Lundi 15 avril 2024

« De temps en temps, il faut poser des gestes gratuits de bonté, c’est ce qui rend la vie supportable. »
Denys Arcand, dans son film « Testament », sorti en salles le 22 novembre 2023

Denys Arcand, cinéaste québécois, est à 82 ans, un des monuments du cinéma mondial.

Ma première rencontre avec son œuvre fut quand, avec Annie, nous avons vu « Jésus de Montréal » (1989) qui venait de recevoir le Prix du Jury de Cannes.
Mais ses films les plus connus et ayant eu le plus de succès furent certainement : « Le Déclin de l’empire américain » (1986) et « Les invasions barbares » (2003).

« Testament » est son dernier opus, peut être l’ultime si on veut donner un sens à ce titre.
Ce samedi, nous avons regardé ce film nostalgique et jubilatoire avec Annie.

Les deux héros de TestamentLe film montre un vieil homme, célibataire, probablement le double cinématographique de Denys Arcand, interprété par Rémy Girard. À 70 ans, Jean-Michel Bouchard (Rémy Girard) sent sa fin approcher. Dépassé par son époque et pensant souvent à la mort, il vit dans une résidence pour personnes âgées, gérée par Suzanne (Sophie Lorain), et travaille encore deux jours par semaine aux Archives nationales.

Jean-Michel et Suzanne vont assister à l’arrivée de jeunes manifestants qui vont camper devant la résidence et marteler leur slogan : « Respect pour les premières nations ». Ils dénoncent la présence dans la résidence d’une fresque murale, réalisée au XIXème siècle, montrant la rencontre entre Jacques Cartier et des autochtones du Canada.

Jacques Cartier (1491-1557) est décrit dans nos livres d’Histoire comme un navigateur et un explorateur français ayant découvert le Canada. Dans la compréhension d’aujourd’hui, c’est un colonialiste qui n’a rien découvert puisqu’il existait une population appelé « amérindienne » qui vivait déjà sur cette terre et que son rôle a consisté à soumettre cette population et préparer l’installation et l’exploitation de cette terre et de ses habitants par les européens.

Jean-Michel, grâce à un ami, va inviter une femme autochtone pour voir, avec son regard, la fresque. Elle va donner son sentiment et dialoguer avec le groupe de jeunes qui veulent la destruction de la fresque.
De cette rencontre, il apparaît que le groupe de jeunes ne compte aucun autochtone mais une vingtaine de vrais « wokes », ayant trouvé une nouvelle cause pour exercer leur censure.

Ce moment est très émouvant car si les jeunes stigmatisent la représentation des amérindiens parce qu’ils sont quasi nus, alors que selon les wokes ils auraient dû être représentés en « tenue d’apparat » accueillant des émissaires européens. La femme autochtone décrit une scène mettant en présence des hommes de l’âge de pierre devant des européens armés de fusils qui vont bientôt servir. Pour elle, ce tableau est l’annonce d’un génocide. Mais il ne semble pas qu’elle en demande la destruction, plutôt une explication. Ainsi, quand elle interpelle les deux occidentaux qui l’accompagnent par cette question : « Vous n’avez jamais vu cette fresque sous cet angle ? », ils acquiescent.

Il ne s’agit pas de rejeter l’intégralité des sources du woke, mais d’en saisir les excès, les anachronismes et parfois la bêtise.
C’est ce que fait Denys Arcand dans ce beau film, drôle, sarcastique, tendre parfois.
Comme cette réplique, dont j’ai fait l’exergue de ce mot du jour, que pose Jean-Michel Bouchard à la fille de Suzanne qui a quitté sa mère brutalement et ne veut plus la revoir.

Car l’affaire de la fresque, n’est pas le seul sujet du film. Il montre aussi le fonctionnement toxique de la télévision et de la radio, qui dramatisent vite et exagérément l’événement. Il s’attaque ensuite au monde politique, qui gouverne en fonction des apparences et qui carbure à l’indignation populaire.
Enfin, l’autre grand sujet de cette comédie satirique est la solitude, celle des vieux en particulier, mais avec des moments d’échange et d’humanité pleins de grâce.

Cependant le sujet de ce mot du jour, n’est pas que mon avis sur ce film.

J’ai voulu connaître les réactions des médias français sur ce film. Et j’ai été frappé par une scission entre deux camps.

« Le Figaro » sous la plume d’Eric Neuhoff est enthousiaste :

« à 82 ans, denys arcand n’a pas l’âge de ses artères. mais avec testament, il a la dent dure. l’époque le désole. il choisit de s’en moquer. le programme est infini. c’est le monde à l’envers. l’inculture le dispute à la bêtise, qu’accompagne souvent l’arrogance […] l’enfer se pare de slogans bien intentionnés. […] ce courant d’air salubre fait un bien fou. contre le politiquement correct, la méthode Arcand est la meilleure. cela se passe au Québec, c’est-à-dire partout. on attend l’équivalent chez nous. il n’est pas interdit de rêver. »

Le magazine de cinéma « Première » est aussi élogieux :

« Denys Arcand […] signe une savoureuse comédie sur la cancel culture qui insiste précisément sur le décalage entre générations. […] si la situation entraîne imbroglios politiques et désaccords existentiels, le film a la judicieuse idée de privilégier l’humour et même d’oser la comédie sentimentale. au final, Arcand se questionne avec une bonne dose d’ironie et de tendresse sur son propre statut de ringard présumé. »

Le journal régional de tours : « La Nouvelle République » nous donne des informations sur l’origine de ce film :

« C’est un événement qui s’est déroulé dans un grand musée de new-york qui m’a donné l’idée du film » raconte Denys Arcand. « sur une grande fresque murale, on voyait la rencontre d’indiens de l’île de Manhattan avec un explorateur hollandais. »
un jour, « un groupe a exigé sa destruction en prétextant que cette toile constituait une insulte aux premiers arrivants. les responsables du musée ont alors placé une vitre devant l’immense tableau et, par quelques notes écrites, ont indiqué : “ il est impossible que cette réunion ait eu lieu en pareilles circonstances ” ou “ les indiens que vous voyez ne sont pas exactement habillés comme ils le devraient ”. ça a satisfait tout le monde et cette vitrine – explicative, en quelque sorte – est encore là, aujourd’hui. cet événement a excité mon imagination. pourquoi ne pas concevoir, dans la chapelle sixtine, de petites notes qui préciseraient : « dieu le père est ici représenté comme un homme blanc, vieux et probablement hétérosexuel, mais libre à vous d’imaginer, à sa place, une femme noire, jeune et enceinte ».

La Nouvelle République se situe aussi dans le camp favorable au film :

« C’est une chronique drôle et grinçante sur la « bien-pensance ».
avec testament, le cinéaste québécois Denys Arcand s’amuse à régler des comptes avec les excès d’une époque où réactions épidermiques et parfois irréfléchies ont remplacé analyse et temps de réflexion.
[…] testament est avant tout un film où on sourit. […] peinture réaliste des excès de certains justes combats, testament choisit l’optimisme. »

Le quotidien catholique « La Croix » considère que le film « distille un charme qui doit beaucoup à l’interprétation fluide de Rémy Girard et à une photographie élégante ». le journal trouve le « dénouement lumineux » et juge qu’il « confirme rétrospectivement le soupçon que la satire visait aussi cette génération de seniors indifférente au devenir des plus jeunes. le testament du cinéaste de 82 ans se trouve-t-il dans cet ultime message d’espoir ? »

« Le Point » porte aussi un regard positif sur ce film

« Dans son quinzième film, le cinéaste québécois observe avec humour, et sans ménagement, un monde qui brûle des livres et réécrit des œuvres. »

Et il donne la parole au cinéaste :

« Je crois que ce sont des mouvements qui ressemblent en grande partie à une forme de renaissance religieuse chez un peuple dissident et fondamentalement croyant […]. ces mouvements ne sont pas politiques, n’abordent pas les questions sociales, la condition de vie des gens les plus démunis. Ils sont puritains, prônent la recherche de la rectitude morale, la primauté du genre, de l’origine ethnique et veulent accorder l’histoire à leurs principes. C’est un peu comme le temps de la prohibition où l’alcool fut interdit pour ne pas conduire à la débauche et améliorer l’être humain. pour moi, c’est un des multiples avatars du rêve américain.
[…] difficile de savoir si ces excès, devenus quotidiens, vont durer ou sont passagers […] qu’en pensera-t-on dans vingt ans ? On se dira peut-être : quelle folie cette culture de l’annulation, exactement comme nous paraît aujourd’hui absurde le fanatisme des maoïstes dans les années 1970. Quand je pense à la fascination du Petit Livre Rouge de Mao sur les intellectuels de l’époque : quinze ans après, la réalité prouvait qu’il était un tyran sanguinaire, responsable de millions de morts […] on ne peut jamais rien prévoir : c’est ma vieille formation d’historien qui me fait penser cela. on a déjà commencé à brûler des livres, à réécrire des œuvres. pour l’instant, on s’en prend à Ian Fleming et à Agatha Christie. pourquoi pas Shakespeare très bientôt ? à moins d’un sursaut, on assiste à la fin de l’universalisme. »

Le magazine de la gauche culturelle « Télérama » est plus en nuance. si le journal juge le film « inégal », il a été touché par la mise en scène de ce débat entre la « cancel culture » et la « mémoire nécessaire ». pour l’hebdomadaire, « c’est dans ce nœud gordien que s’infiltre l’intelligence de testament. un film sur l’automne de la vie d’un homme sardonique, qui cherche à ne pas mourir trop vieux ni de cœur ni d’esprit. »

Mais les « vrais médias de gauche » ont massacré le film. En premier lieu « Le Monde »

« Le cinéaste Denys Arcand sombre dans l’antiwokisme. sans finesse, le réalisateur québécois dissèque l’affaissement moral supposé de son pays en mettant les femmes et la jeunesse en première ligne.
[…] le cinéaste ne se montre jamais à la hauteur des débats qu’il soulève, la profondeur analytique de ses saillies pouvant se résumer à un désespéré « tout fout le camp ! » et « on ne peut plus rien dire », tandis que femmes et jeunesse sont filmées comme des monstres irrationnels. en faisant du wokisme l’explication de tous les maux de son pays, Arcand oublie, au passage, de faire le méticuleux décompte de ses privilèges, et notamment celui-ci : il a une heure cinquante-cinq pour raconter n’importe quoi sans être interrompu. en somme, le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les « boomers ».»

Ce texte peu aimable est de Murielle Joudet qui va jusqu’à oser cette comparaison disqualifiante, pour elle : « Denys Arcand rejoignant là Eric Zemmour en faisant des femmes – et d’une supposée « féminisation de la société » – les agents d’un affaissement intellectuel. ».


Jérôme Garcin
n’est pas plus aimable dans « Le Nouvel Obs ». Dans le titre il utilise les termes « vieillot et poussiéreux » et il ajoute :

« C’est un film de vieux, que notre époque insupporte et que le politiquement correct exaspère. [..] il n’est pas le seul à dénoncer les excès du nouvel ordre moral, mais il le fait ici avec une délicatesse d’éléphant blessé, échappé du cirque. le pamphlet n’est pas seulement un genre, c’est aussi un art. son film à sketches, où il beurre épais à chaque plan, n’en est pas. »

Avec ses acolytes de l’émission « Le masque et la plume » de France Inter, ils récidivent dans un jugement très défavorable.

Le journal « Libération » pratique la cancel culture : il ne parle pas de ce film !

Il faut aller sur « France 5 » pour entendre les éloges de Pierre Lescure et de Patrick Cohen avec en outre une interview du cinéaste.
Quand Patrick Cohen dit à la fin de la chronique que c’est le film le plus drôle qu’il ait vu depuis la rentrée, Anne Elisabeth Lemoine réplique :

« Cela fait peut être de vous un vieux con ? ».

Peut être faut-il savoir être un vieux con pour dénoncer les excès et les effets de mode et de troupeau qui mènent vers le néant.

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Vendredi 10 décembre 2021

« C’était une situation effrayante tendue et triste. »
Anna von Hausswolff

Il a suffi de quelques dizaines de catholiques intégristes pour bloquer, mardi soir, l’accès de l’église « Notre-Dame-de-Bon-Port » à Nantes pour que le concert soit annulé.

Le concert était celui d’une artiste suédoise : Anna von Hausswolff

Son patronyme allemand signifie « le loup de la maison », les intégristes lui reprochaient de tenir des propos « satanistes ». Dans un morceau évoquant la drogue, Anna von Hausswolff chante avoir « fait l’amour avec le diable ». Probablement que ces esprits simples et théo-centrés ne savent pas ce qu’est une métaphore.

<Libération> présente ainsi cette chanteuse :

« Sombre, mais lumineuse. L’argutie […] vaut absolument pour la musique d’Anna von Hausswolff, artiste née dans le rock, à la voix puissante et timbrée, proche de celles de Kate Bush, Grace Slick ou PJ Harvey, au toucher unique sur les grandes orgues, son instrument fétiche, et qu’adorent autant les amateurs de sucreries pop suédoises que les fous de musique sombre voire de metal extrême. […]

Adepte des formes à rallonge, indescriptibles avec les vieux mots du rock, Anna von Hausswolff a développé son œuvre indifféremment dans le cadre traditionnel de la chanson à texte, inspirée par ses lectures, la nature, les lieux hantés par l’occulte et le vieux monde finissant, et celui d’une musique liturgique inventée, enracinée nulle part ailleurs que dans son imaginaire, lieu de musique inattendu, et merveilleux, où méditer et se ressourcer. Le plus naturellement du monde, elle a aussi doublé sa quête sonore d’une quête spirituelle qui n’appartient qu’à elle, écumant les églises les plus reculées pour y expérimenter avec les instruments les plus rares[…]

« Ma musique est faite pour les églises et mon instrument principal est l’orgue. », nous expliquait-elle, sonnée, au lendemain de l’annulation de son récital à Notre-Dame-de-Bon-Port, la première de sa carrière, quand elle joue dans des lieux de culte depuis plus de dix ans.

« Je respecte leurs traditions et toutes les cérémonies qui s’y déroulent. Nous avons toujours travaillé en bonne entente, jamais l’un contre l’autre. Ça s’est toujours bien passé, chaque partie satisfaite, avec beaucoup d’amour et de respect. Grâce à ma musique, tout un public vient à l’église alors qu’il n’y viendrait pas autrement, ce que les prêtres et les évêques reconnaissent volontiers. Dire que ma musique est blasphématoire est non seulement faux, mais blessant.»

Aussi une aberration, pour qui s’est déjà perdu dans ses chansons pleines d’ombres, certes, mais surtout remplies de grâce, de doute et d’humanité. »

Je ne connaissais pas cette artiste. J’ai écouté certaines de ses productions qu’on trouve sur Internet. Pour ce que j’en ai entendu, ce n’est pas une musique qui me fait vibrer pour l’instant.

Mais mon appréciation de cette musique n’a aucune importance. Ce qui est important c’est qu’un groupe d’exaltés l’a empêché, sans aucune raison sérieuse, de chanter. Les autorités ecclésiastiques avaient donné leur accord.

Dans « TELERAMA » : <Vade retro, satanas ! À Nantes, des catholiques intégristes bloquent un concert>, la journaliste Elise Racque rapporte :

« Cette poignée de catholiques a bloqué les entrées du lieu de culte en chantant des prières pour empêcher l’artiste suédoise Anna von Hausswolff de s’y produire […]. « C’était une situation effrayante, tendue et triste », a-t-elle dit sur son compte Instagram.
[…] Les fidèles ayant réussi à faire annuler le concert sont issus vraisemblablement de la communauté traditionaliste de Nantes, qui a ses habitudes latines à l’église Saint-Clément, où devait originellement se tenir l’événement. Face aux protestations des paroissiens, le diocèse de Nantes avait publié un communiqué dans la journée de mardi, actant le déplacement du concert dans une autre église, tout en soulignant que « rien », dans la programmation, ne s’opposait « à la foi et aux mœurs ». Et remarquant au passage que les chansons de l’artiste « entre lumière et ténèbres, manifestent une quête existentielle – comme l’expriment à leur manière les psaumes dans la Bible ». »

L’artiste suédoise devait jouer jeudi soir dans l’église Saint Eustache dans le quartier des Halles, à Paris. Ce concert a aussi été annulé. Le curé de cette paroisse a prise cette décision après avoir été informé que ce concert agitait sur Internet des réseaux catholiques intégristes.

Le journal de Nantes « OUEST France » a bien sûr relaté cet acte de censure et d’atteinte à la liberté : <À Nantes, des catholiques intégristes empêchent la tenue d’un concert> :

« Ils étaient nombreux à s’être déplacés pour venir écouter Anna Von Hausswolf. Parfois de loin, comme Benjamin et Anaïs, venus de Rennes. « Ce qu’il s’est passé ce soir est hallucinant », réagit le couple, curieux « d’entendre cette femme qu’on ne connaît pas. Ça nous semblait sympa d’entendre de la musique jouée avec des instruments originaux, comme l’orgue. »
Mais ce mardi soir 7 décembre, le public n’a pas pu entrer dans l’église Notre-Dame-de-Bon-Port, à Nantes. Ils en ont été empêchés par des catholiques, qualifiés d’intégristes par des élus nantais et certains religieux. Ces derniers étaient bien décidés à entraver la tenue du concert de l’artiste suédoise dont la tournée européenne faisait étape à Nantes. « Elle s’est déjà produite dans une quarantaine d’églises ou cathédrales et il n’y a jamais eu de problème », soupire Eli Commins, directeur du Lieu unique, [organisateur du concert].
La foule a bien tenté de pénétrer dans le lieu de culte en forçant le passage. « Mais c’était impossible, c’était cadenassé », racontent des spectateurs.[…] On a compris qu’ils ne voulaient pas de la tenue d’un concert dans une église. Et il y a une grosse incompréhension, parce qu’ils pensent que cette artiste crée de la musique sataniste, ésotérique », prolongent des participants, dont la tenue n’évoque pas du tout les habituels vêtements des amateurs de ce genre artistique.
Eli Commins s’étrangle : « Il n’y a aucune inspiration religieuse, aucune violence ! Simplement, elle joue de l’orgue et les orgues se trouvent dans les églises. C’est une musique d’influence post-métal. Il n’y avait même pas de paroles dans la représentation prévue. » Certaines pochettes d’album auraient blessé ses détracteurs. »

« LIBERATION » a fait de cette annulation sa Une du 8 décembre, jour de la fête des lumières à Lyon. Lumières qui devraient être en capacité de chasser les ténèbres et l’obscurantisme.

Ce journal explique :

« Bref, un vent mauvais souffle sur le pays des Lumières et si Libé y consacre sa une, c’est parce que, plus encore que d’habitude, il va falloir être vigilant. Les mois à venir jusqu’à la présidentielle s’annoncent à haut risque, une frange significative de la droite et de l’extrême droite se montrant réceptive aux revendications identitaires des chrétiens traditionalistes. Qu’une poignée d’intégristes puisse provoquer l’annulation de deux concerts à Nantes et Paris est source d’inquiétude. Et crée un précédent dangereux. »

Libé décrit cette mouvance polymorphe qui aime la messe en latin, est en désaccord total avec le pape actuel. Car François, en juillet, a ouvert les hostilités, en publiant, un motu proprio (un décret personnel) pour limiter drastiquement l’usage de la messe en latin.

Le journal rappelle que le noyau de ce mouvement se trouve dans les catholiques qui ont suivi, en 1988, Mgr Marcel Lefebvre dans son schisme avec Rome. Défenseur de la messe en latin, le prélat français rejetait également en bloc les réformes du concile Vatican II. La « cathédrale » des intégristes est l’église parisienne Saint-Nicolas-du-Chardonnet, conquise, en 1977, par un véritable coup de force. Malgré des décisions de justice, « la Fraternité Saint-Pie-X n’a jamais été délogée. »

Selon Libé, en France, la galaxie tradi compte à peine quelques dizaines de milliers de personnes. Selon les derniers chiffres disponibles, il y aurait entre 50 000 et 70 000 fidèles qui se rendraient, chaque dimanche, dans des lieux de culte liés à la mouvance traditionaliste ou intégriste.

C’est un temps mauvais, en effet, quand les intégristes de tous bords essayent d’imposer leurs archaïsmes et leurs régressions.

Toutes les religions en génèrent en leur sein et sur certains combats contre les libertés : l’avortement, l’orientation sexuelle, de ne pas croire, la culture, ils deviennent des alliés objectifs, s’encourageant les uns les autres.

La liberté religieuse est essentielle, mais je crois profondément que nous avons globalement été trop faible avec les intégristes de toutes les religions.

Sur cette page de <France Inter> on apprend finalement que l’organisateur du concert de Paris a trouvé une autre église, non catholique, précise t’il, dans laquelle le concert pourra avoir lieu.

Sur la même page, il y a aussi une vidéo montrant la musique qu’interprète Anna von Hausswolff.

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Jeudi 10 juin 2021

« Il en a vu, ce vieux théâtre »
Gilbert Laffaille

Les salles de spectacles se remplissent peu à peu, les jauges augmentent. Le couvre-feu est désormais à 23 heures

Et la période des abonnements pour la saison 2021-2022 a débuté.

Être et vivre ensemble, partager l’émotion artistique redevient possible.

L’émission de France Culture « La concordance des temps » du 5 juin 2021 était consacrée au théâtre : <Le théâtre, toujours en crise ? >

Emission très intéressante dans laquelle Jean-Noël Jeanneney recevait Pascale Goetschel, professeure à la Sorbonne, qui vient de publier le livre « Une autre histoire du théâtre : discours de crise et pratiques spectaculaires. France XVIIIe-XXIe siècle »  CNRS éditions, 2021.

Pascale Goetschel a consacré plusieurs ouvrages au théâtre, la page de l’émission les cite :

  • « Renouveau et décentralisation du théâtre », PUF, 2004.
  • « Au théâtre ! La sortie au spectacle XIXe-XXIe siècles », avec Jean-Claude Yon Publications de La Sorbonne, 2014.
  • « Directeurs de théâtre XIXe-XXe siècle. Histoire d’une profession », avec Jean-Claude Yon Publications de la Sorbonne, 2008.

Il s’agit d’Histoire, de sociologie du théâtre. On sort de l’émission plus cultivé.

Par rapport à la question posée par l’émission, Jean-Noël Jeanneney cite Jean Vilar le créateur du Festival d’Avignon et directeur du TNP de Villeurbanne de 1951 à 1963 :

« Tant que le théâtre est en crise, il se porte bien »

Je n’en dirai pas davantage sur l’émission que vous pouvez écouter derrière ce lien : <Le théâtre, toujours en crise ? >

Au début de l’émission, Jean Noël Jeanneney a diffusé une chanson de Gilbert Lafaille, chanteur français né en 1948 que je ne connaissais pas.

J’ai beaucoup aimé cette chanson que je partage aujourd’hui. En voici les paroles :

« Le vieux théâtre
Gilbert Laffaille

Il en a vu, ce vieux théâtre avec ses vieux fauteuils qui grincent
Il en a vu, ce vieux théâtre, des maharadjahs, des rois, des princes
Il en a vu des comédies, des tragédies, des quiproquos
Des amoureux de Goldoni et des valets de Marivaux

Il en a vu de toutes les sortes, des misanthropes et des avares
Les maris qui claquaient la porte et des amants dans des placards
Des Matamore au cœur qui flanche lorsque le rideau est tombé
Des Don Juan qui brûlaient les planches et ont du mal à s’en aller

Il en a vu des Sganarelle, des Figaro, des Chérubins
Des grands adieux, des faux rappels et des fourberies de Scapin
Il en a vu de drôles de drames, il en a vu passer des noms
Des tout petits sur le programme et des très gros sur le fronton

Il en a vu, ce vieux théâtre, dans son velours et ses dorures
Il en a vu, ce vieux théâtre, des cheveux mauves et des fourrures
Des oiseaux noirs aux yeux étranges, des philosophes et des marquises
Des sans-le-sou qui donnent le change et des banquiers qui se déguisent

Il en a vu des Sganarelle, des Figaro, des Chérubins
Des grands adieux, des faux rappels et des fourberies de Scapin
Il en a vu des regards tristes, de la corbeille au poulailler
Des moues blasées de journalistes et des sourires émerveillés

Il en a vu des Cyrano aller se battre sans armure
Et recevoir tant de bravos qu’ils en ont fait craquer ses murs
Mais c’est peut-être le fantôme qui fait grincer le bois des plinthes
Quand il revient de son royaume pour jouer devant la salle éteinte. »

Et voici un lien vers une interprétation audio : <Le vieux théâtre>

Théâtre des Célestins à Lyon

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Jeudi 15 avril 2021

«Deux jours avant l’entrée des Versaillais dans Paris, la Commune avait consacré deux heures de son temps à parler de la culture ! »
Jean-Louis Robert

Il faut bien finir une série de mots du jour. Il y aurait encore tant à apprendre, à comprendre, à dire et à écrire.

La commune reste un mythe pour toutes celles et ceux qui se revendiquent de l’anarchisme.

Mais elle fut surtout vampirisée par les marxistes et les bolcheviques, pour son grand malheur. Car on oubliait alors la soif de liberté qu’elle avait fait naitre et aussi la volonté de contrôler les gouvernants.

Car dans le régime du Parti unique, il ne pouvait être question de mettre en cause les dirigeants.

Marx et Lénine ont beaucoup réfléchi sur le destin de la Commune et ont imaginé un parti totalitaire qui dirigeait de manière autoritaire la révolution ne reculant devant aucune violence contre ses ennemis ou simplement celles et ceux qu’il avait désigné sous ce nom.

On raconte qu’au 73ème jour de pouvoir, Lénine se serait mis à danser sur la glace pour célébrer le fait que le gouvernement des soviets ait dépassé la longévité de la Commune de Paris.

Entre 1905 et 1920, Lénine consacre vingt-cinq textes à la Commune de Paris.

<Cette page> essaie de décrire succinctement l’analyse et les leçons que les bolcheviques ont voulu tirer de La Commune.

Et <ICI> vous lirez directement le texte que Lénine a écrit pour les quarante ans de La Commune.

Il a simplement oublié l’esprit de liberté qui régnait lors de cette insurrection

Pour parler encore de La Commune, je préfère revenir sur ce formidable film qu’a réalisé pour ARTE, Raphael Meyssan après avoir écrit 3 volumes de BD : «Les Damnés de la Commune »

Dans <Cette vidéo> il raconte son aventure qui lui a pris 10 ans.

Et il raconte comment tout cela a commencé.

Il ne connaissait pas grand-chose à ce moment de l’Histoire de France.

Mais il a découvert qu’un communard, Lavalette, avait vécu dans son immeuble de Belleville, au 6 rue Lesage. Ce fut le départ d’une quête pour essayer de comprendre qui était cet homme.

Il va se plonger dans les archives municipales, celles de la police, dans le Maitron déjà cité.

Et lors de cette recherche, il va croiser une seconde personne qui est Victorine Brocher, une communarde qui a écrit un livre qui raconte son aventure pendant la commune.

Et c’est Victorine dont la voix est jouée par Yolande Moreau qui va tracer le fil de l’histoire que Meyssan va raconter dans son film.

Le livre que Victorine Brocher écrit s’appelle « Souvenirs d’une morte vivante » et a été republié par les Editions Libertalia.

Le livre parait d’abord à Lausanne et à Paris. Victorine Brocher souhaitant rester anonyme signe avec son prénom suivi de l’initiale du nom de son mari.

Raphaël Meyssan a été invité dans l’émission <Le Cours de l’Histoire> de Xavier Mauduit du 19 mars 2021.

Et quand Xaver Mauduit (à environ 19 :15 de l’émission) l’interroge sur l’émotion qui se dégage de la narration de ses livres et de son film, il répond.

« L’émotion !

La commune c’est une grande aventure humaine.
C’est une grande aventure populaire.
Ce ne sont pas des idéaux, ce n’est pas un programme politique.
Cela vient bien après. Cela se construit après.

C’est d’abord des hommes et des femmes qui vivent un grand moment collectif, une grande histoire ensemble.

C’est cela que j’avais envie de raconter. »

Pour finir une série, il me faut non seulement un sujet mais aussi un exergue. « La Commune c’est une grande aventure humaine » aurait pu être celui-ci.

Mais dans cette émission, il y avait aussi deux autres invités qui étaient historiens.

Le premier, Michel Cordillot que j’ai déjà cité lors du mot du jour du <26 mars 2021> et qui a été coordinateur d’un ouvrage synthétique sur la Commune paru en janvier : « La commune de Paris 1871 »

Et un autre Jean-Louis Robert que je n’ai pas encore cité et qui a écrit un des articles de la Revue « l’Histoire » consacrée à la Commune : « Les artistes s’engagent : La culture pour tous ! »

Dans cet article il décrit l’importance de la culture et de l’éducation dans ce que la Commune a voulu mettre en place :

« Les communards ont pris la culture très au sérieux. Ils encouragent la création […]
La participation des artistes à la Commune de Paris se mesure par de nombreux indices. Au sein du gouvernement, ils sont exceptionnellement nombreux : 9 (en comptant les « artistes industriels », peintres sur porcelaine, sculpteurs funéraires…) sur 81 élus qui siègent à l’Hôtel de Ville. Aucune Chambre ne retrouvera un tel pourcentage d’artistes – ni à vrai dire un pourcentage d’ouvriers aussi élevé – que celui de l’Assemblée communale en 1871. »

Gustave Courbet joua un rôle de premier plan dans cette ambition culturelle qui entend donner aux artistes une totale liberté de création. Parce que Courbet et ses amis :

« se souvenait des censures impériales au temps des Salons. En 1863 le refus de 3 000 œuvres, dont Le Déjeuner sur l’herbe de Manet, avait conduit à l’ouverture du célèbre Salon des refusés. Il s’agit aussi de confier aux artistes et aux artistes seuls la direction des Beaux-Arts, par le biais d’une Fédération qui gérerait musées, expositions, éducation artistique, etc. »

Et il raconte alors cet épisode qui se passe le 19 mai, alors que les versaillais sont aux portes de la ville et vont entrer dans Paris le 21 :

« C’est là que se révèle la complexité de ce que fut la Commune. Elle n’était pas seulement libertaire, elle était aussi un gouvernement qui légiférait – pour Paris – et entendait que ses décrets soient exécutés. Toute l’action des artistes était sous le contrôle du délégué à l’Enseignement de la Commune, Édouard Vaillant, qui n’était assurément pas un anarchiste, mais un socialiste révolutionnaire, parfois proche du blanquisme. C’est lui qui devait valider les nominations des conservateurs de musée par la Fédération, lui qui devait valider les propositions financières de la Commission. Et c’est lui qui proposa à la Commune, qui le vota le 19 mai, un décret révolutionnaire socialisant les théâtres privés pour les donner en gestion aux associations d’artistes plasticiens. Le décret indiquait que les théâtres relevaient de la délégation à l’Enseignement, et non plus de la police comme avant. Vaillant déclare que « les théâtres doivent être considérés surtout comme un grand établissement d’instruction ; et, dans une république, ils ne doivent être que cela ». Toutefois, après une longue discussion, les membres de la Commune s’entendirent pour que ce ne soit pas l’État qui dirige les théâtres. Ils devaient conserver toute leur liberté. Deux jours avant l’entrée des Versaillais dans Paris, la Commune avait consacré deux heures de son temps à parler de la culture ! »

J’ai trouvé ce fait sublime. Dans les temps de pandémie que nous vivons on s’interroge sur ce qui est essentiel.

Les communards classaient la Culture dans l’essentiel. Ils savaient bien qu’ils n’arriveraient pas à résister bien longtemps à l’armée supérieure en nombre, en organisation et en armes qui fondaient sur eux. Mais ils ont tenu, quand même, à parler et à légiférer sur la Culture.

Et je cite intégralement la fin de l’article de Jean-Louis Robert :

« Un fait en particulier en dit long sur le souci de démocratisation de la culture par la Commune. Le 18 mai, Édouard Vaillant admonesta un peu vivement l’administrateur du Muséum national d’Histoire naturelle qui venait de rouvrir ses collections à un public limité à des porteurs de carte ou d’autorisation. C’était, écrivit Vaillant, agir comme en plein régime monarchique, c’était faire « de la visite des collections un privilège. Sous le régime communal, toute galerie, bibliothèque, collection doit être ouverte largement au public ».
Dans le domaine du spectacle, il était plus facile d’agir. Des grands concerts furent organisés aux Tuileries. Certains étaient en libre accès, d’autres étaient payants pour contribuer à la solidarité aux familles des gardes nationaux tués au combat. Le public était très divers. On y associait la chansonnette populaire, la poésie, les airs d’opéra, la chanson militante et patriotique. Ce furent de grands moments de réappropriation culturelle par le peuple. Sur les murs de la salle du trône on pouvait lire « Peuple ! L’or qui ruisselle sur ces murs, c’est ta sueur ! Tu rentres en possession de ton bien ; ici, tu es chez toi. » Le peuple écoutait ainsi la comédienne du Théâtre Français, Mme Agar, dire des vers et la grande chanteuse populaire Rosa Bordas, chanter La Canaille.
Sur les murs de l’École des beaux-arts le passant pouvait lire, écrit en grandes lettres de charbon : « Nous serons tous fusillés, mais nous nous en foutons ! » Certains artistes communards payèrent cher leur participation, à l’instar de Courbet qui fut non seulement emprisonné, mais aussi condamné à payer la restauration de la colonne Vendôme, parce qu’il avait souhaité sa démolition au profit d’une colonne de la paix. Une punition qui allait le contraindre à une vie très difficile.
Le cas du musicien Francisco Salvador-Daniel, ce spécialiste de la musique arabe et compositeur de mélodies mauresques encore chantées de nos jours par les plus grandes artistes arabes, nommé directeur du Conservatoire par la Commune, est moins connu. Il fut fusillé dans la rue le 24 mai. »

La Commune fut une grande aventure humaine. Certes, ils étaient divisés mais ils poursuivaient de belles aspirations. La liberté de la création et l’importance de la Culture constituent une des plus nobles.

<1554>

Jeudi 31 décembre 2020

« Viens voir les comédiens, voir les musiciens, voir les magiciens qui arrivent »
Charles Aznavour

L’année Beethoven a été plus que perturbée par la fermeture des salles de concerts.

L’année 2020 a été, bien sûr, marquée par la pandémie mais surtout par les immenses sacrifices qui ont été demandées au monde de la culture.

Jacques Attali critique le sort qui a été réservé à la culture par rapport aux lieux de consommation et aux lieux de culte. Il dit une chose qui me parait très juste : « Le virus nous empêche d’être ensemble » :

« Par définition, la culture, c’est essentiellement être ensemble. C’est le bien essentiel premier de nos cultures. C’est pour ça que je préfère parler d’économie de la vie. Les secteurs de l’économie de la vie sont la santé, l’éducation, la culture, la recherche, l’énergie propre ou le logement durable… »

Et puis il revient sur l’utilisation de cette dichotomie maladroite de l’essentiel et du non essentiel. Non que cette distinction n’ait pas de sens, mais le problème est de classer la culture, ce qui distingue homo sapiens des autres espèces, dans la catégorie non essentiel :

« Qu’est-ce qui n’est pas essentiel ? C’est ce qui n’est pas nécessaire pour vivre. Il y a des choses qui ne sont pas nécessaires pour vivre, mais on ne peut pas ranger la culture dans les biens qui ne sont pas nécessaires pour vivre. Ou alors, on fait l’apologie de l’analphabétisme, de la barbarie. C’est absurde !»

Et puis il constate, alors que nous entendons si souvent la valeur de la laïcité mis en avant par nos gouvernants que :

« C’est aussi paradoxal qu’au moment où on parle de l’importance de la laïcité, on fasse le choix de privilégier les fêtes d’une religion sur les fêtes laïques [Noël par rapport au 31 décembre] et qu’on préfère ouvrir les lieux de culte plutôt que les lieux culturels. ».

Et pour lui, il n’y a qu’une solution c’est d’être équitable, dans le fardeau à porter, entre tous les acteurs de la société :

« Ce qui pose problème, c’est être ensemble. C’est ça qui pose problème aux virus et on peut le comprendre. Mais alors, il faut interdire “l’être ensemble” provisoirement, d’une façon équitable. Il ne faut pas permettre l’être ensemble, commercial ou religieux et interdire tout “être ensemble” culturel. Ça n’a pas de sens. Il faut que ça soit équitablement limité. »

Le sociologue Jean Viard est plus compréhensif par rapport aux décisions prises :

« On a trois motifs de déplacement : le travail, l’éducation et les plaisirs. On a tout fait pour restreindre les plaisirs, pour essayer de lutter contre le virus. Chaque décision prise, en elle-même, est totalement absurde. On peut très bien aller au théâtre, les salles ont mis en place des règles de sécurité. On aurait pu faire un réveillon du nouvel an extrêmement sage… Les choix pour diminuer les flux sont absurdes. Mais c’est une solution, une solution absurde dont l’objectif est de sauver des millions de vies.  »

Avec son immense talent, François Morel s’étonne aussi cette différence faite entre les lieux de culte et les lieux de culture : <J’aurais dû me faire curé>

« J’aime prendre l’habit de Tartuffe ou d’Alceste
De Ruy Blas ou d’Ubu. Je suis un palimpseste
Sur lequel sont inscrits des rôles qui s’effacent,
Dont il reste des bouts avec le temps qui passe.
J’aime aller me changer pour être un personnage
Devenir quelqu’un d’autre et vivre davantage.
J’aime aller m’affubler du nez de Cyrano,
Passer une rhingrave, une cape, un manteau.
Enfiler un costume et changer d’apparence,
Ça a moins d’intérêt en visioconférence.
Parce qu’en ce moment triste est mon quotidien
Si je ne peux pas jouer, je ne sers plus à rien
Alors que mon beau-frère et ça c’est pas logique
Il peut servir la messe en habits liturgiques…. »

Écouter le reste sur le site de France Inter : <J’aurais dû me faire curé>

Et puis il y a ce détournement très drôle et pourtant tragique du livre de la jungle : < On a fermé tous les cinés>.

Cette année ne peut pas être qualifiée du titre de la pire année de l’Histoire, il suffit d’ouvrir un livre d’Histoire pour en être convaincu. Elle est peut être la pire année que l’un ou l’autre a vécue dans sa vie. Pour la finir, j’ai pensé fêter le monde de la culture par une chanson.

Une chanson qui célèbre les comédiens, les musiciens et les magiciens.

Car, Oui ! on peut être subjugué par la musique de Beethoven et aimer Charles Aznavour

<Aznavour chante les comédiens avec Liza Minelli>

Et voici les belles paroles écrites par Jacques Plante et sur lesquelles Aznavour a écrit la musique.

Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent

Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent

Les comédiens ont installé leurs tréteaux
Ils ont dressé leur estrade
Et tendu des calicots
Les comédiens ont parcouru les faubourgs
Ils ont donné la parade
A grand renfort de tambour
Devant l’église une roulotte peinte en vert
Avec les chaises d’un théâtre à ciel ouvert
Et derrière eux comme un cortège en folie
Ils drainent tout le pays, les comédiens

Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent

Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent

Si vous voulez voir confondus les coquins
Dans une histoire un peu triste
Où tout s’arrange à la fin
Si vous aimez voir trembler les amoureux
Vous lamenter sur Baptiste
Ou rire avec les heureux
Poussez la toile et entrez donc vous installer
Sous les étoiles le rideau va se lever
Quand les trois coups retentiront dans la nuit
Ils vont renaître à la vie, les comédiens

Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent

Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens
Qui arrivent

Les comédiens ont démonté leurs tréteaux
Ils ont ôté leur estrade
Et plié les calicots
Ils laisseront au fond du cœur de chacun
Un peu de la sérénade
Et du bonheur d’Arlequin
Demain matin quand le soleil va se lever
Ils seront loin, et nous croirons avoir rêvé
Mais pour l’instant ils traversent dans la nuit
D’autres villages endormis, les comédiens

Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens
Qui arrivent

La chanson date de 1962.

Après tous ces mots du jour écrits depuis le 21 septembre, dans lesquels il a été question de Beethoven, de Camus, de Daniel Cordier et d’Anne Sylvestre, mais aussi de ce poème de Rilke, si merveilleusement habité par Laurent Terzieff : «Ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.» et bien d’autres encore, vous comprendrez qu’il m’est nécessaire de me reposer un peu.

Le mot du jour reviendra en février 2021.

Je redonne le lien vers la chanson : <Aznavour chante les comédiens avec Liza Minelli>

<1518>

Mardi 24 juin 2020

«Requiem pour Wolf Musique, institution de la vie musicale européenne depuis près de deux siècles.»
Titre du Figaro annonçant la fermeture de ce magasin de musique de Strasbourg

C’était une institution strasbourgeoise de 195 ans, située 24 rue de la Mésange. C’est-à-dire la rue qui relie la Place de Broglie où se trouve l’Hôtel de ville et l’Opéra du Rhin et la Rue des Arcades qui permet d’atteindre, en deux pas, la Place Kléber. Nous sommes dans l’hyper centre de Strasbourg.

Cette institution était un magasin de musique : « Wolf Musique » l’un des plus anciens magasins de musique de France.

Ce magasin a été fondé en 1825 par Seeligman Wolf, négociant juif dont la famille venait d’Allemagne.

Mais en 1825, Strasbourg était française et la France était dans cette période que l’on appelait « La Restauration ». Charles X venait de succéder à son frère, Louis XVIII décédé en septembre 1824.

Strasbourg va devenir allemand entre 1870 et 1918.

C’est pendant cette période, qu’en 1905 c’est passé un évènement qui faisait, encore de nos jours, la fierté de ce magasin :

C’est <Le Figaro> qui le raconte le plus précisément :

« Mais sa légende, c’est à deux compositeurs qu’il la doit. Dix ans plus tard, à l’été 1905, Richard Strauss et Gustav Mahler se retrouveront dans sa boutique. Là, au milieu des instruments, Strauss s’accompagnant lui-même au piano, lui fera lecture, en chantant, de son opéra Salomé tout juste achevé. Alma Mahler, épouse du chef et compositeur, témoignera de la réaction enthousiaste de ce dernier en même temps que de l’excitation du moment : « Nous arrivâmes au passage de la Danse des sept voiles. “Ça, je ne l’ai pas encore écrit”, dit Strauss, et il continua à jouer, après ce grand vide, jusqu’à la fin. Mahler suggéra : “N’est-il pas dangereux de laisser de côté la danse, et de l’écrire plus tard quand on n’est plus dans l’atmosphère du travail ?” Alors Strauss se mit à rire de son rire frivole : “ça, j’en fais mon affaire !” » Quelques semaines plus tard, à tête reposée, Mahler lui-même exprimera par écrit à Strauss, encore grisé par l’émotion :

« C’est votre sommet. Oui, je prétends que rien de ce que vous avez écrit jusqu’à présent ne peut se comparer à cela…» »

Wolf Musique était une véritable institution pour tout le monde musical français et une bonne partie du monde musicale d’outre-Rhin.

La boutique avait commencé, en 1825, par vendre des partitions, au début du XXème siècle des instruments s’y ajoutèrent.

Lazare Wolf, fils du fondateur, eu l’idée d’ajouter à son activité de vente, l’organisation de concerts.

Et c’est ainsi que les plus grands musiciens se sont retrouvés dans le magasin ou liés d’une manière ou d’une autre à l’institution. Richard Strauss et Gustav Mahler qui dirigèrent des concerts de leurs œuvres à Strasbourg dans des concerts organisés par Wolf Musique furent les plus grands. Mais on peut aussi citer Hans von Bülow, Furtwaengler, Klemperer et Charles Münch le régional de l’étape.

Après les années 1950, le magasin vendit aussi des disques et du matériel Hifi. Lors des 3 années que j’ai passées à Strasbourg entre 1976 et 1979, j’y allais régulièrement pour les disques. Je me souviens même d’y avoir acheté les 9 symphonies de Beethoven par Klemperer. La FNAC est arrivée à Strasbourg en 1978, Wolf a pu résister 10 ans pendant lesquels il a encore vendu des disques.

Le séisme provoqué par l’arrivée des grandes surfaces contraint Wolf Musique à se recentrer sur la vente d’instruments de musique et de partitions.

Wolf Musique créa aussi le célèbre Festival de Musique de Strasbourg.

La première édition eut lieu en 1932 avec le Philharmonique de Berlin sous la direction de Furtwängler. Wolf musique continua à participer à l’organisation de ce festival jusqu’en 2013. En 2014 le festival s’arrêta suite au dépôt de bilan de la Société des Amis de la Musique de Strasbourg… Dépôt de bilan annonciateur de celui de Wolf Musique, six années plus tard : fragilisé comme de nombreux professionnels du secteur par la montée en puissance d’internet, la vente en ligne puis par la baisse de clientèle liée aux attentats de 2015, qui ont amené les autorités à renforcer les mesures de sécurité autour du marché de Noël et à boucler une partie du centre-ville.

La pandémie lui aura donné le coup de grâce. Wolf Musique, n’a pas survécu à la crise économique liée au coronavirus, la boutique a baissé son rideau définitivement samedi 13 juin 2020.

Le magasin comptait encore 6 salariés. Dans les années 1960, Wolf Musique connaissait son âge d’or avec 49 employés répartis dans 9 boutiques

Cette fermeture n’est pas passée inaperçue, les sites et journaux ont donné un écho à cet évènement :

France Musique : <A Strasbourg, fermeture de Wolf, l’un des plus anciens magasins de musique de France>

Le Figaro <Requiem pour Wolf Musique, institution de la vie musicale européenne depuis près de deux siècles>

Le Parisien : <Strasbourg : Wolf, le plus vieux magasin de musique de province, tire le rideau>

Le Monde : <A Strasbourg, Wolf, institution du monde de la musique, fait entendre ses dernières notes>

Cette faillite, rendue inéluctable par la perte de son chiffre d’affaires liée au Covid-19, n’est pas un cas isolé. Il vient s’ajouter à une liste hélas grandissante de vénérables lieux de culture et de musique, victimes un peu partout dans le monde des conséquences économiques du coronavirus.

Le Figaro écrit :

« C’est ainsi que l’on a appris, il y a quarante-huit heures, la fermeture du plus ancien disquaire de Manhattan, à New York : Record Mart, fondé en 1958. Le mois dernier, c’était aussi le choc pour de nombreux mélomanes et musiciens néerlandais, qui découvraient que Hampe & Berkel, la plus ancienne boutique d’instruments et partitions d’Amsterdam, venait de mettre définitivement la clef sous la porte, après 178 ans de bons et loyaux services. »

Le monde de la musique et plus généralement de la culture est terriblement impacté par cette crise économique.

Souvent des institutions étaient déjà fragilisées en raison de l’évolution des modes de consommation, le COVID-19 a été dans ces cas l’épreuve de trop..

D’autres commerces aussi sont impactées.

Que deviendront nos villes quand un nombre de plus en plus important de commerces fermeront leurs portes et leurs vitrines ?

On me dit qu’Amazon va bien…

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Lundi 4 mai 2020

«La revue XXI»
Mook fondé par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry

Sortons résolument de l’actualité et du bruit médiatique.

Un jour une amie, lectrice du mot du jour, est venue à la maison avec un livre.

Elle nous a dit que ce livre pourrait nous intéresser Annie comme moi et que je pourrais même y trouver matière à mot du jour.

C’était il y a déjà longtemps, probablement en 2017.

Il a fallu le temps de la maturation pour suivre ce sage conseil.

Ce livre a pour titre « Comprendre le monde », il se trouve encore mais difficilement.

Ce titre fait sens avec l’exergue général que j’ai mis sur la page d’accueil de mon blog : « Comprendre le monde c’est déjà le transformer »

Cette phrase n’est pas de moi, mais de Guillaume Erner lors de sa première émission « Des matins de France Culture », le 31 août 2015, lorsqu’il a remplacé Marc Voinchet qui venait d’être nommé Directeur de France Musique. J’en avais d’abord fait un mot du jour, <le 9 septembre 2015>.

Le livre « Comprendre le monde » a pour sous-titre « Les grands entretiens de la revue XXI »

« XXI » est une revue trimestrielle française de journalisme de récit. Elle a été créée en janvier 2008.

C’est plutôt un livre qu’un journal, elle est vendue en librairie et sur abonnement.

Ce concept a été désigné sous le nom de « Mook », (contraction de “magazine” et de “book”, livre en anglais).

Le nom de la revue, XXI, fait référence au XXIe siècle. Selon Wikipedia, elle est diffusée à 22 000 exemplaires en moyenne.

Le choix est celui de la qualité et du refus de la publicité. Chaque tome est vendu 16 euros.

Pour ses fondateurs Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry :

« L’idée était de rassembler le meilleur du journalisme avec le meilleur de l’édition”4 sur le modèle des grands reportages américains du New Yorker et de Vanity Fair ».

La propriété de la revue a évolué depuis 2008 elle est désormais associée à l’éditeur Le Seuil.

<TELERAMA> a salué le lancement de cette revue par un article élogieux :

XXI N°29

« Mais il y a aussi de bonnes nouvelles. Et même de très bonnes surprises venant de la presse magazine comme le succès d’une jeune revue atypique « XXI » (Vingt et un). Succès qu’aucun spécialiste du marketing et aucun éditeur de presse n’auraient prédit. Imaginez : un magazine papier, sans publicité, diffusé en librairie et exceptionnellement en kiosque, à la périodicité compliquée (trimestrielle) et qui offre des reportages et des enquêtes, du récit long, dépassant souvent les dix ou douze pages !

[…]  Avec son goût pour le récit, cette revue qui fait facilement tomber ses lecteurs dans l’addiction est née de la rencontre de Patrick de Saint-Exupéry avec l’éditeur Laurent Beccaria. Directeur et fondateur des Arènes, ce dernier aime prendre des risques et publier à contre-courant, qu’il s’agisse de Denis Robert ou d’Eva Joly.
Les amateurs de généalogie iront rechercher les lointains ancêtres de XXI dans la famille du défunt L’Autre journal de Michel Butel, du New Yorker ou même de la presse populaire qui diffusait, en feuilletons, au début du XXe, les grands reportages d’Albert Londres. Peu importe. La leçon de XXI est qu’un journal de journalistes, né sur une intuition, sans penser produit marketing ni cœur de cible, semble avoir réussi son pari »

Jusqu’en 2020 le sous-titre était « L’information grand format ». Elle est désormais sous-titrée « Dans l’intimité du siècle », cela correspond à une nouvelle formule lancée le 10 janvier 2020.

Lors de ce lancement, le magazine « Les Inrocks » a consacré un article à cette nouvelle formule :

XXI N°46

« A son lancement il était un ovni, une exception. Bref, un objet surprenant et innovant. Mais douze ans plus tard, il fallait se rendre à l’évidence : XXI n’est plus la seule revue grand format. Plus d’un an après son rachat, ce trimestriel lance alors sa nouvelle formule ce vendredi 10 janvier. Exit “L’information grand format”, et bienvenue “Dans l’intimité du siècle”, nous dit le sous-titre. “XXI c’est avant tout une revue trimestrielle, sans publicité, qui raconte des histoires avec des reportages et des histoires incarnées humaines, à hauteur d’hommes”, résument les rédactrices en chef Léna Mauger et Marion Quillard.

Fondé en 2008 [ce mook] recevait un bel accueil médiatique. Et pour cause, dans un milieu confronté à un manque de moyens, et où l’uniformisation de l’information devient la règle, l’objet fascine les journalistes.

Du slow média dans un secteur devant toujours faire plus vite, le pari était lancé avec cette revue indépendante privilégiant les reportages de terrain au long cours et une écriture soignée via des sujets éloignés d’une actualité sur laquelle tout le monde a les yeux rivés. Le tout vendu en librairies (16 euros), et donc libéré des contraintes des circuits de diffusion de la presse écrite.

XXI reste encore aujourd’hui un bel objet. Avec sa maquette, ses illustrations et ses photos élégantes, le mook attaque directement par le vif du sujet : son article de Une.[…]. Petite nouveauté : les formats courts du début sont supprimés au profit d’articles qui nourrissent les grands formats et permettent d’aller plus loin.»

Selon cet article la revue compte 8 000 abonnés et se vend à 22 000 exemplaires.

<Le dernier numéro> porte le numéro 50 et a pour sujet « Achetez votre nationalité préférée ».

L’édito de Léna Mauger qui me semble d’une grande pertinence est en accès libre. Je le partage ci-après :

« Je m’amuse toujours de l’étonnement des jeunes, quand je leur raconte qu’avant 1914 je voyageais en Inde et en Amérique sans posséder de passeport, sans même en avoir jamais vu un », raconte Stefan Zweig dans Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen, chef-d’œuvre écrit à la veille de son suicide au Brésil, où l’écrivain autrichien, dépossédé de sa nationalité, s’était réfugié pour fuir le nazisme. Aujourd’hui, un Français peut se rendre sans visa dans 164 pays, un Syrien, dans 37, un Afghan, dans 30. Se déplacer, voyager est un marqueur de puissance, de richesse, de pouvoir. Et le passeport pourrait être l’allégorie d’un monde globalisé divisé entre ceux qui peuvent se payer le luxe d’aller partout, et ceux qui ne vont nulle part. Ce numéro de XXI explore des lignes de fracture à travers des histoires vraies sans frontières. En Australie, où l’eau est désormais cotée en Bourse, le marché a gagné et les agriculteurs trinquent. En Arabie Saoudite, le prince héritier se repose sur un yacht à un demi-milliard de dollars alors que les caisses de son royaume sont presque vides. En France, la mer engloutit des marins payés 3 euros de l’heure, et des invisibles, des oubliés, saisis dans l’objectif d’un photographe, se privent pour nourrir leurs enfants. À défaut de pouvoir leur offrir des visas pour un monde plus juste, XXI leur donne un visage. »

La revue XXI a bien sur un site sur lequel vous pouvez acheter un numéro ou vous abonner : https://www.revue21.fr/

<Ici vous trouverez tous les numéros déjà parus>

Pour ma part, à partir de demain je reviendrai sur un certain nombre d’articles qui date des 8 premières années de cette revue.

Ce livre est, en effet, paru fin 2016.

Ce livre reprend donc de grands entretiens d’écrivains, photographes, militants, historiens ou scientifiques…

Ils ont 30 comme 90 ans. Ils viennent d’Europe, d’Asie, d’Amérique ou d’Afrique.

Ils ont pour nom Xu Ge Feï, Raymond Depardon, Amin Maalouf, Michelle Perrot,Tobie Nathan, Vandana Shiva, Bronislaw Geremek…et d’autres encore.

A partir de demain, je vais vous inviter à partager leurs réflexions, leurs histoires, leurs analyses et souvent leurs histoires.

<1414>

Vendredi 10 avril 2020

« La passion selon saint Matthieu »
Jean-Sébastien Bach

Ce vendredi 10 avril 2020, le calendrier grégorien que nous utilisons indique : « Vendredi-Saint »

Dans le récit chrétien, le Vendredi saint est la commémoration religieuse de la crucifixion et de la mort de Jésus-Christ.

Ce jour est férié dans un grand nombre de pays ou de régions dont une partie de la population est chrétienne, en Europe (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Suisse…), en Amérique (Argentine, Canada, Chili, 12 des 50 États des États-Unis…), en Afrique (Éthiopie, Kenya, Nigéria…) et en Asie (Hong Kong, Inde, Indonésie, Macao…).

C’est également un jour férié pour les départements français du Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle.

Il s’agit d’un jour de tristesse et de méditation pour la communauté chrétienne.

Ce jour particulier, probablement continuant à être profondément imprégné de culture chrétienne, j’ai pris l’habitude d’écouter, chaque année, la « Passion selon Saint Matthieu » de Jean-Sébastien Bach.

Le vendredi saint constitue dans la symbolique chrétienne, le temps de l’épreuve, de la souffrance, de la mort.

Nous ne sommes pas en guerre, mais ce temps de la pandémie est un temps de l’épreuve.

C’est pourquoi, il me parait assez naturel de faire lien entre ce que nous vivons et notre calendrier qui se fonde sur notre culture chrétienne et rythme notre temps de vie.

Je partage donc aujourd’hui, cette œuvre monumentale et exceptionnelle de la culture européenne et chrétienne de l’immense compositeur de culture protestante : Jean-Sébastien Bach.

Deux jours après, vendredi saint, il y a Pâques qui pour les chrétiens signifient résurrection.

Mais de la résurrection, j’en ai déjà parlé, dimanche dernier en évoquant la deuxième symphonie de Mahler. Dans cette œuvre, il n’est pas question de la résurrection du Christ, mais elle est cependant profondément imprégnée de culture religieuse chrétienne.

Comme dimanche dernier, je partage d’abord une interprétation de la Passion selon Saint Matthieu :

<Bach : Passion selon Saint Matthieu – Collegium vocale de Gand – Herreweghe>

Et comme dimanche dernier, j’écris :

« La lecture de ce mot du jour peut donc s’arrêter là et basculer vers le visionnage de ce concert. Voici l’essentiel. »

Et puis, la lecture peut aussi continuer, car il y a tant de choses à dire sur ce monument de la culture européenne, de la culture religieuse chrétienne, de la musique occidentale.

1 – Vendredi saint

La Pâque chrétienne est directement issu de la Pessah juive qui commémore la sortie des juifs d’Egypte. Mais l’étonnante Rabbine Delphine Horvilleur narre une autre histoire et parle d’une naissance et en puisant dans l’étymologie des mots hébraiques compare le passage de la mer rouge à la libération du liquide amniotique qui précède l’accouchement. <C’est ici>. Cette histoire juive rencontre l’histoire chrétienne puisque dans ce récit Jésus prépare la fête de Pessah, le jeudi, la veille du vendredi saint, lors de la célèbre <Cène> peint par tant de grands artistes dont Léonard de Vinci.

En 2020 , Pessah est célébré du jeudi 9 avril au jeudi 16 avril. Et la pâque chrétienne est célébré le premier dimanche qui suit la première pleine lune qui suit l’équinoxe de Printemps. Exprimé ainsi, on comprend bien que cette fête s’inscrit dans un calendrier plus ancien, lié à la nature et qui se situe au moment où la durée du jour reprend le dessus sur la durée de la nuit. Ces fêtes ont donc avec une autre symbolique occupé la place de fêtes païennes.

En revanche, il semble que le Vendredi Saint qui commémore la Passion, c’est-à-dire le supplice, la procession et la crucifixion du Christ, ce moment du récit évangélique qui clôt l’aventure « humaine » de Jésus constitue un jour propre au christianisme et qui ne se fonde pas sur une fête issue d’une autre tradition.

Dans la tradition chrétienne, pour rappeler la procession du Christ vers Golgotha, des processions, appelés chemin de croix sont organisés dans de nombreux lieux.

Cette année constitue donc encore une particularité puisque toutes ces processions sont annulées en raison du COVID-19.

2 – La crucifixion

La religion chrétienne est une doctrine très compliquée. Rien que le dogme de la Trinité qui révèle un Dieu unique sous trois « formes » différentes semble assez incompréhensible, peut être une prémisse de la mécanique quantique ? Mais que le représentant de Dieu sur terre, le fils de Dieu selon la doctrine, un des membres de la Trinité finisse sa vie terrestre par l’humiliation et la mort réservé aux esclaves dans l’empire romain est plus qu’incompréhensible par les adeptes de toutes les autres religions, impensable.

Pour René Girard, cette crucifixion constitue le sacrifice ultime faisant du Christ le bouc émissaire final et unique qui permet de surmonter la pulsion des sociétés à devoir désigner des boucs émissaires pour surmonter les tensions internes et apporter la paix en leur sein. Tout au long des mots du jour, notamment les derniers je constate que la recherche des boucs émissaires reste un exercice prisé de nos sociétés, qui sont il est vrai post chrétiennes. Harari avait résumé cette tendance par cette formule : « s’il y a un problème, c’est qu’il existe quelqu’un quelque part qui a merdé ».

La langue française réserve le terme de « crucifixion » à l’exécution de Jésus de Nazareth. Cette peine qui est toujours pratiqué en Arabie saoudite même si elle est pratiquée post mortem, avait été sordidement remis dans l’actualité lors de l’épopée sanglante de DAESH, dans ce cas on utilise le mot « crucifiement ».

Pour être exact, « Crucifixion» ne désigne pas seulement le supplice du Christ mais aussi des œuvres d’art qui décrive ce sujet. Et il en existe de nombreux. J’illustre ce mot du jour par la reproduction de certaines d’entre elles, peints par Rembrandt, Raphaël, Zurbaran, Dali.

3 – Le texte de la passion du Christ dans l’évangile selon saint Matthieu

Le récit de la passion selon Saint Matthieu.

Opportunément le journal catholique « La Croix » publie un extrait de La Bible dans la nouvelle traduction Bayard, et cet extrait est le récit de la passion selon saint Matthieu (26,14-27,66), à partir du moment où Judas vend son maître jusqu’au soir de cette journée qui deviendra dans le récit Vendredi Saint.

Et dans ce texte fondateur du christianisme, ce texte que Bach a mis en musique, on lit cela :

« Vint l’aube. L’assemblée des grands prêtres et des anciens du peuple délibéra sur Jésus et sur sa mise à mort. Ligoté, il fut conduit devant le procurateur Pilate, à qui on le livra. […]

Jésus se tenait debout devant le procurateur. Ce dernier l’interrogea : Es-tu vraiment le roi des juifs ?
Tu l’as dit, répondit Jésus, sans répliquer aux accusations des grands prêtres et des anciens.
Pilate insista : N’entends-tu pas tous ces témoignages contre toi ?
Jésus ne répondit rien. Ce silence impressionna fortement le procurateur.
Les jours de fête, ce dernier avait l’habitude de relaxer un prisonnier choisi par la foule.
Barabbas était alors un prisonnier célèbre. À la foule rassemblée, Pilate demanda : Lequel des deux dois-je relâcher ?
Barabbas ? Ou Jésus, dit le Christ ?
Il savait que c’était par envie que Jésus avait été livré […].

Les chefs et les anciens persuadèrent les foules de réclamer Barabbas et de faire mourir Jésus. Le procurateur revint à la charge : Lequel des deux dois-je relâcher, selon vous ?
Des voix s’élevèrent : Barabbas !
Et Pilate : Qu’adviendra-t-il de Jésus, dit le Christ ?
Un cri monta de la foule : Qu’on le crucifie !
Et lui : Mais quel mal a-t-il fait ?
Les cris redoublèrent de fureur : Qu’on le crucifie ! L’agitation allait croissant. On ne peut rien faire, conclut Pilate.
Et prenant de l’eau, sous leurs yeux, il se lava les mains.
Je suis innocent du sang de ce juste, déclara-t-il. Cette affaire ne regarde que vous.
Et tout le peuple répondit : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants.
Barabbas fut remis en liberté. »

L’antisémitisme est aussi dans ce texte, dans ce récit mythique. Le récit des chrétiens qui fait dire au peuple juif « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ». Ce récit qui a été écrit plus de 30 ans après les faits a peu de probabilité de décrire avec précision ce qui s’est vraiment passé, si cela s’est passé. Si on prend l’hypothèse que ce texte relate une histoire à peu près exacte, on constate qu’il y’a manipulation de la foule par quelques dirigeants, la foule elle-même n’étant qu’une partie du peuple.

Mais le récit qui, pendant des siècles, a été lu, raconté dans les églises, dans les familles, chanté dans les passions parle d’un peuple juif déicide puisque dans la doctrine chrétienne Jésus est fils de Dieu.

Nous sommes au cœur de l’antisémitisme de source religieuse, nous savons qu’il en existe d’autres. J’avais développé ce sujet dans un mot du jour de début 2019 <La haine des juifs>

4 – L’œuvre de Jean-Sébastien Bach : « Die Matthaüs Passion » La Passion selon Saint Matthieu

Sans que cette date soit certaine, il semble que La Passion selon saint Matthieu (BWV 244) ait été exécutée probablement pour la première fois le Vendredi saint 1727, c’est-à-dire le 7 avril 1727 dans l’Eglise Saint Thomas de Leipzig, dans cette église où Bach fut le « Kantor » (maître de chapelle) de 1723 jusqu’à sa mort en 1750 et dans laquelle repose sa dépouille depuis 1950. Elle a été remaniée trois fois. La troisième version, définitive, a été créée en 1736.

Tous les deux ans, le vendredi saint, en alternance avec la Passion selon Saint Jean, la Passion selon Saint Matthieu est interprétée dans ce lieu particulier pour la culture musicale occidentale, l’église de Bach. D’ailleurs chaque année, à travers le monde, la Passion selon Saint Matthieu est donnée autour du jour du vendredi saint. Tous les ans, sauf cette année 2020 où le confinement créé par la pandémie du COVID-19 a conduit à annuler toutes ces manifestations, comme le fait remarquer <Libération>

Je ne développerai davantage la présentation de <cette œuvre> qui dure plus de 2 heures 30. Il y a lieu cependant de dire que Bach n’a jamais composé d’opéra, parce que dans un aucun de ses postes cela ne lui a été commandé. En outre, dans son dernier poste à l’église Saint Thomas, l’opéra n’était pas toléré dans l’austère et puritaine Leipzig. Mais les passions qu’il a écrites et particulièrement la « Saint Matthieu » sont en réalité des opéras religieux, même si elles sont données sous forme d’oratorio.

Pour dire la beauté de cette œuvre, je ferai appel, une fois n’est pas coutume à Alain Juppé : dans le livre « Alain Juppé sans masque » son biographe, Dominique Lormier raconte :

« Il faut le voir pour le croire, écrit Anna Cabana : ses yeux se mouillent quand il se met à fredonner les premières notes de son aria préférée de la Passion selon saint Matthieu. Bach lui tire des larmes, à Juppé. De vraies larmes, je peux en témoigner. »

La passion selon saint Matthieu occupe aussi une place très particulière dans l’Histoire de la musique. Pendant longtemps, on ne jouait que la musique des compositeurs vivants. On utilisait des partitions de musiciens morts pour les étudier, pour apprendre la musique, quelquefois s’en inspirer, mais on ne les jouait jamais en public.

Jamais jusqu’à Félix Mendelssohn Bartholdy qui à 20 ans va interpréter cette œuvre près de 80 ans après la mort de Bach :

« A Berlin, le mercredi 11 mars 1829, à 6 heures du soir, par un temps printanier, la salle de la Sing-Akademie résonne des premières notes d’une œuvre qui n’a plus été jouée depuis la mort de son auteur en 1750 : la Passion selon saint Matthieu de Johann Sebastian Bach. La salle, pouvant accueillir entre 800 et 900 spectateurs, est pleine à craquer au point qu’on a dû ouvrir les vestibules et une pièce derrière l’orchestre. Cela n’a pas suffi; il a fallu refuser plus de mille personnes. La famille royale, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III en tête, et de nombreux membres de la cour sont présents. Le tout-Berlin intellectuel et artistique est également là : Schleiermacher, Hegel, Droysen, Heine, Rahel Varnhagen… »

Pour Nikolaus Harnoncourt, cela constitue le début de cette nouvelle manière d’aborder la musique qu’on va appeler classique par la suite et qui est désormais une musique dont on célèbre et joue pour l’essentiel des compositeurs morts.

5 – Interprétation de l’œuvre.

L’interprétation vers laquelle renvoie ce mot du jour est exceptionnelle, d’abord en raison du chef belge : « Philippe Herreweghe »

L’élégance n’est pas la priorité de Philippe Herreweghe, quand il lève ses bras on a presque une impression de maladresse ou encore de la volonté de vouloir communiquer l’incommunicable. Le résultat est exceptionnel.

C’est mon ami Gilbert qui me l’a fait découvrir par un de ses premiers disques.

Et dans nos débuts communs à Paris, à la fin des années 1980, Annie et moi avons appris qu’il donnait des concerts à l’église des blancs manteaux avec son ensemble parisien la Chapelle Royale et son ensemble belge le Collegium vocale de Gand. Nous n’avons alors loupé aucun de ces concerts dans cette église.

Depuis, j’ai acheté tous les disques qu’il a réalisé et dans lesquels il interprète Bach.

J’en ai beaucoup d’autres, mais pas tous ses disques.

Mais tous les Bach et même quand il a enregistré trois fois la Messe en si, trois fois la passion selon saint Jean et pour l’instant deux fois la passion selon saint Matthieu mais on attend une troisième bientôt, j’ai acheté toutes les versions.

Et bien sûr quand il vient à Lyon, nous y allons aussi.

Dans la version proposée, il est bien sur accompagné de son remarquable ensemble du Collegium vocale de Gand mais aussi de chanteurs exceptionnels : l’évangéliste Christoph Prégardien, les deux sopranos, Dorothée Mields et Hana Blažíková,, la somptueuse basse Stephan Mac Leod. Une interprétation tout simplement exceptionnelle.

<Bach : Passion selon Saint Matthieu – Collegium vocale de Gand – Herreweghe>

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Mercredi 6 février 2019

« Repos »
Un jour sans mot du jour

Comme je l’avais annoncé lors du mot du jour du 28 janvier 2019 il peut arriver que je n’aie pas eu le temps de finaliser un mot du jour. C’est le cas aujourd’hui.

Mais si voulez quand même de la lecture, je vous propose le mot du jour écrit pour un 6 février….mais de l’année 2015

«L’exception française ce n’est pas la non ouverture des magasins le dimanche, L’exception française c’est la non ouverture des bibliothèques»
Patrick Weil

Historien et spécialiste des questions de citoyenneté et d’immigration, Patrick Weill était l’invité du 7-9 de France Inter de ce mercredi 4 février sur le thème de la laïcité.

Je vous donne, à la fin du message, le lien vers la page de cette émission très intéressante.

Il dit des choses simples : “la laïcité c’est le droit de pratiquer sa Foi et le droit de blasphémer, l’un ne va pas sans l’autre”

Il tient aussi des propos plus iconoclastes « Qu’on laisse en paix les femmes voilées »

Mais ce qui m’a surtout interpellé ce sont les propos qu’il a tenu sur les bibliothèques. Il faut savoir qu’il est président de Bibliothèques Sans Frontières,  ONG française, à but non lucratif, également présente en Belgique, au Mexique, aux États-Unis et au Portugal qui vise à faciliter l’accès au savoir dans les pays en voie de développement par l’appui au développement des fonds des bibliothèques, des écoles et des universités, la formation de documentalistes, l’informatisation de centres documentaires et la structuration de réseaux de bibliothèques.

Il a dit notamment

« Vous savez combien de temps ouvre en moyenne une bibliothèque publique en France ? 15 heures par semaine
Il n’y a que 6% des bibliothèques françaises qui ouvrent 30 heures ou plus.
A Amsterdam ils ouvrent 70 heures.
C’est à dire que ce grand pays de la culture, de la laïcité a ses bibliothèques fermés.
Il y a un projet de Loi en discussion actuellement qui projette d’ouvrir les magasins, en France, le dimanche

L’exception française ce n’est pas la non ouverture des magasins le dimanche, en Allemagne ils sont fermés.
L’exception française c’est la non ouverture des bibliothèques
C’est là qu’on peut se cultiver […]

C’est là que les enfants qui n’ont pas l’internet, pas de livres chez eux peuvent aller travailler dans le calme
Vous savez Steve Jobs et Bill Gates n’ont pas préparé la création de leurs entreprises dans les magasins le dimanche, mais dans les bibliothèques.
Aux Etats Unis les bibliothèques sont ouverts jour et nuit.»

http://www.franceinter.fr/emission-le-79-patrick-weil-on-doit-pouvoir-croire-et-pouvoir-blasphemer

Il parle des bibliothèques dans la seconde vidéo de la page un peu après 5 mn.

<Ici un rapport de 2012 au Ministre de l’enseignement sur l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques avec pour sous-titre : progrès et obstacles>

Moi qui croyais de Steve Jobs et Bill Gates avaient commencé leur fabuleuse aventure dans des garages, mais à y bien réfléchir probablement que Patrick Weil a raison ils ont certainement commencé dans les bibliothèques.

<Mot sans numéro>

Mardi 18 septembre 2018

« Une immersion dans l’art et la musique »
Exposition consacrée à Gustav Klimt et d’autres viennois à l’atelier des lumières

Ce week-end nous étions à Paris pour assister à la Philharmonie de Paris à une interprétation d’anthologie de la 3ème Symphonie de Mahler par le Boston Symphony Orchestra sous la direction de son chef Andris Nelsons.

Et dimanche matin, nous en avons profité pour aller à l’exposition Klimt, plus précisément l’exposition immersive et interactive sur l’œuvre de Gustav Klimt.

Je pourrai bien sûr analyser et décrire le fabuleux concert auquel nous avons assisté Annie, Florence et moi. Mais ce concert est terminé, il s’agit d’un moment passé et auquel vous n’aurez jamais accès, puisque la machine à remonter le temps n’a pas encore été inventé.

En revanche, l’exposition à laquelle nous sommes allés est toujours ouverte. Et même, en raison de son succès, a été prolongé de fin novembre jusqu’au 6 janvier 2019.

Cette exposition, c’est d’abord un lieu : « L’atelier des lumières » qui se situe dans le 11ème arrondissement de Paris, 38 rue Saint Maur.

Il s’agit d’une ancienne fonderie de 3300 m² qui a été reconverti en espace culture numérique située dans le XIe arrondissement de Paris

Son nom était « La fonderie du Chemin-Vert » car située près de la rue du Chemin Vert. Elle avait été fondée en 1835 pour répondre aux besoins de la marine et du chemin de fer pour des pièces en fonte de grande qualité. L’usine occupait alors un terrain de 3 126 m2 et employait 60 personnes. L’usine produisait des moulages de toutes pièces en fonte de fer sur plans et sur modèles jusqu’à 10 000 kg.

L’affaire fait faillite et en 1935, la société est dissoute, 100 ans après sa création. Le terrain et les immeubles sont vendus aux actuels propriétaires et abritera une entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente de machines-outils.

Ce lieu a été investi par le même groupe de créateur et d’artistes, « Culturespace » qui avait déjà créé « Les carrières de lumières aux Baux de Provence. »

J’avais aussi eu la chance avec Annie, grâce à Marcel et Josiane, de visiter ce lieu naturel d’une beauté majestueuse situé aux Baux de Provence. Dans ce cas aussi, c’était au lendemain de la Première Guerre Mondiale, que le déclin de la pierre de construction s’était amorcé et que de nouveaux matériaux de construction faisant leur apparition, l’acier, le béton. les carrières de pierre allaient perdre leur destin industriel.

C’est dans les années 1960 que Jean Cocteau, envouté par la beauté des lieux décide d’y tourner « Le Testament d’Orphée ».

Et c’est, dans ce lieu des carrières de Baux de Provence, qu’en 2012 un groupe d’artistes : Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi, sous le nom de Culturespaces vont créer un concept novateur AMIEX® (Art & Music Immersive Experience).

Des esprits retors et blasés diront qu’il s’agit d’un banal son et lumière se basant sur des œuvres picturales accompagnées de musique.

Oui c’est cela, mais c’est aussi très beau et permet d’entrer dans l’art avec des moyens modernes et numériques.

Tout cela est expliqué sur <Le site de l’Atelier des Lumières>.

Voici une vue de cet espace vierge de toute projection.


Et voici ce que cela donne avec les projections des tableaux de Klimt. Vous n’avez évidemment pas le son.

Mais vous pourrez en avoir un aperçu sur cette <Page consacrée à l’exposition Klimt>


Culturespaces a voulu pour l’ouverture de l’Atelier des Lumières présenter un parcours immersif autour des représentants majeurs de la scène artistique viennoise avec au centre Gustav Klimt, mais aussi Egon Schiele et Friedensreich Hundertwasser. Leurs œuvres s’animent en musique sur l’immense espace de projection de l’ancienne fonderie.


Annie et moi avons aimé et nous ne sommes pas les seuls :

Culture Box présente : <L’Atelier des Lumières, nouveau lieu d’exposition à Paris, ouvre avec Klimt> :

« A l’aide de 140 vidéoprojecteurs et au son des valses et autres musiques de la Vienne de la fin XIXe siècle, les œuvres du peintre autrichien s’animent et habillent les 3.300 m² de surface de projection de ce nouveau lieu baptisé Atelier des Lumières, situé dans le XIe arrondissement. C’est “la plus grande installation numérique de ce type dans le monde”, assure Bruno Monnier, le président de Culturespaces, la société privée en charge du lieu qui ouvre au public ce vendredi avec cette première exposition.

Pendant les 35 minutes de projection, le sol et les murs de cette ancienne fonderie se couvrent des œuvres, permettant aux visiteurs de voyager dans la Sécession viennoise, ce courant artistique autrichien dont Gustav Klimt est la figure de proue.

[…]. La bande-son venue tout droit de l’époque de Klimt contribue à l’immersion : Strauss, Chopin, Mahler… »

Le Parisien déclare : <A l’Atelier des Lumières : plein les yeux avec Klimt> :

« C’est à voir. Ça en jette, mais on ne trouve pas les mots. Certains parlent du « premier musée numérique ». Faux, un musée conserve des « vraies » œuvres en permanence. Ou à la limite, il en existe un au Japon, qui propose des reproductions de peintures dans leur cadre, sur un écran plasma. Rien de tel ici. Le contenu des projections Klimt dans ce nouvel espace, l’Atelier des Lumières, qui ouvre vendredi dans une ancienne fonderie du XIe arrondissement à Paris, tiendrait dans un disque dur. Culturespaces, la société très sérieuse qui le gère, parle plus raisonnablement de « premier centre d’art numérique » dans la capitale.

On entre dans le noir pour une projection de 40 minutes, et si l’on veut, deux autres expositions « immersives » plus courtes. D’abord Klimt *, le grand peintre de la Sécession Viennoise au début du XXe siècle, inventeur de formes nouvelles, de nus étranges couverts d’or, de femmes aussi attirantes et inquiétantes que dans un film de David Lynch.

Au sol, aux plafonds, aux murs, les couleurs explosent »

Et ce même journal précise :

« C’est de la culture plaisir. Et même à Paris, comme le souligne Bruno Monnier, patron de Culturespaces, « les musées ne touchent que 50 % de la population au grand maximum. Beaucoup de gens n’osent pas en pousser la porte. Peut-être que ceux qui ont peur d’y aller seront moins intimidés par un espace comme celui-ci ».

Soyons clairs : ce n’est pas une expo, aucun tableau n’est cadré comme au musée. Un ballet plutôt, plus de 3000 images mises en mouvement par 140 vidéoprojecteurs laser. La salle des miroirs, où la projection se poursuit sous vos pieds, sur l’eau d’un ancien bassin de la fonderie, à l’infini, offre un léger vertige.

[…] Car si l’on vient à l’Atelier des Lumières pour Klimt, on a été soufflé par le show donné dans la petite salle par le collectif Poetic_Ai, qui utilise l’intelligence artificielle dans un processus de création visuelle, à travers un algorithme qui compose une œuvre digitale et contemplative. Un noir et blanc sidérant, une musique plein les oreilles, une expérience vraiment spéciale. »

Et même le site de « Côté Maison » parle de cet évènement avec enthousiasme : <L’Atelier des Lumières, lieu d’exposition monumental> :

« Entre prouesse technologique et histoire de l’art revisitée, l’Atelier des Lumières démultiplie les émotions. Dans une ancienne fonderie du XIXe siècle, le premier centre d’art numérique à Paris est né. Chaque exposition est une aventure sensorielle unique. […]

Sous la réalisation de Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi, avec la collaboration musicale de Luca Longobardi, dès les premières notes la technologie s’efface. L’aventure sensorielle se teinte d’émotion esthétique. Un exercice du regard inédit accompagne l’histoire de l’art d’une nouvelle soif d’apprendre.. »

C’est bien mon ressenti, dans cet espace dans lequel on peut se déplacer et rester aussi longtemps qu’on souhaite, la technologie s’efface et la beauté s’impose.

Il y a des avis divergents

L’essayiste et romancière Cécile Guilbert a produit un article très critique dans le journal La Croix : <La guerre à mort de la culture contre l’art> :

« puisque seule l’approbation de tout a droit de cité dans cette inlassable zone d’activité frénétique qu’est aujourd’hui « la culture », cette industrie appliquée aux Beaux-Arts, ce bazar mondial que le génial polémiste viennois Karl Kraus définissait déjà en son temps comme « le mal rapporté au système des valeurs esthétiques ». […]

Regarder, c’est toujours penser. […]

D’où mon interrogation sur la prolifération contemporaine croissante d’« installations », de « dispositifs », d’« événements » culturels à propos desquels même le mot exposition ne convient plus tant ils semblent n’avoir pour finalité que de nous en mettre justement « plein la vue », c’est-à-dire – CQFD – nous dissuader de penser. Démesure et monumentalité des formats, des lieux d’expos, des coûts et des prix, n’est-ce pas là d’ailleurs le propre d’un certain art dit contemporain, entreprise d’intimidation et de terreur habile à compenser l’anéantissement des facultés sensibles par l’ironie de ses gros jouets pour milliardaires ?

[…] débauche techniciste et pillage des peintres du passé forment une doublette d’enfer pour vider l’art de tout contenu et de tout sens. […]

Car si le surgissement de toute œuvre d’art digne de ce nom s’avère un événement – celui de sa présence, de son aura –, sa mise en scène événementielle en configure à coup sûr le tombeau. Or c’est précisément ce à quoi n’a jamais pensé Culturespaces, entreprise issue d’Havas et filiale d’Engie (ex-Lyonnaise des eaux devenue GDF-Suez), à savoir l’entrepreneur privé d’ingénierie culturelle à l’origine de ce « barnum Klimt » et dont le « business model » est si prometteur qu’il opère déjà dans une dizaine de monuments et de musées français tandis qu’un système de franchises est prévu à l’étranger…

Système rentable, système parfait, croissance et dividendes garantis, mais aussi honte et désolation éprouvées au spectacle sans cesse amplifié de l’étouffement de l’art par la culture, au nom de la culture comme bras armé de l’économie politique dont se constate l’essor planétaire toujours plus meurtrier. »

Attaque brillante, qui a du contenu et dont certains arguments me touchent…. l’étouffement de l’art par la culture.

Le <Billet culturel de Mathilde Serrell> sur France Culture qui reprend ces arguments de Cécile Guilbert et en ajoute même un autre :

« Souligner qu’afin de toucher un public familial, les nus les plus provocateurs d’Egon Schiele ne figurent pas dans la sélection. »

nuance quand même le propos sous forme de question :

« Mais l’objectif annoncé est de s’adresser en plus des 50% de la population que peuvent toucher les musées, aux 25% de gens qui n’y vont jamais. Freinés par la barrière de l’établissement culturel. On aurait donc avec ce format de diffusion numérique une sorte d’expérience collective d’art qui ne serait pas une exposition mais un divertissement culturel. Et alors ? Pourquoi pas ?  »

A vous de voir.

Mais même une invitation comme celle-ci : « J’ai vu un truc super, vous devriez aller le voir aussi » renferme en elle, de la complexité et des questionnements.

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