Lundi 17 mars 2025

« La raison d’être de l’Union européenne, c’est la défaite militaire. […] lors de guerres coloniales. »
Timothy Snyder

Il me semble nécessaire d’aborder le chaos actuel du monde avec une compréhension de l’Histoire, du long terme et une réflexion sur nos valeurs.

Sinon, nous agissons selon les seules impulsions de nos émotions, de nos peurs et aussi des récits, auxquels nous croyons, sans les interroger.

Pour la peur, j’ai été stupéfait dans l’émission « C ce soir » du 10 mars, l’écrivain et académicien Jean-Marie ROUART expliquer qu’à l’heure de la bombe atomique, on ne peut plus vouloir qu’un tel gagne et qu’en conséquence il était pour la paix, n’importe quelle paix !

Cet homme est donc prêt à se soumettre à la loi du plus fort, du plus injuste, le lâche soulagement en serait la récompense.
Dans ce mot du jour, je vais encore me référer à Timothy Snyder qui a répondu à un entretien dans le journal « LE UN » du 19 février 2025 : « Comment finir une guerre ? »

Snyder remet en question le récit d’une Union européenne qui aurait été créée, après la fin de la seconde guerre mondiale, principalement, parce que les Etats européens voulaient établir définitivement la paix sur leur continent, après tant de massacres entre européens.

Mais à la question du journaliste « Avec la guerre en Ukraine, l’Union européenne a-t-elle échoué dans sa mission de maintenir la paix sur le continent ? », il répond ainsi :

« Est-ce seulement sa mission ? C’est du moins le mythe que l’on aime se raconter : les pays européens ont tiré les leçons de la Seconde Guerre mondiale et se sont organisés pour garantir la paix. »

Même si l’aspiration à la paix était compréhensible après les deux terribles guerres du XXème siècle, ce ne fut pas la raison principale, selon lui, de la volonté de créer la communauté européenne devenue l’Union européenne :

« Mais je pense qu’il faut commencer par rejeter ces prémisses, ce mythe fondateur. Si l’on veut penser l’Europe face à la guerre qui fait rage à ses portes, il nous faut être rigoureux sur la raison d’être historique de l’Union européenne.
Et cette raison d’être n’est pas la paix – sinon les pays européens n’auraient pas mené de guerres coloniales pendant les trente ans qui ont suivi l’armistice. Non, la raison d’être de l’Union européenne, c’est la défaite militaire. Plus particulièrement, la défaite militaire lors de guerres coloniales : l’Allemagne en 1945, mais aussi les Pays-Bas en 1948, la France en 1962, l’Espagne et le Portugal dans les années 1970… »

En 1948, les Pays-Bas perdent leur colonie les Indes néerlandaises. En 1942, ils avaient du les abandonner aux Japonais. Après la défaite du Japon, les Pays-Bas tentent de reconquérir leur ancienne colonie, mais les nationalistes indonésiens revendiquent l’indépendance de l’archipel. Entre 1947 et 1948, les Pays-Bas lancent deux grandes interventions militaires. Mais les nationalistes tiennent bon et les Néerlandais, sous la pression des Nations unies et des États-Unis, doivent céder. La colonie devient la République des États-Unis d’Indonésie.

En 1962, la France perd l’Algérie.

Si on souhaite donner un peu de consistance à cette vision du passé colonial, on peut consulter une carte de l’empire colonial français avant la seconde guerre mondiale. La superficie de cet empire en 1939 représentait 12 800 000 km². En comparaison, les USA représente 9 833 517 km², ils ne sont dépassés que par le Canada guère plus grand et la Russie plus de 17 000 000 km².

En 1939, l’empire français représentait 8,61 % des terres émergées et 5,15% des habitants de la Planète. Aujourd’hui la France représente 0,45% des terres émergées et 0,84% de la population mondiale. C’est une autre échelle.

Pour compléter le destin des autres pays européens colonialistes, le Portugal avait conservé de son immense empire colonial, le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau et encore quelques autres territoires, comme le Cap Vert. Tous ces États deviendront indépendants après la révolution des œillets en 1974 et des guerres anti coloniales de libération.

En 1968, l’Espagne perdait ses dernières possessions subsahariennes et en 1976 le Sahara espagnol.

Pour Snyder la défaite des nazis en 1945 est aussi une défaite coloniale puisque le troisième reich avait eu pour ambition de coloniser quasi toute l’Europe.

Il n’a pas cité la Belgique qui a perdu le Congo Belge en 1960.

Les nations européennes avaient dominé le monde depuis plusieurs siècles. Ils étaient des empires, ils deviennent des puissances moyennes dans un monde dominé par les USA et l’URSS.

On peut comprendre que le fait de s’unir, au moins économiquement, fut une réaction pour continuer à compter dans le monde. C’est au moins la thèse de Timothy Snyder.

« L’UE est une organisation post-impériale, qui réunit ces anciens empires défaits. On l’oublie volontiers, car ces défaites sont honteuses, tout comme les causes de ces guerres. C’est pourtant le fait d’avoir perdu ces guerres qui est au cœur du projet européen. Pour devenir des démocraties européennes contemporaines, des pays « normaux », il a été nécessaire que ces nations perdent leurs dernières guerres impériales. Si l’on garde cette idée en tête, si l’on remplace le concept de paix par celui de défaite, on comprend mieux pourquoi il est crucial que la Russie perde cette nouvelle guerre coloniale contre l’Ukraine »

La récente « Affaire Apathie » montre que la France a toujours du mal à comprendre et à reconnaître son passé colonial et tous les crimes qui ont été pratiqués en son nom. Or ce que Jean-Michel Aphatie a affirmé, le 25 février 2025, à savoir que la France a commis une centaine d’Oradour sur Glane en Algérie est factuellement vrai. Il a pourtant été sanctionné par la radio (RTL) dans laquelle il travaillait, pour avoir dit cette cette vérité.
Les grandes voix du journalisme ne se sont pas pressées pour le défendre. « Le Monde » a enfin, le 16 mars, commis un article expliquant que « Si l’on prend le point de vue des historiens, Aphatie a non seulement raison, mais il ne dit rien de bien révolutionnaire sur l’Algérie ».

Voilà qui est dit sur le passé colonial de la France et les autres pays européens n’ont pas agi avec moins de violence. Mais certains esprits de gauche, n’ont pas l’air de comprendre que la relation entre l’immense Russie et la petite Ukraine est également basée sur une domination coloniale. Dans ce cas, simplement la colonie ne se trouve pas de l’autre coté de la mer ou de l’océan, mais jouxte la frontière du prédateur.
Timothy Snyder explique la guerre que mène la Russie à l’Ukraine de manière simple :

« Les causes de cette guerre sont elles aussi incroyablement anciennes et traditionnelles : l’appropriation des ressources agricoles et des matières premières d’une part et, d’autre part le refus de considérer ceux qui se trouvent de l’autre côté de la frontière comme de véritables personnes et leur Etat comme un véritable Etat. C’est le discours colonialiste basique qu’ont aussi adopté les Européens en Afrique, en Asie, et partout dans le monde, mais qu’ils ont aujourd’hui bien du mal à reconnaître comme tel. »

Le titre de l’entretien de Snyder dans « LE UN » est « Comment l’Ukraine protège le monde ». Et, le journaliste Louis Héliot demande à l’Historien de quoi l’Ukraine nous protège, après que ce dernier ait utilisé cette formule dans une de ses réponse :

« D’une troisième guerre mondiale.
La Chine, l’Iran, la Corée du Nord sont déjà dans le conflit. SI la digue ukrainienne sautait les pays européens se retrouveraient immédiatement impliqués. […]
En se battant, les Ukrainiens ont non seulement repoussé l’agresseur russe, mais ils ont gardé ouvert, pour l’Europe, le champ des possibles. […] D’une certaine façon c’est inconfortable pour nous. Si les Ukrainiens avaient rendu les armes immédiatement comme Poutine l’escomptait, cela nous aurait été « plus facile » ; nous aurions continué à fermer les yeux ; nous aurions sans doute même été tentés de faire des concessions à Poutine de lui livrer – si l’on pousse la comparaison avec la Seconde Guerre mondiale- l’équivalent de la Tchécoslovaquie, puis de la Pologne, Mais avec leur résistance, leur détermination, les Ukrainiens ont rendu impossible la stratégie d’apaisement.
Pour résumer, ils nous maintiennent en 1938. A nous maintenant de faire en sorte que l’on ne se précipite pas, la tête la première, vers 1939. »

En conclusion de l’article, l’auteur de « Terres de sang » pense que la Russie doit aussi sortir de sa pensée Coloniale pour pouvoir passer à autre chose.

« Il ne nous reste rien d’autre à faire, désormais que d’aider à bâtir une Ukraine libre et fonctionnelle. Et sur le long terme, ce sera également bénéfique à la Russie. La défaite de cette dernière sera sa seule chance de passer à autre chose. »

Cette vision de Timothy Snyder me semble particulièrement féconde, alors que des esprits égarés continuent à tenter d’expliquer la situation par la politique agressive de l’OTAN. Si tant de pays de l’Est comme la Pologne ou les pays baltes ont voulu absolument rejoindre l’OTAN, c’est parce qu’ils avaient peur, à juste titre, de la soif coloniale du prédateur russe et non parce que l’OTAN avait la stratégie de s’étendre.
Le problème supplémentaire auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que les Etats-Unis de Trump ont manifesté officiellement, au moins dans leurs propos, des velléités coloniales sur le Groenland, le Canada et Panama. Les USA n’expriment d’ailleurs aucun désaccord de fond avec la Russie sur ces points.

Lundi 10 mars 2025

« Trump est un héros de la liberté négative »
Timothy Snyder

Dans l’évolution inquiétante du monde, nous avons besoin d’esprits calmes, capables d’analyser ce qui se passe et de nous éclairer un peu la route sinueuse que nous sommes en train d’emprunter.

Timothy Snyder, historien américain de renom, né en 1969, spécialiste de l’histoire de l’Europe centrale et de l’Est et de la Shoah fait partie de ce cercle restreint. Il est professeur à l’université Yale et membre permanent de l’Institut des sciences humaines à Vienne.

L’ouvrage qui l’a fait connaître en France est « Terres de sang » dans lequel il fait le récit du massacre de masse qui a été perpétré par l’Allemagne nazie et l’Union soviétique sur un territoire auquel il donne le nom de « Terres de sang »  et qui s’étend de la Pologne centrale à la Russie occidentale en passant par l’Ukraine, la Biélorussie et les pays Baltes.

Entre 1933 et 1945, 14 millions de civils, ont été tués. Plus de la moitié d’entre eux sont morts de faim. Les famines préméditées par Staline, principalement en Ukraine, au début des années 1930, ont fait plus de 4 millions de morts, et l’affamement par Hitler de quelque 3 millions et demi de prisonniers de guerre soviétiques, au début des années 1940 – ont été perpétrés ainsi.

Depuis cet ouvrage, il a focalisé ses réflexions sur les menaces pesant sur les systèmes politiques occidentaux.

Il a publié un premier ouvrage sur ce thème : « La route pour la servitude » paru en France en octobre 2023.

Et fin 2024, il a publié un second ouvrage « De la liberté »

Parmi les grands désaccords entre les Etats-Unis de Donald Trump, JR Vance et Elon Musk et la plupart des européens se trouvent la conception de la liberté. Le vice-président des Etats-Unis s’est autorisé lors de la conférence sur la sécurité de Munich de donner une leçon sur la liberté aux européens, en les accusant de ne plus respecter la liberté d’expression : « A Munich, la démocratie selon J. D. Vance sidère les Européens », si vous souhaitez lire la traduction française de l’intégralité du discours c’est « ici »

Lorsqu’on lit ce que l’administration Trump est en train de réaliser aux États-Unis, il me semble qu’on peut être surpris que ce soit eux qui parlent de liberté, peut être la liberté de mentir…

C’est pourquoi Thomas Snégaroff a invité Timothy Snyder dans son émission de France inter, du 8 mars 2025 pour évoquer ce sujet : « La liberté est difficile

Snégaroff interroge d’abord Snyder sur son analyse de la liberté prônée par Trump :

« Pour lui, il n’y a pas de différence entre la liberté du peuple et sa propre liberté.
La liberté négative c’est quand je ne pense qu’à moi. Et ma liberté c’est moi contre tous.
En fait pour être libre, il faut avoir une société, au sein de laquelle nous créons tous les conditions dans lesquelles nous pouvons devenir libre.
Donald Trump est un héros de la liberté négative, parce qu’il a hérité de sa fortune. Il peut dire que la liberté cela ne concerne que des gens comme lui.
Et, son administration est en train de détruire le gouvernement. »

Dans son ouvrage Timothy Snyder oppose la liberté positive et la liberté négative.

Cette dichotomie a été inventée par Isaiah Berlin (1909-1997) un philosophe et historien des idées d’origine russe. Après une enfance passée à Saint-Pétersbourg, il a émigré avec ses parents en Angleterre, fuyant l’Union soviétique deux ans après la révolution bolchevique.

Sur le site du journal libéral « Contrepoints » vous trouverez une présentation de cette pensée : « Deux conceptions de la liberté, par Isaiah Berlin ».

Pour Timothy Snyder, la liberté négative est celle qui nous permet de ne pas être opprimée par le gouvernement. C’est une première étape vers la liberté positive mais ce n’est qu’une première étape.

Si on se contente de cette première étape la liberté ne s’adresse qu’aux forts, aux riches et aux puissants. Cette liberté n’est pas pour tout le monde et elle ne permet pas de faire société.

Pour Timothy Snyder la liberté positive s’appuie sur cinq piliers :

  • souveraineté, c’est-à-dire cette capacité à construire sa propre liberté ;
  • l’imprévisibilité, autrement dit le refus de se laisser enfermer dans les bulles idéologiques ou numériques et la capacité à ne pas agir comme les algorithmes le prévoient ;
  • la mobilité, qu’elle soit sociale ou géographique ;
  • la factualité, l’ouverture aux faits (« la science du réchauffement climatique est un exemple de vérité générale », cite Snyder à titre d’illustration. « Peut-être n’avons-nous pas envie d’en entendre parler, mais si nous l’ignorons, nous sommes moins libres ») ;
  • la solidarité, qui nous amène à nous sentir responsables d’un certain équilibre social.

Thomas Snégaroff interroge l’historien sur ce qu’il pense du concept de liberté d’expression totale défendu par le vice-président US, ce qu’Elon Musk et ses semblables nomment « free speech » :

« Je pense que toute définition de liberté doit commencer par l’individu.
Lorsque les américains parlent de liberté d’expression, on a souvent à l’esprit les algorithmes et en pratique nous finissons par défendre la liberté des milliardaires qui possèdent déjà les plates formes des réseaux sociaux.
Mais si on commence par la tradition de liberté d’expression, à partir d’Euripide, nous nous souvenons que nous avons besoin de la liberté d’expression, parce qu’il est dangereux pour les faibles de dire la vérité aux forts. Donc la liberté d’expression doit commencer comme toutes les autres libertés, par les corps vulnérables et la vérité. Si on s’inquiète de la liberté d’expression, nous ne nous occupons pas seulement de protéger les faibles, nous essayons de créer les conditions où tout le monde peut avoir accès à la vérité.  »

Natacha Polony soumet à a son analyse la devise de la république française en y ajoutant la célèbre phrase prononcée par Saint Just le 3 mars 1794 : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. »

« Le bonheur est l’élément central. Nous pouvons tous être heureux, mais de façon différente. Parce que nous donnons de la valeur à des choses différentes. […]
Le bonheur est une clé pour réfléchir à la liberté positive. Parce qu’on peut pense au bonheur de manière générale, mais cela nous oblige à penser à chaque individu de manière différente. Donc le bonheur nous mène à une notion de liberté positive.
La façon dont l’égalité et la fraternité fonctionnent ensemble avec la liberté est aussi positive. Je ne crois pas comme beaucoup d’américains le font qu’il y a une véritable tension.
Pour moi être libre, je dois écouter ce que vous dites à mon sujet.
Pour moi être libre, je dois me comprendre et je ne peux le faire sans fraternité. Si je ne crois pas que les autres sont mes frères ou mes sœurs, qu’ils sont fondamentalement comme moi, alors je ferais de grandes erreurs sur moi-même.
La fraternité ce n’est pas simplement une forme de gentillesse, c’est aussi une forme d’auto-compréhension. Et comme je l’ai déjà suggéré, c’est semblable à l’égalité. Sans l’égalité, nous n’avons pas les conditions nécessaires pour être libre. Je ne vois pas la liberté, l’égalité et la fraternité comme trois choses séparées.
C’est plutôt qu’on peut appliquer cette notion française d’égalité et de fraternité pour avoir une notion plus riche de liberté. »

Snyder pense donc qu’on ne peut pas être pleinement libre, si les autres ne le sont pas. Mais il pense aussi que l’individu qui veut être libre doit non seulement s’intégrer dans la société dans laquelle il vit mais aussi s’inscrire dans l’Histoire.

« Je ne crois pas qu’on puisse faire de la liberté sans histoire. Je ne crois pas que la France puisse être une société de gens libres sans l’Histoire de France et sans l’Histoire du monde.

Je crois que c’est vrai en général. Une république ne peut avoir un avenir que si elle est reliée à son passé. Et cela ne signifie pas que nos passés soient parfaits. Cela signifie simplement que le passé fournit la seule voie vers l’avenir.

Et il en va de même avec les individus. Comme nous essayons d’envisager les avenirs individuels qui ont toujours un composant normatif ou éthique, nous ne pouvons le faire que par des valeurs que nous avons pris dans le passé. »

Il conclut l’entretien par cet avertissement

« La liberté est difficile. Toute personne qui dit que la liberté est simple, est probablement très riche et essaye de vous exploiter. »

Sur l’excellent site « Grand Continent » Snyder se soumet aussi à un entretien concernant son livre sur la liberté « Je suis frappé par les similitudes entre les milliardaires de la Silicon Valley et les bolcheviks les plus radicalisés ».Dans cet entretien il précise encore sa pensée :

« D’un point de vue philosophique ou psychologique, défendre la liberté négative revient à ne jamais se poser la question de ce que l’on défend, mais uniquement de ce à quoi l’on s’oppose. Sur le plan politique, cela se traduit souvent par une hostilité envers l’État, perçu comme la source principale de l’oppression.

On en vient alors à penser que réduire la taille de l’État accroît la liberté — ce qui est une erreur. La question n’est pas celle de la quantité, mais de la qualité : l’État contribue-t-il ou non à rendre les individus plus libres ? Il peut, certes, le faire en s’abstenant de les opprimer, mais aussi en leur fournissant des biens et services qu’ils ne peuvent obtenir par eux-mêmes, comme l’éducation, les infrastructures ou l’accès aux soins. »

Je redonne le lien vers l’émission de France Inter du 8 mars 2025 : « La liberté est difficile

Vendredi 17 janvier 2025

« L’avenir de tout ce que nous avons de meilleur est en train de se jouer en ce moment même, et la partie semble très mal engagée. »
Jean-PIerre Bourlanges en analysant l’attaque en règle que Trump et Musk lancent contre les valeurs, les intérêts et la souveraineté des européens

Je voudrais conclure cette série sur Elon Musk qu’aujourd’hui on ne peut plus dissocier du couple disruptif qu’il forme avec Trump.

Pouviez-vous imaginer, un candidat à la présidence d’un grand Etat occidental qui en plein meeting déclare ?

« Je suis favorable aux automobiles électriques. Je n’ai pas le choix car vous le savez, Elon Musk vient de m’apporter son soutien »

C’était Trump en Géorgie, le 4 août 2024. Quatre jours avant le 31 juillet, le même candidat affirmait être « contre tous ceux qui possèdent une voiture électrique » et rappelait qu’il mettrait immédiatement fin aux mesures d’aides à l’achat de ces autos en cas de victoire.

Le fait qu’un candidat épouse la stratégie d’un lobbyiste qui le finance n’est pas nouveau.
Mais le fait qu’il le révèle ouvertement, ça c’est du jamais vu. Trump dit : je suis contre mais je suis payé par Musk, donc je suis pour !

Je pourrais continuer à énumérer les « dingueries » d’Elon Musk.

Je viens de lire que l’entrepreneur a affirmé que sa société Boring Company était en mesure de réaliser un tunnel de 4 800 km, sous l’Océan Atlantique, reliant les Etats-Unis et le Royaume Uni. Rappelons que le tunnel sous la Manche mesure 37 km.

Ce projet a été imaginé par d’autres, mais personne ne le pensait réalisable. Certains avaient estimé son coût à 20 000 milliards de dollars. Lui pense que sa société grâce à des technologies révolutionnaires pourrait le réaliser pour 20 milliards de dollar. Autant dire, presque rien : la Cour des comptes estime le coût total de l’ EPR de Flamanville à 23,7 milliards d’euros

Je préfère finir en abordant deux points.

Le premier est d’essayer de comprendre cette volonté de diminuer le rôle de l’Etat et des services publics. Nous avons appris que non seulement les hyper-riches de Californie accaparaient l’eau pour leurs besoins propres, eau qui manquait aux pompiers pour lutter contre les feux. Mais ils font mieux : ils emploient des pompiers privés.

Le Prix Nobel d’Economie, Joseph Stiglitz, analyse cela précisément dans un article du Figaro :

« Quand il y a trop d’inégalités – c’était l’objet de mon livre précédent – les plus riches ne dépendent plus des services publics. À l’époque, je vous avoue que je n’avais pas pensé aux pompiers privés ! Les plus fortunés usent de leur influence sur le système d’information – les médias – et sur l’économie pour encourager à réduire les dépenses sur les services publics dont ils n’ont pas besoin. Et c’est ainsi, de fil en aiguille, que dans la première puissance économique mondiale, on arrive à avoir une des espérances de vie les plus faibles parmi les pays riches, avec de très fortes inégalités. L’un des droits de l’Homme les plus fondamentaux, le droit de vivre, a régressé aux États-Unis. »

Emmanuel Todd ne cesse de répéter que désormais l’espérance de vie moyenne en Russie est supérieure à celle des Etats-Unis.

On pourrait se demander : mais comment Elon Musk pensent-ils pouvoir supprimer autant d’emplois publics ?

La réponse est qu’il pense qu’on peut remplacer la plupart d’entre eux, ceux qui gardent une utilité dans son esprit, par de l’intelligence artificielle. C’est ce que raconte dans « Le nouvel esprit public du 12 janvier », Richard Werly, journaliste et essayiste franco-suisse, qui a fait un long tour des Etats-Unis pendant la campagne électorale de 2024 :

« Et le pire dans tout cela, c’est que cela va donner des résultats. Le cynisme absolu, l’autoritarisme et le talent médiatique de l’un, combiné aux ressources et à la créativité de l’autre, vont forcément produire des résultats.
On se demande comment tout cela pourrait tenir, après les coupes énormes prévues.
Grâce à l’intelligence artificielle. Une fois que le ménage est fait, on remplace tous ces hauts fonctionnaires par des robots. Cela a l’air délirant, mais j’ai entendu tout cela. C’est ainsi qu’on entend gérer l’Amérique, qui restera de toute façon la meilleure, dans la mesure où on aura cassé les rotules de tous les concurrents gênants. »

Dans Libération, le 15 janvier 2025, Sylvie Laurent, historienne et américaniste française explique que les dirigeants de la tech qui peuplent aujourd’hui l’administration Trump sont les représentants d’un projet singulier, stade ultime de la fusion entre l’Etat et le capital : « Comment les Etats-Unis sont entrés dans l’ère techno-réactionnaire »
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Elle montre que plusieurs d’entre eux sont issus ou ont vécus dans l’Afrique du sud de l’apartheid outre Elon Musk, Peter Thiel et David Sacks sont dans ce cas. C’est ainsi qu’elle pense qu’ils sont dans une défense de la minorité blanche. Elle écrit :

« L’oligarchie est génétique. »

Elle prétend que le natalisme de Musk est une réaction à la peur du déclin démographique de l’Occident, l’obsession de Musk. Inspirés par les idéologues qu’elle cite, Sylvie Laurent termine son article par cette description :

« Toute l’idéologie du monde, et elle est solide chez les techno- réactionnaires, n’est jamais que l’idéologie de la classe à laquelle ils appartiennent. Les grandes effusions entre ces capitalistes de la tech, Trump et l’Etat américain n’ont qu’un objectif : obtenir la valorisation de leurs intérêts fiscaux et économiques, fusse en siphonnant les budgets publics, de la recherche et du Pentagone, mais aussi en s’imposant comme seuls prestataires de missions de service public : remplacer la Federal Reserve et le dollar par les cryptomonnaies, les agences de santé par le transhumanisme, les écoles publiques par des formations en ligne et autres mooks, les trains à grande vitesse par des Tesla ou des Hyperloop, la fibre par des accès au réseau Starlink. »

Le second point c’est l’attaque en règle de Musk et de Trump contre ses alliés et notamment contre l’Europe. Non seulement ils s’attaquent à nos valeurs mais ils s’attaquent aussi à nos intérêts. Dans le Nouvel Esprit Public, précité Jean-Pierre Bourlanges décrit la situation :

« On s’est demandé pendant quelques mois si l’élection de Trump se traduirait par une baisse de la protection américaine de l’Europe, mais nous n’avions jamais envisagé que ce serait lui qui nous ferait la guerre. Or objectivement, c’est ce qui est en train d’arriver avec les menaces sur le Groenland […] Ne nous leurrons pas : la situation est réellement hallucinante. Ce qui est en train de se passer est un choc de première grandeur pour le monde, pour l’Europe, et pour la France. C’est la ploutocratie absolue qui règne désormais. Le conflit d’intérêt n’est plus une anomalie ou une exception, il est devenu le moteur de la constitution de l‘équipe de Donald Trump. »

« Sommes-nous prêts ? » est la question qu’a posée « C Politique » du 12 janvier. Les invités très intéressants de cette émission David Djaïz, Asma Mhalla et Céline Spector sont assez peu confiants dans la capacité européenne de répondre au défi.

 

Ce que l’on peut constater, c’est que l’Europe est désunie. Meloni cherche à s’attirer les bonnes grâces d’Elon Musk qui accepte bien volontiers ses avances dans la mesure où des contrats lui sont promis. Orban est ouvertement l’allié de Trump. Et l’Allemagne si dépendante des Etats-Unis pour sa protection et ses exportations n’aura qu’une idée : ne pas contrarier le duo Musk Trump.

Dans le « Nouvel Esprit Public » Nicolas Baverez explique cela très bien :


« Il n’y a pas si longtemps, l’adversaire désigné était la Chine, mais pour le moment, toutes les cibles des Etats-Unis sont des pays alliés, même les plus proches (Royaume-Uni et Canada). Cette structure intellectuelle est celle de Vladimir Poutine : Trump est en train de nous expliquer qu’il y a un étranger proche des USA (Canada, Panama, Groenland) auquel personne n’a le droit de toucher, et dont on va s’assurer le contrôle. C’est un raisonnement de sphère d’influence, qui n’exclut pas le recours à la force. Il n’y a donc plus de respect de la souveraineté nationale, ni des frontières, c’est le monde de Poutine, de Xi, d’Erdogan. […] Olaf Scholz se fait insulter sans même répondre, Keir Starmer panique, et Kaja Kallas se contente de rappeler que « les Etats-Unis restent l’allié privilégié de l’Europe ». Et parallèlement aux tentatives de division, le duo met sur un piédestal Mme Meloni.
C’est une grande leçon pour l’Europe. L’idée de l’UE, selon laquelle elle va réguler l’IA et le numérique alors qu’elle n’a aucun acteur dans ces secteurs, qu’elle va prendre le leadership de la transition écologique alors qu’elle n’a aucun acteur industriel est une chimère complète. Comment réguler des secteurs dans lesquels on n’a aucun poids ? Sans compter la dépendance européenne en matière de Défense. Les Etats-Unis de MM. Trump et Musk vont nous faire payer tout cela au prix fort. »

Jean-Pierre Bourlanges voudrait trouver un Churchill, mais n’en trouve aucun :

« Car nous sommes dans la même situation que Churchill dans son discours passé à la postérité, celui de la « plus belle heure » du Royaume-Uni (« the finest hour »), où il dit que les Britanniques sont les seuls à défendre la civilisation, tout ce en quoi nous croyons, qu’ils doivent mener le combat le plus décisif, à l’enjeu le plus élevé, seuls. Et Churchill dans un formidable élan d’optimisme prophétique, déclare que cette heure la plus sombre est aussi la plus belle. L’Europe est dans la même situation.
Mais est-ce que les Européens sont capables d’un tel sursaut ? […]
Nous sommes dans la situation décrite par Churchill ; l’avenir de tout ce que nous avons de meilleur est en train de se jouer en ce moment même, et la partie semble très mal engagée. »

Notre problème est double d’abord nous sommes tellement dépendants à l’égard des américains : de leur technologie, de leur protection militaire, de leur système financier, de notre incapacité à répondre à la puissance de l’extraterritorialité de leur justice.

Ensuite, si nous voulions vraiment défendre nos valeurs et nos intérêts ,il faudrait aussi que l’immense majorité des européens soient des citoyens avant d’être des consommateurs. Car notre confort de consommateur à court terme a beaucoup à perdre, si nous voulions vraiment défendre notre citoyenneté. Mais en agissant ainsi, à moyen terme nous perdrons les deux : notre confort de consommateur et nos valeurs citoyennes.

Mardi 14 juin 2022

« Que se passerait-il à l’Assemblée Nationale s’il y avait un autre mode de scrutin ?»
Un exercice intellectuel et spéculatif

Si vous avez lu le mot du jour d’hier, vous avez pu comprendre que nous utilisons en France un mode de scrutin que peut être tout le monde nous envie (quoique ce n’est pas certain) mais que personne n’utilise (ça c’est un constat).

Alors je tente aujourd’hui un exercice intellectuel et spéculatif qui consiste à partir des résultats de ce dimanche d’imaginer le résultat en nombre de sièges si nous appliquions un autre mode de scrutin.

Je veux insister sur le fait que cette démarche est spéculative et n’a aucune vocation à prédire ce qui se passerait si on changeait de mode de scrutin.

Tant il est vrai que le mode de scrutin induit des organisations et des comportements politiques qui sont très différents les uns des autres.

Autrement dit, si nous avions un autre mode de scrutin les acteurs politiques auraient un comportement différent.

S’il fonctionne bien, ce qui n’est plus le cas en France, le scrutin uninominal à deux tours induit une organisation de blocs de Partis, idéalement deux blocs, et une multiplication de Partis. Au premier tour, il y a de nombreux partis qui se présentent dans chaque circonscription. Et puis au second tour, il reste un candidat par bloc, celui qui était le mieux placé au premier tour, tous les autres partis du même bloc se désistant pour lui. Cela fonctionnait très bien quand il y avait un bloc de gauche et un bloc de droite

Si on reprend le tableau que j’ai présenté hier auquel j’ajoute une colonne pour faire la somme des voix du vainqueur et du second, 9 scrutins sur 16 sont dans ce cas avec deux blocs qui représentent 75% des votants


En 1981, les deux blocs représentaient 97,23% des Voix.

Le scrutin uninominal à 1 tour induit l’existence de très peu de Partis, 2 ou 3 avec quelques partis régionalistes. Parce qu’au-delà il n’y a aucune chance d’être élu, puisqu’il faut être premier dès le premier tour. L’organisation par Bloc n’a pas de sens pour ce mode de scrutin. En réalité, dans ce cas les blocs se réunissent tout de suite en Parti. C’est le cas en Grande Bretagne et aux États-Unis.

Le scrutin par liste à la proportionnelle peut prend plusieurs formes selon la circonscription qui peut être nationale ou infra nationale et selon l’existence d’un seuil en deçà duquel on ne peut avoir d’élu.

Ainsi en Israël, il n’y a pas de seuil. Cette situation a pour conséquence la création de beaucoup de petits partis, surtout religieux qui en contrepartie d’une ou deux concessions pour satisfaire les fantasmes de leurs électeurs acceptent de se joindre à une coalition pour lui apporter la majorité nécessaire pour appliquer sa politique. Cela peut créer des relations et des coalitions assez toxiques pour l’intérêt général du pays.

Mais le plus souvent le mode de scrutin est assorti comme en Allemagne d’un seuil, ce qui élimine la tentation des petits partis et favorise les coalitions de quelques Partis sérieux.

Avec toutes ces précautions, commençons cet exercice intellectuel.

1/ Si La France votait comme les britanniques ou les américains.

Nous sommes donc en présence du scrutin uninominal majoritaire à un tour.

Celui qui arrive en tête gagne l’élection.

« Le Monde » a publié cette carte accompagnée de la liste des Tendances politiques arrivées en tête au premier tour des législatives.


Donc en reprenant ces chiffres et en faisant quelques regroupements envisageables, voilà ce que cela donnerait :


2/ Si la France votait comme les allemands

Cette fois il s’agit d’un scrutin proportionnel sur une liste nationale avec la nécessité d’un seuil de 5% des voix.

Il faut savoir que les allemands aux législatives votent deux fois : une fois pour un député et une seconde fois pour la liste d’un Parti.

Cette manière de faire permet à chaque allemand d’avoir un député dédié.

Mais la règle fondamentale est bien la proportionnelle intégrale.

Autrement dit c’est la répartition selon le scrutin par liste qui détermine la répartition des sièges. Les listes présentées par les Partis complètent les députés élus sur leur nom pour arriver à une stricte répartition proportionnelle.

Reprenons « Le Monde » et les Résultats officiels qu’il a publié :

Le Monde ne reprend pas les résultats du Ministère de l’intérieur qui donnent un peu d’avance à Ensemble, la coalition macroniste.

Je ne rentrerais pas dans cette querelle qui consiste à écarter certains candidats de la coalition NUPES.

Tout ceci n’est que spéculatif et n’a qu’une vocation à donner une idée du fonctionnement d’un mode de scrutin.

On constate que si on applique le seuil des 5%, Reconquête, le parti de Zemmour n’aurait pas de députés.

Je pense que cet exemple montre toutes les nuances et limites à apporter à ma démonstration.

Il est vraisemblable que des électeurs qui se sentaient plus proche de Reconquête que du Rassemblement National, ont pourtant voté pour le second choix en pratiquant un vote utile. Le mode de scrutin français est très exigeant pour arriver au second tour. Pour ne pas risquer qu’il n’y ait pas de candidat d’extrême droite au second tour, ils ont voté pour le candidat de cette tendance ayant le plus de chance d’accéder au tour suivant.

Il est donc probable que si ce mode de scrutin existait en France, le parti Reconquête aurait atteint les 5%. Mais tenons-nous strictement aux résultats.

On aboutit alors ce résultat


3/ Mais la France vote à la manière des Français

Donc il y aura un second tour.

5 députés sont déjà élus : 4 NUPES et 1 Ensemble.

Nous savons qui sera présent au second tour dans chacune des 572 circonscriptions qui restent à pouvoir.

Des analystes politiques se sont donc risqués à faire des prévisions pour le second tour.

On trouve cette projection dans « Le Monde »

A partir de ces éléments, je peux donc tenter une troisième répartition.

Les analystes proposent des fourchettes.

Je reste simple, je prends le milieu de la fourchette.

Et on comprend donc, par le dessin, le système français.

Les députés macronistes flirtent avec la majorité absolue, ce sera un peu en dessous ou un peu au dessus.

Certains diront peut-être que les deux premières représentations correspondent à des situations ingouvernables, alors qu’ici gouverner reste possible.

C’est un argument assez risqué.

La démocratie est aussi la gestion de la conflictualité.

Si on insiste sur l’efficacité et la capacité de gouverner, je crains que le régime chinois qui repose sur les décisions d’un petit comité de 7 responsables répond mieux à ce désir

Dans cet exemple français, nous avons un gouvernement qui a pour opposant 75% des électeurs qui se sont prononcés et dont le pouvoir de prendre des décisions et très peu limité.

Tout ceci reste une spéculation intellectuelle.

Et le mode de scrutin qui est un vrai problème en France n’est pas le seul problème de notre démocratie.

L’hyper présidentialisation en est une autre.

Et puis, et peut être surtout les contraintes des interdépendances, la mondialisation, la financiarisation de la Société laissent peu de marge de manœuvre au Politique, surtout à l’échelle d’un petit pays comme la France…

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Lundi 7 mars 2022

« La meilleure preuve qu’il voulait la guerre, c’est qu’il s’en défendit ! »
Citation que fit Georges Pompidou, lors d’une de ses conférences de presse alors qu’il était Président de la République (1969-1974)

L’écriture des mots du jour est compliquée en ce moment.

Je voudrais parler d’autre chose, mais je n’y arrive pas, tant mon esprit est occupé par ce qui se passe en Europe : Une puissance nucléaire a attaqué son petit voisin parce qu’il prétend qu’il le menaçait.

Alors bien sûr, il faudrait en revenir à l’Histoire et même l’Histoire récente, quand l’Union soviétique s’est effondrée et que la guerre froide s’est achevée.

On pourrait parler des erreurs des occidentaux et de l’OTAN, comme le rappelle Hubert Vedrine se référant à Henry Kissinger qui a dit que nous avons fait des erreurs et que nous avons mal agi avec la Russie.

Mais il n’est pas temps de parler de cela, parce que la Russie a attaqué son petit voisin qui ne le menaçait pas et qui n’appartenait pas à l’OTAN.

Rien ne peut justifier cela !

L’OTAN se serait trop approché de la Russie dit-on ?

Mais prenons l’exemple de la Pologne, ce ne sont pas les États-Unis ou les européens qui ont obligé la Pologne à entrer dans l’OTAN, ce sont les polonais qui ont supplié d’intégrer l’OTAN.

Pourquoi ?

Mais tout simplement parce qu’ils connaissent leur Histoire, l’Histoire de l’Empire russe qui n’a pas cessé de les envahir, de les soumettre, de les massacrer.

C’est parce que la Russie qu’elle soit l’empire tsariste ou l’empire soviétique s’est toujours très mal comportée à son égard.

Et paradoxalement, la énième invasion russe vers un de ses voisins montre que l’Ukraine avait raison de vouloir faire partie de l’OTAN pour échapper à ce sort funeste imposé par son immense voisin insatiable.

Et justement, les occidentaux n’ont pas voulu offrir à l’Ukraine qui le demandait, la protection de l’OTAN, pour ne pas fâcher leur irascible voisin.

Alors oui des erreurs ont pu être commise dans le passé, mais Poutine raconte des calembredaines, son pays n’était pas menacé.

C’est son pays qui est menaçant et c’est pourquoi ses voisins veulent une protection pour ne pas tomber une nouvelle fois sous son joug.

Parce que visiblement aucun de ces pays n’a le désir d’être soumis à la Russie.

Parce qu’ils en ont l’expérience et que celle-ci n’en donne pas l’envie.

Rien ne justifie l’agression ordonnée par Vladimir Poutine.

Rien, ni les manquements occidentaux, ni l’agression injustifiée contre l’Irak, ni la sombre histoire du renversement de régime en Libye, ni les insuffisances du gouvernement ukrainien, rien ne justifiait cette guerre totale.

Il n’y a qu’une justification à cette guerre, c’est que Poutine voulait montrer sa puissance et qu’il pensait que le moment était propice car Biden est faible, Merkel est partie, le nouveau chancelier est au début de son mandat, La France est en campagne électorale, Boris Johnson est empêtré dans le Brexit, ses mensonges et ses frasques.

Je trouve bien imprudent celles et ceux qui croient que devant un tel personnage, quelques concessions bien présentées auraient pu le contenter.

Les concessions auraient certainement entrainé chez lui d’autres exigences.

Toute cette situation me fait penser à une conférence de presse de Georges Pompidou, lors de sa présidence.

J’étais fort jeune alors, mais je m’en souviens encore.

Je ne me souviens plus de la question mais de la réponse du Président :

« La meilleure preuve qu’il voulait la guerre, c’est qu’il s’en défendit ! »

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Mardi 1 mars 2022

« La guerre, aujourd’hui, revient au cœur de l’Europe. Nous avons perdu ce 24 février notre innocence »
Dominique Moïsi

Les analyses du politologue Dominique Moïsi sont toujours d’un grand intérêt.

Trois mots du jour ont déjà partagé ses réflexions :

« Le Point » l’a interrogé sur ce que l’invasion de l’Ukraine par les russes pose comme questions : « L’histoire bascule aujourd’hui » .

Du haut de ses 75 ans, il est né le 21 octobre 1946 à Strasbourg, il peut nous nous distiller les fruits de son expérience :

« Oui, nous sommes clairement à un point de bascule historique car, pour la première fois depuis 1945, au cœur de l’Europe, un pays est envahi par un autre pour l’asservir complètement en niant son droit d’existence. Il y a bien sûr eu des moments violents depuis 1945 en Europe. Je pense en particulier aux conflits dans les Balkans, dans l’ex-Yougoslavie. Mais cela n’était que l’éclatement d’un empire. Donc oui, l’invasion de l’Ukraine par la Russie marque un tournant historique majeur. C’est la fin de la période d’après-Seconde Guerre mondiale. Celle-ci se décompose d’ailleurs en deux phases : une guerre froide, de 1945 à 1989, et une paix chaude, de 1989 à nos jours. »

Hubert Vedrine le répète, le leadership de l’Occident est de plus en plus contesté. C’est-à-dire que ce n’est plus l’Occident qui dit ce qui est bien et mal ou plus exactement il continue à vouloir le dire mais il n’est plus écouté.

Et Védrine a même rapporté dans un entretien que j’ai entendu tout récemment que des intellectuels chinois ne parlent pas du « déclin occidental » mais de « la fin de la parenthèse occidentale ».

Poutine se place aussi dans cette perspective, c’est ce que pense Dominique Moïsi :

« Les régimes autoritaires ont une vision très négative de l’Occident. Ils voient notamment les démocraties américaine et européennes comme des systèmes politiques absolument inadaptés à notre époque. Dans l’esprit de Vladimir Poutine, des événements, ces derniers mois, n’ont fait que confirmer la vision décadente qu’il a des États-Unis. Je pense en particulier à la marche des trumpistes sur le Capitole le 6 janvier 2021 et à la reprise de Kaboul par les talibans le 15 août dernier. Une décadence intérieure et extérieure. »

Pour Dominique Moïsi la défaite de l’Ukraine semble inéluctable et à court terme. Ce qui lui semble essentiel, c’est penser l’après asservissement de l’Ukraine par les russes :

« Aujourd’hui, mieux vaut penser au coup d’après, à savoir faire en sorte que Vladimir Poutine n’aille pas au-delà de l’Ukraine. Car les prochaines victimes potentielles sont les États baltes de Lettonie, de Lituanie et d’Estonie. Ces républiques, pour mémoire, font à la fois partie de l’Union européenne et de l’Otan. Si la Russie allait jusque là-bas sans susciter une forte réaction occidentale, alors ce serait la fin de l’Alliance atlantique. »

Les dernières heures ont cependant montré un grand dynamisme des européens pour sanctionner les russes et le soft power n’est pas en reste avec le monde sportif qui exclut la Russie des compétitions et le monde des arts qui écarte les artistes proches de Poutine et qui refuse de contester son attitude.

En cas de victoire de Poutine, il faudra conserver les sanctions si l’Europe veut être cohérent avec les motifs de leur déclenchement.

Mais est ce que les sanctions économiques feront plier Poutine avant les gouvernements européens qui vont probablement se trouver contesté par des populations soumises à des difficultés de pouvoir d’achat de plus en plus importantes. Surtout que cet épisode vient après la crise de la COVID qui a déjà eu un grand impact sur la vie des gens.

Pour Moïsi les deux grandes conséquences de ce conflit sont le renforcement de la Chine et un renforcement de l’Union européenne :

« Dans un futur proche, ce conflit entre la Russie et le monde démocratique est un don de Dieu pour la Chine. Elle a depuis bien longtemps l’ambition de redevenir un grand empire. Grâce aux Occidentaux d’abord et à Poutine ensuite, son projet de retour au premier plan s’est considérablement accéléré. Le centre de gravité géopolitique sera désormais en Asie. Ce conflit a cependant une vertu. Poutine nous force à l’union. Les tentations illibérales de la Pologne n’ont plus beaucoup de sens quand les chars russes sont pratiquement à la frontière. Continuera-t-elle sérieusement à dénoncer le supposé impérialisme juridique de Bruxelles ? »

Il fait aussi le parallèle entre Poutine et Hitler, comme je l’avais écrit dans le mot du jour de vendredi et insiste sur le fait comme lui, il avait écrit ce qu’il ferait :

« Hélas, quand vous regardez les images qui nous parviennent d’Ukraine, vous voyez de vieilles femmes et des enfants errant dans la rue à la recherche d’un abri. Les fantômes du passé, c’est l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie en 1939. Oui, il y a un parallèle entre Poutine et Hitler, c’est net. Les deux ont dit clairement ce qu’ils avaient l’intention de faire : l’un, Hitler, dans son livre Mein Kampf ; l’autre, Poutine, dans une série de discours et dans un article. »

Bien évidemment cet évènement aura de grandes conséquences dans nos vies : psychologiquement et économiquement.

« La première est psychologique, et c’est d’ailleurs la plus importante. Nous allons vivre désormais à l’ombre d’une guerre qui peut, un jour, nous concerner. Les guerres étaient jusqu’ici réservées au Moyen-Orient, comme l’Irak, le Yémen ou la Syrie, ou à l’Asie, comme au Myanmar, sans oublier bien sûr l’Afghanistan. La guerre, aujourd’hui, revient au cœur de l’Europe. Nous avons perdu ce 24 février notre innocence.
La guerre n’est plus du passé.
C’est le présent de l’Ukraine.
C’est peut-être notre futur.
La seconde conséquence durable est économique. Le prix du pain sera plus cher. Le prix du chauffage sera plus cher. La tension maximale dans laquelle nous sommes est mauvaise pour l’économie mondiale. »

<1660>

Lundi 28 février 2022

« Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition c’est qu’elles le veuillent ! »
Raymond Aron cité par Nicolas Baverez

C’est incroyable et terrifiant !

Vous passez par l’Allemagne notamment par Dresde, puis vous traversez la Pologne en passant par Varsovie et vous vous trouvez sur la frontière est de l’Union européenne.

Et là se trouve un État démocratique, un peuple citoyen qui choisit librement son président et ses députés.

Bref, un pays qui nous ressemble.

Ce pays est sous les bombes, les missiles de l’armée de son voisin qui n’est pas une démocratie, tout au plus une démocrature, c’est-à-dire une dictature qui se donne l’apparence d’une démocratie.

L’Ukraine est sous les bombes et menacée par une armée d’hommes capables de tout, déguisés en civil ou en soldat ukrainien. Cette armée est accompagnée d’une milice tchétchène, c’est-à-dire des nervis qui ont prêté allégeance à Poutine quand il a détruit leur pays et rasé Grozny leur capitale., parce qu’ils préféraient être dans le camp du fort et du vainqueur. Pour lui être agréable, ils ont accepté de faire toutes les basses besognes, trop vil pour un soldat russe.

En parallèle, circule parmi eux une liste de 100 ukrainiens dont il faut se débarrasser, parmi eux bien sûr le président Volodymyr Zelensky.

Il faut s’en débarrasser, afin qu’il soit plus simple de transformer le régime de l’Ukraine, en démocrature.

Parce que c’est le premier crime de l’Ukraine ! Ce pays aux marches de l’empire russe, démontre qu’un État proche dans la culture, la religion, l’histoire du peuple russe est capable de désigner ses dirigeants après des élections libres, élections qui peuvent même renvoyer le président sortant.

Il y a bien un second crime : ce pays veut être indépendant, choisir librement ses alliances et ne pas se soumettre à son irascible et surarmé voisin, puissance impériale de toujours dont il connaît historiquement le joug et la cruauté (cf. Holodomor).

Et nous assistons à cela, nous laissons faire !

Un tyran qui utilise sa force supérieure et ses forces du mal (milice tchétchène) pour écraser et massacrer des gens qui nous ressemblent, qui sont nos amis.

Il en est même dans nos rangs qui ont, depuis des années, encensé le criminel de guerre qui se terre dans son palais du Kremlin.

Jean François Kahn, dans un article publié le 26 février : <Poutine centre de la présidentielle> dresse ce constat accablant :

« C’est un fait : celles et ceux qui, en France, ne cachaient pas une certaine proximité idéologique ou géopolitique avec Vladimir Poutine et avaient, en conséquence, tendance, au début de la crise ukrainienne, à manifester beaucoup de compréhension à l’égard de la position russe, représentaient 45 % des intentions de vote à l’élection présidentielle. C’est Emmanuel Macron, et non le nouveau tsar de Moscou, qui était alors l’objet de leur vindicte (et encore samedi, en plein assaut sur Kiev, sur les sites des médias conservateurs, la majorité des réactions étaient beaucoup plus anti-Macron qu’anti-Poutine).

Selon Marine Le Pen, la présidence française était totalement dépendante des exigences américaines ; selon Jean-Luc Mélenchon, Macron agissait en petit télégraphiste de l’Otan ; selon Éric Zemmour, quand le président tenta de négocier avec un maître du Kremlin, plus fort que lui, il se comportait comme un petit garçon ridicule (et samedi, Mélenchon reprenait à son compte les mêmes termes). Aucun des trois ne croyait à une invasion militaire de l’Ukraine et tous criaient à la désinformation et à l’enfumage.

Alors, depuis que Poutine a violé les frontières de la souveraineté ukrainienne, ils ont concédé que ce n’était pas bien. Jean-Luc Mélenchon a même condamné fermement. Mais pour très rapidement crier à la folie de la course aux armements des allemands.

Parce que l’Allemagne a dû reconnaître que « Le sous-investissement chronique de la Bundeswehr la rend peu opérationnelle» et a donc décidé d’augmenter le budget de la défense à 2% du budget. L’armée française est un peu mieux dotée, mais selon un rapport du Sénat elle ne pourrait opposer qu’un nombre dérisoire de bataillons opérationnels en face de l’armée russe.

C’est ce qu’on apprend et bien d’autres choses dans l’émission « C Politique de France 5 » : <Partie 1> <Partie 2>

Parce que si nous n’intervenons pas, alors que c’est moralement inacceptable, nous avons une raison officielle : l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN et donc nous ne pouvons pas appliquer l’article 5. CQFD.

La raison moins officielle et qu’on ose avouer c’est que l’adversaire, non le vrai mot dans cette situation est « ennemi » est une puissance nucléaire. Ce ne serait pas prudent d’entrer en conflit avec lui, surtout qu’il est imprévisible.

Mais la raison objective, c’est que nous n’avons pas du tout les moyens d’aider militairement les ukrainiens, nous ne sommes pas prêts, nous avons désarmé, massivement. Sans les États-Unis nous ne sommes rien militairement, des nains.

Après les deux terribles guerres mondiales, nous avons cru à un monde de paix, de commerce et de droits.

Et nous avons créé une entité riche, prospère et en paix : L’Union européenne.

Dans l’émission C Politique, un intervenant rappelle cependant que cette prospérité n’a été rendue possible qu’à l’abri du bouclier américain.

D’ailleurs les présidents américains, avant Trump, Obama, Busch et Clinton ont répété que les européens ne faisaient pas le job.

Un autre intervenant a décrit l’Union européenne se vivant comme n’ayant plus aucun ennemi. Et Jean Quatremer a eu cette formule :

« L’Europe n’avait pas d’ennemis que des amis potentiels »

Certains analystes ont décrit cette situation par cette autre formule :

« Les européens se comportent comme des herbivores dans un monde de carnivores ! »

Parce que pendant ce temps, la Russie, la Chine, l’Inde et d’autres ont augmenté de manière massive leurs dépenses militaires.

Bien sûr qu’il faut réarmer, sinon nous serons avalés.

Le courageux et lucide président ukrainien Volodymyr Zelensky a interpellé l’Europe :

« Comment allez-vous vous-mêmes vous défendre si vous êtes si lent à aider l’Ukraine ? »

C’est un changement de monde pour nous comme le dit Nicolas Baverez, le spécialiste de Raymond Aron, dans l’émission de ce dimanche du <Nouvel Esprit Public>

Cette situation rappelle la fin des années 30 : une démocrature et un homme fort qui suit son plan avec un récit de l’encerclement de la Russie par l’Otan et du génocide des russes dans le Donbass par des ukrainiens.

En face, il y a le déni. Le déni de la violence de Poutine, de sa haine de l’Occident et de sa volonté d’asservir.

Le déni qui a conduit à la construction de la dépendance de l’Allemagne au gaz russe sous le prétexte de la transition énergétique verte. Et en sus, la commission européenne est arrivée à faire du prix du gaz russe le prix directeur de l’énergie dans l’Union.

Et puis comme le rappelle le journaliste Emmanuel Berreta, le déni de tous ces hommes politiques issus de l’Union européenne qui ont, par faiblesse pour l’argent, accepté de devenir des agents d’influence de ce régime aux valeurs si éloignées des nôtres :

« La Russie a aussi déployé son entregent à l’ouest dans une entreprise de capture des élites, à commencer par Gerhard Schröder, l’ancien chancelier allemand devenu le « Monsieur North Stream 2 » de Vladimir Poutine, son ami. Jeudi, Christian Kern, l’ancien chancelier social-démocrate autrichien, a fait savoir qu’il démissionnait pour sa part du conseil de surveillance de la société nationale ferroviaire russe. L’Italien Matteo Renzi (qui siégeait chez Delimobil, un service d’autopartage en Russie) et l’ancien Premier ministre finlandais Esko Aho (qui siégeait au sein de la plus grande banque russe, la Sberbank) ont également démissionné. François Fillon a lui aussi renoncé, vendredi, à ses mandats d’administrateur indépendant de sociétés pétrolières russes. »

Force est de reconnaître que l’essentiel de ces hommes sont issus des Gauches européennes.

Nicolas Baverez a ajouté :

« Le défi que lance Vladimir Poutine, est une menace mortelle pour l’Europe. Soit on réagit, soit on mobilise et on change de mode de pensée et d’action, soit la démocrature russe va liquider la liberté politique en Europe. Il faut réarmer. Ce n’est pas seulement un réarmement militaire mais aussi un réarmement politique et idéologique. Il faut rétablir une dissuasion efficace vis-à-vis de Moscou. […] Je rappellerai une phrase de Raymond Aron : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition c’est qu’elles le veuillent » »
Nicolas Baverez dans l’émission le Nouvel Esprit Public de Philippe Meyer (vers 10 min environ)

Il faut réarmer si nous voulons rester libre.

Bien entendu si le budget de la défense augmente, d’autres devront baisser

Il faut savoir payer le prix de la Liberté.

Liberté que vont perdre les ukrainiens dans les prochaines heures, les prochains jours.

Mais voulons nous rester libre ? demandait Raymond Aron

Ou la douce somnolence de notre confort étouffe t’elle le désir de la liberté et considère t’elle que le prix à payer est trop cher ?

<1659>

Jeudi 24 février 2022

« Les fins de règne – car nous sommes dans une fin de règne en Russie – sont longues, chaotiques et souvent sanglantes. »
Michel Foucher

Poutine constitue une énigme.

Certains (comme Zemmour ou Marine Le Pen) le considère comme un stratège génial.

Mais Libération pose la question : « Poutine est-il fou ? »

Le journal raconte d’abord comment lors d’une réunion de son Conseil de Sécurité, qui a précédé son fameux discours dans lequel il a nié la possibilité qu’il existe une nation ukrainienne distincte de la nation russe et qu’il a reconnu l’indépendance de deux territoires qui se trouvent à l’intérieur des frontières de l’Etat ukrainien, le Président russe a littéralement terrorisé le responsable des services de renseignements. Il existe une vidéo de cet échange entre <Vladimir Poutine et Sergueï Narychkine>. Libération évoque les visages anxieux des autres membres du conseil de sécurité. Il compare cet épisode avec le jour où les fauves du Colisée ayant eu raison trop rapidement des gladiateurs, l’empereur Caligula ordonna de jeter dans l’arène les spectateurs qui n’avaient pas assez applaudi.

Concernant le discours, Libération rapporte :

« Réagissant le premier aux événements, Emmanuel Macron a qualifié l’intervention télévisée du chef de l’Etat russe de «discours paranoïaque». Notre correspondant en Ukraine, Stéphane Siohan, y a vu «une heure de logorrhée historique stupéfiante», bientôt suivi par le correspondant à Moscou du Financial Times, Max Seddon, pour qui Poutine avait «clairement fait une déclaration de guerre complètement folle». La Première ministre de la Lettonie, Ingrida Šimonytė, observa que le président russe « rendrait honteux à la fois Kafka et Orwell », tandis que l’ancien ambassadeur français Gérard Araud, d’ordinaire placide et hyperréaliste, le qualifiait de discours « proprement ahurissant, un délire paranoïaque dans un univers parallèle ».

Vladimir Poutine est-il fou ? La question a son importance, et après le fameux dîner de six heures d’affilée avec son homologue russe la semaine dernière, Emmanuel Macron a plus d’éléments que beaucoup pour y répondre. Mais on peut aussi revenir à la fameuse « théorie du fou » chère à Richard Nixon, qui avait voulu faire croire aux dirigeants russes qu’ils avaient en face d’eux un président américain au comportement imprévisible, disposant d’une énorme capacité de destruction, et qu’il valait donc mieux lui lâcher plus de terrain qu’à un leader raisonnable. Poutine a-t-il voulu renverser les rôles ? »

« Le Un Hebdo », dans son numéro daté du 23 février pose la question : Que veut Poutine ?

Il met sur la première page ce qu’écrivait la journaliste Anna Politkovskaïa qui a été assassinée en 2006 et dont j’avais parlé dans le mot du jour du 8 octobre 2013 < « Qu’ai-je fait ?…J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin.» :

« Ce n’est ni un tyran ni un despote-né. Il a juste été formé à réfléchir selon des catégories qui lui ont été inculquées par le KGB, dont l’organisation représente à ses yeux un modèle idéal, ainsi qu’il l’a publiquement déclaré plus d’une fois. C’est la raison pour laquelle, lorsque quelqu’un est en désaccord avec lui, Poutine exige « qu’on coupe court à cette hystérie ». D’où son refus de participer à des débats électoraux. La discussion politique n’est tout simplement pas son élément. Il ne sait pas dialoguer. Son style, c’est le monologue de type militaire. Dans l’armée, le subalterne se tait, il écoute le chef et a le devoir de faire semblant de l’approuver. Dans l’armée comme en politique, toute insubordination ne peut que déboucher sur une guerre ouverte. »
La Russie selon Poutine, trad. fr. de Valérie Dariot © Buchet-Chastel, 2005

Laurent Greilsamer avance cette analyse :

« Au cœur du système poutinien, il faut imaginer une énorme fabrique de brouillage impulsant le chaud et le froid, créant la confusion et l’inquiétude sur la scène internationale. […]. C’est ainsi que le président Poutine, quand bien même le PIB de son pays ne dépasse pas celui de l’Espagne, affole les chancelleries et parvient à se placer au centre de la « conversation mondiale ». C’est ainsi qu’à la tête d’une armée modernisée de 900 000 hommes, il se retrouve à la table des négociations avec toutes les cartes en main. »

Au cœur de ce numéro, se trouve un entretien avec Michel Foucher, géographe et diplomate qui pense que Poutine a tout à fait les moyens de son ambition, tant il est vrai qu’il a rénové et réorganisé en profondeur son armée qui constitue aujourd’hui l’outil central de sa politique étrangère et qui est une priorité budgétaire.

Et surtout il nous explique la doctrine militaire de Valéri Guérassimov :

«  Poutine a adopté la doctrine militaire de Valéri Guérassimov, son chef d’état-major, qui consiste à mobiliser toutes les ressources non militaires à des fins militaires : les moyens économiques, politiques, diplomatiques, informationnels. Ils la nomment la « dissuasion stratégique ». L’objectif de la doctrine Guérassimov est de brouiller notre compréhension, notre lecture des événements. Il s’agit bien d’empêcher les pays occidentaux de déterminer si nous sommes face à une situation de paix ou de guerre. Ces méthodes étaient autrefois l’apanage des services de renseignement. Cela rend très difficile l’évaluation des risques à chaud, et donc la décision. Et l’on constate bien aujourd’hui qu’il n’y a pas d’analyses convergentes entre Washington, Ottawa, Londres, Paris, Berlin, Rome et Varsovie. »

Michel Foucher nous apprend que Poutine a fait distribuer à tous les soldats, en septembre dernier, un texte de 5 000 mots intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Vus de Moscou, les Russes, les Biélorusses et les Ukrainiens forment un seul peuple. La dislocation de l’Union soviétique, en 1991, est encore vécue comme une catastrophe géopolitique parce que le monde russe a été séparé

L’Ukraine , comme la Russie est un pays de corruption forte, mais contrairement à la Russie, l’Ukraine est une démocratie avec des élections libres dans lesquelles les présidents ou les gouvernements sortants peuvent être battus électoralement et remplacés par leurs opposants.

Poutine n’aime pas la démocratie dans lequel le pouvoir peut changer de main.

Et puis il ne supporte pas que l’Ukraine, cette région qui dans son esprit est russe, puisse se rapprocher de l’occident voire adhérer à l’OTAN.

Ainsi la révolution de Maïdan, en 2014, qui montrait cette forte aspiration vers l’occident d’une partie de la population ukrainienne particulièrement de Kiev a constitué pour Poutine, dans son système de valeur, la provocation de trop :

« La première réponse de Poutine a été d’annexer la Crimée. La deuxième d’encourager le Donbass, qui peut s’apparenter à la Lorraine ou à la Ruhr, à faire sécession.

Et [la troisième peut être] la guerre ou la paix. L’histoire le montre, c’est une seule personne qui en décide. On en est là. Et en stratégie, les cartes mentales sont fondamentales. Moscou a la perception d’une asymétrie qu’il faut relativiser. Ce sont bien les forces militaires russes qui campent en Biélorussie, dans le Donbass et bien entendu sur la mer Noire, où les manœuvres navales bloquent tous les ports ukrainiens depuis un mois. L’usage de la géographie corrige l’asymétrie. »

Michel Foucher décrit une situation ambigüe de l’Ukraine par rapport à l’OTAN, moins catégorique que certains journalistes qui prétendent que l’Ukraine est très loin de l’OTAN. Bien sûr, elle ne peut bénéficier de l’article 5, ce qui constitue une limite essentielle :

« Elle a un accord de coopération renforcée avec l’Otan qui en fait un quasi-membre. Elle reçoit des équipements, des armes antichars, des missiles. L’Ukraine est de facto dans l’Otan. Avec une nuance très forte, car elle ne bénéficie pas de l’article 5 : donc il n’y a pas de solidarité militaire, d’alliance au sens classique. Mais, pour Moscou, c’est trop. Dans la conception de Poutine, tous les voisins de la Russie doivent être soumis à la Russie. »

Pour le géographe, le moment d’agir a été rigoureusement choisi par le maître du Kremlin :

« Le moment lui est favorable : Angela Merkel est partie, il n’aurait jamais osé faire cela avec elle ; Joe Biden est faible ; l’Otan est fracturée ; l’Occident est en fait divisé. Et il a Pékin derrière lui. Il a en main toutes les cartes : le militaire, la diplomatie, les calculs stratégiques froids, la propagande, le ressentiment historique, l’émotion. Ce qui est fascinant, c’est sa capacité à utiliser tous ces outils. »

Michel Foucher parle des risques de fin de règne et pense probable l’envahissement de l’Ukraine par les armées russes. Je pense qu’il veut dire au-delà de la région du Donbass :

« En tout cas, tout est prêt pour que cela soit possible. Les fins de règne – car nous sommes dans une fin de règne en Russie – sont longues, chaotiques et souvent sanglantes. Il est sage de se préparer au scénario d’une entrée des forces russes en Ukraine. Dans ce cas, il y aura une résistance sur le terrain. Les Ukrainiens ne se laisseront pas faire. Ce sera un drame et un déchirement pour de nombreuses familles russes. »

Michel Foucher penche donc davantage vers l’hypothèse du stratège que du fou.

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Mardi 8 juin 2021

« Les 9 symphonies de Beethoven interprétées par 9 orchestres dans 9 villes d’Europe »
La journée Beethoven 2021 organisée par ARTE

C’était en 2020 que nous avons célébré les 250 ans de la naissance de Ludwig van Beethoven.

Il est né en décembre 1770 à Bonn. J’avais écrit la série sur Beethoven du 10 au 30 décembre 2020. Vous trouverez la page de cette série derrière ce lien : <Beethoven est né il y a 250 ans>

ARTE avait l’intention de faire une journée spéciale Beethoven lors de cette année 2020.

Le concept était de faire interpréter la même journée, successivement les 9 symphonies, dans 9 villes d’Europe, avec 9 orchestres et chefs différents.

Plusieurs de ces concerts devaient avoir lieu en extérieur.

C’est pourquoi, ARTE n’a pas choisi le mois de naissance, décembre, pour cette célébration mais le mois pendant lequel les jours sont les plus longs : juin 2020.

Mais je n’apprends rien à personne, puisque nous l’avons tous vécu. La France, l’Europe, le Monde tous à des degrés divers nous étions confinés en raison de cette incroyable pandémie qui s’est abattue sur notre espèce.

La seule solution raisonnable était de reporter.

Et c’est ainsi qu’un an plus tard, le 6 juin 2021, ARTE a pu enfin aller au bout de son idée. Ce fut un marathon musical De 12 h 45 jusque tard dans la nuit.

C’est une somptueuse et merveilleuse idée.

Et il est possible de regarder ces 9 bijoux pendant 6 mois encore jusqu’à la fin de l’année sur <ARTE REPLAY>.

ARTE a placé l’Europe au centre de son hommage au génial démiurge. C’est en raison de son engagement humaniste que l’Europe a choisi symboliquement l’Ode à la joie sur un poème de Schiller, conclusion de la IXe Symphonie, comme hymne de l’Union européenne. D’où le projet de voyager de ville en ville en une seule journée, au fil des neuf symphonies créées par Beethoven entre 1800 et 1824, interprétées par neuf orchestres différents sous la baguette de neuf chefs différents !

LE 6 juin ARTE a diffusé les symphonies dans l’ordre chronologique, sept des neuf concerts étaient captés en direct.

Je ne suivrais pas cet ordre pour la présentation

Symphonie n° 1 Opus 21 (1800)

Très naturellement le marathon a commencé dans la ville natale de Beethoven Bonn

Le concert a été diffusée en direct depuis la cour du château des Princes-Électeurs. Dans ce château, Beethoven a commencé sa vie musicale publique.
L’orchestre choisi pour débuter est le formidable Mahler Chamber Orchestra fondé par Claudio Abbado en 1997.
Très rapidement Daniel Harding devint le chef associé à la tête de cet Orchestre. Daniel Harding qui devint plus récemment Directeur de l’Orchestre de Paris, mais quitta sa fonction pour devenir Pilote de ligne. Je ne sais pas si c’est en raison de la pandémie qui a dévasté les compagnies aériennes qu’il a repris des fonctions de directeur musical à l’Orchestre de la Radio suédoise ou s’il avait jugé ce prétexte Crédible pour quitter l’Orchestre de Paris avec qui la relation de confiance était disons mesurée.

<Symphonie n° 1 Opus 21 à Bonn – Mahler Chamber Orchestra – Daniel Harding>

Symphonie n° 9 Opus 125 (1822 – 1824)

Et c’est tout aussi naturellement à Vienne, dans la ville où Beethoven a composé tous ses chefs d’œuvre que le marathon s’est achevé.
Dans les jardins du palais du Belvédère, c’est l’autre orchestre de Vienne : l’Orchestre symphonique de Vienne qui jouait sous la baguette de la jeune cheffe américaine Karina Canellakis que nous avons déjà eu le bonheur d’avoir deux fois à l’Auditorium de Lyon, où elle a dirigé l’orchestre de notre ville.

<Symphonie n° 9 Opus 125 à Vienne – Orchestre Symphonique de Vienne – Karina Canellakis>

Symphonie n° 7 Opus 92 (1811 – 1812)

Cette symphonie qui a été désignée par Wagner comme « L’apothéose de la danse » a fait l’objet de l’interprétation la plus surprenante en raison du chef adulé par les uns et honni par les autres, le jeune chef gréco-russe : Teodor Currentzis.
Dans ses interviews et même dans son attitude avant le concert, comme pendant, il révèle une personnalité assez sure de ses talents. Pour ma part je dirai qu’il est souvent très passionnant à écouter même s’l peut être assez horripilant à regarder.
Le lieu du concert est somptueux, il s’agit du Théâtre Antique de Delphes
L’orchestre est celui qu’il a créé Musicaeterna.

<Symphonie n° 7 Opus 92 à Delphes – Musicaeterna – Teodor Currentzis>

Symphonie n° 5 Opus 67 (1807 – 1808)

Pour la célèbre cinquième symphonie, c’est la ville de Prague qui a été choisie. Ville de culture historique de l’empire austro hongrois.
On admire le centre de la ville tchèque, le concert a lieu sur la place de la Vieille-Ville de Prague.

<Symphonie n° 5 Opus 67 – Prague – Orchestre symphonique national tchèque – Steven Mercurio>

Symphonie n° 3 Opus 55 (1802 – 1804)

Le lieu de l’interprétation de l’Eroica l’autre symphonie célèbre est aussi très impressionnant.
Il s’agit d’une église d’Helsinki qui a été creusés dans la roche : l’église monolithique Temppeliaukio d’Helsinki, bâtie dans les années 1960.

<Symphonie n° 3 Opus 55 – Helsinki – Orchestre symphonique de la radio finlandaise – Nicholas Collon>

Symphonie n° 8 Opus 93 (1812)

Il fallait bien une ville de France. C’est celle qui abrite le parlement européen qui a été choisi : Strasbourg avec son orchestre.

<Symphonie n° 8 Opus 93 – Strasbourg – Orchestre philharmonique de Strasbourg. – Marko Letonja>

Symphonie n° 4 Opus 60 (1806)

Autre ville importante de l’Union européenne : Luxembourg est le théâtre choisie pour la 4ème symphonie.
En direct de la Philharmonie Luxembourg, l’orchestre local interprète cette symphonie. Une chorégraphie luxembourgeoise Sylvia Camarda a pris l’initiative avec 8 jeunes réfugiés de réaliser une scénographie dansée sur la musique.

<Symphonie n° 4 Opus 60 – Luxembourg – Orchestre philharmonique du Luxembourg – Gustavo Gimeno>

Symphonie n° 2 Opus 36 (1801 – 1802)

C’est à Dublin que se passe cet épisode.

<Symphonie n° 2 Opus 36 – Dublin – RTÉ National Symphony Orchestra – Jaime Martín>

Symphonie n° 6 Opus 68 (1807 – 1808)

Dans mon cheminement, je finirai par la symphonie appelée « Pastorale » jouée en Suisse italienne à Lugano, au milieu des cols alpins.

<Symphonie n° 6 Opus 68 – Orchestre de chambre suisse I Barocchisti – Diego Fasolis>

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Mercredi 5 mai 2021

«L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord.»
Napoléon Bonaparte

Napoléon est mort le samedi 5 mai 1821 à 17 h 49, dans sa résidence de Longwood sur l’île de Sainte-Hélène. Il était âgé de cinquante et un ans, huit mois, vingt jours.

C’était, il y a deux cents ans.

Il débarqua sur l’île de Sainte Hélène le 17 octobre 1815, il y vécut donc 5 ans et demi. Grâce à Google Maps nous pouvons situer facilement ce lieu. Nous pouvons aussi savoir, tout de suite, qu’il se trouve à plus de 7000 km de Paris et à 2000 km de la côte, si on prend comme ville pour accoster, Abidjan


Si je compte bien, Napoléon a donc pu bénéficier de sa retraite à 45 ans. Cela me semble appréciable.

Quand il mourut, il fut enterré à Sainte Hélène.

Un site entièrement dédié à <l’exil à Sainte Hélène> nous donne de nombreuses informations, permet d’acheter des livres et des objets, à prix non bradés, sur la boutique en ligne, annonce pour ce jour une retransmission des cérémonies pour célébrer les deux ans et présente beaucoup de photos.

Nous pouvons donc contempler le lieu calme, éloigné de la pollution parisienne, où le corps de Napoléon a été enterré. C’est bien sûr une photo récente


Nous savons qu’il ne restera pas là. En 1840, Louis Philippe et son premier ministre, Adolphe Thiers, il fut aussi dans ce coup-là, trouvèrent politiquement pertinent de demander l’autorisation aux anglais de rapatrier le corps à Paris et de l’installer sous le dôme des Invalides.

En 1840, le tombeau imaginé par l’architecte Louis Visconti, n’était pas prêt. On installa donc le cercueil dans un local annexe. Le corps du défunt ne fut réellement placé dans son tombeau que le 2 avril 1861. L’architecte Visconti était déjà mort depuis 8 ans.

Et puis, Louis Philippe avait été chassé du pouvoir en 1848. Entre temps, la deuxième république avait fait élire le premier président de la République française. Le choix fut pervers pour la République, les français, probablement mal influencé par « une suite de mensonges » éliront le neveu de Napoléon. Ce dernier, trouvant le poste de président de la république trop médiocre, fit un coup d’État pour créer le second empire et devenir empereur comme son oncle.

L’un comme l’autre de ces deux empires s’achevèrent par un désastre et une France défaite, humiliée et affaiblie.

Dans ma série sur la Commune le second désastre a été un peu décrit. Il a permis à Adolphe Thiers qui fut au pouvoir sous Louis Philippe et dans l’opposition sous le second Empire, de revenir à la tête du gouvernement.

Victor Hugo a désigné Napoléon III comme « Napoléon le petit », laissant percevoir que l’oncle était « Napoléon le grand ».

Et c’est le récit qu’on a fait dans nos livres d’Histoire, pendant longtemps.

C’est ce que j’ai appris dans les cours d’Histoire, on ne disait quasi rien de la commune mais on parlait de la gloire du général devenu premier consul puis empereur.

On glorifiait ses victoires militaires et on excusait ses défaites. Les victoires étaient le fruit de son génie, les défaites des concours de circonstances malheureuses.

<Le Monde> dans une vidéo dans laquelle je retiens surtout la fin : une France redevenue un territoire, très loin des rêves de l’empire, affirme que Napoléon a gagné 77 batailles sur un total de 86., ce qui ferait un taux de 90% de victoires.

C’est à faire pâlir d’envie Didier Deschamps qui selon les dernières statistiques se situe à un taux de victoire de 66% (73 victoires sur 111 rencontres.). Fort heureusement, la stratégie de Didier Deschamps n’a jamais provoqué de victimes, contrairement aux batailles de Napoléon.

Le chiffre des victimes fait l’objet de contestations, mais il fut énorme pour la population française de l’époque

Mais ces « 90% » de victoires n’empêchèrent pas le désastre. Il fit le contraire de ce que De Gaulle avait annoncé en juin 1940 : « Nous avons perdu une bataille, mais nous gagnerons la guerre », lui pouvait dire : « je gagnerai un grand nombre de batailles, mais je perdrai la guerre ».

Et puis il y a le coût de ces massacres, le budget nécessaire pour faire la guerre devint considérable.

<Les Echos> écrivent :

«  Les recettes totales de l’Etat passeront à 800 millions de francs en 1810 et à 1,3 milliard en 1814 contre 475 millions en 1789. […]. Pour financer ses guerres, dont le coût a été estimé à un peu plus de 700 millions par an entre 1806 et 1814, Napoléon recourt au tribut imposé aux pays vaincus. Au total, les dommages de guerre prélevés par l’Empire grâce à cette politique s’élèveront à 1,5 milliard de francs entre 1805 et 1814.  »

Ce tribut imposé aux autres pays, ajouté aux victimes subis par les autres pays va avoir des conséquences très négatives sur l’image de la France.

Je reviens à la façon dont on m’a appris l’Histoire dans l’école de la République. Napoléon fut un génie et un bon génie pour la France. S’il faisait la guerre à toute l’Europe c’est parce que tout le monde voulait attaquer la France. Le peuple qui voulait toujours la guerre fut la Prusse, puis l’Allemagne.

J’eus un choc quand un jour, un ami qui était d’origine allemande m’a emmené en Sarre discuter avec des jeunes allemands de notre âge sur cette question de la nation belliciste. Et leur vision était exactement le contraire du récit qu’on me racontait. Et s’ils ne m’ont pas immédiatement convaincu, ils ont ébranlé mes certitudes. Pour eux, c’était la France qui a toujours voulu guerroyer partout en Europe ; Napoléon 1er constituant le paroxysme de cette ambition.

Par la suite mes études de Droit puis d’Histoire m’ont fait comprendre que si les choses sont bien sur complexes, la vision des jeunes allemands était plus conforme à la réalité. J’ai notamment appris à connaître « Le discours à la nation allemande » de Fichte dans laquelle ce philosophe conquis d’abord par l’idéal de la révolution française a été profondément heurté par la violence et les exactions des armées napoléoniennes et a enjoint le peuple allemand à se renforcer pour ne plus avoir à subir le joug de ces français arrogants et guerroyeurs.

<France Culture> parle de cette évolution de Fichte et des autres philosophes allemands.

Napoléon fut aussi un assassin : il fit tuer le duc d’Enghien, il rétablit l’esclavage aboli par la Révolution son attitude à l’égard dHaiti et de Toussaint Louverture furent indignes, surtout de l’image de fils des Lumière qu’il voulait se donner.

<Jean-François Kahn> prétend même que ses victoires militaires sont à relativiser :

« Bonaparte au pont d’Arcole. L’image d’Épinal est imprimée dans les esprits. Sauf qu’elle ne correspond à aucune réalité. Tous les témoignages de ceux qui participèrent à l’événement, dont le général de Marmont, le confirment, et Barras, le protecteur du futur empereur, en fait foi dans ses Mémoires : en fait, le héros tomba dans l’eau et la tentative de franchissement du pont fut un échec.La bataille n’en fut pas moins gagnée au forceps par la suite.
Tout le monde vous dira que Wagram fut une grande victoire… En réalité, les 21 et 22 mai 1809, l’armée impériale, qui venait d’entrer à Vienne, attaqua l’armée autrichienne commandée par l’archiduc Charles et fut sévèrement battue à Essling. Ce n’est que le 4 juillet suivant que la Grande Armée, très nettement supérieure en nombre, reprit l’offensive et franchit le Danube mais, se heurtant à une tactique de défense imprévue (la formation en équerre), fut de nouveau mise en échec et dut décrocher. C’est le 6 juillet seulement que, à l’issue d’une troisième offensive précédée d’une formidable préparation de l’artillerie, les Autrichiens durent se replier sans que l’Empereur, trop mal en point, puisse les poursuivre. On est loin d’un triomphe. Quant à la victoire de la Moskova, ce fut en réalité, sous l’appellation de bataille de Borodino, une quasi-défaite.

Comme à Eylau. On pourrait multiplier les exemples. Sait-on, par exemple, qu’après la prise de Toulon Bonaparte, qui flirtait alors ostensiblement avec les sans-culottes  » enragés « , préconisa l’exécution en masse de tous les suspects en tant qu' » ennemis du peuple  » ? Sait-on que, parce que le général Kléber avait osé critiquer son  » abandon de poste  » en Egypte, le Premier consul, puis l’Empereur, refusa que son corps, entreposé au château d’If, bénéficie de la moindre sépulture ? Sait-on que le général miséricordieux, qu’une peinture apologétique montre en train de témoigner sa sollicitude aux  » pestiférés de Jaffa « , accumula en réalité les crimes de guerre et qu’il fit, à Jaffa précisément, exécuter près de 4 000 prisonniers turcs sans autre forme de procès ? Qu’au Caire même il en fit exécuter des centaines d’autres au sabre pour ne pas gaspiller la poudre ? Que sans cesse, dans ses lettres à ses frères et affidés qui opprimaient l’Europe en son nom, il conseille, pour éviter les révoltes, de raser les villages récalcitrants, de fusiller des otages, de terroriser les populations en écrasant dans le sang toute contestation ? Au point qu’aujourd’hui encore, en Espagne ou en Russie, on fait peur aux petits enfants en prononçant son nom. Sait-on qu’après l’attentat monarchiste de Cadoudal dirigé contre lui il fit exécuter une petite charrette de républicains, dont un peintre de talent, qui n’y étaient strictement pour rien, tout simplement parce que ça l’arrangeait ? »

Et Jean-François Kahn explique la raison de cette « vision améliorée de l’histoire » :

« Tout simplement parce que, génial anticipateur des techniques les plus modernes de propagande, c’est lui-même qui la rédigea. Et ce récit, écrit de sa main, bulletin après bulletin, ou inspiré à ses scribes fut par la suite récupéré et donc crédibilisé, non seulement par les bonapartistes, ce qui était normal, mais également par les orléanistes et les républicains dans leur lutte contre la monarchie légitimiste. »

Cet article raconte encore d’autres choses intéressantes. Mais c’est bien Napoléon qui donne l’explication. On raconte que ce fut après la défaite de Waterloo qu’il révéla cette vérité :

« L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord. »

Il y a beaucoup de mensonges dans cette histoire.

Je ne nie pas qu’il a créé un certain nombre d’institutions qui eurent un rôle dans la construction de la France.

Mais pendant trop longtemps son personnage fut honoré bien plus que cela n’était justifié. Et pendant que la France consacra toutes ses forces vives à faire la guerre à toute l’Europe, l’Angleterre consacra l’essentielle des siennes pour enclencher la révolution industrielle qui lui assura l’hégémonie mondiale pendant un siècle

La gloire des militaires et la sanctification de la guerre furent poussées à un degré extrême en France.

Savez-vous que <plus de la moitié> des 80 personnalités qui sont inhumées au Panthéon l’ont été pendant le premier Empire, quasi tous des militaires.

Et puis, sinon le plus grave, au moins le plus actuel !

Peut-on imaginer un régime aussi personnel et déséquilibré que la Vème République dans un pays qui n’aurait pas été perverti par le récit bonapartiste et de cette croyance irrationnelle et déraisonnable à la possibilité d’un homme providentiel ?


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