Il y a cent ans le 25 octobre 1921, Georges Brassens était âgé de quatre jours, puisqu’il était né à Sète, le samedi 22 octobre 1921.
Il est né la même année qu’Edgar Morin qui, lui, vit toujours.
Mon enfance a été bercée par les chansons de cet artiste qui avait pourtant eu énormément de difficultés à s’imposer sur la scène française avant d’en devenir un des piliers.
Cent ans, c’est une invitation à un hommage à ce poète, ce mélodiste, ce chanteur qui savait être paillard, ironique, tendre et profond.
En juin, me promenant sur les bords de Saône, lieu où se trouve les bouquinistes à Lyon, mon regard c’est arrêté sur un livre « Brassens, toute une vie pour la chanson ». Je l’ai acheté et je viens de le lire.
C’est ainsi que j’ai appris qu’il n’a pas achevé ses études au collège Paul-Valéry à Sète. Influencé par une bande de petits casseurs qui cherchaient à bon compte de l’argent de poche, il est compromis dans des vols de bijoux auxquels il n’a d’ailleurs pas participé, flirtant seulement avec la bande et avec le risque. Il se retrouve au commissariat où son père se hâte d’aller le voir.
Brassens a tiré de cet épisode une de ses plus belles chansons : <Les Quatre bacheliers>
« Nous étions quatre bacheliers
Sans vergogne,
La vraie crème des écoliers,
Des ecoliers.
Pour offrir aux filles des fleurs,
Sans vergogne,
Nous nous fîmes un peu voleurs,
Un peu voleurs. »
<suite>
Chanson dans laquelle il rend hommage à son père bienveillant :
« Mais je sais qu’un enfant perdu, […]
A de la chance quand il a,
Sans vergogne,
Un père de ce tonneau-là »
Ce livre a été écrit par un de ses amis : André Sève, son aîné de 8 ans puisqu’il est né en 1913 à Crest (Drôme) mais qui lui a survécu de 20 ans.
Brassens l’appelait « Frère André » parce qu’il était un religieux assomptionniste. Il a surtout écrit des livres spirituels et religieux mais il voulait écrire un livre d’interview de ce chanteur dont il aimait tant les chansons … sauf quelques-unes…
Car évidemment la Foi et la religion les conduisaient à des disputes fréquentes. Et quelquefois des chansons pouvaient être des objets de dispute.
Ainsi <La religieuse> qui commence ainsi :
« Tous les cœurs se rallient à sa blanche cornette
Si le chrétien succombe à son charme insidieux
Le païen le plus sûr, l’athée le plus honnête
Se laisseraient aller parfois à croire en Dieu
Et les enfants de chœur font tinter leur sonnette
Il paraît que, dessous sa cornette fatale
Qu’elle arbore à la messe avec tant de rigueur
Cette petite sœur cache, c’est un scandale
Une queu’ de cheval et des accroche-cœurs
Et les enfants de chœur s’agitent dans les stalles
Il paraît que, dessous son gros habit de bure
Elle porte coquettement des bas de soie
Festons, frivolités, fanfreluches, guipures
Enfin tout ce qu’il faut pour que le diable y soit
Et les enfants de chœur ont des pensées impures »
Brassens par André Sève page 50
Mais cet épisode permet à Brassens de donner cette leçon de vie :
« Quand tu fais quelque chose qui m’agace, par exemple quand tu as écouté la religieuse ça t’a contrarié et tu ne voulais plus me voir, ça m’a refroidi à ton égard, tu comprends, mais j’ai fait un effort, j’ai essayé de me dire : « C’est normal que cette chanson ne plaise pas à Frère André, ce n’est pas une raison pour lui en vouloir à ce point. » Quand on fait cet effort, on s’aperçoit souvent que les raisons de se refroidir ne sont jamais de vraiment bonnes raisons, c’est dû au caractère, à l’égoïsme du moment. Parce que je ne trouvais pas dans mon Frère André, à ce moment-là, ce que j’espérais y trouver je me refroidissais, mais dans l’amitié il ne faut pas penser uniquement à ce que l’autre, d’après nous, doit nous apporter. Il ne faut pas prendre, prendre. Il faut donner, et dans ces moments-là, ce qu’on peut donner de mieux, c’est d’être très intelligent, pas puéril. »
Brassens par André Sève page 98
Ce livre a été écrit alors que Brassens avait 54 ans, il lui restait 6 ans à vivre.
Ce livre ne fut pas simple, Brassens bourru passa son temps à rabrouer son ami. Il l’obligea d’abord à abandonner la liste de questions qu’il avait patiemment préparées pour laisser le dialogue plus naturel et moins formaté. Après il lui reprocha de ne pas le laisser aller au bout de sa pensée et de l’interrompre pour enfin lui reprocher qu’il ne le comprenait pas ou qu’il ne l’écoutait pas.
Frère André a scrupuleusement rapporté ces rebuffades, comme celle lorsqu’il n’était pas convaincu que Brassens, qui avait écrit de si beaux textes, puisse prétendre que dans ses chansons le plus important était la mélodie :
« Est-ce que tu me suis bien ? Est-ce que j’arriverai à te faire comprendre que j’attache plus d’importance à la musique qu’aux paroles
Brassens par André Sève page 30
[…]
« C’est pour cela qu’en disant que tu aimes mes chansons sans tenir compte des musiques, tu fais preuve d’une incompétence rare en matière de chanson, et ça me fait de la peine. […]
Puisque tu les aimes, mes chansons, la musique te pénètre et te plaît sans que tu te rendes bien compte. »
Brassens par André Sève page 30
Et quand André Sève veut donner la liste de des 10 chansons préférées, il lui rétorque :
« Dis-les donc tes préférences. Mais si tu aimais la chanson et si tu aimais Brassens, tu n’aurais pas de préférences. »
Brassens par André Sève page 51
André Sève parvient cependant à lui faire avouer son amour des mots :
« Oui, j’aime bien me faire une petite fête avec les mots. Il y en a qui servent admirablement une pensée, une image. « Ventripotent…le regard oblique…Elle viendra faire sa niche entre mes bras… Le parti des myosotis… Au bois de mon cœur…Des grâces roturières… » Certains mots sont beaux par eux-mêmes, d’autres jouent bien entre eux : « Un grain de sel dans tes cheveux » »
Brassens par André Sève page 50
Il galéra pour être reconnu. Il proclame : je dois tout à Patachou :
« Je me suis fait trois amis qui m’ont dit : « On va te présenter à Patachou » Un soir on m’a amené à son cabaret-restaurant à Montmartre et après le spectacle j’ai chanté mes chansons. Je pensais n’en donner qu’une ou deux, mais Patachou m’a tout fait chanter. Elle m’a pris immédiatement plusieurs chansons et m’a demandé de revenir pour les lui apprendre. »
Brassens par André Sève page 39
La première fois qu’on a entendu en public une chanson de Brassens, c’était par Patachou.
Patachou chante <Les amoureux des bancs publics>
Mais elle ne voudra pas chanter certaines chansons comme « le Gorille », « la Mauvaise réputation » et elle le convainquit de les chanter lui-même. Elle le laissa chanter après son spectacle en le lançant ainsi :
« Je vous ai chanté la Prière, Bancs publics. Je vous ai dit que c’était d’un nommé Brassens. Il est là, Brassens. Il ne sait pas tellement bien chanter, il ne sait pas tellement bien jouer de la guitare, il ne sait pas tellement bien se tenir en public, visiblement il n’aime pas ça, mais si vous voulez passer un moment agréable, restez. »
Brassens par André Sève page 40
Et les gens sont restés.
« Tout ensuite, est allé très vite, et je le dois à Patachou, je ne cesserai jamais de le dire. Parce que tu sais à ce moment-là, j’étais un peu perdu, j’avais 31 ans et j’étais un peu désespéré, je commençais à penser que ça ne marcherait jamais. »
Brassens par André Sève page 40
<Mini interview de Patachou, très vieille, qui parle de sa rencontre avec Brassens>
La vie de Brassens décrite dans le livre : il écrivait des chansons, recevait des amis et lisait beaucoup surtout les poètes. Il se levait très tôt vers 2, 3 ou 4 heures du matin après 6 heures de sommeil.
C’était un bosseur !
« Je vis selon les chansons que j’écris, si j’en ai vraiment entrain je ne m’occupe que de ça. Je reste parfois deux heures assis à chercher un mot, un accord. Je peux travailler jusqu’à douze heures dans la journée. »
Brassens par André Sève page 79
Il écoutait parfois de la musique classique :
« Oui mais je préfère le jazz […] J’aime ce rythme »
Brassens par André Sève page 79
Et quand André s’étonne que lui homme de la ville ait pu écrire une merveille comme <Bonhomme> il répond :
« Eh bien, j’avais peut être lu quelque chose qui m’a fait vibrer. Et ce qui m’est d’abord venu, c’est « mort naturelle ». J’ai vu un vieil homme qui mourait, sa vieille femme qui allait pour chauffer Bonhomme « qui va mourir de mort naturelle ». J’ai réussi cette chanson, que j’aime beaucoup, c’est une de mes préférées, parce que j’avais dû être fortement ému/ […] c’est la mort du grand-père d’un ami qui m’avait frappé. »
Brassens par André Sève page 50
Les paroles qui débute cette chanson :
« Malgré la bise qui mord
La pauvre vieille de somme
Va ramasser du bois mort
Pour chauffer Bonhomme
Bonhomme qui va mourir
De mort naturelle
Mélancolique, elle va
À travers la forêt blême
Où jadis elle rêva
De celui qu’elle aime
Qu’elle aime et qui va mourir
De mort naturelle »
Brassens par André Sève page 50
Il aimait les chats :
« Dans ma vie, il me faut des chats. De toute façon, je respecte les animaux, je ne suis ni chasseur ni pêcheur à cause de ça. Je dois aimer les chats parce qu’ils sont très indépendants. Je respecte leur indépendance, je ne les caresse que lorsqu’ils ont envie, je ne les habille pas, je ne les mets pas dans une boîte. Je les regarde vivre. »
Brassens par André Sève page 69
J’ai lu sur le web que l’anarchiste qu’il était, aurait dit qu’il préférait les chats aux chiens parce qu’il n’y avait pas de chat policier.
Et il va encore se révolter quand Frère André veut lui faire dire qu’il y a un message, une morale, des valeurs dans ses chansons :
« Mais prends-moi comme je suis : j’aime la chanson, j’aime les mots, j’aime les notes, je gratte sur une guitare, je raconte des histoires à des amis. Il se trouve que j’ai beaucoup lu, que j’ai rencontré certaines idées, que j’ai vu des choses qui m’ont plu, d’autres qui m’ont déplu, tout ça est entré en moi et ça ressort un jour dans une chanson. Comme une vache qui se met à paître de l’herbe et ça devient du lait. Ne lui demande pas d’expliquer son lait, bois-le »
Brassens par André Sève page 49
Voilà comment était Brassens qui est né à Sète, il y a 100 ans.
<1611>
Et j’avais 17 ans quand je l’ai découvert en1953 ,Europe 1 passait » le gorille, » et toutes ses premières chansons, « la mauvaise réputation, » le mauvais sujet repenti » et bien d’autres, » Corne d’auroch » « la chasse aux papillons » « bancs publics »
pour Noël nous avions acheté le disque à notre père, chez Béal rue de la république . les moins de 80 ans ne peuvent pas connaitre.
il est difficile d’imaginer aujourd’hui le remue ménage qu’il à fait dans la chanson à cette époque. Même si ,je crois , à peu près au même moment Trenet Chantait « L’âne et le gendarme » l’ensemble de la chanson française était encore très » chanteur de charme », ou » chanteuses réalistes »
et Brassens à donné un sacré coup de pied dans la fourmilière de la chanson planplan.
Merci pour ce mot d’amour de Brassens.
Merci Lucien pour ce rappel historique qui montre la place de Brassens dans un univers qu’il a bousculé