Jeudi 21 octobre 2021

« Essaie et cours ta chance ! »
Paul Belmondo à son fils Jean-Paul après qu’un acteur de théâtre ait démoli son rêve de faire de la comédie

Mon neveu Grégory l’avait verbalisé, ce qu’il y a de spécifique dans cet article quotidien que j’écris c’est que je suis libre de choisir le sujet que je veux.

Je l’avais déjà cité lors du mot du jour du <du 4 décembre 2018>

Cette règle est particulièrement vraie pour les hommages.

Il faut que quelque chose me touche, que je pense savoir l’exprimer pour pouvoir le partager.

C’est le cas pour Jean-Paul Belmondo qui est décédé le 6 septembre 2021.

Il a été un acteur flamboyant, populaire, avec un succès incroyable. Il a également tourné, avec un même bonheur, des films d’auteur. Il fut aussi un grand acteur de théâtre.

Mais ce que je voudrais partager, c’est le début et la fin.

Augustin Trapenard était allé lui rendre visite en novembre 2016, chez lui pour son émission <Boomerang>

Et Jean-Paul Belmondo a rappelé ses débuts : Il est né dans un milieu favorisé, à Neuilly sur Seine. Son père était un sculpteur reconnu Paul Belmondo et sa mère une artiste peintre : Madeleine Rainaud-Richard

Mais à l’école il n’y arrivait pas vraiment et il raconte :

« Comédien, je crois que j’ai voulu l’être tout de suite. A 10 ans, je faisais le clown. Ça amusait beaucoup ma mère. Et petit à petit, j’ai pensé que je pourrais être un comédien  »

Ses parents étaient un peu inquiets, mais sont toujours restés positifs. Et devant le désir du petit Jean-Paul, son père qui avait évidemment beaucoup de relations dans le monde des arts et du spectacle lui dit :

« Je vais te présenter à un ami qui est à la Comédie Française et il nous dira ce qu’il pense de toi. »

Cet acteur de théâtre avait pour nom André Bruno. Cela se passa très mal. Le professionnel du théâtre condamna sans appel le jeune enfant ému :

« Arrête. Fais autre chose ! »

Il pleura et c’est là qu’on trouve une leçon de vie donnée par son père. Leçon qu’il gardera toute sa vie.

Sans rien sous-estimer des difficultés et des immenses efforts nécessaires, son père ne l’arrête pas dans la poursuite de son rêve, mais l’encourage à y aller :

« On n’a jamais perdu, il faut garder le moral.
Je te suppose, assez clairvoyant pour envisager les difficultés que tu vas rencontrer. Essaie et cours ta chance. »

Essaie et cours ta chance !

Je trouve cette réaction très inspirante dans les circonstances telles que Jean-Paul Belmondo les décrit.

Il a été largement commenté que Jean-Paul Belmondo, lors de ses études au conservatoire de Paris, tout en faisant l’admiration de ses camarades, ne sera pas  apprécié et valorisé par ses professeurs.

Son premier professeur, qui s’appelle René Simon, lui dit qu’il n’est pas fait pour le métier. Un autre qui s’appelle Pierre Dux lui dit qu’il est moche, que jamais il ne prendra une belle femme dans ses bras.

Ce même professeur, lorsqu’il passait des scènes au conservatoire lui renvoyait :

« Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Asseyez-vous ».

Belmondo moche ! Sur ce point, il aura aussi une revanche éclatante :

« Et un jour, je me promenais sur les Champs-Elysées avec la femme avec qui je vivais, Ursula Andress, je le [Pierre Dux] rencontre et il me dit : ‘on fait ce qu’on peut.’ »

Cela c’était le début,

Mais la fin est tout aussi remarquable.

Le 8 août 2001, dans sa 68ème année, alors qu’il se trouve en vacances en Corse chez son ami Guy Bedos à Lumio, près de Calvi, Belmondo est victime d’un accident vasculaire cérébral. Il est héliporté d’urgence à l’hôpital Falconaja de Bastia.

Cet AVC va transformer le sportif, l’étincelant parleur en un vieil homme s’exprimant avec beaucoup de difficultés.

Quand Augustin Trapenard l’interviewe, il porte cette infirmité depuis 15 ans et pourtant il reste merveilleusement positif. Son élocution malhabile n’empêche pas le sourire et la joie.

ll explique à Trapenard, qu’être un bon acteur, ce n’est pas être naturel. Naturel, tout le monde peut l’être, mais c’est d’avoir un petit peu plus que ça. Et ce petit plus pour lui c’est :

« La bonne humeur, parce que même dans mes rôles difficiles, je riais quand même. »

Et quand Augustin Trapenard lui demande :

« Cette liberté, cette allégresse, cette joie de vivre, ça vient d’où ? »

Il explique :

« Je suis né comme ça. Ma mère, ou mon père, m’ont toujours élevé comme ça. Cela vient peut-être de l’époque qui était beaucoup plus gaie, beaucoup plus libre. […] On sortait de la guerre, et il y avait la joie de recommencer à vivre. »

Emmanuel Macron lui a rendu un magnifique hommage aux Invalides : <Hommage à JP Belmondo>

Pour ce genre d’exercice, il faut reconnaître qu’il a du talent.

Et il est passionnant d’écouter Clément Viktorovitch décortiquer sur <franceinfo> ce discours. C’est très instructif d’analyser ainsi la rhétorique. Vous apprendrez, en outre, des mots savants :

  • Un discours épidictique, le discours de louanges.
  • Une épiphore, qui consiste à terminer une succession de phrases par le même mot ou le même groupe de mots,
  • Une synecdoque, qui consiste à parler d’une partie pour évoquer le tout ou inversement. Emmanuel Macron l’a beaucoup fait dans tout son discours, il a narré la vie de Belmondo pour célébrer à travers elle, l’histoire de France et l’histoire du cinéma.

Mais j’ai regretté que dans la partie de son discours dans laquelle, le Président utilise Jean-Paul Belmondo comme anaphore, il s’arrête à 50 ans :

« Jean-Paul BELMONDO était nos 30 ans. Ce Don Quichotte des temps modernes, capable de repousser les limites de l’ivresse en même temps que celle de la tendresse, tel un singe en hiver.

Jean-Paul BELMONDO était nos 40 ans. Ce commissaire aussi athlétique, intrépide que tous, nous aurions rêvé d’être pour nous battre contre la peur sur la ville.

Jean-Paul BELMONDO était nos 50 ans. Cet entrepreneur à succès qui, soudain, choisit, dernière étape de l’itinéraire d’un enfant gâté, de larguer les amarres vers sa liberté et vers son destin. Il fut l’ami que chacun aimerait avoir. »

Car il aurait pu dire « Jean-Paul BELMONDO était nos 70 ans, fragile, touché, meurtri mais toujours joyeux, debout et grand. »

Pour finir, je reprendrai la conclusion du discours du Président de la République qui a rappelé que dans ses dernières années, quand ne pouvant plus exercer sa verve gouailleuse, son verbe étincelant, sa langue éblouissante, il prononçait un mot pour signifier tous les autres qu’il n’arrivait plus à dire :
« Voilà.»

<1609>

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