Lundi 15 avril 2024

« De temps en temps, il faut poser des gestes gratuits de bonté, c’est ce qui rend la vie supportable. »
Denys Arcand, dans son film « Testament », sorti en salles le 22 novembre 2023

Denys Arcand, cinéaste québécois, est à 82 ans, un des monuments du cinéma mondial.

Ma première rencontre avec son œuvre fut quand, avec Annie, nous avons vu « Jésus de Montréal » (1989) qui venait de recevoir le Prix du Jury de Cannes.
Mais ses films les plus connus et ayant eu le plus de succès furent certainement : « Le Déclin de l’empire américain » (1986) et « Les invasions barbares » (2003).

« Testament » est son dernier opus, peut être l’ultime si on veut donner un sens à ce titre.
Ce samedi, nous avons regardé ce film nostalgique et jubilatoire avec Annie.

Les deux héros de TestamentLe film montre un vieil homme, célibataire, probablement le double cinématographique de Denys Arcand, interprété par Rémy Girard. À 70 ans, Jean-Michel Bouchard (Rémy Girard) sent sa fin approcher. Dépassé par son époque et pensant souvent à la mort, il vit dans une résidence pour personnes âgées, gérée par Suzanne (Sophie Lorain), et travaille encore deux jours par semaine aux Archives nationales.

Jean-Michel et Suzanne vont assister à l’arrivée de jeunes manifestants qui vont camper devant la résidence et marteler leur slogan : « Respect pour les premières nations ». Ils dénoncent la présence dans la résidence d’une fresque murale, réalisée au XIXème siècle, montrant la rencontre entre Jacques Cartier et des autochtones du Canada.

Jacques Cartier (1491-1557) est décrit dans nos livres d’Histoire comme un navigateur et un explorateur français ayant découvert le Canada. Dans la compréhension d’aujourd’hui, c’est un colonialiste qui n’a rien découvert puisqu’il existait une population appelé « amérindienne » qui vivait déjà sur cette terre et que son rôle a consisté à soumettre cette population et préparer l’installation et l’exploitation de cette terre et de ses habitants par les européens.

Jean-Michel, grâce à un ami, va inviter une femme autochtone pour voir, avec son regard, la fresque. Elle va donner son sentiment et dialoguer avec le groupe de jeunes qui veulent la destruction de la fresque.
De cette rencontre, il apparaît que le groupe de jeunes ne compte aucun autochtone mais une vingtaine de vrais « wokes », ayant trouvé une nouvelle cause pour exercer leur censure.

Ce moment est très émouvant car si les jeunes stigmatisent la représentation des amérindiens parce qu’ils sont quasi nus, alors que selon les wokes ils auraient dû être représentés en « tenue d’apparat » accueillant des émissaires européens. La femme autochtone décrit une scène mettant en présence des hommes de l’âge de pierre devant des européens armés de fusils qui vont bientôt servir. Pour elle, ce tableau est l’annonce d’un génocide. Mais il ne semble pas qu’elle en demande la destruction, plutôt une explication. Ainsi, quand elle interpelle les deux occidentaux qui l’accompagnent par cette question : « Vous n’avez jamais vu cette fresque sous cet angle ? », ils acquiescent.

Il ne s’agit pas de rejeter l’intégralité des sources du woke, mais d’en saisir les excès, les anachronismes et parfois la bêtise.
C’est ce que fait Denys Arcand dans ce beau film, drôle, sarcastique, tendre parfois.
Comme cette réplique, dont j’ai fait l’exergue de ce mot du jour, que pose Jean-Michel Bouchard à la fille de Suzanne qui a quitté sa mère brutalement et ne veut plus la revoir.

Car l’affaire de la fresque, n’est pas le seul sujet du film. Il montre aussi le fonctionnement toxique de la télévision et de la radio, qui dramatisent vite et exagérément l’événement. Il s’attaque ensuite au monde politique, qui gouverne en fonction des apparences et qui carbure à l’indignation populaire.
Enfin, l’autre grand sujet de cette comédie satirique est la solitude, celle des vieux en particulier, mais avec des moments d’échange et d’humanité pleins de grâce.

Cependant le sujet de ce mot du jour, n’est pas que mon avis sur ce film.

J’ai voulu connaître les réactions des médias français sur ce film. Et j’ai été frappé par une scission entre deux camps.

« Le Figaro » sous la plume d’Eric Neuhoff est enthousiaste :

« à 82 ans, denys arcand n’a pas l’âge de ses artères. mais avec testament, il a la dent dure. l’époque le désole. il choisit de s’en moquer. le programme est infini. c’est le monde à l’envers. l’inculture le dispute à la bêtise, qu’accompagne souvent l’arrogance […] l’enfer se pare de slogans bien intentionnés. […] ce courant d’air salubre fait un bien fou. contre le politiquement correct, la méthode Arcand est la meilleure. cela se passe au Québec, c’est-à-dire partout. on attend l’équivalent chez nous. il n’est pas interdit de rêver. »

Le magazine de cinéma « Première » est aussi élogieux :

« Denys Arcand […] signe une savoureuse comédie sur la cancel culture qui insiste précisément sur le décalage entre générations. […] si la situation entraîne imbroglios politiques et désaccords existentiels, le film a la judicieuse idée de privilégier l’humour et même d’oser la comédie sentimentale. au final, Arcand se questionne avec une bonne dose d’ironie et de tendresse sur son propre statut de ringard présumé. »

Le journal régional de tours : « La Nouvelle République » nous donne des informations sur l’origine de ce film :

« C’est un événement qui s’est déroulé dans un grand musée de new-york qui m’a donné l’idée du film » raconte Denys Arcand. « sur une grande fresque murale, on voyait la rencontre d’indiens de l’île de Manhattan avec un explorateur hollandais. »
un jour, « un groupe a exigé sa destruction en prétextant que cette toile constituait une insulte aux premiers arrivants. les responsables du musée ont alors placé une vitre devant l’immense tableau et, par quelques notes écrites, ont indiqué : “ il est impossible que cette réunion ait eu lieu en pareilles circonstances ” ou “ les indiens que vous voyez ne sont pas exactement habillés comme ils le devraient ”. ça a satisfait tout le monde et cette vitrine – explicative, en quelque sorte – est encore là, aujourd’hui. cet événement a excité mon imagination. pourquoi ne pas concevoir, dans la chapelle sixtine, de petites notes qui préciseraient : « dieu le père est ici représenté comme un homme blanc, vieux et probablement hétérosexuel, mais libre à vous d’imaginer, à sa place, une femme noire, jeune et enceinte ».

La Nouvelle République se situe aussi dans le camp favorable au film :

« C’est une chronique drôle et grinçante sur la « bien-pensance ».
avec testament, le cinéaste québécois Denys Arcand s’amuse à régler des comptes avec les excès d’une époque où réactions épidermiques et parfois irréfléchies ont remplacé analyse et temps de réflexion.
[…] testament est avant tout un film où on sourit. […] peinture réaliste des excès de certains justes combats, testament choisit l’optimisme. »

Le quotidien catholique « La Croix » considère que le film « distille un charme qui doit beaucoup à l’interprétation fluide de Rémy Girard et à une photographie élégante ». le journal trouve le « dénouement lumineux » et juge qu’il « confirme rétrospectivement le soupçon que la satire visait aussi cette génération de seniors indifférente au devenir des plus jeunes. le testament du cinéaste de 82 ans se trouve-t-il dans cet ultime message d’espoir ? »

« Le Point » porte aussi un regard positif sur ce film

« Dans son quinzième film, le cinéaste québécois observe avec humour, et sans ménagement, un monde qui brûle des livres et réécrit des œuvres. »

Et il donne la parole au cinéaste :

« Je crois que ce sont des mouvements qui ressemblent en grande partie à une forme de renaissance religieuse chez un peuple dissident et fondamentalement croyant […]. ces mouvements ne sont pas politiques, n’abordent pas les questions sociales, la condition de vie des gens les plus démunis. Ils sont puritains, prônent la recherche de la rectitude morale, la primauté du genre, de l’origine ethnique et veulent accorder l’histoire à leurs principes. C’est un peu comme le temps de la prohibition où l’alcool fut interdit pour ne pas conduire à la débauche et améliorer l’être humain. pour moi, c’est un des multiples avatars du rêve américain.
[…] difficile de savoir si ces excès, devenus quotidiens, vont durer ou sont passagers […] qu’en pensera-t-on dans vingt ans ? On se dira peut-être : quelle folie cette culture de l’annulation, exactement comme nous paraît aujourd’hui absurde le fanatisme des maoïstes dans les années 1970. Quand je pense à la fascination du Petit Livre Rouge de Mao sur les intellectuels de l’époque : quinze ans après, la réalité prouvait qu’il était un tyran sanguinaire, responsable de millions de morts […] on ne peut jamais rien prévoir : c’est ma vieille formation d’historien qui me fait penser cela. on a déjà commencé à brûler des livres, à réécrire des œuvres. pour l’instant, on s’en prend à Ian Fleming et à Agatha Christie. pourquoi pas Shakespeare très bientôt ? à moins d’un sursaut, on assiste à la fin de l’universalisme. »

Le magazine de la gauche culturelle « Télérama » est plus en nuance. si le journal juge le film « inégal », il a été touché par la mise en scène de ce débat entre la « cancel culture » et la « mémoire nécessaire ». pour l’hebdomadaire, « c’est dans ce nœud gordien que s’infiltre l’intelligence de testament. un film sur l’automne de la vie d’un homme sardonique, qui cherche à ne pas mourir trop vieux ni de cœur ni d’esprit. »

Mais les « vrais médias de gauche » ont massacré le film. En premier lieu « Le Monde »

« Le cinéaste Denys Arcand sombre dans l’antiwokisme. sans finesse, le réalisateur québécois dissèque l’affaissement moral supposé de son pays en mettant les femmes et la jeunesse en première ligne.
[…] le cinéaste ne se montre jamais à la hauteur des débats qu’il soulève, la profondeur analytique de ses saillies pouvant se résumer à un désespéré « tout fout le camp ! » et « on ne peut plus rien dire », tandis que femmes et jeunesse sont filmées comme des monstres irrationnels. en faisant du wokisme l’explication de tous les maux de son pays, Arcand oublie, au passage, de faire le méticuleux décompte de ses privilèges, et notamment celui-ci : il a une heure cinquante-cinq pour raconter n’importe quoi sans être interrompu. en somme, le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les « boomers ».»

Ce texte peu aimable est de Murielle Joudet qui va jusqu’à oser cette comparaison disqualifiante, pour elle : « Denys Arcand rejoignant là Eric Zemmour en faisant des femmes – et d’une supposée « féminisation de la société » – les agents d’un affaissement intellectuel. ».


Jérôme Garcin
n’est pas plus aimable dans « Le Nouvel Obs ». Dans le titre il utilise les termes « vieillot et poussiéreux » et il ajoute :

« C’est un film de vieux, que notre époque insupporte et que le politiquement correct exaspère. [..] il n’est pas le seul à dénoncer les excès du nouvel ordre moral, mais il le fait ici avec une délicatesse d’éléphant blessé, échappé du cirque. le pamphlet n’est pas seulement un genre, c’est aussi un art. son film à sketches, où il beurre épais à chaque plan, n’en est pas. »

Avec ses acolytes de l’émission « Le masque et la plume » de France Inter, ils récidivent dans un jugement très défavorable.

Le journal « Libération » pratique la cancel culture : il ne parle pas de ce film !

Il faut aller sur « France 5 » pour entendre les éloges de Pierre Lescure et de Patrick Cohen avec en outre une interview du cinéaste.
Quand Patrick Cohen dit à la fin de la chronique que c’est le film le plus drôle qu’il ait vu depuis la rentrée, Anne Elisabeth Lemoine réplique :

« Cela fait peut être de vous un vieux con ? ».

Peut être faut-il savoir être un vieux con pour dénoncer les excès et les effets de mode et de troupeau qui mènent vers le néant.

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Lundi 13 mars 2023

« La femme de Tchaïkovski »
Film de Kirill Serebrennikov

Elle s’appelait Antonina Milioukova :

Le 6 juillet 1877, en l’Eglise Saint George de Moscou, elle devint Madame Tchaïkovski, l’épouse du plus grand compositeur russe de l’Histoire Piotr Ilitch Tchaïkovski.

Kirill Serebrennikov l’un des grands réalisateurs et metteurs en scène russe, qui vit désormais à Berlin a poursuivi le projet de consacrer un film à cette femme.

Avec Annie, nous sommes allés voir ce film après avoir entendu le réalisateur invité de Léa Salamé : « Il est absolument impossible que mon film soit montré en Russie »

C’est un film qui selon nous dégage une grande force.

C’est un film de malheur, de malaise, d’humiliation et d’entêtement.

Le malheur provient du fait que ce mariage est un désastre, il ne sera jamais consommé. Après trois mois Tchaïkovski fuit, tombe en dépression et fait même une tentative de suicide. Dans le film Srebrennikov montre une scène dans laquelle Tchaïkovski tente d’étrangler sa femme.

Le malaise c’est le non-dit, des situations pénibles dans lesquelles va se retrouver Antonina Milioukova, dans un monde d’hommes dans lequel aucune place ne lui est accordée.

L’humiliation est celle que Tchaikovsky et ses proches lui imposent pour se débarrasser d’elle, pour l’éloigner

Et l’entêtement est celle de cette femme qui refuse le divorce et veut rester l’épouse de Tchaïkovski.

Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » explique

« Dans sa notice nécrologique on pouvait lire : «Tchaïkovski est mort célibataire» mais lors des funérailles du compositeur, le 11 octobre 1893, les gens furent pris de stupeur à la lecture de l’inscription sur une des couronnes : «De la part de sa femme aimante».  »

Le 1er décembre 2016, j’avais écrit un mot du jour : « La symphonie Pathétique » qui est la dernière œuvre du compositeur. Il l’a créé sous sa direction à Saint-Pétersbourg, le 28 octobre 1893 et 9 jours après, il est mort à l’âge de 53 ans.

Dans ce mot du jour, j’évoquais la thèse défendue par certain, notamment l’écrivaine Nina Berberova, du suicide du compositeur suite à une décision de condamnation à mort par un tribunal d’honneur. Cette thèse est controversée.

Mais le cœur de tout cela que plus personne ne conteste c’est l’homosexualité de Tchaïkovski.

Une homosexualité inavouable dans la société de cette époque et pour Tchaïkovski exclusive : il ne supportait pas les attouchements avec un corps féminin.

Il écrira quelques mois après les noces à son jeune frère Modeste :

« Je l’avais bien prévenue qu’elle ne pouvait compter que sur un amour fraternel. Physiquement, ma femme m’inspire à présent une répulsion totale »

Deux ans avant son mariage, en 1876, il avait écrit toujours à Modeste :

« Je voudrais, par un mariage ou du moins par une liaison déclarée avec une femme, faire taire certaines créatures méprisables. »

Dans le film, Srebrennikov, montre une Antonina qui poursuit Tchaïkovski avec passion pour lui demander le mariage auquel il finit par céder.

L’actrice qui joue le rôle d’Antonina est extraordinaire et a pour nom Alyona Mikhailova.

« Le Masque et la Plume» ont trouvé à une exception près ce film magnifique, mais c’est de manière unanime qu’ils ont reconnu la performance d’Alyona Mikhailova. Et ils ont dénoncé comme une injustice que le dernier festival de Cannes, où ce film était présenté, ne lui ait pas décerné le Prix d’interprétation féminine,
Tout le monde sait que Tchaikovski était homo-sexuel. Mais le gouvernement russe, comme avant le gouvernement soviétique, comme avant le gouvernement tsariste ne veut pas le reconnaître.

Lorsque Kirill Serebrennikov présente son projet au ministre russe de la Culture, ce dernier lui répond

« Tchaïkovski n’était pas homosexuel, vous n’êtes pas autorisé à le laisser penser dans votre film, nous avons besoin d’un film sur Tchaïkovski hétérosexuel ».

Serebrennikov explique à Léa Salamé :

« Ce que j’ai trouvé repoussant, c’est cette commande propagandiste : quand on dicte à une équipe de tournage qu’il faut faire comme-ci, ou comme ça, c’est comme si le mensonge devenait une idéologie de propagande ».

Concernant son film il décrit son projet :

« Ces deux personnes ont été en vraie dépression, mais Tchaïkovski a réussi à rester un grand compositeur. Antonina, elle, a sombré dans cette folie. […] Il y a là une certaine naïveté, mais aussi un ego passionné, un désir de posséder la personne que vous avez choisie. Ce désir de posséder la rend extrêmement contemporaine […] En miroir de ce personnage qui agit, on voit un Tchaïkovski dur, narcissique, insensible à elle. Il était contre tout ce qui pouvait l’empêcher d’écrire sa musique, il essayait de créer autour de lui les bonnes circonstances pour travailler, il le fait par des efforts qu’on peut interpréter comme étant de l’agression ».

Dans la réalité Antonina Milioukova finira sa vie dans un Hôpital psychiatrique à Moscou, dans lequel elle décédera le 1er mars 1917, 24 ans après son mari

Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » écriront :

« En 1917, dans un hôpital psychiatrique de la ville de Saint-Pétersbourg, mourait une mystérieuse patiente. Elle ne figurait pas dans les registres de la clinique sous le nom de Madame Tchaïkovski, veuve du compositeur Piotr Tchaïkovski, mais comme Antonina Miloukova. […] Déjà rejetée de son vivant, elle fut par la suite complètement oubliée par ses contemporains ; la génération actuelle va même jusqu’à douter de son existence. »

Sur le site <Zone Critique> Kirill Serebrennikov précise :

« Je souhaitais porter un regard inattendu sur un héros national et intouchable et j’ai décidé, pour ce faire, de suivre les lois générales du biopic (ou film biographique), en considérant les éléments de loin sans porter un regard radical dessus. Se placer à une certaine distance permet d’entrevoir les choses avec du recul et d’embrasser toute la psychologie des personnages, ce qu’il n’est pas possible de faire quand on s’approche trop près, presque face contre face. J’ai adopté cette distance par le truchement d’Antonina, car je voulais adopter le point de vue d’une personne qui ne sait pas ce que nous, nous savons. Elle a son propre regard, vit sa propre expérience, celle d’une personne somme toute classique et banale, en proie à l’impossibilité d’interagir comme il faut avec un génie, ce qu’il représente : un soleil irradiant de talent. Elle n’y parvient pas car, bien que resplendissant, le soleil a aussi ses propres taches et, paradoxalement, ses parts d’ombre. […]
Je voulais rendre les personnages absolument complexes, c’est pour cela que j’ai décidé de laisser dans leur bouche leurs vraies paroles. Il s’agit presque d’un film documentaire : les lettres sont authentiques, même le comportement des personnages montré à l’écran est extrêmement fidèle à la réalité. Ainsi, ce que dit Antonina des juifs dans son délire antisémite se retrouve mot pour mot dans ses lettres. Ma part d’auteur réside surtout dans la composition que j’ai faite des séquences, en tâchant de respecter le plus possible la réalité. »

Et puis il parle de la seule photo sur laquelle on voit Monsieur et Madame :

«  Il n’existe qu’une seule photo où ils apparaissent tous les deux et je l’ai restituée telle quelle dans le film. Elle est très étrange, on ne sait pas pourquoi, sur ce cliché, il nous regarde alors qu’elle-même a son attention portée ailleurs. Dans de nombreuses scènes du film coupées au montage, et d’une durée totale de 40 minutes qui se retrouveront peut-être dans une édition intégrale, j’ai représenté les ateliers dans lesquels Tchaïkovski, ses amis et ses élèves se faisaient photographier. Il y passait beaucoup de temps car les daguerréotypes nécessitaient une certaine application pour ne pas être flous. Tchaïkovski a été un pionnier des photos commerciales ; en raison de sa célébrité, tout le monde souhaitait posséder sa photo chez lui. Il se faisait alors tirer le portrait chez les plus grands artistes, lesquels vendaient les photos avec les partitions. »

La Russie que le cinéaste montre est très sale, violente et glauque :

« C’était la réalité du XIXe. Les ordures étaient encore lancées sur la chaussée, comme on le voit dans le film, même si les caniveaux et les canalisations commençaient à faire leur apparition. J’avais envie de montrer la saleté et l’absence du confort auquel on est habitué aujourd’hui. Les personnages ont envie de vivre, aimer, souffrir, servir la musique… Par contraste, ces ambitions s’opposent à ces scènes d’extérieur, tristes, sales et dégradées. Je voulais illustrer le véritable milieu où tous ces gens ont évolué, rêvé, aimé…. »

Kirill Serebrennikov a été poursuivi par l’appareil judiciaire de Poutine, assigné à résidence, condamné en juin 2020 à de la prison avec sursis, Poutine ne voulait pas en faire un martyr. Il a quitté la Russie pour Berlin peu après le début de la guerre en Ukraine pour vivre à Berlin.

Chez Léa Salamé il s’est exprimé sur la Russie contemporaine :

« Le film montre aussi qu’à l’époque, la situation des femmes en Russie était pire que celle des hommes homosexuels, qui bénéficiaient d’une forme de tolérance. Aujourd’hui, il est impossible d’être homosexuel en Russie. Il est absolument impossible de montrer ce film en Russie compte tenu des lois prises ces dernières années: tous les enfants risqueraient de devenir homosexuels si on leur montrait ce film-là ? On va attendre d’autres, une autre époque, quand tout le monde se retrouvera en Russie. Si un jour ce film est montré, ce sera le signe des changements en Russie ». Après Poutine ? « Sans nul doute. »

C’est un film puissant qu’on n’oublie pas.

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Lundi 27 juin 2022

« Ne pleurons pas de l’avoir perdue, mais réjouissons-nous de l’avoir connue. »
Jean-Louis Trintignant après le décès de sa fille Marie Trintignant

Jean-Louis Trintignant est mort, le 17 juin, à l’âge de 91 ans « paisiblement, de vieillesse, […] entouré de ses proches », a fait savoir son agent.

Il est ainsi mort une seconde fois ou mort vraiment.

En effet, dans une interview face à Claire Chazal dans « Entrée Libre » sur France 5, fin 2018, Jean-Louis Trintignant avait expliqué que le décès de sa fille Marie Trintignant l’avait dévasté :

« Ça ne guérit pas. Depuis quinze ans, ça m’a complètement abattu. Je suis mort il y a quinze ans, avec elle. […] rien n’a pu m’aider à traverser ce deuil. […] Je vais très mal. »

Marie Trintignant est décédée le 1er Août 2003 d’un féminicide perpétré par son compagnon de vie.

Et Jean-Louis Trintignant avait alors prononcé dans ces circonstances tragiques :

« Ne pleurons pas de l’avoir perdue, mais réjouissons-nous de l’avoir connue. »

C’est ce qu’a rapporté François Morel dans l’émouvant hommage qu’il lui a rendu lors de sa chronique hebdomadaire du vendredi : < Hommage à Jean-Louis Trintignant >

Et il a ajouté :

« Je me réjouis d’avoir eu la chance de connaitre un peu Jean-Louis Trintignant. »

Ce ne fut pas la première tragédie que ce vieil homme connut dans sa vie consacrée à l’Art, au Théâtre et au Cinéma.

Il avait déjà perdu une première fille, Pauline, sœur cadette de Marie, née en 1969 et morte à l’âge de dix mois.

Dans le recueil Du côté d’Uzès, entretiens avec André Asséo (2012), Jean-Louis Trintignant confie :

« Un matin, alors que je partais tourner, je suis allé embrasser Pauline dans son berceau. Elle était morte, on n’a pas su comment. J’ai dit à Nadine : Soit on se suicide, soit on accepte de vivre pour Marie. »

Et plus jeune encore, il avait 8 ans, son père était résistant et sa mère avait vécu une histoire d’amour avec un soldat allemand.

En septembre 2017, dans les colonnes du JDD, il raconte :

« Ma mère a été tondue dans une charrette. Bien sûr mon père l’a sauvée, mais il m’a dit ce truc qui m’a bouleversé toute ma vie : ‘Comment as-tu pu laisser faire ça ?’ C’était lourd pour un enfant. »

Et il reconnaissait que c’était une blessure qu’il a porté toute sa vie en ajoutant :

« C’est peut-être pour ça que je suis devenu acteur. Au fond, la décadence des familles bourgeoises, peut-être que j’ai joué ça toute ma vie… »

Laurent Delahousse l’a interviewé en 2018, au théâtre des Célestins de Lyon où il réalisait un spectacle, avec des musiciens, en disant des poèmes : <Jean-Louis Trintignant au Théâtre des Célestins>

Un entretien d’une profondeur bouleversante.

A propos de ses parents, il raconte qu’après ce tragique épisode, ils ont encore vécu 20 ans ensemble, mais dans des relations si compliquées qu’ils auraient mieux fait de se séparer rapidement.

Ce spectacle joué à Lyon le fut aussi à Paris. Il avait alors été invité de Léa Salamé, je l’avais rapporté lors du mot du jour du <14 février 2019> pour souligner un poème de Prévert qui faisait partie du spectacle et qu’il a déclamé lors de l’émission :

Il a cité aussi d’autres poètes comme par exemple Pierre Reverdy qui a écrit :

« On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux »

C’était un <monument du cinéma français> titre le journal canadien « Le Devoir » qui narre son immense carrière

Article qui rapporte qu’après la mort brutale de sa fille Marie, il a dit :

« Je devrais m’arrêter, mais je ne veux pas. Les moments les plus heureux de ma vie, c’est quand je travaille, quand je fais du théâtre »

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Mercredi 1er décembre 2021

« Pardonne-moi. Je te pardonne. Je t’aime. Merci. Au revoir. »
Les 5 mots essentiels qu’il faut dire, selon le professeur Gabriel Sara, pour ranger le bureau de sa vie

« De son vivant » est un beau titre pour un film bouleversant et lumineux.

Il s’agit de la fin de vie d’un professeur d’art théâtral joué par Benoit Magimel, atteint d’un cancer du pancréas au stade 4, accompagné par un médecin joué par un vrai oncologue, Gabriel Sara, qui fait dans le film ce qu’il pratique, dans la vraie vie, dans son service : l’unité de chimiothérapie de l’hôpital Mount Sinaï Roosevelt de New York.

Ce film ne parle pas de la mort, il parle de la vie.

Pour supporter notre destin de mortel, beaucoup de croyants se rattachent à leurs récits religieux qui leur racontent une vie éternelle qu’ils pourront vivre après, dans un monde où tout n’est que beauté, douceur et lumière.

Et si ce récit rassurant leur permet de mieux vivre ses moments ultimes, ils font bien.

Ce ne fut pas la réponse d’Axel Kahn quand dans son dernier entretien, dans la <Grande Librairie>, deux semaines avant de mourir, François Busnel lui demanda : « Croyez-vous à une vie après la mort ? », il répondit  :

« Je n’en fais point l’hypothèse »

Mais Axel Kahn a surtout dit autre chose :

«  La mort est un non évènement, ce n’est rien d’autre que la fin de la vie, le rideau qui tombe… »

L’évènement c’est la vie, c’est de la vie qu’il faut parler, c’est la vie qu’il faut vivre.

Car, si la vie après la mort est une hypothèse, celle avant est palpable, réelle et permet de donner et de recevoir de la joie, de la tendresse, de l’amour.

Vivre, même s’il ne reste qu’un an ou qu’un mois ou que 5 minutes.

S’il ne reste que peu de temps, il devient d’autant plus important de remplir ce temps de ce qui est le plus essentiel, de plus précieux.

C’est ce qu’a fait Axel Kahn dans sa vraie vie. En outre, il a tenu « La chronique apaisée de la fin d’un itinéraire de vie » sur son <blog> jusqu’au moment où la douleur trop forte l’a obligé de prendre des médicaments contre la douleur qui ne lui permettait plus de disposer d’une lucidité suffisante pour écrire un texte intelligible et construit.

Dans l’œuvre de fiction « De son vivant », le professeur Gabriel Sara, en puisant dans son expérience, ne dit pas autre chose quand il avertit Benjamin qu’il existe des gens qui meurent avant de mourir, parce qu’ils oublient de vivre ce qu’il leur reste de vie.

Benoit Magimel est époustouflant dans ce film, Catherine Deneuve qui joue sa mère et qui a subi un AVC au cours du tournage est admirable, mais celui qui illumine le film est le docteur Gabriel Sara.

Celui qui invite à « ranger le bureau de sa vie », en prononçant les 5 phrases essentielles :

  • Pardonne-moi,
  • Je te pardonne
  • Je t’aime
  • Merci
  • Au revoir

C’est en entendant cet homme qui accompagnait Emmanuelle Bercot, la réalisatrice du film chez Léa Salamé le 24 novembre 2021, <Je voulais faire un film sur la mort plein de vie> que j’ai eu une envie irrépressible d’aller voir ce film.

Ce qui fut fait avec Annie le 30 novembre.

Gabriel Sara est né au Liban et a étudié en France. Il a rencontré Emmanuelle Bercot à New York et lui a proposé de venir le voir dans son service de traitement du cancer. Emmanuelle Bercot a accepté l’invitation et a été saisie par l’immense qualité de ses méthodes d’accompagnement des malades : humaines et joyeuses.

Il refuse la distance entre le malade et son médecin. Il n’accepte pas les mensonges, le déni, il ne connait qu’une règle : dire 100% de la vérité :

« Il est indispensable de mettre carte sur table. Car mon malade est mon partenaire. Si on va être partenaire lors d’une aventure, on ne peut pas se mentir.
Il faut clarifier les choses, c’est dur au départ. Le cancer est un terroriste, il ne faut pas se laisser consumer par la peur »

J’ai trouvé un entretien d’une profondeur exceptionnelle avec Gabriel Sara sur le site de l’association RoseUp, qui est une association de patients et d’accompagnants dans lutte face aux cancers : <un oncologue se livre au cinéma>

Il joue son rôle même si dans le film le nom du médecin est le docteur Eddé :

« D’abord, [le docteur Eddé] sait ce qu’il fait, ça c’est indispensable. Mais c’est aussi un médecin qui s’intéresse à l’individu derrière le malade. Qui s’y intéresse vraiment et qui s’adapte à lui, en fonction de l’évolution de son état d’esprit. Car, au fil du parcours de soins, les gens changent. Leurs humeurs, leurs émotions ne sont pas les mêmes d’une semaine à l’autre, ou même d’un jour à l’autre. C’est ce que j’appelle danser avec le malade.
La séquence de tango dans le film symbolise cette relation étroite qui nous unit. […]

C’est beau le tango mais c’est une danse difficile. Elle nécessite d’avoir confiance en l’autre, d’être connecté à son corps, à ses réactions, à ses mouvements. Un faux pas peut faire trébucher et chuter les danseurs. C’est ça être partenaire, et c’est exactement pareil en médecine. Avec le malade, on danse ensemble. Ça veut dire qu’on se tient la main et qu’on regarde le cancer ensemble. Et ensemble on va trouver la façon de le détruire quand c’est possible, ou de vivre avec, si on peut. »

Il parle de confiance, confiance qui n’est possible que s’il existe un pacte de vérité. Mais à la fin il parle surtout d’humanité :

« Sur la vérité. Il y a souvent un manque de vérité, or pour moi elle est sacrée. Aucun malade n’est stupide. Il entend les messes basses, il voit les regards sur lui, il sent évidemment qu’il y a un problème sérieux. Parfois on ne lui dit que la moitié des choses, et c’est tout aussi dramatique. Le malade se dit « je vais mourir et personne n’ose me le dire même, pas mon médecin ! ». L’imagination s’emballe, et c’est un poison, c’est un diable dans sa tête. La seule chose qui permet de le dompter, de le chasser, c’est la vérité. Voilà pourquoi j’annonce toujours mon jeu dès le premier rendez-vous, en disant au malade : vous ne me connaissez pas encore, mais je suis très franc, très transparent. Je vous dirai toujours les choses exactement comme elles sont. Ce pacte de vérité avec mon patient doit être permanent, constant. C’est à ce prix que la confiance se construit. Mais c’est aussi un pacte très difficile à tenir.

[…] Mais la plus grande des frayeurs ce n’est pas de savoir qu’on va mourir, mais de savoir qu’on vous a menti, surtout si c’est votre médecin. Les gens pensent qu’en disant la vérité on déprime le malade. C’est un concept malheureusement généralisé et faux. Quand le jeu devient dur et qu’on cache la vérité, on abandonne son malade. On le trahit. Oui c’est très dur d’entendre qu’on va mourir, mais une fois qu’on a géré cette chose, et je suis là pour aider la personne à le gérer, on va vers l’avenir, le meilleur. On peut mourir de son vivant. On le voit chez Benjamin. Au fur et à mesure que son corps s’affaiblit, son esprit devient paradoxalement plus puissant. Il prend le contrôle de sa vie, il règle son histoire avec son fils, il pardonne à sa mère, il transmet à ses élèves tout ce qu’il a de plus beau à donner. Alors que son corps est foutu, lui vit plus intensément que jamais. Il n’a jamais été aussi en contrôle de sa vie. Et c’est merveilleux. »

Bien sûr, à la fin après avoir gagné des batailles, il sait qu’il perdra la guerre. Mais son combat est un beau combat : que la vie reste belle jusqu’au bout :

« Face à un patient dont je connais le pronostic, mon but n’est évidemment pas de le sauver, je sais où je l’emmène, et je dois l’accepter. Mais il y a des chances pour que je puisse prolonger sa vie et, plus important encore, pour que je puisse prolonger ou augmenter sa qualité de vie.  Face à un patient condamné, ma mission sacrée est de l’accompagner pour que les années, les mois et jusqu’aux minutes qu’il lui reste, soient de beaux instants de vie et pas d’agonie. Quand mon patient meurt, je suis triste bien sûr, mais j’ai le sentiment du devoir accompli. Pour un cancérologue, c’est une satisfaction énorme. »

Il se déclare même amoureux de son métier :

« Oui parce qu’il y a tant de choses qu’on peut faire pour les malades. Il n’y en a aucun qu’on ne peut pas aider, ça n’existe pas ! Même dans le pire des cas. Ce qui m’intéresse en tant que cancérologue, ce n’est pas la bataille mais la guerre dans son ensemble. Un traitement de cancer du poumon peut avoir des conséquences sur le rein, le cœur, la tête du patient. La stratégie doit être globale, et il faut mettre met son intelligence, sa créativité et son écoute au service de cette stratégie. Quand on est convaincu de ça, c’est fou l’impact qu’on peut avoir sur nos malades. À tous les niveaux. Sky is the limit ! (Le ciel est la limite)

Médecin admirable qui tente de lutter contre cette tendance de la médecine occidentale de couper le patient en tranche de spécialités, mais d’essayer de l’aborder dans son ensemble, de manière holistique.

Film d’une beauté incandescente.

Bien sûr c’est un mélo, il fait pleurer, mais il n’est pas triste et il fait beaucoup de bien.

C’est une grande réussite d’Emmanuelle Bercot aidée par des acteurs remarquables.

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Jeudi 21 octobre 2021

« Essaie et cours ta chance ! »
Paul Belmondo à son fils Jean-Paul après qu’un acteur de théâtre ait démoli son rêve de faire de la comédie

Mon neveu Grégory l’avait verbalisé, ce qu’il y a de spécifique dans cet article quotidien que j’écris c’est que je suis libre de choisir le sujet que je veux.

Je l’avais déjà cité lors du mot du jour du <du 4 décembre 2018>

Cette règle est particulièrement vraie pour les hommages.

Il faut que quelque chose me touche, que je pense savoir l’exprimer pour pouvoir le partager.

C’est le cas pour Jean-Paul Belmondo qui est décédé le 6 septembre 2021.

Il a été un acteur flamboyant, populaire, avec un succès incroyable. Il a également tourné, avec un même bonheur, des films d’auteur. Il fut aussi un grand acteur de théâtre.

Mais ce que je voudrais partager, c’est le début et la fin.

Augustin Trapenard était allé lui rendre visite en novembre 2016, chez lui pour son émission <Boomerang>

Et Jean-Paul Belmondo a rappelé ses débuts : Il est né dans un milieu favorisé, à Neuilly sur Seine. Son père était un sculpteur reconnu Paul Belmondo et sa mère une artiste peintre : Madeleine Rainaud-Richard

Mais à l’école il n’y arrivait pas vraiment et il raconte :

« Comédien, je crois que j’ai voulu l’être tout de suite. A 10 ans, je faisais le clown. Ça amusait beaucoup ma mère. Et petit à petit, j’ai pensé que je pourrais être un comédien  »

Ses parents étaient un peu inquiets, mais sont toujours restés positifs. Et devant le désir du petit Jean-Paul, son père qui avait évidemment beaucoup de relations dans le monde des arts et du spectacle lui dit :

« Je vais te présenter à un ami qui est à la Comédie Française et il nous dira ce qu’il pense de toi. »

Cet acteur de théâtre avait pour nom André Bruno. Cela se passa très mal. Le professionnel du théâtre condamna sans appel le jeune enfant ému :

« Arrête. Fais autre chose ! »

Il pleura et c’est là qu’on trouve une leçon de vie donnée par son père. Leçon qu’il gardera toute sa vie.

Sans rien sous-estimer des difficultés et des immenses efforts nécessaires, son père ne l’arrête pas dans la poursuite de son rêve, mais l’encourage à y aller :

« On n’a jamais perdu, il faut garder le moral.
Je te suppose, assez clairvoyant pour envisager les difficultés que tu vas rencontrer. Essaie et cours ta chance. »

Essaie et cours ta chance !

Je trouve cette réaction très inspirante dans les circonstances telles que Jean-Paul Belmondo les décrit.

Il a été largement commenté que Jean-Paul Belmondo, lors de ses études au conservatoire de Paris, tout en faisant l’admiration de ses camarades, ne sera pas  apprécié et valorisé par ses professeurs.

Son premier professeur, qui s’appelle René Simon, lui dit qu’il n’est pas fait pour le métier. Un autre qui s’appelle Pierre Dux lui dit qu’il est moche, que jamais il ne prendra une belle femme dans ses bras.

Ce même professeur, lorsqu’il passait des scènes au conservatoire lui renvoyait :

« Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Asseyez-vous ».

Belmondo moche ! Sur ce point, il aura aussi une revanche éclatante :

« Et un jour, je me promenais sur les Champs-Elysées avec la femme avec qui je vivais, Ursula Andress, je le [Pierre Dux] rencontre et il me dit : ‘on fait ce qu’on peut.’ »

Cela c’était le début,

Mais la fin est tout aussi remarquable.

Le 8 août 2001, dans sa 68ème année, alors qu’il se trouve en vacances en Corse chez son ami Guy Bedos à Lumio, près de Calvi, Belmondo est victime d’un accident vasculaire cérébral. Il est héliporté d’urgence à l’hôpital Falconaja de Bastia.

Cet AVC va transformer le sportif, l’étincelant parleur en un vieil homme s’exprimant avec beaucoup de difficultés.

Quand Augustin Trapenard l’interviewe, il porte cette infirmité depuis 15 ans et pourtant il reste merveilleusement positif. Son élocution malhabile n’empêche pas le sourire et la joie.

ll explique à Trapenard, qu’être un bon acteur, ce n’est pas être naturel. Naturel, tout le monde peut l’être, mais c’est d’avoir un petit peu plus que ça. Et ce petit plus pour lui c’est :

« La bonne humeur, parce que même dans mes rôles difficiles, je riais quand même. »

Et quand Augustin Trapenard lui demande :

« Cette liberté, cette allégresse, cette joie de vivre, ça vient d’où ? »

Il explique :

« Je suis né comme ça. Ma mère, ou mon père, m’ont toujours élevé comme ça. Cela vient peut-être de l’époque qui était beaucoup plus gaie, beaucoup plus libre. […] On sortait de la guerre, et il y avait la joie de recommencer à vivre. »

Emmanuel Macron lui a rendu un magnifique hommage aux Invalides : <Hommage à JP Belmondo>

Pour ce genre d’exercice, il faut reconnaître qu’il a du talent.

Et il est passionnant d’écouter Clément Viktorovitch décortiquer sur <franceinfo> ce discours. C’est très instructif d’analyser ainsi la rhétorique. Vous apprendrez, en outre, des mots savants :

  • Un discours épidictique, le discours de louanges.
  • Une épiphore, qui consiste à terminer une succession de phrases par le même mot ou le même groupe de mots,
  • Une synecdoque, qui consiste à parler d’une partie pour évoquer le tout ou inversement. Emmanuel Macron l’a beaucoup fait dans tout son discours, il a narré la vie de Belmondo pour célébrer à travers elle, l’histoire de France et l’histoire du cinéma.

Mais j’ai regretté que dans la partie de son discours dans laquelle, le Président utilise Jean-Paul Belmondo comme anaphore, il s’arrête à 50 ans :

« Jean-Paul BELMONDO était nos 30 ans. Ce Don Quichotte des temps modernes, capable de repousser les limites de l’ivresse en même temps que celle de la tendresse, tel un singe en hiver.

Jean-Paul BELMONDO était nos 40 ans. Ce commissaire aussi athlétique, intrépide que tous, nous aurions rêvé d’être pour nous battre contre la peur sur la ville.

Jean-Paul BELMONDO était nos 50 ans. Cet entrepreneur à succès qui, soudain, choisit, dernière étape de l’itinéraire d’un enfant gâté, de larguer les amarres vers sa liberté et vers son destin. Il fut l’ami que chacun aimerait avoir. »

Car il aurait pu dire « Jean-Paul BELMONDO était nos 70 ans, fragile, touché, meurtri mais toujours joyeux, debout et grand. »

Pour finir, je reprendrai la conclusion du discours du Président de la République qui a rappelé que dans ses dernières années, quand ne pouvant plus exercer sa verve gouailleuse, son verbe étincelant, sa langue éblouissante, il prononçait un mot pour signifier tous les autres qu’il n’arrivait plus à dire :
« Voilà.»

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Lundi 5 juillet 2021

« La musique officielle du festival de Cannes. »
Camille Saint-Saëns

Le festival international de film de Cannes va débuter demain, le 6 juillet 2021.

Initialement prévu du 12 au 23 mai 2020, le festival 2020 a été annulé en raison de la pandémie de la Covid-19

Et comme les années précédentes, avant la diffusion de chaque film dans la salle du palais des Festivals une musique sera jouée: <Cette musique>

Musique pétillante, scintillante, qui incite à la rêverie.

C’est une musique de Camille Saint Saëns. C’est un des morceaux d’une de ses œuvres les plus connues : « Le Carnaval des animaux ».

Et ce morceau s’appelle <aquarium>

<France Musique> explique le lien de cette musique avec le cinéma.

Nous apprenons ainsi que Terrence Malick, a utilisé cette musique dans son film « Les Moissons du Ciel ».

Et, c’est après avoir vu ce film que Gilles Jacob, l’ancien délégué général et président du Festival de Cannes a choisi cette musique comme identité sonore du Festival de Cannes depuis 1990.

Alan Menken, compositeur de la musique du film « La Belle et la Bête » des studios Disney sortie en 1991 s’est inspiré de l’aquarium de Saint-Saëns.D’autres ont utilisé ou se sont inspirés de cette petite pièce magique, par exemple le célèbre Ennio Morricone.

Max Dozolme l’animateur de France Musique décrit

«  Une musique composée en 1886 et qui évoque le ballet des poissons avec ces notes de piano comme des bulles et surtout un procédé totalement magique de Camille Saint-Saëns : chaque note du thème joué par les violons et la flûte dans les aiguës est répétée par un glass-harmonica au son cristallin, comme pour évoquer le scintillement de l’eau et des écailles de ces animaux muets…»

Camille Saint-Saëns est mort, il y a 100 ans en 1921.

Plus précisément le 16 décembre 1921. Je rendrai plus longuement hommage à ce musicien un peu oublié et qui a écrit des œuvres splendides.

Vous pourrez voir « aquarium » joué par les sœurs Labèque et l’orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Simon Rattle derrière ce lien <Aquarium joué par la Philharmonie de Berlin>

France Musique propose un arrangement pour deux pianos : <L’aquarium de Saint Saens arrangé pour deux pianos>

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Vendredi 11 juin 2021

« L’amour du cinéma m’a permis de trouver une place dans l’existence »
Bertrand Tavernier

Le 25 avril 2021, le grand cinéaste, Bertrand Tavernier, aurait fêté ses 80 ans.

Mais, il ne les a pas fêtés parce qu’il est mort avant, le 21 mars 2021. Je n’ai pas pu lui rendre hommage immédiatement, car j’ai entamé la série sur la Commune le 22 mars.

Bertrand Tavernier est né à Lyon et il a habité pendant 5 ans dans la villa que possédait ses parents au 4 rue Chambovet.

Cette maison n’existe plus aujourd’hui. Elle a été démolie et le grand jardin de la propriété à été transformé en Parc public : « le Parc Chambovet » qu’Annie et moi avons beaucoup fréquenté pendant le premier confinement, car il constituait le seul espace vert, possédant une dimension de respiration suffisante [5,6 hectares] et se situant dans le kilomètre autorisé nonobstant une marge de tolérance acceptable.

Et, quand on prend la sortie rue Chambovet, deux plaques sont apposées au mur.

En juillet 2008, Telerama avait interrogé des personnes du monde de la culture pour leur faire raconter un lieu qui a marqué leur enfance. L’article du 18 juillet 2008 avait pour titre : « Bertrand Tavernier habitait au 4, rue Chambovet, à Lyon » :

« J’ai passé les cinq premières années de ma vie à Lyon, dans une maison située au 4, rue Chambovet, dans le quartier de Montchat. Nous habitions sur une petite butte, et mon premier souvenir, il m’est déjà arrivé de le raconter, ce sont les fusées éclairantes qui saluent l’arrivée des Américains. On est en 1944, j’ai 3 ans. Dans cette maison, pendant l’Occupation, mon père, René, qui dirigeait la revue littéraire Confluences, a caché Aragon. C’est chez nous que celui-ci a écrit Il n’y a pas d’amour heureux, la légende voulant que ce soit pour ma mère. Mais je n’ai aucun souvenir de lui… Plus tard, la maison a été détruite – je l’évoque dans L’Horloger de Saint-Paul -, et aujourd’hui, sur son emplacement, une plaque dit qu’elle a été le siège du Comité national des écrivains, ce rassemblement d’auteurs résistants.Nous avons emménagé à Paris quand j’avais 5 ans, mais je n’ai cessé de retourner à Lyon, où vivaient mes deux grands-mères. »

Bertrand Tavernier n’a donc vécu que 5 ans à Lyon, mais pour tous il est le cinéaste lyonnais. La Tribune de Lyon dans son numéro hommage a titré « Une passion lyonnaise ».

Et il est vrai que s’il est parti de Lyon, il y est toujours revenu, notamment pour créer l’Institut Lumière en 1982 puis le Festival Lumière .

Et, c’est à Lyon qu’il a tourné son premier long métrage, « L’Horloger de Saint Paul » avec une scène d’ouverture tournée au Garet, ce restaurant où Jean Moulin rencontra pour la première fois celui qui allait devenir son secrétaire, Daniel Cordier, comme on peut le lire dans « Alias Caracalla ».

Un peu plus loin dans le film, il évoque sa maison d’enfance rue Chambovet, lorsque le personnage de Philippe Noiret rend visite à l’ancienne nourrice de son fils.

La tribune de Lyon revient sur la création de l’Institut Lumière avec Bernard Chardère qui affirme :

« Sans Bertrand, on n’aurait jamais pu créer l’Institut Lumière. Il a joué un grand rôle notamment auprès des politiques, et n’a jamais manqué un seul conseil d’administration »

Et il ajoute pour décrire son ami :

« Il avait une boulimie de films, de livres, un peu comme un historien ».

Et en 2009, il crée le Festival Lumière avec Thierry Frémaux. Il disait à ce propos :

« J’ai hérité de Jean Vilar, j’ai toujours vécu avec des gens qui aimaient partager leurs découvertes. […] Avec Thierry Frémaux on s’est battus pour démontrer que le cinéma de patrimoine n’est pas du vieux cinéma, mais un cinéma vivant, par ses thèmes comme par sa forme. »

L’institut Lumière lui a rendu hommage. Les jours qui ont suivi le décès, de nombreux bouquets de fleurs étaient disposés devant les murs de l’Institut.


J’ai choisi comme exergue la phrase que l’Institut Lumière a affiché sur un grand panneau dans le jardin de l’Institut.

Pour ma part, mon premier souvenir de Tavernier fut le documentaire qu’il a réalisé avec son fils, Nils Tavernier en 1996 : « De l’autre côté du périph ». Nous l’avions regardé en famille. Il faut dire que ce documentaire parlait de la cité des grands pêchers et que nous habitions à Montreuil dans le quartier d’à côté, plus proche du centre. Je n’étais jamais allé dans cette cité avant d’avoir vu le documentaire, rude, dur et pourtant plein de tendresse. Je m’y suis rendu après avec le regard de tendresse que les Tavernier m’avait communiqué.

Les Inrocks en parle très bien et donne la genèse de ce documentaire. Je partage, aux deux sens du terme, leur conclusion :

« Véritable film de rencontres, la réussite de De l’autre côté du périph’ tient à ce bouillonnement de paroles brutes, surgies au hasard des errances. Sans jamais se reposer sur une argumentation pesante ­ le propre des films à thèse ­, les Tavernier se sont laissé surprendre. Et ils ont eu raison. Grâce au regard ­ amical, plein de sympathie ­ qu’ils ont porté sur la vie quotidienne de la Cité des Grands Pêchers de Montreuil, la banlieue trouve enfin à la télévision une représentation juste et nuancée, loin des caricatures imposées par les formatages des journaux télévisés.»

Et puis j’ai vu « La vie et rien d’autre ». Je l’avais évoqué lors du premier mot du jour sur la guerre 14-18 : « Mourir pour la Patrie.». C’est un des plus beaux films qu’il m’a été donné de voir dans ma vie.

Gérald m’avait prêté un coffret regroupant plusieurs films de Tavernier dont « La vie et rien d’autre » que nous avons regardé avec le même sentiment d’accomplissement et d’autres que nous connaissions ou que nous découvrions comme « Coup de torchon » que j’ai beaucoup aimé aussi.

Je ne vais pas faire la liste des 30 films que Bertrand Tavernier a tournés et qui sont tous intéressants, certains contiennent des moments de grâce.

Dans ce coffret, il y avait aussi des vidéos de présentation de chaque film par Tavernier et un ou l’autre des acteurs qui avait joué dans le film. Ce qui est remarquable c’est qu’il ne s’agissait pas de présentation de 5 minutes, mais d’une demi-heure ou plus, montrant toute la générosité et la capacité de transmission de Bertrand Tavernier.

L’hommage qui a lui a été rendu, après sa disparition, était unanime.

Enfin, presque unanime. Il y a eu un journaliste de Libération Didier Péron qui a publié le 25 mars, soit 4 jours, après le décès un article « Bertrand Tavernier, que la fête s’arrête » qui commence ainsi :

«L’Horloger de Saint-Paul», «Coup de torchon», «L.627», «la Vie et rien d’autre»… Le réalisateur prolifique et bon vivant, mémoire érudite du septième art et incarnation d’un cinéma populaire et hélas pesant, est mort jeudi. Il allait avoir 80 ans. »

Un cinéma « populaire et hélas pesant ». Où est-il allé chercher cela ?

Ce journaliste devait porter depuis longtemps ce ressentiment au fond de lui, pour écrire cela alors que les cendres étaient à peine froides. Il ne pouvait attendre pour jeter son venin.

Je pense que Claude Askolovitch, dans sa Revue de presse <du 26 mars 2021>, explique partiellement la rosserie de ce journaliste :

« Et c’est la beauté du cinéma, on s’en dispute… et c’est la marque de Libération, de prendre ces disputes aux sérieux et de n’en point démordre. Et quand sur le site de Libération le journaliste politique Rachid Laireche, lui aussi enfant de la cité des Grands Pêchers, se souvient des Tavernier qui ne le trahirent pas, dans les pages culture du journal, sous un titre brillant, « que la fête s’arrête », rendant hommage au Tavernier militant de gauche engagé, le critique Didier Péron ose des mots cruels pour « un cinéma populaire mais parfois pesant » que Tavernier aurait incarné, cédant parfois à la « démonstration lourdingue »…

En 1999 Tavernier avait mené une révolte des cinéastes contre des critiques jugés assassins pour le cinéma français, à fore de bons mots et d’oukases… Libération était visé, et avait organisé dans ses colonnes un débat entre Tavernier et trois critiques, cela aussi est en ligne. Tavernier disait ceci: « Vous n’arrivez pas à faire passer votre enthousiasme. Quand vous défendez des films, très souvent il n’y a aucune retombée. A votre place, je m’interrogerais. » Il disait aussi cela : «Une opinion n’est pas un fait». Et enfin:«Tout film, comme tout être humain, doit être présumé innocent.»  »

Je suis beaucoup plus en phase avec ces propos de Philippe Meyer dans « la Croix »

« Cet homme était une fontaine, de curiosité, de fidélité, d’insatisfaction. Ça coulait tout le temps. J’ai presque le même âge que lui, j’ai eu la chance de rencontrer des tas de gens, et pas des moindres, qui m’ont beaucoup appris, marqué, montré mais lui… Celui qui dit que personne n’est irremplaçable ne l’a pas connu. »

Et il ajoute pour la place qu’il conservera dans la mémoire collective :

« ll va laisser une double place. Celle de l’auteur qu’il fut. La diversité de son inspiration n’a pas fini d’étonner. On s’était habitué à le voir passer de Que la fête commence à La mort en direct, de La Princesse de Montpensier à Dans la Brume électrique, avec des comédiens tellement différents. Et celle de l’homme de la transmission qui culmine avec son admirable Voyage à travers le cinéma français qui est un chef-d’œuvre de partage. Et les passagers de ce voyage-là, il y en aura. »

Et justement ce « voyage à travers le cinéma français » je l’ai emprunté à la Bibliothèque de Lyon et j’ai été fasciné par la culture, la qualité de la transmission dont était capable cette encyclopédie vivante du cinéma. En plus de 3 heures et huit épisodes, il va nous permettre d’embrasser toute l’histoire du cinéma français.

Dans le premier épisode il parle de Max Ophuls que je connaissais, mais aussi de Jean Grémillon et de Henri Decoin que j’ignorais totalement.

Passionnant !

J’y reviendrai peut-être dans un mot du jour ultérieur.

En tout cas, je ne crois pas que Bertrand Tavernier était pesant. Il était lucide, souvent très profond, toujours bienveillant et humaniste.

J’aime Bertrand Tavernier.


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Vendredi 12 février 2021

« Beaucoup de gens ne se rendent pas compte du privilège extraordinaire que ce qu’est « être vivant » car nous n’aurons qu’une vie, il faut en profiter pour qu’elle soit belle pour soi et qu’elle soit bonne pour les autres, et utile si possible. »
Jean-Claude Carrière

Quel homme, quelle culture, quel talent !

Frédéric Pommier dans un tweet a écrit « Dans ma prochaine vie, je voudrais la carrière de Jean-Claude Carrière. ».

Je l’ai découvert, dans les chroniques matinales de France Inter qu’il a tenu seulement pendant quatre mois, entre septembre 2003 et janvier 2004. Il racontait pendant 3 minutes, à la fin de la matinale de France Inter, une histoire, une réflexion, une chronique historique, enfin quelque chose qui était en relation avec les événements du monde qui venaient d’être analysés par les journalistes d’information. Il l’a conceptualisé sous le nom « d’à-coté ». C’était toujours un moment de sagesse et de lumière.

Il était écrivain, scénariste, parolier, metteur en scène et acteur, mais lui se définissait comme « un conteur ». Il possédait aussi la voix chaude et profonde du conteur qui immédiatement captivait votre attention.

Ces « à-côté » ont fait l’objet d’un livre.

Une fois connu le nom de Jean-Claude Carrière, j’ai pu constater à combien d’œuvres exceptionnelles il a participé.

Annie, m’avait raconté avec plein d’enthousiasme le cycle du «Mahabharata» quelle avait vu au Théâtre du Bouffes du Nord, spectacle de 9 heures. Elle parlait de l’œuvre de Peter Brook, c’est-à-dire le metteur en scène. Mais le scénario avait été écrit par Jean-Claude Carrière en se fondant sur des textes de la tradition indienne.

<Slate> écrit :

« On songe évidemment à l’immense cycle du Mahabharata conçu aux côtés de Peter Brook en 1985, à l’intelligence des puissances de la scène déployées par les deux complices pour magnifier à des yeux occidentaux et ignorants l’immense saga hindoue.

Événement inoubliable, à Avignon, au Théâtre des Bouffes du Nord ou en tournée mondiale, pour tous ceux qui l’ont connue –et dont témoignera à nouveau le film réalisé par Brook à nouveau avec l’aide de Carrière, qui n’est pas une captation mais une nouvelle adaptation au sens le plus élevé, du théâtre vers le cinéma, par les mêmes auteurs– est un tour de force presqu’inimaginable. »

Et Peter Brook, de 6 ans son ainé, mais toujours vivant, lui rend hommage dans « Libération » :

« Jean-Claude a travaillé pendant dix ans à l’adaptation du Mahabharata, cette longue épopée en sanskrit. C’était comme si la pièce renaissait sans cesse. Pour cela, il fallait voyager, et on est partis partout en Inde, consulter les grands gourous et les peuples, voir les petites pièces qui se jouaient dans la rue, dans les théâtres les plus minables. On traversait des kilomètres en taxi, et immédiatement, pendant le trajet, Jean-Claude sortait son stylo et un calepin et il écrivait. Il ne cherchait pas la gloire, mais elle est venue malgré lui. Il a reçu un oscar [d’honneur, en 2014, ndlr], et des hommages extraordinaires. Il était unique, tellement doué, et tellement peu soucieux que ça se sache. Il évitait la décoration, détestait les jolies phrases, l’ornement. Et cherchant l’essentiel, il l’était, lui, essentiel.»

Dans ce même article le jeune réalisateur, Louis Garrel avec qui il a fait « L’Homme fidèle » en 2018 le décrit ainsi : .

« Jean-Claude était comme un immense arbre avec beaucoup de feuilles qui ne faisait de l’ombre à personne. « Je lui avais demandé de relire [un] scénario […] Il m’a donné un premier conseil toujours valable : « Quand tu as un problème avec deux personnages dans une scène, rajoutes-en un troisième qui écoute. » Il avait cet incroyable talent de savoir écrire ce qui pouvait prendre forme visuellement sur un écran. […] Il me faisait penser à cette phrase de Rimbaud : « Le monde est très grand et plein de contrées magnifiques que l’existence de mille hommes ne suffirait pas à visiter. » Sauf qu’il était l’inverse, il intégrait tous les signes du monde. Mais mille personnes n’auraient pas suffi à l’explorer.»

Et quand mon fils, Alexis, a travaillé un texte en classe qui l’avait beaucoup intéressé : « La controverse de Vallalodid », c’était encore un texte, un roman plus précisément de Jean-Claude Carrière qui narre ce débat historique voulu par Charles Quint et qui s’est tenu en 1550 au collège San Gregorio de Valladolid et qui a opposé le dominicain Bartolomé de las Casas, grand défenseur des peuples autochtones d’Amérique et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda qui défendaient l’idée que l’enseignement chrétien n’empêchait pas de réduire en esclavage les indigènes pour le plus grand profit des bons chrétiens venus d’Europe.

Texte passionnant pour regarder en face ce crime qui a été commis pendant des siècles : l’esclavage.

Dialogue d’une grande richesse qui dans un téléfilm a opposé Jean-Pierre Marielle jouant Bartolomé de Las Casas et Jean-Louis Trintignant interprétant son contradicteur sous l’arbitrage du légat du Pape joué par Jean Carmet.

Il fut, bien sûr, le scénariste de Luis Bunuel, mais aussi de Jacques Tati « Les Vacances de monsieur Hulot », de Louis Malle « Viva Maria ! » et « Milou en mai », Milos Forman « Les Fantômes de Goya », Volker Schlöndorff « Le Tambour », Nagisa Ōshima « Max mon amour », Michael Haneke « Le Ruban blanc » et tant d’autres.

Il s’intéressait à toutes les cultures, à toutes les civilisations. Il s’est ainsi énormément intéressé au bouddhisme et a publié, en 1994, « La Force du bouddhisme » sur la base d’entretiens avec le dalaï-lama.

<Libération raconte> que dès ses 5 ans, il avait demandé à sa mère l’autorisation de placer un bouddha dans la crèche de Noël parmi les anges, les mages, les bergers, démarche que le curé du village, dûment consulté, autorisa.

L’obs a republié un dialogue de 2010 avec Jean Daniel dans lequel il exprime cette vision de nos fameuses valeurs universelles :

« Le mot « valeur » au sens que nous essayons d’utiliser aujourd’hui n’est pas traduisible dans quatre cinquièmes des langues de la planète. On ne peut pas traduire « valeur » en sanscrit, en chinois, en japonais, en persan… Cette notion même n’existe pas. Peut-on alors parler d’universalité à propos d’un mot qui ne se communique pas à d’autres pays et à d’autres peuples ? C’est une première remarque. La seconde est historique. Quand nous, Européens, parlons de valeurs universelles à d’autres Européens, nous faisons immédiatement allusion aux droits de l’homme et aux valeurs démocratiques et républicaines qui sont nées du travail des philosophes du XVIIIe siècle et qui ont été exprimées clairement par les révolutionnaires français.

Cette valeur, que nous voudrions universelle, n’existe donc que depuis peu de temps et dans peu d’endroits. De ce point de vue, les élus français de la Révolution se sentaient légitimes pour faire des lois qu’ils affirmaient universelles. Pour faire des lois universelles, il faut se référer à ces fameuses valeurs, comme si la valeur (laissons de côté la valeur marchande et militaire) était la transcendance de la loi. Comme si, avant de faire des lois, des décrets et des règlements, il fallait se référer à des valeurs « supra-existantes » et, pour employer un mot d’aujourd’hui, durables. Ces valeurs, ils les ont affirmées dans la « Déclaration des droits de l’homme » et dans d’autres textes avec beaucoup de lucidité. Ils les ont voulues si rapidement et brutalement universelles qu’ils n’ont pas hésité, dans certains cas, à les propager par la force armée.

[…] Il y a l’impérialisme culturel, c’est-à-dire le désir d’imposer aux autres des idées que nous croyons justes. Si quelqu’un me dit qu’il ne partage pas les idées que je veux lui inculquer et que je les lui impose par la force armée, je déclenche une guerre, alors que je tendais à l’universel. D’un autre côté, pour que des individus à l’intérieur d’une société et des peuples vivent ensemble le plus harmonieusement possible, il faut bien qu’ils respectent un certain nombre de valeurs, qui ne sont pas forcément transcendantales et universelles et peuvent être relatives. Quand on dit « valeur universelle » – j’ai beaucoup travaillé sur des cultures lointaines -, je me rebiffe. Je ne vois aucune raison d’imposer ma foi ou mon absence de foi à tel ou tel peuple très loin de moi. Mais en même temps je me dis : peut-être a-t-il quelque chose à prendre de moi, et moi de lui. Là, la notion d’universel devient différente. Elle devient valeur d’échange. Y a-t-il entre les peuples apparemment différents des expériences, des notions, voire ce que nous appelons (encore un mot intraduisible) des « concepts » à échanger ? C’est une vraie question. »

J’avais mentionné Jean-Claude Carrière dans le mot du jour <du 10 Juillet 2015> parce qu’il mettait en garde sur la captation du concept de spiritualité par les religions. Car spiritualité signifie « esprit », « pensée » alors que les religions, le plus souvent, conduisent à éviter de penser pour remplacer la recherche spirituelle par le «dogme».

J’avais aussi parlé de son livre « La Paix » publié en 2016 dans le mot du jour du <9 janvier 2017> et je le citais :

« On n’écrit jamais sur la paix comme s ‘il n’y avait rien à en dire, tandis que les ouvrages sur la guerre fleurissent de tout côté. »

La dernière fois que j’ai entendu sa chaude voix de conteur, c’est quand il était venu présenter son livre, consacré à la mort, « La Vallée du Néant » sur France Inter, fin novembre 2018 : <Le sens de la vie de Jean-Claude Carrière>.

Il explique qu’il est difficile de définir le « néant », « la mort » en le rapprochant à l’idée du « rien » dans lequel les hommes de toute culture et de tout temps, ont mis beaucoup de choses.

Il s’amuse de notre espérance : « Ce qui est formidable, c’est qu’on se dit toujours que quand nous serons morts, nous le saurons » et il cite Sénèque :

« Tout le monde sait qu’il doit mourir, mais personne n’a jamais su qu’il était mort »

Il fait aussi cette objection aux transhumanistes qui rêvent d’immortalité :

« Nous oublions que nous sommes condamnés à mort dès notre naissance […] la naissance n’est possible que grâce à la mort. Or, aujourd’hui, il est impossible d’accepter l’idée que nous devons un jour disparaître.

C’est l’obsession de l’immortalité qui nous pose problème. Interdire la mort serait aussi interdire la naissance. La fin de la mort ne saurait pas se concevoir sans la fin de la naissance. Or, interdire la naissance sur toute la surface de la planète, qui s’y risquerait ? »

Mais quand il évoque la mort, il parle de la vie, de sa vie :

« Quand je regarde en arrière, je me dis que si le petit garçon que j’étais avait su ce qui l’attendait… C’était tellement imprévisible. Je dois cela à une bourse de la République. Si j’ai une chose à dire, c’est « Vive la République ! »

[…] Les gens qui craignent le plus la mort, qui en parlent beaucoup, qui la redoutent, qui, tous les matins, s’examinent, sont ceux qui, en général, vivent avec la mort tandis qu’ils sont encore vivants. Ce qui n’est pas du tout mon cas.

[…] Vieillir est le seul moyen que nous ayons trouvé pour vivre longtemps.»

Il explique par d’autres mots que si l’on ne sait pas s’il y a une vie après la mort, au moins nous devons nous imprégner de cette réalité qu’il existe une vie avant la mort

Et, il finit par cette ode à la vie, que j’ai choisi comme exergue de ce mot du jour :

« Beaucoup de gens ne se rendent pas compte du privilège extraordinaire que ce qu’est « être vivant » car nous n’aurons qu’une vie, il faut en profiter pour qu’elle soit belle pour soi et qu’elle soit bonne pour les autres, et utile si possible. »

Un peu plus de deux ans après avoir écrit cet ouvrage sur la mort, Jean Claude Carrière a quitté la communauté des vivants, le 8 février 2021. Sa fille a précisé qu’il était mort dans son sommeil et qu’il n’a pas été victime de la Covid19.

Il avait 89 ans.

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Mercredi 1er juillet 2020

«Human»
Yann Arthus-Bertrand

Human est un documentaire réalisé par Yann Arthus-Bertrand et sorti en 2015.

Je ne le connaissais pas. C’est une amie qui me l’a signalé et m’a appris que ce documentaire pouvait être vu en Haute définition sur internet.

Vous avez le choix. Vous pouvez voir le film de 3 heures 11 : <Human le film>

Ou vous pouvez faire le choix de voir ce documentaire en trois parties. Trois parties qui globalement sont encore plus longues que le film

<Human volume 1> de 1 heure 23

<Human volume 2> de 1 heure 26

<Human volume 3> de 1 heure 33

Et puis vous avez une page complète qui permet de visionner tout cela mais aussi des reportages sur le tournage, la musique, des extraits etc. : <HUMAN>

Annie et moi avons regardé la version en 3 parties.

Nous avons été saisis par la beauté de notre terre qui est montrée sur ces images et aussi ému par les témoignages des humains de tout milieu, de tout pays, de toutes conditions, même si les pauvres, pour une fois, sont plus nombreux que les riches et que les flamboyants winner de la mondialisation.

Ce film regroupe en effet, un ensemble de témoignages de personnes réparties sur l’ensemble de la planète. Le réalisateur s’est appuyé sur des interviews de plus de 2 000 personnes dans 65 pays. Mais, lors du montage, seule un peu plus d’une centaine ont été conservées.

Les témoignages sont toujours filmés de la même manière : sur un fond noir, le visage en très gros plan.

Cette manière de filmer permet de sentir l’émotion, la colère, la joie, le désespoir, quelquefois l’embarras.

Les interviews conservés sont courtes et souvent pleine d’intensités.

De quoi parle toutes ces femmes et tous ces hommes : de l’amour, des injustices, des inégalités, des discriminations, de la violence, du malheur et du bonheur.

<Le Figaro> présente ces témoignages de la manière suivante :

« Chacun à sa manière, des personnages de toutes races, religions et continents, très différents les uns des autres, se racontent. Ils parlent librement d’amour, de guerre, de discriminations, de violences, de la liberté des femmes, de l’homophobie. Et aussi de pauvreté, sécheresse, exploitation de l’homme par l’homme, et des désastres écologiques et de leurs conséquences sur les populations. Interviews fortes, brèves : un père palestinien et un père israélien qui ont perdu chacun un enfant, un Rwandais témoin de massacres, une sud-américaine finalement heureuse d’avoir divorcé et des femmes musulmanes très heureuses de vivre en polygamie, une scandinave lesbienne qui ne pourrait vivre sans son autre, une mère de famille acculée au désespoir par la misère, une très vieille femme d’Asie ridée et édentée qui accuse avec véhémence le monde riche de prospérer sur leur misère. »

Et ces témoignages sont entrecoupées de paysages d’une beauté exceptionnelle.

Le film commence d’abord par des visages expressifs et qui ne parlent pas.

Puis on voit le désert du Pakistan, une longue caravane d’humains se déploient accompagnés par une musique qui immédiatement fait vibrer.

La musique a été écrite par Armand Amar, je ne le connaissais pas non plus. Elle est somptueuse et sublime les vues aériennes comme les témoignages.

Des tambours japonais, des voix de tous les pays, des instruments incroyablement différenciés, des musiques traditionnelles et même …un violon, la musique montre aussi la richesse de l’humanité sur la terre…

Après le désert du Pakistan, le premier témoignage vous saisit immédiatement.

C’est léonard, un noir américain qui parle de sa vie. De son enfance, de la violence de son beau-père qui l’a éduqué, ou dressé serait plus juste. Cette violence qu’il a ensuite exercée lui-même à l’égard d’autres. En croyant que l’amour et la violence étaient liés. Et puis, il a tué. Il a tué une femme et son enfant. La grand-mère et mère de ses victimes est venue le voir, lui a parlé. Elle lui a parlé de l’amour. Et cet homme rude a compris le message de cette femme, il raconte ce moment et les larmes coulent sur son visage.

Les témoignages ne sont jamais commentés, seule la parole du témoin trouve sa place.

Et puis, des lacs magnifiques, des mers déchaînées, des montagnes, des steppes, des déserts, des plaines, des marchés filmés par hélicoptère, des images majestueuses, une qualité de photo sublime rendent ce documentaire unique.

Voilà ce que je souhaitais dire et partager sur cette œuvre.

Alors, je sais qu’il y a des critiques et des intellectuels qui n’aiment pas du tout ou même rejettent.

Marianne Durano, agrégée de philosophie et Gaultier Bès, agrégé de lettres modernes utilisent les initiales de Yann Arthus-Bertrand pour inventer l’adjectif « Yabien ». Et ils <écrivent> :

« Human est en fait une succession de clichés, au double sens du terme. Tandis que la géographie est réduite à un album de cartes postales, la diversité des cultures est résumée en une mosaïque de stéréotypes. Filmés sur fond noir, des êtres sans nom ni identité apparaissent, innombrables, et tellement interchangeables que le visage de l’un se superpose à la voix de l’autre, le rire d’une jeune Africaine achevant celui d’un vieux Portugais, comme pour nous dire qu’au fond, tout ça c’est tout pareil. […] L’humanité yabienne est une juxtaposition sans coordination, un patchwork sans couture.

Désincarné: c’est le mot qui caractérise le mieux la dernière œuvre de Yann Arthus-Bertrand. Désincarné au sens propre du terme, puisque même les corps sont gommés, dans la succession de portraits censés dépeindre une humanité variée, mais réduite à des bustes sans contexte.»

Nous n’avons pas vu le même film.

Yves Cusset qui se présente comme philosophe écrit sur le site de l’Obs :

« son film est l’un des avatars les plus obscènes de la société du spectacle et du simulacre, capable de faire disparaître totalement l’humain derrière l’image qu’il veut de toute force en imposer à tous (en faisant céder de tout le poids de ses images impressionnantes la résistance du spectateur, qui n’en peut mais, le pauvre) via les canaux les plus puissants de diffusion et de publicité, le type veut encore se faire passer, comble du narcissisme, comme le héraut de la réconciliation de l’humanité universelle avec elle-même. C’est cet insupportable mensonge qui m’a mis hors de moi, tellement évident déjà dans le titre si bêtement prétentieux de cet opus. Si le kitsh totalitaire a encore un sens aujourd’hui, assurément YAB l’incarne au mieux, chaque image transpire du désir délirant et panoptique de tout montrer et de tout tenir dans son orbite, qui débouche sur le résultat rigoureusement inverse, celui de ne plus montrer que des images qui ne parlent que d’elles-mêmes et de rien d’autre, pures monstrations qui se complaisent dans leur esthétique absolument creuse. »

A ce jugement sans nuance, une condamnation en quelque sorte, un internaute a répondu :

« Je suis allé me recoucher et suis retourné à mon petit monde bourgeois, plein d’aigreur, si éloigné de la grandeur universelle de l’humain. Pourquoi user les touches de votre clavier, quand l’intégralité de votre article peut se résumer en une phrase. »

D’autres critiquent les milliardaires qui ont financé ce film, l’ont rendu possible et même sa diffusion gratuite.

Ainsi vous avez une vision complète sur cette œuvre.

Annie et moi faisons partie de ceux qui aiment ce documentaire.

Pour ma part, je l’aime de façon simple parce que cela m’émeut, parce que cela me parle, parce que cela me construit.

Je redonne le lien vers la page complète qui permet de tout visionner : <HUMAN>

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Lundi 25 mai 2020

«Au nom de la terre»
Film d’Edouard Bergeon

Depuis longtemps Annie voulait que nous regardions ce film qui lui avaient été chaudement recommandé par des agriculteurs. Nous n’avons pas pu le voir en salle, nous nous y sommes pris trop tard. Le film est sorti le 25 septembre 2019. Mais nous avons trouvé le DVD et ce week-end prolongé fut l’occasion de le voir.

C’est un choc, un moment d’émotion et de multiple questionnements.

Ce film a été réalisé par Edouard Bergeon. Il était journaliste à France 2, spécialisé dans le documentaire, quand il s’est lancé dans l’aventure de la réalisation d’un film, de ce film.

Il est né en 1982 et a grandi dans une ferme, près de Poitiers.

Le film « Au nom de la terre » est une fiction largement inspirée de faits réels qu’il a vécus avec son père, sa mère et sa sœur.

Son père a repris la ferme familiale.

Le contexte est celui d’une économie aux mains des industriels, de la grande distribution et du règne du prix bas.

Pour s’en sortir, il faut investir. Pour investir il faut s’endetter.

Quand la dette devient trop compliquée à rembourser, des coopératives, des banquiers ou des industriels viennent vous aider et vous envoie un commercial qui explique au paysan que pour s’en sortir, il faut encore industrialiser davantage, donc investir, donc s’endetter mais avec de beaux rendements qui rendront possible le remboursement de la nouvelle dette et des anciennes dettes.

Cette industrialisation conduit à produire une alimentation de plus en plus médiocre.

Il suffit d’un grain de sable, d’un accident et toute cette construction dévoile sa fragilité.

Dans le film, un violent incendie ravage une grande partie des installations productives dans la ferme. Edouard Bergeon explique que dans la vraie vie, celle de son père, il y eut plusieurs incendies.

C’est trop lourd pour le paysan, il n’a plus la force de continuer le combat.

La fin du film, comme la réalité est une longue déchéance, un état de désordre psychologique qui nécessite des soins psychiatriques et qui mènent finalement au suicide.

C’est une chose de lire dans un article de septembre 2019 que

« Ce serait plus de deux suicides par jour, selon les chiffres de la Mutualité sociale agricole parus cet été. Elle évoque 605 suicides chez agriculteurs, exploitants et salariés. […] On parle bien de surmortalité. Le risque de se suicider est plus élevé de 12,6% chez les agriculteurs. Et ce chiffre explose chez les agriculteurs les plus pauvres. On atteint 57% chez les bénéficiaires de la CMU. Deux activités sont particulièrement touchées : les éleveurs bovins et les producteurs laitiers ».

C’est une autre chose que de le vivre dans l’émotion d’une œuvre de fiction dont on sait qu’elle montre la réalité de la vie, des contraintes et du piège dans lequel sont attirés grand nombre de paysans.

Avant ce film, Edouard Bergeon avait réalisé un documentaire <Les fils de la terre> dans lequel il racontait déjà l’histoire de son père avec en parallèle le récit contemporain d’un paysan et de son père confrontés aux mêmes difficultés de l’endettement et des prix bas dans le cadre d’une ferme de vaches laitières.

Le film est porté par des acteurs remarquables et notamment Guillaume Canet qui joue le rôle du père. Et lorsque Guillaume Canet, lui-même fils de paysan, découvre par hasard le documentaire « Les fils de la terre » en allumant sa télévision, il est immédiatement conquis et veut en faire une œuvre de fiction. Il est alors en tournage de « Mon garçon », produit par Christophe Rossignon. L’acteur dit alors à ce dernier qu’il aimerait adapter un long métrage de ce documentaire et qu’il souhaite le réaliser. Christophe Rossignon explique que ce projet est déjà en développement et qu’il va le produire et qu’Edouard Bergeon va le réaliser. Il accepte immédiatement de jouer le rôle du Père dans cette distribution.

Lors de la sortie du film Guillaume Canet et Edouard Bergeon avaient été invités sur France Inter dans l’émission de Nicolas Demorand et Léa Salamé

Dans cette interview Edouard Bergeon a dit :

« Aujourd’hui, beaucoup d’agriculteurs souffrent, se battent : un tiers de nos paysans français gagnent moins de 350 euros par mois. Ce sont eux qui remplissent notre assiette, il ne faut pas l’oublier. Moi je me bats pour tous ces agriculteurs qui se battent pour survivre, pour nourrir la France, et pour tous ceux qui sont partis trop jeunes. Mon père est parti il y a 20 ans, il avait 45 ans, je crois que c’est un peu trop jeune. C’est pour cela que j’ai voulu réaliser ce film, qui n’est pas un documentaire, qui est un film de cinéma, où j’ai voulu filmer de beaux moments et magnifier la nature.

[…] J’ai voulu faire un film sur la transmission de la terre sur trois générations : le grand-père, le père, le fils. Moi je suis le fils. Le grand-père, c’est la génération des 30 glorieuses. Il faut produire, on travaille, on modernise et on gagne de l’argent. On créée des outils, on les transmet au fils… et là on arrive en 1992, l’économie de marché, le marché intérieur, la bourse de Chicago qui fixe tout, et on est obligé de se diversifier pour faire bouillir la marmite. C’est une catastrophe pour cette génération-là qui travaille toujours plus, qui perd son bon sens paysan.

Et puis il y a cette génération, la mienne. Moi je suis parti. Mon père m’avait dit : « Travaille bien à l’école et tu choisiras ton métier… » et « tu mérites d’avoir une vie meilleure que la mienne : ne sois pas paysan… »

J’avais des parents qui avaient compris qu’il fallait que l’école représente notre ascension sociale. Car eux n’avaient pas choisi leur métier ».

[…] Les agriculteurs français sont vraiment isolés, parce qu’ils sont très incompris aujourd’hui. Mon père souffrait de l’image qu’avait le grand public des agriculteurs.

disait qu’il en avait marre de ce métier, et il s’est isolé. Lui qui avait un caractère fort, il a plongé encore plus fort dans un mal-être. C’est pour cela qu’aujourd’hui nous soutenons une association qui s’appelle <Solidarité paysans>, qui fait un travail incroyable de veille et d’accompagnement des agriculteurs en détresse. »

Et Guillaume Canet a ajouté :

« On les traite d’empoisonneurs, aujourd’hui, alors que ce sont eux qui sont les premiers empoisonnés aussi.

[…] j’étais tombé sur le documentaire « Les fils de la Terre » qu’avait réalisé Edouard et qui m’avait bouleversé. Et parce que son histoire est bouleversante, celle de son père, de sa famille, mais ça allait au-delà de cela. J’ai lu aussi ce scénario comme un citoyen, comme un père de famille, et il est vrai que les causes environnementales me touchent et m’importent, mais là, on va au-delà de l’agriculture. Ce qui m’intéressait dans ce scénario, c’est qu’il n’oppose pas les agricultures, la traditionnelle à la biologique. Simplement, il y a un état de fait qui renvoie à des questions importantes où l’on est concerné nous, en tant que consommateur. On a tous une assiette devant nous. Et cette assiette, c’est notre santé. Il faut se poser la question de savoir si ce qu’on a dans notre assiette nous fait du bien. Une chose est évidente, c’est que tout le monde n’a pas le pouvoir d’achat et la possibilité d’acheter bio. Mais il y a aussi une autre agriculture plus raisonnée, plus courte et moins dangereuse pour la santé. »

[…] Et moi c’est ce qui m’a touché : le fait de me dire qu’il faut alerter la population, que des gens n’ont pas la possibilité de choisir ce qu’ils mangent, mais que beaucoup d’autres l’ont, ce choix-là. Qu’on peut consommer autre chose. Et surtout, qu’on arrête d’importer des produits de l’étranger qui sont souvent de la merde, alors qu’on produit en France des produits d’exception que l’on exporte. »

En février 2020, le site <Allo Ciné> annonçait que le film avait fait plus de 2 000 000 d’entrées. Mais on apprend aussi que ce succès est un succès en province, les parisiens ont plutôt boudé le film.

Il est donc possible de le voir en DVD ou sur une plate-forme qui permet de le télécharger ou de le regarder en ligne, ce qu’on appelle le VOD : vidéo à la demande.

Il n’est pas nécessaire de passer par les fourches caudines et américaines de Netflix mais un site indépendant français comme <Universciné> permet de faire la même chose.

D’ailleurs, les <Inrocks> proposent 8 plateformes dont celle-ci, alternatives à Netflix.

Vous pouvez aussi voir <La bande d’annonce> du film.

Il y a aussi cet article de Sud Ouest : « « Au nom de la terre », un film coup de poing qui a changé le regard sur l’agriculture » et qui permet de voir un court entretien d’Edouard Bergeon qui en quelque mots dit l’essentiel.

Et en plein confinement, le 29 avril Edouard Bergeon a pris une nouvelle initiative :

Il a créé une chaîne de télévision en ligne, <CultivonsNous.tv>.

Cette chaîne, créée en partenariat avec la plateforme numérique Alchimie se présente comme un « espèce de Netflix », explique Edouard Bergeon. C’est une « chaîne thématique de l’agriculture, du bien manger et de la transition écologique » qui ambitionne de « recoudre le lien entre la terre et les urbains. »

CultivonsNous.tv fonctionne sur la base de l’abonnement (4,99€ par mois), dont 1€ est reversé à des structures associatives. Pour le lancement du projet, l’association Solidarité Paysans, soutenue de longue date par Edouard Bergeon, est celle retenue.

La chaîne propose déjà une série de documentaires sur plusieurs thématiques : « Ceux qui nous nourrissent », « Ma vie de paysan 2.0 », « Dans quel monde vit-on ? », « Ce qu’on mange », « Ce qu’on boit »

Edouard Bergeon précise :

« Les documentaires racontent toute forme d’agriculture avec une envie d’être plus vertueux »

Je redonne le lien vers cette plate-forme : <https://www.cultivonsnous.tv/FR/home>

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