Mardi 6 octobre 2015

«La guerre en Syrie, depuis 3 ans, me rappelle la guerre en Espagne. Vous avez deux pays, la Russie et l’Iran qui savent qui est leur allié, qui savent qui est leur ennemi et qui ne connaissent aucune limite à leurs actions. Et en face, vous avez des pays occidentaux divisés et hésitants. C’est vraiment le parfum de la guerre d’Espagne.»
Dominique Moïsi, politologue et géopoliticien, conseiller de l’IFRI, ancien professeur à Harvard.

Les évènements en Syrie sont préoccupants.

Il y a même des prophètes de malheur qui pense possible que la 3ème guerre mondiale ait démarré avec l’intervention russe en Syrie et parallèlement des tensions de plus en plus fortes entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Certains, dont Poutine, comparent la situation en Syrie à la 2ème guerre mondiale : DAESH c’est Hitler et Assad c’est Staline. Pour gagner contre DAESH, il faut s’allier à Bachar el Assad.

Dans cette situation, l’intervention de Dominique Moïsi au club de la presse d’Europe 1 m‘a semblé la plus éclairante.

D’abord comme référence historique, lui s’appuie sur la guerre d’Espagne. Ce qui n’est pas non plus très rassurant puisque tout cela a très mal fini.

Mais dans la guerre d’Espagne il y avait aux prises un bloc militaire fasciste et des républicains divisés. Le bloc militaire fasciste a bénéficié d’un appui militaire sans faille des nazis allemands et des fascistes italiens.

Les pays occidentaux, ennemis des fascistes ont soutenu mollement les républicains, parce qu’ils se méfiaient des communistes qui y jouaient un rôle important.

L’issue a été favorable au camp le mieux soutenu.

Force est de constater que dans l’affaire syrienne, la Russie, comme l’Iran sont très clairs : ils sont les alliés de Bachar el Assad et leurs ennemis sont les ennemis de Bachar el Assad.

L’Occident a pour ennemi DAESH mais ne trouve pas d’allié acceptable sur le terrain.

Il était question tout au début d’aider les démocrates. Moïsi dit :

« En Syrie, trouver des démocrates dans les groupes rebelles est un grand mot. Mais il existe des rebelles qui ne sont proche ni de l’Etat islamique, ni d’Al Qaïda »

Obama et Poutine se sont d’abord affrontés puis rencontrés à l’ONU.

Le fait qu’ils se parlent est positif. Même si certains prétendent que Poutine a berné Obama.

Les discours à l’ONU des deux protagonistes a montré non seulement des divergences de fond qui se synthétisent essentiellement dans le rejet ou l’alliance avec le tyran syrien, mais ont surtout montré la différence de stratégie.

Obama a fait un beau discours, ferme sur les principes et expliquant, grosso modo, ce que la morale devrait nous pousser à faire.

Poutine a réagi en chef de guerre. Il n’a pas changé de position depuis le début, il est allié du pouvoir syrien qui était en place avant les évènements et c’est avec ce pouvoir qu’il faut négocier.

Il propose son aide bienveillante aux européens qui doivent faire face à la crise des réfugiés et aux occidentaux en général pour lutter contre le terrorisme.

Bref le premier manie le concept, le second a ce que le grand penseur de la guerre “Clausewitz”, considérait comme fondamental : un but de guerre clair et objectif : Aider Bachar El Assad à vaincre ses opposants et conserver ses positions stratégiques en Syrie.

Il faut dire que l’Occident a des alliés sunnites déconcertants et encombrants : L’Arabie Saoudite a pour premier ennemi l’Iran et les chiites. Elle a incontestablement soutenu tous les mouvements sunnites fondamentalistes partout dans le monde et même chez nous. Elle a un problème parce que Al Qaida d’abord puis DAESH ont totalement échappé à son contrôle. Quoique désormais il se rapproche du front Al Nosra qui est une créature d’Al Qaida pour essayer de contenir la progression de DAESH. Mais à la fin des fins, l’Arabie Saoudite aura toujours beaucoup de mal à combattre ces extrémistes sunnites si cela avait pour conséquence de donner la victoire aux chiites, par exemple à Assad.

La Turquie, notre allié, pièce maitresse de l’OTAN, est tout aussi ambigüe. Lors du siège de Kobané, il a empêché des Kurdes non syrien, d’aller combattre avec les kurdes syriens contre DAESH. Maintenant il bombarde en Syrie, mais pas les fiefs de DAESH mais les positions kurdes, car son principal ennemi est le PKK, le parti des Kurdes qui pourrait, selon les craintes d’Erdogan, faire sécession de la Turquie. Or, les kurdes sont quasi les seules troupes au sol qui se battent contre DAESH et qui constituent des interlocuteurs sérieux des Etats-Unis et des occidentaux.

En face les chiites et la Russie sont unis et ont une stratégie claire et univoque.

En outre Obama va vers la fin de son mandat, il est attentif à la trace qu’il laissera dans l’Histoire. Ses mandats ont été ceux de la stratégie inverse de GW Busch, à savoir, retirer les troupes américaines des bourbiers créés par son prédécesseur. La dernière chose que veut Obama c’est avoir des soldats combattants au sol. D’ailleurs, il semble qu’en privé il déclare que Poutine dans son intervention en Syrie est en train de commettre la même erreur que GW Busch.

Il faut dire que la dernière fois que la Russie qui était alors l’URSS a fait ce type d’intervention c’était en Afghanistan et que cela s’est très mal terminé pour elle.

Toujours est-il que si Poutine va peut-être devant de grandes difficultés, on ne comprend toujours pas comment les Etats-Unis, la France et ses alliés vont intervenir de manière opérationnelle, c’est à dire en étant en mesure d’influer sur les évènements.

Je finirai par ce propos clairvoyant rappelé par Moïsi :

Raymond Aron avait expliqué en son temps :

«Dans une guerre, vous choisissez votre ennemi, mais pas vos alliés.»

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