Au départ, il y a une photo, publiée sur divers réseaux sociaux, accompagnée d’une légende :
Cette photo fait beaucoup rire. Les commentaires sont définitifs et condamnent sans mesure.
Elle a été partagée des dizaines de fois.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Ne trouvez-vous pas étrange le caractère systématique, calme et ordonné de tous ces jeunes filles et garçons assis et concentrés devant leur écran de smartphone ?
Pour ma part, j’ai mis un commentaire prudent :
« Je prends l’hypothèse que cette photo n’est pas un montage.
Dans ce cas deux hypothèses : la première correspond à la légende de la photo
La seconde plus bienveillante : ces jeunes gens consultent des sites pour en connaître davantage sur les peintres et les œuvres qu’ils ont vus dans ce musée. »
Et quand j’en ai parlé à Annie, elle m’a dit que c’était une série de photos connue et qui avait été utilisée pour illustrer de mauvaises interprétations d’un fait, en raison de convictions ou de croyances. Cette photo avait été prise lors d’une visite scolaire organisée. Ces jeunes devaient faire des recherches et répondre à des questions via une application sur leur smartphone. Et quand elle avait été publiée sans explication, elle a été le plus souvent interprétée de manière erronée et disons malveillante.
J’ai quand même trouvé une femme qui a remis les choses à l’endroit.
On appelle ce type d’interprétation erronée d’un fait : « un biais cognitif de confirmation »
Un <biais cognitif> est selon wikipedia :
« Une distorsion dans le traitement cognitif d’une information. Le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Les biais cognitifs conduisent le sujet à accorder des importances différentes à des faits de même nature et peuvent être repérés lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement.
L’étude des biais cognitifs fait l’objet de nombreux travaux en psychologie cognitive, en psychologie sociale et plus généralement dans les sciences cognitives. »
Le biais cognitif de confirmation constitue une de ces distorsions évoquées ci-avant.
Il consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues ou ses croyances et à accorder moins de poids aux hypothèses et informations jouant en défaveur de ses conceptions.
Pour ne donner aucune chance à la seconde hypothèse que j’avais spontanément envisagée, il faut avoir pour idée préconçue que les jeunes générations utilisent forcément leurs smartphones pour des motifs de loisirs ou futiles et qu’ils sont incapables d’utiliser leur concentration pour s’intéresser à l’Art.
Sur un blog du monde, <un article> évoquant des études et analyses sur les conséquences délétères de l’utilisation des smartphones par les jeunes générations : coupure avec le réel, évitement de la conversation en face à face, menace sur l’empathie.
L’article de Frédéric Joignot évoque la psychosociologue Sherry Turkle, professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT) qui mène depuis vingt ans un travail sur l’influence des technologies sur les comportements et qui a plusieurs fois utilisé des photos de ce type pour dénoncer les dérives du smartphone
Et il ajoute :
« Si la plupart des chercheurs qui analysent depuis une quinzaine d’années les enjeux sociaux, comportementaux et anthropologiques des TIC et des réseaux sociaux saluent le travail pionnier de Sherry Turkle, tous ne se reconnaissent pas dans sa critique radicale. Nombre de ces sociologues de l’Internet estiment qu’elle cède à une forme de « panique morale » face à des façons d’être et de communiquer radicalement nouvelles, encore mal décryptées, et à des pratiques générationnelles qui la dépassent. En France, le philosophe des technologies Stéphane Vial, auteur de L’Etre et l’Ecran. Comment le numérique change la perception (PUF, 2013), évoque même une véritable « incompréhension » des pratiques réelles de la génération numérique.
« A toutes ses conférences, Sherry Turkle montre des photos de ses filles et de leurs amies tapotant sur des portables sans se parler. Mais est-ce qu’elle s’interroge sur ce qu’elles sont en train de faire ? Elles lisent peut-être un roman, ou dialoguent avec leur amoureux… Elles ne sont pas forcément isolées ou décérébrées », argumente-t-il.
Stéphane Vial donne un exemple frappant des idées biaisées sur l’usage des mobiles par les adolescents. En janvier, le quotidien britannique The Telegraph a publié une contre-enquête sur une photo représentant un groupe de lycéens au Rijksmuseum d’Amsterdam : devant La Ronde de nuit, de Rembrandt, tous regardaient leur téléphone. « Cette image a fait le tour du Net, elle est devenue le symbole de la déculturation et de la déréalisation des jeunes, rappelle-t-il. Or, il s’est avéré que les lycéens consultaient une application éducative du musée. Et dans une photo précédente, les mêmes étaient assis devant un Rembrandt, discutant du tableau. »
L’article de Frédéric Joignot est beaucoup plus riche en informations et réflexions que la toute petite partie que j’en ai extraite pour illustrer mon propos sur l’analyse de la photo mise au centre de ce mot du jour.
Il ne s’agit pas de refuser de prendre en considération les risques d’utilisation frénétique des smartphones, mais d’accepter la complexité du réel et de ne pas réduire notre champ de réflexion à une vision unilatérale.
La bienveillance est parfois bonne conseillère
<1608>
Merci de ce mot qui me rappelle ceux sur l’essentialisme : les jeunes sont … les vieux sont ….etc
la photo daterait de 2014 et serait l’œuvre de Gijsbert van der Wal,
Michel Onfray l’a relayé en 2015 avec un “sans commentaire ” tellement l’évidence de ce comportement ado sauterait aux yeux.
ce n’est donc pas d’aujourd’hui que les interprétations visant à conforter nos croyances circulent!
Les commentaires que l’on voit encore aujourd’hui font un peu 20ème siècle. La pédagogie a évolué et continuera d’évoluer, et avec des jeunes (et moins jeunes) plutôt que de faire la chasse aux portables, autant utiliser cet outil pleins de ressources à des fins pédagogiques. De multiples applications se développent dans ce sens. On n’a pas fini de voir les ado absorbés par leur portable pour apprendre
Aujourd’hui tous les musées ont une application smartphone et proposent des parcours avec QR code , comme au restau et comme en cours …