Vendredi 10 Juillet 2015

Vendredi 10 Juillet 2015
«Nous sommes pour la religion contre les religions.»
Victor Hugo
La religion !
Mais qu’as-tu donc contre les religions ? me demandait mon ami Bertrand avec qui j’ai vécu de profondes et étonnantes expériences spirituelles autour de mes 20 ans.
Car oui, je le dis, je ne suis pas athée. Je suis plutôt un croyant qui doute ou encore un incrédule incertain.
Je n’ai rien contre la religion, ni contre le croyant sincère qui vit humblement sa foi que je respecte et que je peux comprendre.
Mais j’exprime la plus grande méfiance contre les religions et surtout les institutions et toutes les structures qui les représentent.
Pour introduire cette réflexion, je reprends un texte de Victor Hugo extrait de son chef d’œuvre : « Les Misérables. »
Brusquement, l’immense écrivain interrompt sa narration, abandonne Cosette, Jean Valjean et les autres protagonistes de son roman et introduit une réflexion sur Dieu, la Religion et la prière.
Mais de quoi parle-t-on quand on parle de religion ?

On parle de rites, autour desquels les croyants se réunissent et manifestent publiquement leur Foi. Ces rites qui facilitent beaucoup la vie quotidienne et permettent souvent d’éviter de se poser trop de questions. Prenons par exemple le moment ultime, lorsque la vie s’arrête. Les humains finalisent alors ce moment de la séparation à travers une cérémonie de l’Adieu. Qu’il est simple, commode, rassurant de remettre les clés de cette célébration à un prêtre, un imam, un rabbin ou un moine. Ils savent faire, organiser, donner la solennité, les paroles et les gestes qui rendent ce moment apaisant et digne.

Quand, ce qui est mon cas, on ne souhaite pas prendre cette facilité et pourtant organiser une cérémonie de l’Adieu digne, respectable  et apaisante, cela devient éminemment compliqué.

On parle aussi de la petite voix consolante quand les hommes sont dans la souffrance qu’évoquait Jaurès et dont j’ai parlé lors du mot du jour consacré à la cérémonie de Charleston «Amazing grace» du 29 juin.

On parle encore de spiritualité et de transcendance. Car bien sûr, la poursuite des biens matériels, de la richesse, du pouvoir, de l’occupation du temps par le travail, les jeux, les loisirs ne suffisent pas pour construire son humanité et se préparer sereinement à notre finitude.

Cette recherche spirituelle peut se réaliser par d’autres voies que la religion, mais cette dernière la facilite, la rend plus immédiatement accessible. Jean-Claude Carrière, dans une émission sur laquelle je reviendrais, met en garde cependant sur la captation du concept de spiritualité par les religions. Car spiritualité signifie «esprit», «pensée» alors que les religions, le plus souvent, conduisent à éviter de penser pour remplacer la recherche spirituelle par le «dogme».
C’est pourquoi les propos de l’ancien président qui aspire à le redevenir : «L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal.» constituent un acte militant de prosélytisme chrétien et en aucune façon une analyse rationnelle. <En décembre 2007, dans son discours dit de Latran>
Dans le texte joint ci-dessous Victor Hugo a encore cette réflexion : «Pour nous, toute la question est dans la quantité de pensée qui se mêle à la prière.»

Et j’aborde l’autre aspect des religions, celle dont je me méfie ou même que je combats tant je trouve la réflexion dominante molle, lâche et incapable de voir la vérité en face.

Car les religions s’incarnent dans des institutions, des organisations.
Ces institutions religieuses, leurs histoires documentées, les affirmations contenues dans ce qu’ils prétendent être leurs textes sacrés peuvent et doivent être confrontées à l’analyse rationnelle. Analyse qui sur beaucoup de points les mettent en grandes difficultés, pour rester modéré.
Vous savez que les institutions religieuses allemandes et françaises, il y a 100 ans pendant la guerre 14-18, « bénissaient » les troupes et les armes de leur nation qui « allaient tuer l’ennemi », des prières étaient formulées pour la victoire de l’armée nationale, sur le ceinturon des soldats allemands était inscrit cette phrase « Gott mit uns », c’est à dire « Dieu avec nous ».
Car ces institutions sont des associations, au même titre que des partis politiques, ou pour reprendre un exemple emblématique récent la FIFA ou le CIO. Ils sont à traiter de la même manière, à être interrogé selon les mêmes critères et la même rationalité.
C’est une vaste blague de prétendre que le Pape, l’Ayatollah Khomeini ou tel  autre responsable d’une institution religieuse sont des hommes de Dieu. Ce sont des hommes de pouvoir !
Car exactement de la même manière que dans n’importe quelle association, l’essentiel de la vie de ces structures est une lutte d’ego pour arriver à se faufiler à la première place, à la place du pouvoir ou le plus près possible et d’y rester.
Les vrais hommes de Dieu, ceux qui consacrent leur vie et leur énergie à la recherche spirituelle ne disposent pas du temps disponible pour arriver à la tête des institutions. Je pense même que c’est contraire à leurs valeurs.
Je ne sais pas si vous connaissez l’histoire du Pape Celestin V, probablement l’unique cas où l’Église Catholique a tenté de mettre à sa tête un « homme de Dieu ». Le 5 juillet 1294, Pietro del Morrone, un bénédictin de 80 ans à la tête d’une congrégation d’ermites, est élu pape contre son gré mais à l’unanimité, par un conclave réuni à Pérouse. Cinq mois plus tard, del Morrone, qui a pris le nom de Célestin V, jette l’éponge, épuisé par les pressions des grandes familles italiennes et des souverains voisins. Devant les cardinaux, le vieillard pourfendeur de l’«Eglise politique», dépose sa tiare à terre et retourne dans les montagnes. <Ici un article de Libération>  et si vous voulez vraiment en savoir plus <Ici>
Le problème de ces hommes de pouvoir ou d’influence ce n’est pas la Foi et la recherche spirituelle, mais bien de diriger une organisation, souvent une population, d’arriver à faire taire les contestataires et à conserver le pouvoir. Voilà leur défi.
C’est pourquoi il s’agit de considérer avec le même respect, mais aussi la même méfiance et interrogation le président de la FIFA, le Pape, ou tel président d’une confédération d’église protestante ou musulmane ou juive ou toute autre obédience religieuse.
L’actualité à travers les scandales financiers, pédophiles ou encore les propos homophobes ou autres dérives inexcusables de ces responsables montre à l’évidence cette réalité. (Simplement pour donner un exemple récent : lorsque pendant les débats sur le mariage pour tous, l’archevêque de Lyon a eu cette expression  «Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera». Ce responsable catholique n’a pas noté que les pédophiles se recrutaient probablement davantage dans les membres actifs de son administration cléricale que parmi les homosexuels.)
Voilà qui est dit ! Une association comme une autre et des hommes de pouvoir ! Nous pouvons écouter leur représentant peut être avec intérêt, mais toujours avec méfiance et sans faiblesse.
Et puis il y a les cas dans le passé ou dans le présent où ces organisations religieuses ont le pouvoir sur la société civile, soit parce qu’ils détiennent le pouvoir politique et temporel, soit parce que le pouvoir temporel est inféodé et dépend de l’institution religieuse.
Dans ces cas-là, il ne fait pas bon vivre dans ces sociétés.
Car si le croyant qui vit selon les préceptes de sa Foi est respectable, il en va tout autrement lorsque le croyant oblige les autres : d’abord ses enfants, sa famille puis ses voisins et toute la société sur laquelle il étend son pouvoir. Nous sommes dans une autre dimension qui est celle du pouvoir totalitaire, intrusif, répressif,  et violent.
Je prétends que toutes les religions quand elles arrivent à ce niveau : « le pouvoir dans la société », sont entraînées dans la même dérive oppressive.
C’est pour cela que je n’aime pas les religions et pas trop leurs représentants, alors que je respecte les croyants qui acceptent la Loi civile.
C’est une grande nuance.
Dans l’occident chrétien, les religions chrétiennes ont été « matées », après des luttes engagées par les philosophes, par des scientifiques dont certains ont perdu la vie pour parvenir à obliger la religion à reprendre sa vraie mission qui n’est pas de contraindre, mais de soigner les âmes qui librement ont choisi d’y adhérer.
Force est de constater que pour une partie des institutions et des pays musulmans, ce processus reste à faire à l’heure d’aujourd’hui, car la contrainte est omniprésente, et souvent la violence des institutions, à l’égard de ceux qui remettent en cause le dogme, extrême.
Je déplore et je dénonce ces hommes de gauche aveugles qui prétendent expliquer les dérives sectaires, inhérentes aux institutions religieuses qui veulent organiser la société, par le combat social d’une minorité opprimée.
Comme Victor Hugo j’accepte la religion qui signifie « être relié » mais je suis contre les religions et le laxisme souvent coupable dont ils font l’objet de la part de ceux qui devraient défendre la Loi et les Principes de la République.
Si une règle est inacceptable pour nos valeurs, elle l’est même pour ceux qui prétendent qu’un dogme de leur association religieuse (N’oublions jamais que les religions sont toutes des sectes qui ont réussi) la promeut.
Voici l’extrait de Victor Hugo promis :
Les Misérables, Victor Hugo, éd. J. Hetzel et A. Quantin, 1882, partie II, chap. 8, p. 392 (texte intégral sur Wikisource)
«Encore quelques mots.
Nous blâmons l’Église quand elle est saturée d’intrigues, nous méprisons le spirituel âpre au temporel ; mais nous honorons partout l’homme pensif.
Nous saluons qui s’agenouille.
Une foi ; c’est là pour l’homme le nécessaire. Malheur à qui ne croit rien !
On n’est pas inoccupé parce qu’on est absorbé. Il y a le labeur visible et le labeur invisible.
Contempler, c’est labourer ; penser, c’est agir. Les bras croisés travaillent, les mains jointes font. Le regard au ciel est une œuvre.
Thalès resta quatre ans immobiles. Il fonda la philosophie.
Pour nous les cénobites ne sont pas des oisifs, et les solitaires ne sont pas des fainéants.
Songer à l’Ombre est une chose sérieuse.
Sans rien infirmer de ce que nous venons de dire, nous croyons qu’un perpétuel souvenir du tombeau convient aux vivants. Sur ce point le prêtre et le philosophe sont d’accord. Il faut mourir. L’abbé de La Trappe donne la réplique à Horace.
Mêler à sa vie une certaine présence du sépulcre, c’est la loi du sage ; et c’est la loi de l’ascète. Sous ce rapport l’ascète et le sage convergent.
Il y a la croissance matérielle ; nous la voulons. Il y a aussi la grandeur morale ; nous y tenons.
Les esprits irréfléchis et rapides disent :
À quoi bon ces figures immobiles du côté du mystère ? À quoi servent-elles ? Qu’est-ce qu’elles font ?
Hélas ! En présence de l’obscurité qui nous environne et qui nous attend, ne sachant pas ce que la dispersion immense fera de nous, nous répondons : Il n’y a pas d’œuvre plus sublime peut-être que celle que font ces âmes. Et nous ajoutons : Il n’y a peut-être pas de travail plus utile.
Il faut bien ceux qui prient toujours pour ceux qui ne prient jamais.
Pour nous, toute la question est dans la quantité de pensée qui se mêle à la prière.
Leibniz priant, cela est grand ; Voltaire adorant, cela est beau. Deo erexit Voltaire.
Nous sommes pour la religion contre les religions.
Nous sommes de ceux qui croient à la misère des oraisons et à la sublimité de la prière.
Du reste, dans cette minute que nous traversons, minute qui heureusement ne laissera pas au dix-neuvième siècle sa figure, à cette heure où tant d’hommes ont le front bas et l’âme peu haute, parmi tant de vivants ayant pour morale de jouir, et occupés des choses courtes et difformes de la matière, quiconque s’exile nous semble vénérable. Le monastère est un renoncement. Le sacrifice qui porte à faux est encore le sacrifice. Prendre pour devoir une erreur sévère, cela a sa grandeur.
Pris en soi, et idéalement, et pour tourner autour de la vérité jusqu’à épuisement impartial de tous les aspects, le monastère, le couvent de femmes surtout, car dans notre société c’est la femme qui souffre le plus, et dans cet exil du cloître il y a de la protestation, le couvent de femmes a incontestablement une certaine majesté.
Cette existence claustrale si austère et si morne, dont nous venons d’indiquer quelques linéaments, ce n’est pas la vie, car ce n’est pas la liberté ; ce n’est pas la tombe, car ce n’est pas la plénitude ; c’est le lieu étrange d’où l’on aperçoit, comme de la crête d’une haute montagne, d’un côté l’abîme où nous sommes, de l’autre l’abîme où nous serons ; c’est une frontière étroite et brumeuse séparant deux mondes, éclairée et obscurcie par les deux à la fois, où le rayon affaibli de la vie se mêle au rayon vague de la mort ; c’est la pénombre du tombeau.
Quant à nous, qui ne croyons pas ce que ces femmes croient, mais qui vivons comme elles par la foi, nous n’avons jamais pu considérer sans une espèce de terreur religieuse et tendre, sans une sorte de pitié pleine d’envie, ces créatures dévouées, tremblantes et confiantes, ces âmes humbles et augustes qui osent vivre au bord même du mystère, attendant, entre le monde qui est fermé et le ciel qui n’est pas ouvert, tournées vers la clarté qu’on ne voit pas, ayant seulement le bonheur de penser qu’elles savent où elle est, aspirant au gouffre et à l’inconnu, l’œil fixé sur l’obscurité immobile, agenouillées, éperdues, stupéfaites, frissonnantes, à demi soulevées à de certaines heures par les souffles profonds de l’éternité.»
Il n’y a rien à ajouter aux paroles de Victor Hugo