Daniel Cordier est mort le 20 novembre 2020, à 100 ans. J’ai écrit trois mots du jour le concernant début décembre 2020.
J’étais revenu notamment sur son extraordinaire destin et sur son livre « Alias Caracalla »
Je racontais alors que, pendant l’été 2016, j’avais lu ou plutôt dévoré ce livre extraordinaire qui narre le récit précis des faits auxquels Daniel Cordier a participé entre le 17 juin 1940 et le 23 juin 1943.
La première date correspond au jour du discours de Pétain, dans lequel se trouve cet appel insupportable à Daniel Cordier :
« C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. »
La seconde date est le lendemain de l’arrestation de « Rex », Jean Moulin, le 22 juin 1943, à Caluire.
Et entre ces deux dates, le tout jeune Daniel Cordier s’est embarqué sur un navire qui l’a emmené en Angleterre pour continuer le combat. Il s’est alors engagé corps et âme dans « la France libre » sous les ordres du Général de Gaulle. Il a ensuite été parachuté sur la France et a rejoint Lyon où les circonstances vont faire de lui le secrétaire de Jean Moulin alors que ce dernier va tenter d’organiser et de rassembler toutes les chapelles de la résistance sous l’autorité de De Gaulle.
« La victoire en pleurant » est la suite de ce récit, jusqu’à la fin de la guerre et la démission de De Gaulle.
Daniel Cordier abandonnera alors le service de la défense nationale pour le chemin de l’art dans lequel il excellera en tant que marchand d’art, collectionneur et organisateur d’expositions.
Il retrouvera beaucoup plus tardivement cette période, à travers son travail d’historien pour réhabiliter et défendre Jean Moulin attaqué par d’anciens résistants obstinés et vindicatifs.
En particulier, il répondra aux accusations d’Henri Frenay qui prétendait que Jean Moulin était un agent crypto-communiste.
Et c’est à la fin de sa vie qu’il écrira ce que beaucoup appellent ses Mémoires en deux tomes, alors qu’il s’agit d’une toute petite période de sa vie, même si elle fut intense.
Il parvint à finir le récit de cette seconde partie avant sa mort, mais sans avoir le temps de relire et de corriger quelques éléments imprécis.
C’est Bénédicte Vergez-Chaignon, qui a longtemps travaillé avec Cordier dans son travail sur Moulin, qui a finalisé l’ouvrage, l’a préfacé et annoté
La lecture de cet ouvrage, bien plus court qu’Alias Caracalla, constitue un devoir indispensable à tout honnête homme qui s’intéresse à l’Histoire de France.
J’ai profité de la pause estivale pour lire ce livre bouleversant et très instructif sur la France qui est sortie de la seconde guerre mondiale.
Pourquoi la victoire en pleurant ?
Parce Daniel Cordier a perdu beaucoup d’amies et d’amis dans ce combat terrible contre l’ennemi nazi. Certains ont été tués, torturés à mort, se sont suicidés, sont morts dans les camps ou sont revenus dans un tel état physique qu’ils sont morts de la suite de leur déportation.
Il explique qu’il ne se doutait pas de ce que ses camarades avaient enduré dans les camps. Dans son esprit de l’époque, il pensait que si les camarades avaient résisté à la torture, la vie au camp marquait la fin des souffrances et de la lutte contre la mort.
A la fin de la guerre, il va chercher des camarades revenant des camps à la gare :
« Je le fixe intensément pour ajuster ce visage squelettique à un visage connu…Heureusement son regard vif et moqueur me permet de le reconnaître : « Montet ». Il s’agit de Maurice Montet qui dirigeait le service d’évasion vers l’Espagne et qui a été arrêté quelques jours avant Rex (Jean Moulin). Nous nous embrassons. Je n’ose lui demander comment il va. Je suis horrifié de ce que je découvre d’un coup et je me sens d’autant plus coupable d’avoir échappé à la déportation, mais surtout d’avoir imaginé la vie paisible des déportés.
Rompant le silence, il me dit « Ça a été dur, mais on les a eus ». […] Il pèse trente-cinq kilos.
Pages 204-205
Le courage et la détermination de ces femmes et hommes et aussi de leur famille étaient inouïs, incroyable à notre vécu d’aujourd’hui.
Les arrestations de la Gestapo désorganisent les réseaux que Cordier anime. Et voilà ce qu’il écrit page 64 :
« Je reçois un mot des parents de Limonti, à qui j’ai annoncé l’arrestation de leur fils : ils me proposent d’embaucher leur fille Dominique pour remplacer son frère. J’accepte avec émotion et je suis comblé de découvrir qu’elle est dactylo. »
Le frère est tombé aux mains de l’ennemi, la sœur le remplace et les parents encouragent cette montée vers le danger.
Rien n’illustre mieux la vérité de ce vers du chant des partisans
« Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place. »
«En pleurant», aussi à cause des divisions entre les résistants, entre la France libre et la résistance, à l’arrivée massive dans le camp de la victoire des français de Vichy qui se sont révélés tardivement résistants.
Tout cela créant une atmosphère pesante et bien loin du récit d’une France unie derrière De Gaulle.
Daniel Cordier avait révélé à Paulin Ismard dans De l’Histoire à l’histoire en 2013 :
« Après le 21 juin 1943, j’ai vécu la fin de la guerre en somnambule. »
Bien sûr il sera, à partir de cette date, orphelin de Rex, son chef tellement admiré et dans lequel il avait une confiance absolue. Il ne retrouvera plus cette relation avec un autre.
Pour illustrer le panier de crabes qu’est devenu la France de Londres à la fin de la guerre, un fait écrit révèle cette triste situation. Cordier doit fuir la France, quasi l’intégralité de son réseau a été arrêté suite à la maladresse d’un de ses membres qui gardait à son domicile le nom et l’adresse de tous les membres du réseau.
Et quand il revient ainsi, en avril 1944, en Angleterre, le protocole veut qu’il soit soumis à un interrogatoire d’abord du contre-espionnage britannique puis français.
La conclusion du britannique est :
« Un homme très intelligent et intéressant. J’aurais tendance à considérer ses informations comme fiables. […] J’ai remarqué qu’il prenait grand soin de ne pas donner d’informations dont il ne soit pas certain. […] Ne pose pas de problème de sécurité. »
La conclusion du français est
« L’intéressé a de toute évidence « préparé » son interrogatoire. Il était au courant des critiques formulées contre lui et s’est volontairement retranché dans un vague peu compromettant. Ces quelques lignes font néanmoins ressortir le désordre, la prétention et le manque de franchise de cet agent qui en aucun cas ne devra retourner en France où il serait un véritable danger public »
75 ans après, l’Histoire ayant fait son œuvre, on peut affirmer tranquillement que c’est l’officier britannique qui disait la vérité. L’autre était influencé par les milieux résistants hostiles à jean Moulin.
Un livre qui dit la grandeur de certains humains et la moindre grandeur de certains autres, loin des récits mythiques pour les croyants.
Bénédicte Vergez-Chaignon était l’invité <des matins de France Culture> pour parler de ce livre.
Elle était aussi invitée par <Public Sénat> accompagné de l’historien Emmanuel De WARESQUIEL.
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