles de Napoléon.

Le chiffre des victimes fait l’objet de contestations, mais il fut énorme pour la population française de l’époque

Mais ces « 90% » de victoires n’empêchèrent pas le désastre. Il fit le contraire de ce que De Gaulle avait annoncé en juin 1940 : « Nous avons perdu une bataille, mais nous gagnerons la guerre », lui pouvait dire : « je gagnerai un grand nombre de batailles, mais je perdrai la guerre ».

Et puis il y a le coût de ces massacres, le budget nécessaire pour faire la guerre devint considérable.

<Les Echos> écrivent :

«  Les recettes totales de l’Etat passeront à 800 millions de francs en 1810 et à 1,3 milliard en 1814 contre 475 millions en 1789. […]. Pour financer ses guerres, dont le coût a été estimé à un peu plus de 700 millions par an entre 1806 et 1814, Napoléon recourt au tribut imposé aux pays vaincus. Au total, les dommages de guerre prélevés par l’Empire grâce à cette politique s’élèveront à 1,5 milliard de francs entre 1805 et 1814.  »

Ce tribut imposé aux autres pays, ajouté aux victimes subis par les autres pays va avoir des conséquences très négatives sur l’image de la France.

Je reviens à la façon dont on m’a appris l’Histoire dans l’école de la République. Napoléon fut un génie et un bon génie pour la France. S’il faisait la guerre à toute l’Europe c’est parce que tout le monde voulait attaquer la France. Le peuple qui voulait toujours la guerre fut la Prusse, puis l’Allemagne.

J’eus un choc quand un jour, un ami qui était d’origine allemande m’a emmené en Sarre discuter avec des jeunes allemands de notre âge sur cette question de la nation belliciste. Et leur vision était exactement le contraire du récit qu’on me racontait. Et s’ils ne m’ont pas immédiatement convaincu, ils ont ébranlé mes certitudes. Pour eux, c’était la France qui a toujours voulu guerroyer partout en Europe ; Napoléon 1er constituant le paroxysme de cette ambition.

Par la suite mes études de Droit puis d’Histoire m’ont fait comprendre que si les choses sont bien sur complexes, la vision des jeunes allemands était plus conforme à la réalité. J’ai notamment appris à connaître « Le discours à la nation allemande » de Fichte dans laquelle ce philosophe conquis d’abord par l’idéal de la révolution française a été profondément heurté par la violence et les exactions des armées napoléoniennes et a enjoint le peuple allemand à se renforcer pour ne plus avoir à subir le joug de ces français arrogants et guerroyeurs.

<France Culture> parle de cette évolution de Fichte et des autres philosophes allemands.

Napoléon fut aussi un assassin : il fit tuer le duc d’Enghien, il rétablit l’esclavage aboli par la Révolution son attitude à l’égard dHaiti et de Toussaint Louverture furent indignes, surtout de l’image de fils des Lumière qu’il voulait se donner.

<Jean-François Kahn> prétend même que ses victoires militaires sont à relativiser :

« Bonaparte au pont d’Arcole. L’image d’Épinal est imprimée dans les esprits. Sauf qu’elle ne correspond à aucune réalité. Tous les témoignages de ceux qui participèrent à l’événement, dont le général de Marmont, le confirment, et Barras, le protecteur du futur empereur, en fait foi dans ses Mémoires : en fait, le héros tomba dans l’eau et la tentative de franchissement du pont fut un échec.La bataille n’en fut pas moins gagnée au forceps par la suite.
Tout le monde vous dira que Wagram fut une grande victoire… En réalité, les 21 et 22 mai 1809, l’armée impériale, qui venait d’entrer à Vienne, attaqua l’armée autrichienne commandée par l’archiduc Charles et fut sévèrement battue à Essling. Ce n’est que le 4 juillet suivant que la Grande Armée, très nettement supérieure en nombre, reprit l’offensive et franchit le Danube mais, se heurtant à une tactique de défense imprévue (la formation en équerre), fut de nouveau mise en échec et dut décrocher. C’est le 6 juillet seulement que, à l’issue d’une troisième offensive précédée d’une formidable préparation de l’artillerie, les Autrichiens durent se replier sans que l’Empereur, trop mal en point, puisse les poursuivre. On est loin d’un triomphe. Quant à la victoire de la Moskova, ce fut en réalité, sous l’appellation de bataille de Borodino, une quasi-défaite.

Comme à Eylau. On pourrait multiplier les exemples. Sait-on, par exemple, qu’après la prise de Toulon Bonaparte, qui flirtait alors ostensiblement avec les sans-culottes ” enragés “, préconisa l’exécution en masse de tous les suspects en tant qu'” ennemis du peuple ” ? Sait-on que, parce que le général Kléber avait osé critiquer son ” abandon de poste ” en Egypte, le Premier consul, puis l’Empereur, refusa que son corps, entreposé au château d’If, bénéficie de la moindre sépulture ? Sait-on que le général miséricordieux, qu’une peinture apologétique montre en train de témoigner sa sollicitude aux ” pestiférés de Jaffa “, accumula en réalité les crimes de guerre et qu’il fit, à Jaffa précisément, exécuter près de 4 000 prisonniers turcs sans autre forme de procès ? Qu’au Caire même il en fit exécuter des centaines d’autres au sabre pour ne pas gaspiller la poudre ? Que sans cesse, dans ses lettres à ses frères et affidés qui opprimaient l’Europe en son nom, il conseille, pour éviter les révoltes, de raser les villages récalcitrants, de fusiller des otages, de terroriser les populations en écrasant dans le sang toute contestation ? Au point qu’aujourd’hui encore, en Espagne ou en Russie, on fait peur aux petits enfants en prononçant son nom. Sait-on qu’après l’attentat monarchiste de Cadoudal dirigé contre lui il fit exécuter une petite charrette de républicains, dont un peintre de talent, qui n’y étaient strictement pour rien, tout simplement parce que ça l’arrangeait ? »

Et Jean-François Kahn explique la raison de cette « vision améliorée de l’histoire » :

« Tout simplement parce que, génial anticipateur des techniques les plus modernes de propagande, c’est lui-même qui la rédigea. Et ce récit, écrit de sa main, bulletin après bulletin, ou inspiré à ses scribes fut par la suite récupéré et donc crédibilisé, non seulement par les bonapartistes, ce qui était normal, mais également par les orléanistes et les républicains dans leur lutte contre la monarchie légitimiste. »

Cet article raconte encore d’autres choses intéressantes. Mais c’est bien Napoléon qui donne l’explication. On raconte que ce fut après la défaite de Waterloo qu’il révéla cette vérité :

« L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord. »

Il y a beaucoup de mensonges dans cette histoire.

Je ne nie pas qu’il a créé un certain nombre d’institutions qui eurent un rôle dans la construction de la France.

Mais pendant trop longtemps son personnage fut honoré bien plus que cela n’était justifié. Et pendant que la France consacra toutes ses forces vives à faire la guerre à toute l’Europe, l’Angleterre consacra l’essentielle des siennes pour enclencher la révolution industrielle qui lui assura l’hégémonie mondiale pendant un siècle

La gloire des militaires et la sanctification de la guerre furent poussées à un degré extrême en France.

Savez-vous que <plus de la moitié> des 80 personnalités qui sont inhumées au Panthéon l’ont été pendant le premier Empire, quasi tous des militaires.

Et puis, sinon le plus grave, au moins le plus actuel !

Peut-on imaginer un régime aussi personnel et déséquilibré que la Vème République dans un pays qui n’aurait pas été perverti par le récit bonapartiste et de cette croyance irrationnelle et déraisonnable à la possibilité d’un homme providentiel ?


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Jeudi 14 mai 2020

«Il est plus facile d’unifier des économies et des administrations que d’unifier des mémoires»
Bronislaw Geremek parlant des mémoires différentes de l’Europe de l’Ouest et de l’Est

Nous considérons souvent comme une erreur l’intégration rapide des pays de l’est européen communiste dans l’Union européenne après la fin de la dictature communiste.

Et il est vrai quand nous voyons aujourd’hui Jarosław Kaczyński en Pologne ou Viktor Orban en Hongrie, nous pensons que tout cela n’est pas très raisonnable.

Mais lors des évènements qui ont libéré les pays de l’est européen du joug communiste, il n’y avait pas exactement le même type de personne qui dirigeait ou influençait ces pays. Il y avait la grande figure de Václav Havel en Tchécoslovaquie et en Pologne il y avait bien sûr Lech Walesa et surtout deux hommes qui le conseillaient : Tadeusz Mazowiecki et Bronislaw Geremek.

L’entretien dont je vais parler aujourd’hui concerne ce dernier homme politique : Bronislaw Geremek

Il a été publié dans le premier numéro de la revue XXI qui est paru le 17 janvier 2008.

Le 13 juillet 2008, Bronislaw Geremek
conduit une voiture qui percute un véhicule de livraison. L’accident le tue sur le coup.

Le titre de cet article qui a été repris dans le livre « Comprendre le monde » qui constitue la source de cette série de mots du jour était : « L’Europe pour nous à l’Est, c’était un idéal »

La journaliste qui a mené l’entretien s’appelle Weronika Zarachowicz et elle a introduit son article par la phrase suivante :

« Il a consacré sa vie à chercher des raisons de vivre ensemble ».

Bronisław Geremek fait partie de cette catégorie d’intellectuels qu’on a appelé « les dissidents », ce qui qui signifie qu’ils n’étaient pas d’accord avec la politique de leur gouvernements. Mais comme il ne s’agissait pas de démocratie, bien qu’ils portaient par ruse le nom de « démocratie populaire », il ne pouvait exister d’opposition, donc d’opposants, c’est pourquoi ils étaient dissidents.

Il était né Benjamin Lewertow le 6 mars 1932 à Varsovie dans une famille juive. Il a pu fuir du ghetto de Varsovie en 1943 et ainsi sauver sa vie.

Il est devenu par ses études historien, il a d’ailleurs étudié en 1956 et 1957, à l’École pratique des hautes études. Il a été ainsi très fortement influencé par l’école française des Annales et la lecture des historiens français Lucien Febvre, Marc Bloch et Fernand Braudel. Dans son domaine universitaire il travaillera sur l’histoire des pauvres au moyen âge.

Au niveau politique, il assiste aux grandes grèves de Gdańsk en 1980 et rejoint le mouvement syndical Solidarność. Il fait partie des négociateurs « intellectuels » avec Tadeusz Mazowiecki que Wałęsa voulait à ses côtés pour négocier avec les autorités, ce qui aboutit à l’accord de Gdańsk le 31 août 1980. Il y incarne le collectivisme autogestionnaire antistalinien. Il devient conseiller personnel de Lech Wałęsa. À la suite du coup d’État du général Jaruzelski en 1981, il est interné durant deux ans et demi. Après sa libération, il est l’un des animateurs d’un comité pour la sortie pacifique du communisme et sera l’un des négociateurs du compromis du printemps 1989 et continuera à participer à la politique polonaise…

A quelques mois de sa mort, l’entretien avec Weronika Zarachowicz lui permet d’analyser les évolutions de l’Europe avec son expérience d’historien, de politique et d’homme d’action.

La Pologne est entrée dans l’Union européenne en 2004, mais en 2008 les dirigeants polonais expriment déjà du scepticisme à l’égard de l’Union, mais Bronislaw Geremek dissocie les dirigeants sceptiques et la population qui voue un véritable attachement à l’Europe. Mais les polonais n’attendaient pas que de l’Europe un marché commun, selon Geremek mais aussi une sécurité et une protection notamment contre la Russie toujours menaçante.

Pour l’historien, L’Europe n’était pas à l’origine un projet uniquement économique contrairement à ce que beaucoup prétendent aujourd’hui :

« Je ne cesse de rappeler qu’au début de l’histoire européenne, il y eut des rêves. L’Europe n’est pas une création de chefs comptables : elle est fille de l’imagination européenne, y compris celle de poètes et de philosophes. L’idée européenne est ancienne. Elle accompagne notre Histoire depuis le Moyen-âge. La communauté chrétienne médiévale était, déjà, une première unification de l’Europe. L’idée de coopération entre rois et princes s’est développée dans la foulée et a gagné l’Europe entière. Un légiste français du XIVème siècle a même été le premier à lancer cette idée d’unification européenne. »

Geremek ne précise pas qui est ce légiste français. Mais je pense qu’il s’agit de Pierre Dubois (1255-1321) qui était un légiste de Philippe Le Bel. Pierre Dubois a bien conceptualisé une union chrétienne des pays européens mais sous la direction du Roi de France. Il s’agissait de s’unir surtout en raison des croisades contre la puissance islamique. Et il avait imaginé par exemple, une cour internationale de justice pour régler les différends entre les nations et un interdit économique devrait être déclaré contre toute puissance chrétienne qui ferait la guerre à une autre puissance chrétienne.

Geremek continue :

« Tout au long de l’histoire moderne, ce projet sera formulé et reformulé que ce soit par le Duc de Sully, l’intendant d’Henri IV […] Saint-Simon […] ou encore par Victor Hugo avec ses Etats-Unis d’Europe… »

Et il explique que dans l’est de l’Europe des philosophes comme Jan Patocka et Edmund Husserl ont également imaginé une telle Union. Mais c’est sur la différence entre la vision de l’Ouest et de l’Est que la réflexion de Geremek est la plus intéressante :

« Il est plus facile d’unifier des économies et des administrations que d’unifier des mémoires…Nous avons hérité d’un fonds commun, mais aussi de blessures dramatiques.

Prenez le XIXème siècle ! Pour les Européens de l’Ouest, c’est le triomphe de l’Etat-nation, le siècle des merveilles technologiques et scientifiques. La perception est radicalement différente pour les Européens de l’Est. En particulier pour la Pologne, un pays qui fut l’une des plus grandes nations de l’Europe moderne avant d’être divisé et occupé, pendant 123 ans, par trois puissances. Un pays, donc, qui n’a pas eu pendant plus de cent ans d’existence indépendante…

Voilà notre XIXème siècle.

On retrouve la même antinomie quand on évoque la Première Guerre mondiale. Interrogez des anglais ou des Français, ils mentionneront Verdun, parleront d’une hécatombe de millions de morts, d’une guerre nouvelle avec l’utilisation des gaz et de l’aviation, du déclenchement d’une crise morale majeure…

Chez nous, à l’Est, le panorama est différent : la Première Guerre mondiale marque le début de l’indépendance de la Pologne, l’émergence de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie et de plusieurs Etats balkaniques.

Je vais poursuivre. Avec encore un exemple, mais il y en a tant. Tenez ! Dans vos livres d’Histoire, vous évoquez longuement le 1er septembre 1939, date de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande. Pourquoi retenir cette date ? Parce que la France et la Grande Bretagne sont alors entraînées dans la guerre contre Hitler.

A l’Est, nous avons retenu une autre date. Celle du 17 septembre, qui marque le jour où l’armée rouge a envahi les territoires polonais et finlandais avant d’occuper les Républiques baltes.

Votre mémoire ignore certains de nos constats, comme celui-ci : la disparition de la Pologne est due à l’action de deux grandes puissances, et non d’une seule. Cette réalité-là vous est simplement inconnue. »

Le point de vue est différent, les expériences des mêmes évènements dissemblables et donc les réactions sont différentes aujourd’hui :

« L’incompréhension se lit régulièrement dans bon nombre de débats au Parlement européen. Quand les euro-parlementaires polonais, tchèques ou bulgares affirment que l’Europe doit offrir des garanties de sécurité, ils se voient souvent accusés d’entretenir une obsession de persécution. Mais ce n’est pas une obsession ! Ce n’est pas une rhétorique ! C’est une réalité que l’Histoire nous a enseignée de la façon la plus douloureuse qui soit ! Nous, nous connaissons nos voisins russes. Ce n’est pas le cas de l’occident. Il s’agit d’une différence de mémoire. »

Cet entretien parle encore de beaucoup d’autres sujets notamment de ses travaux d’historiens sur les pauvres du moyen âge dont il tire des enseignements sur le prolétariat d’aujourd’hui.

Il dit notamment :

« Plus j’approfondis ma réflexion sur le monde occidental, plus je m’interroge que le coût humain du changement et du progrès. La question de la main d’œuvre est à mon sens la question-clé de la formation du capitalisme. Sans la prolétarisation, sans l’existence de cette main-d’œuvre abondante et à bas prix, jamais celui-ci n’aurait pu se construire. […]Il faut observer le développement de nouveaux colosses capitalistes comme la Chine ou l’Inde. Il repose sur le travail d’une masse énorme de pauvres, à commencer par les millions d’ouvrières textiles. »

Mais le cœur de cet entretien me semble être cette mémoire séparée entre l’Europe de l’Ouest et L’Europe de l’Est que Bronislaw Geremek esquisse avec pertinence.

Bronislaw Geremek avait dirigé la collaboration d’historiens, de politiques, d’économistes pour un ouvrage : « Visions d’Europe » dans lequel, au-delà de l’Histoire, chacun cherchait surtout à parler de l’avenir pour essayer de trouver des pistes pour bâtir une Union qui corresponde aux besoins des européens de maintenant.

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Mardi 1 octobre 2019

« Une oppression, une servitude si dure, si horrible que jamais des bêtes n’y ont été soumises »
Bartolomé de las Casas , Brevisima Relacion de la destruccion de las Indias

Depuis longtemps on nous raconte le beau récit de Christophe Colomb, ce marin génois qui s’est mis au service des monarques catholiques espagnols Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Et en cherchant une route vers l’ouest pour atteindre les Indes, a découvert l’Amérique en 1492.

Il était courageux, opiniâtre et après beaucoup d’effort il a pu accomplir son exploit.

C’était aussi un remarquable cartographe comme le rappelle <Cet article> qui rappelle les péripéties et les différents voyages qui l’ont rendu célèbre.

Cette histoire qu’on nous raconte, n’est en réalité, pas une belle histoire.

Déjà le mot « découverte » pose question. L’Amérique et les iles caraïbes qui ont fait l’objet de l’accostage des navires du génois étaient habités par des humains. Il ne s’agissait donc pas de les « découvrir » mais de les « conquérir ».

Colomb n’est même pas le premier européen à avoir accosté sur le grand continent qui se trouve de l’autre côté de l’Atlantique, il a été précédé par les vikings.

Par ailleurs, Christophe Colomb n’a jamais eu une idée précise de la taille et de la profondeur de ce continent. D’ailleurs, le continent n’a pas été appelé Colombie mais Amérique en souvenir d’Amerigo Vespucci (1454 Florence, 1512 Séville) qui est aussi un explorateur controversé mais qui selon le récit européen serait le premier Européen à comprendre que les terres découvertes par Christophe Colomb font partie d’un nouveau continent.

La petite histoire dit que c’est en Lorraine, dans les Vosges, dans la ville de Saint-Dié que le cartographe Martin Waldseemüller et l’érudit Mathias Ringmann, désignent en son honneur ce nouveau monde du nom d’« America » dans le planisphère qu’ils éditent en 1507.

Donc si le continent ne s’appelle pas Colombie ou Colombus, Christophe Collomb est cependant très présent en Amérique et aux États Unis.

La grande université de New York s’appelle l’université <Columbia>. Des statues de Colomb se trouve quasi dans toutes les grandes villes des États-Unis, à New York, à Los Angeles et dans beaucoup d’autres.

Et puis, les Etats-Unis fêtent le <Columbus Day> (ou « Jour de Christophe Colomb » en français), le deuxième lundi d’octobre. L’Amérique latine et l’Espagne fêtent aussi ce jour.

Mais cela devient de plus en plus compliqué

Hier je vous racontais que Jacques Chirac, maire de Paris avait refusé de fêter les 500 ans de la fameuse « découverte » mais avait organisé, en 1992 au Petit Palais, une exposition sur la civilisation Tainos qui fait partie d’une ethnie plus large qui sont les arawaks, bref les « fameux indiens » que Colomb a rencontré puis massacré.

Cet épisode avait fait l’objet d’une conversation « virile »entre le maire de Paris et le roi d’Espagne. « C’est le fameux coup de fil que lui passe le roi d’Espagne [Juan Carlos] qui lui demande : « Qu’est-ce que tu vas faire pour commémorer la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb ? » Jacques Chirac [maire de Paris] lui répond, racontait-il souvent après : « Je ne vais rien faire pour cet assassin, mais je vais faire quelque chose en l’honneur du peuple qu’il a fait disparaître ». »

Et Le Monde.fr complète :

« Il usera des mêmes mots lors du dîner officiel d’inauguration de l’exposition sur l’art des Indiens Taïnos, ethnie amérindienne décimée par les conquistadors. « Offusqué par mes propos, l’ambassadeur d’Espagne quitta aussitôt la table, avec son épouse, en signe de protestation », racontera-t-il dans ses Mémoires. »

Chirac fut un précurseur. Cet <Article> de 2017 raconte un mouvement d’ampleur aux États-Unis qui tend à faire déboulonner les statues du navigateur sanguinaire :

« La majorité des villes majeures aux Etats-Unis possède une statue du célèbre explorateur. […] des critiques virulentes sont portées sur le personnage historique, accusé notamment d’avoir perpétré des massacres de natifs américains et initié le commerce triangulaire. Ce mois-ci, les statues de Houston, Baltimore ou encore New York ont été vandalisées. Au Columbus Triangle Park de New York, le message “Tear it down. Don’t honor genocide” y a été tagué, littéralement “Détruisez-la. Ne célébrez pas le génocide »

Dans la même philosophie le « Columbus day » est remis en cause. Il est de plus en plus souvent remplacé par « une Journée des peuples indigènes ».

Les inrocks ont publié un article « La fête de Christophe Colomb fracture l’Amérique » :

«  Un néophyte qui jetterait un œil aux festivités n’y verrait que la célébration bon enfant de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (en 1492). Parmi les nombreuses réjouissances prévues: exaltation du patriotisme, parades géantes, exposition de reliques du XVe siècle.

Mais ce succédané de 4 Juillet, la fête nationale, ne fait plus recette. Célébrer l’arrivée des colons espagnols, et avec elle son cortège génocidaire, fait mauvais genre. A tel point que certains États refusent purement et simplement de célébrer cette journée. […]

Austin, Las Vegas et une cinquantaine d’autres villes ont fait le choix de rebaptiser le jour férié en “Journée des peuples indigènes” (Indigenous People Day). La fête se veut ainsi plus respectueuse. »

« RFI » précise :

« Certains Amérindiens étaient venus plaider leur cause en tenue traditionnelle devant le Conseil municipal de Los Angeles. Par 14 voix contre une, il a finalement été décidé de créer une Journée des peuples indigènes en remplacement de Colombus Day, jour férié national célébrant Christophe Colomb depuis 1937.

Après Phoenix, Seattle, Denver, Portland, et d’autres, c’est une nouvelle victoire pour les peuples originels des Etats-Unis et tous ceux qui considèrent que l’explorateur italien est l’un des responsables du massacre de millions de personnes. « Ce n’est encore qu’un tout petit pas pour réparer les dommages qui ont été causés », a expliqué un élu de Los Angeles. « Il faut surtout changer l’enseignement qui est fait sur cette question à l’école », a rappelé le conseiller municipal d’une ville du Maine, qui a pris la même décision à l’extrême opposé du pays. »

Mais qu’en est-il de ce héros de nos livres d’Histoire ?

Le site Agoravox prétend nous donner <la vérité sur Christophe Colomb> :

« D’après des récits retrouvés, issus de son propre carnet de route, puis d’autres, écrits de la main de son propre fils, Fernando Colomb ou d’un prêtre et Historien accompagnateur : Bartolomé De Las Casas, le navigateur était un sanguinaire sans morale.

Les Arawak (indiens) l’ont accueilli de façon pacifique. Il les a d’ailleurs qualifiés dans son journal de bord, d’hommes gentils « qui ne portaient pas d’armes, ils ne savent pas ce qu’est une épée et lorsqu’ils l’ont touchée, ils l’ont prise par la lame et se sont coupés. Ce sont des gens gentils, les meilleurs du monde, qui ne connaissent rien du mal, ils ne tuent pas, ne volent pas.. Ils aiment leurs voisins comme eux-mêmes, ils parlent de façon douce et rient sans cesse ». Si ses écrits s’étaient arrêtés là, Colomb mériterait sans nulle doute, cette place dans l’Histoire. Mais il poursuit pourtant en indiquant « qu’ils feraient de bons serviteurs, ils sont très simples. Avec 50 hommes, nous pourrions tous les subjuguer et faire d’eux, ce que nous voulons ». Et le mal prenant le pas sur le bien, Christophe Colomb n’a pas hésité une seconde a mettre à profit ses mauvaises pensées afin d’obtenir des richesses et surtout, de convertir les natifs au Christianisme.

Couper des mains aux Indiens ne lui ramenant pas assez d’or, couper des oreilles ou des nez à ceux qui refusaient de suivre ses ordres et lois, couper des jambes aux enfants Indiens, cherchant à s’échapper et ce, afin de tester les lames des épées, telles étaient les sanctions pratiquées par Christophe Colomb. Bien décidé à s’approprier les Amériques ainsi que les Antilles, il ne laissa aucune chance aux autochtones déjà en place. Après avoir tué près de 10 000 Haïtiens en leur coupant des membres et en les laissant se vider de leur sang, il s’est attaqué à l’actuelle République Dominicaine, laissant derrière lui, une mare de sang.

Les consignes qu’il avait reçues étaient pourtant claires : « s’efforcer de gagner la confiance des habitants en s’abstenant du moindre mal » mais à l’autre bout du monde, avec un grand sentiment d’impunité, les actes étaient tout autres.

Ce n’était pas la guerre, mais bien pire encore Samuel Eliot Morison, historien, utilise même le terme de « génocide » pour décrire les atrocités des colons..

Des enfants finissaient rôtis à la broche avant d’être découpés en morceaux, des jeux-défis étaient lancés entre Européens afin de savoir qui des deux dualistes pourraient couper d’un seul coup, la tête de sujets Indiens. La bestialité des soldats occidentaux les poussaient à décapiter sans raison aucune, les enfants qu’ils croisaient et pire encore, lorsque les chiens de meute de l’équipage étaient à cours de viande, ce sont des bébés Arawak qui étaient tués ou parfois donnés vifs en guise de repas. Des actes de barbarie de la sorte, les Indiens les ont endurés jour et nuit, et ce, pendant des années. Leur docilité a même donné l’idée à Christophe Colomb, de les ramener en Europe afin qu’ils soient exploités comme esclaves. Pendant les traversées, les femmes et les jeunes filles étaient violées puis battues à mort. […]

Les viols étaient récurrents et ce, dès que les fillettes atteignaient 9 ans. Le Professeur d’Histoire et sociologue de l’Université du Vermont : James Loewen, a souligné que « Dès 1493, le navigateur récompensait ses lieutenants avec des femmes Indiennes ». Bien bêtes sont ceux qui pensaient que des hommes pouvaient rester des mois et des mois en contenant leurs appétits sexuels !

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, en 1493, les Arawak comptaient huit millions d’habitants étendus dans les Caraïbes (surtout en Haïti et République Dominicaine). A son départ, en 1504, il ne restait que 100 000 individus. »

Et ce texte est en effet confirmé par l’exemplaire prêtre dominicain <Bartolomé de las Casas> qui dénonça ces crimes et fut le défenseur des peuples indigènes.

Dans ce <récit historique> il dénonce :

« Des chrétiens rencontrèrent une Indienne, qui portait dans ses bras un enfant qu’elle était en train d’allaiter ; et comme le chien qui les accompagnait avait faim, ils arrachèrent l’enfant des bras de la mère, et tout vivant le jetèrent au chien, qui se mit à le dépecer sous les yeux mêmes de la mère (…). »

Vous trouverez aussi sur cette page, l’extrait suivant :

« C’est parmi ces douces brebis, ainsi dotées par le Créateur des qualités que j’ai dites, que s’installèrent les Espagnols. Dès qu’ils les connurent, ceux-ci se comportèrent comme des loups, et des tigres et des lions, qu’on aurait dit affamés depuis des jours. Et ils n’ont rien fait depuis quarante ans et plus qu’ils sont là, sinon les tuer, les faire souffrir, les affliger, les tourmenter par des méthodes cruelles extraordinaires, nouvelles et variées, qu’on n’avait jamais vues ni entendu parler. […]

Il y a eu deux façons principales pour ces gens qu’on appelle chrétiens, d’extirper et rayer ainsi de la terre ces malheureuses nations: la première ce furent les guerres cruelles, sanglantes, tyranniques; la seconde fut, après la mort de tous ceux qui pouvaient aspirer à la liberté et combattre pour elle – car tous les chefs et les hommes Indiens sont courageux – une oppression, une servitude si dure, si horrible que jamais des bêtes n’y ont été soumises. La raison pour laquelle les chrétiens ont détruit une si grande quantité d’êtres humains, a été seulement le désir insatiable de l’or, l’envie de s’emplir de richesses dans le délai le plus rapide possible, afin de s’élever à des niveaux sociaux qui n’étaient pas dignes de leur personne. »

Extrait tiré de : Bartolomé De Las Casas (1542), Brevisima Relacion de la destruccion de las Indias (= Très brève relation de la destruction des Indes).

Jacques Chirac avait raison en parlant de « cet assassin ».

Les monstres qui se comportaient ainsi, se prétendaient chrétiens. Christophe Colomb était très croyant. Et dire que cette ethnie arrogante, les européens chrétiens, prétendaient apporter la civilisation au monde. Nous, en tout cas moi je pensais qu’ils avaient été cruels parce qu’ils voulaient s’enrichir, gagner des terres et étendre leur pouvoir. La réalité est pire, ils étaient pervers et cruels par goût morbide.

<1280>

Vendredi 12 juillet 2019

« Celui qui sauve un seul homme est considéré comme ayant sauvé tous les hommes »
Coran, Sourate V verset 32, dans la traduction de Malek Chebel

C’est le Président Barack Obama, lors de son fameux <Discours du Caire> tenu le 4 juin 2009 à l’Université du Caire qui a rappelé ce verset du Coran :

« Le Saint Coran nous enseigne que quiconque tue un innocent tue l’humanité tout entière,
Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière !»

Et j’ai lu dans diverses sources que dans le Talmud il en va de même : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière ». (Traité Sanhedrin, chapitre 5, Mishna 5).

Je n’ai pas trouvé l’équivalent dans la littérature chrétienne, mais cela m’a peut-être échappé.

Carola Rackete

Le magazine allemand « Der Spiegel » a mis son portrait à la Une de son journal le 6 juillet et lui a donné pour surnom : « Captain Europe »

Elle était la capitaine du navire « Sea Watch 3 » qui a forcé le barrage et l’ordre de Matteo Salvini, pour accoster à Lampedusa, le 29 juin 2019,  et faire débarquer les migrants en détresse sur la terre ferme, dans un port, comme le prévoit les règles internationales de la navigation.

Libération dans un article du <30 juin 2019> raconte :

« L’Allemande qui a accosté de force samedi à Lampedusa avec une quarantaine de migrants a été arrêtée par les autorités italiennes. »


Elle a été libérée depuis par une décision de la Justice italienne.

« Quelques jours avant d’accoster à Lampedusa, elle avait dit au Spiegel : «Si nous ne sommes pas acquittés par un tribunal, nous le serons dans les livres d’histoire.» […] Les autorités italiennes lui reprochent notamment d’avoir tenté une manœuvre dangereuse contre la vedette des douanes qui voulait l’empêcher d’accoster. Elle risque jusqu’à dix ans de prison pour «résistance ou violence envers un navire de guerre».

«Ce n’était pas un acte de violence, seulement de désobéissance, a expliqué Carola Rackete dimanche au Corriere della Sera. Mon objectif était seulement d’amener à terre des personnes épuisées et désespérées. J’avais peur.» «Après dix-sept jours en mer et soixante heures en face du port, tout le monde était épuisé, explique à Libération Chris Grodotzki de Sea Watch. L’équipage se relayait vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin de surveiller les passagers pour les empêcher de se suicider.» »

Ce qui est marquant ici, c’est l’affrontement de deux groupes irréconciliables :

Carola Rackete a débarqué sur l’île italienne sous un mélange d’applaudissements et d’éructations haineuses : «Les menottes !» «Honte !» «J’espère que tu vas te faire violer par ces nègres». Dans un tweet, le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, s’est réjoui de l’arrestation. «Prison pour ceux qui ont risqué de tuer des militaires italiens, mise sous séquestre du navire pirate, maxi-amende aux ONG, éloignement de tous les immigrés à bord, désolé pour les “complices” de gauche. Justice est faite, on ne fera pas marche arrière !»

Si l’extrême droite italienne la qualifie de «criminelle», Carola Rackete suscite l’admiration en Allemagne. Celle que le Tagespiegel surnomme «l’Antigone de Kiel» est née tout près de ce port en bordure de la mer Baltique il y a trente et un ans.

«J’ai la peau blanche, j’ai grandi dans un pays riche, j’ai le bon passeport, j’ai pu faire trois universités différentes et j’ai fini mes études à 23 ans. Je vois comme une obligation morale d’aider les gens qui n’ont pas bénéficié des mêmes conditions que moi», avait-elle expliqué à la Repubblica. Avant de rejoindre Sea Watch il y a quatre ans, elle a participé à des expéditions pour l’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine, et pour Greenpeace. […]

Les politiques allemands ont donc fini par réagir. Samedi, le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD), déclarait : «Sauver des vies est un devoir humanitaire. Le sauvetage en mer ne devrait pas être criminalisé. La justice italienne doit désormais clarifier rapidement ces accusations.» «Une phrase typique de diplomate allemand timoré, commente Chris Grodotzki de Sea Watch. Nous avons demandé un millier de fois à Heiko Maas de prendre position sur le sauvetage en mer, sans succès jusqu’ici.» Dimanche, le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, affirmait dans une interview télévisée : «Celui qui sauve des vies ne peut pas être un criminel.»

Les 42 migrants du Sea Watch 3 ont donc fini par débarquer à Lampedusa. Ils devraient être répartis entre cinq pays : la France, l’Allemagne, le Portugal, le Luxembourg et la Finlande. Ceux-là ne seront pas morts en Méditerranée, où 17 900 personnes ont péri entre 2014 et 2018 selon un récent rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et où demeurent toujours engloutis les restes de 12 000 personnes. »

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Pia Klemp

Pia Klemp est aussi une jeune allemande qui était la capitaine d’un navire qui a sauvé des migrants.

Elle est toujours en prison, elle risque 20 ans de prison après avoir sauvé des migrants de la noyade.

C’est Frédéric Pommier qui en a parlé lors <d’une chronique> diffusé sur France Inter le 14 juin 2019

Elle est accusée du délit suivant : « aide et complicité à l’immigration illégale ». Une pétition a été lancée pour la soutenir

Frédéric Pommier explique ;

« C’est une femme dont la peau blonde est parsemée de tatouages d’inspiration japonaise : des montagnes sur une épaule, un goéland sur l’autre, des fleurs, des poissons… Un long maquereau nage sur l’un de ses tibias… Son corps est un tableau, comme un carnet de voyage… Mais ce n’est pas pour ces gravures colorées que les médias nous ont parlé d’elle ces derniers jours. Pas non plus pour sa formation de biologiste, mais pour ses fonctions de capitaine, car Pia Klemp – c’est son nom – est capitaine de bateau.

C’est au sein de l’organisation Sea Shepherd qu’elle a tout d’abord travaillé.Une ONG de défense des océans, dont la maxime est une citation de Victor Hugo.

« Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie, il faut l’action. »

Phrase tirée des Misérables. Un appel à la lutte et, dans le cas présent, la lutte pour la préservation des écosystèmes marins. Premier engagement de cette trentenaire née à Bonn en 1983.

C’est pour ça que j’ai appris à diriger un navire, pour ça que j’ai appris à diriger un équipage. La petite sortie du dimanche à la voile, ce n’est pas pour moi.

Sympathisante de la gauche radicale allemande, Pia Klemp a mené des expéditions dans les eaux de l’archipel nippon où, avec d’autres, elle est allée batailler contre les pêcheurs de baleines. Des centaines de cétacés harponnés chaque année… Massacre qui, là-bas, va d’ailleurs redevenir légal en juillet… Puis, après les rorquals, la jeune activiste a décidé de porter assistance aux hommes, espèce qui, elle aussi, parfois, mérite d’être protégée.

On est en 2016, et Pia Klemp se met au service d’autres ONG. Cette fois en Méditerranée, devenue, depuis le début de la guerre en Syrie, le plus grand cimetière d’Europe.

Aux commandes de deux bateaux humanitaires, elle participe au sauvetage de plus d’un millier de naufragés, en perdition sur des canots pneumatiques

Elle a sauvé des vies, des femmes, des ados, des enfants mais, suite à cela, elle est sous la menace d’un procès en Italie. […]

Calcul simple : 1 000 vies sauvées, amende de 15 millions d’euros . […]

Pour sa défense, elle invoque le droit maritime international, qui impose de porter secours à toute personne en détresse. C’est aussi ce qu’évoquent ceux qui la soutiennent. Une pétition en ligne a été lancée pour exiger l’abandon des charges qui pèsent sur elle… Elle a déjà recueilli plus de 100.000 signatures, et une photo accompagne le texte, celle d’un petit corps gisant sur une plage de Turquie ; le cliché tristement célèbre du petit Alan Kurdi, mort noyé à l’âge de trois ans, alors qu’il fuyait avec sa famille la guerre en Syrie.

C’était en 2015, et il était devenu le symbole de ces désespérés qui, au péril de leur vie, tentent de rejoindre une Europe qui ne sait les accueillir. Pia Klemp, elle, est devenue un autre symbole.

Elle est le nouveau visage de ceux que l’on accuse de délit de solidarité

Sur les réseaux sociaux, certains écrivent qu’elle aurait dû reconduire les naufragés de l’autre côté de la mer et que oui, elle mérite la taule !

Non. Elle mérite notre respect.

Cette femme aux tatouages d’inspiration japonaise fait honneur à l’humanité. »

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Klaus Vogel

Klaus Vogel est aussi allemand, un peu moins jeune que ses deux compatriotes. En octobre 2014, l’Italie met fin à l’opération humanitaire Mare Nostrum, chargée de porter secours aux migrants en Méditerranée. Klaus Vogel est alors capitaine dans la marine marchande. Il démissionne et crée avec Sophie Beau, en mai 2015, l’association <SOS Méditerranée> qui a pour ‘objectif d’affréter un bateau pour ne pas laisser des hommes et des femmes mourir aux portes de l’Europe. Ce bateau est l’Aquarius. Il écrira un livre qui raconte cette aventure : «Tous sont vivants»

C’est encore Frédéric Pommier qui en parle si justement et si simplement. <La revue de presse est de 2017>

« Il s’appelle Klaus Vogel, il a 60 ans, il est Allemand et pendant des années, il a fait le même cauchemar : un homme à la mer à qui il tend la main.

Son regard est empli d’effroi, mais impossible de l’agripper, sa main ne cesse de glisser et il n’est que le premier d’une longue farandole de naufragés désespérés qui tentent de flotter. Puis les plus éloignés disparaissent progressivement. « Je n’ai pas pu attraper le premier, et finalement ils sont tous morts », raconte Klaus Vogel dans les colonnes de SOCIETY.

C’est il y a 25 ans que, pour la première fois, il a fait ce cauchemar-là. A l’époque, il est lieutenant sur un cargo et la veille, son capitaine a refusé de prendre la route qu’il avait tracée – la route pourtant la plus rapide, la route pourtant la plus logique.

Mais non, il n’avait pas voulu, au motif qu’elle passait près des côtes du Vietnam et qu’ils risquaient donc de croiser des boat people en détresse. Klaus a donc obéi, tracé un autre itinéraire. Puis le soir même, il faisait le cauchemar de l’homme à la mer à qui il tend la main.

C’est le cauchemar de la mauvaise conscience

« J’étais prêt à participer à des sauvetages, et l’équipage aussi je crois, et c’est simplement par souci économique qu’on a fait un détour : au moins, on était sûr de ne pas croiser un boat people en difficulté qui nous aurait retardé. Mais, poursuit-il, cette idée de perdre du temps, et donc de l’argent parce que l’on sauve des hommes, du point de vue moral, c’est incompréhensible.
On ne perd pas du temps dès lors qu’on gagne des vies ! »

Lui en a gagné, des vies. Il a sauvé des milliers de vies.

Et c’est pour cette raison que le quinzomadaire dresse son portrait sur trois pages. Décidant de faire le boulot dont l’Europe et les politiques se sont, en somme, lavé les mains, l’ancien responsable de la marine marchande a fondé, il y a deux ans, SOS MEDITERRANEE. Une ONG dont le patrouilleur baptisé L’Aquarius, vient en aide à ceux qui ont eu la malchance de naître du mauvais côté de la mer.

L’Aquarius a déjà récupéré près de 20.000 naufragés au large des côtes libyennes, et depuis ces missions de sauvetage, Klaus Vogel ne fait plus le cauchemar qui l’a hanté durant plus de 30 ans. Plus de cauchemar, mais ce sont les témoignages des rescapés qui l’empêchent désormais de dormir. Il a donc décidé de passer le relais. Il a transmis à d’autres les rennes de l’ONG et de son projet Aquarius. « Pour moi, aller plus loin serait aller trop loin », dit-il.

Et l’on songe alors à cette parole du Coran qui, du reste, est également un proverbe juif : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière. »

Libération lui avait également consacré un article le 5 juin 2017 : « Klaus Vogel, cœur en stock » :

« Pas à pas, tenace et organisé, Vogel jette son dévolu sur un patrouilleur de 77 mètres. Depuis un an et demi, Aquarius a accompli 100 opérations de sauvetage et a récupéré 18 000 naufragés. Voici quelques jours, 1 000 personnes se sont hissées à bord, bien au-delà des capacités autorisées. Mais comment faire autrement, quand la flotte marchande se tient prudemment à distance de ces parages où se noie la misère du monde, et que les navires de guerre sont tenus de contenir le flux plutôt que venir au secours de ceux qu’emporte le vent noir de l’histoire immédiate ?

Initiateur de l’ONG SOS Méditerranée, le marin a dirigé les premières campagnes comme maître à bord. Depuis, il est le porte-voix et le glaneur de fonds de l’association.[…]

Pour pouvoir mener à bien une mission dont il ne tire aucun revenu, Vogel a créé une petite boîte de conseil. Il intervient auprès d’une association qui fait du coaching pour demandeurs d’emploi et leur explique comment il a réussi à mettre à flot sa structure maritime. De l’intérêt serpentin qu’il y a à se mordre la queue… Karin, sa femme de toujours, est infirmière. Leurs 4 enfants sont adultes. Récemment, ils ont vendu la grande maison de Göttingen et se sont installés à Berlin. Ils se promettaient des évolutions seniors de préretraités prêts à tout et intéressés par beaucoup. Et puis, SOS Méditerranée a tout bouleversé. Il ne sait trop de quoi demain sera fait. Si la caisse de bord sonne le creux, il pourra toujours retrouver un commandement au long cours. Il aime le large, moins l’éloignement qu’il impose. Et puis, il y a les vagues d’actualité qui se fracassent, et l’urgence en exigence. »

Après avoir perdu son pavillon et avoir été harcelé, immobilisé par les autorités maritimes, la justice italienne a demandé le placement sous séquestre du navire, SOS Méditerranée et ses partenaires ont annoncé en décembre 2018, renoncer à continuer d’utiliser <L’Aquarius>,.


Les Inrocks lui ont également consacré un article : « Un héros de notre temps : Klaus Vogel, capitaine au long cours au secours des migrants »

La question de la migration n’est pas chose simple. Elle ne peut pas être résumé à des tableaux de chiffres qui pour les uns disent qu’il y a peu de migration et que nous n’avons aucune peine à l’intégrer et qui pour les autres prétendent qu’un grand remplacement est en marche.

Mais on ne peut pas laisser mourir des enfants, des femmes et des hommes qui sont en train de se noyer dans la mer.

C’est aux États de réaliser cette mission.

Ils ont renoncé et c’est des femmes et des hommes qui se sont levés pour aller en mer réaliser ce devoir premier de l’humanité : empêcher les humains de mourir.

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Le mot du jour se met au repos et au silence pour la trêve estivale. Il reviendra, si tout va bien, dans la seconde moitié du mois de septembre.

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