C’était une institution strasbourgeoise de 195 ans, située 24 rue de la Mésange. C’est-à-dire la rue qui relie la Place de Broglie où se trouve l’Hôtel de ville et l’Opéra du Rhin et la Rue des Arcades qui permet d’atteindre, en deux pas, la Place Kléber. Nous sommes dans l’hyper centre de Strasbourg.
Cette institution était un magasin de musique : « Wolf Musique » l’un des plus anciens magasins de musique de France.
Ce magasin a été fondé en 1825 par Seeligman Wolf, négociant juif dont la famille venait d’Allemagne.
Mais en 1825, Strasbourg était française et la France était dans cette période que l’on appelait « La Restauration ». Charles X venait de succéder à son frère, Louis XVIII décédé en septembre 1824.
Strasbourg va devenir allemand entre 1870 et 1918.
C’est pendant cette période, qu’en 1905 c’est passé un évènement qui faisait, encore de nos jours, la fierté de ce magasin :
C’est <Le Figaro> qui le raconte le plus précisément :
« Mais sa légende, c’est à deux compositeurs qu’il la doit. Dix ans plus tard, à l’été 1905, Richard Strauss et Gustav Mahler se retrouveront dans sa boutique. Là, au milieu des instruments, Strauss s’accompagnant lui-même au piano, lui fera lecture, en chantant, de son opéra Salomé tout juste achevé. Alma Mahler, épouse du chef et compositeur, témoignera de la réaction enthousiaste de ce dernier en même temps que de l’excitation du moment : « Nous arrivâmes au passage de la Danse des sept voiles. « Ça, je ne l’ai pas encore écrit », dit Strauss, et il continua à jouer, après ce grand vide, jusqu’à la fin. Mahler suggéra : « N’est-il pas dangereux de laisser de côté la danse, et de l’écrire plus tard quand on n’est plus dans l’atmosphère du travail ? » Alors Strauss se mit à rire de son rire frivole : « ça, j’en fais mon affaire ! » » Quelques semaines plus tard, à tête reposée, Mahler lui-même exprimera par écrit à Strauss, encore grisé par l’émotion :
« C’est votre sommet. Oui, je prétends que rien de ce que vous avez écrit jusqu’à présent ne peut se comparer à cela…» »
Wolf Musique était une véritable institution pour tout le monde musical français et une bonne partie du monde musicale d’outre-Rhin.
La boutique avait commencé, en 1825, par vendre des partitions, au début du XXème siècle des instruments s’y ajoutèrent.
Lazare Wolf, fils du fondateur, eu l’idée d’ajouter à son activité de vente, l’organisation de concerts.
Et c’est ainsi que les plus grands musiciens se sont retrouvés dans le magasin ou liés d’une manière ou d’une autre à l’institution. Richard Strauss et Gustav Mahler qui dirigèrent des concerts de leurs œuvres à Strasbourg dans des concerts organisés par Wolf Musique furent les plus grands. Mais on peut aussi citer Hans von Bülow, Furtwaengler, Klemperer et Charles Münch le régional de l’étape.
Après les années 1950, le magasin vendit aussi des disques et du matériel Hifi. Lors des 3 années que j’ai passées à Strasbourg entre 1976 et 1979, j’y allais régulièrement pour les disques. Je me souviens même d’y avoir acheté les 9 symphonies de Beethoven par Klemperer. La FNAC est arrivée à Strasbourg en 1978, Wolf a pu résister 10 ans pendant lesquels il a encore vendu des disques.
Le séisme provoqué par l’arrivée des grandes surfaces contraint Wolf Musique à se recentrer sur la vente d’instruments de musique et de partitions.
Wolf Musique créa aussi le célèbre Festival de Musique de Strasbourg.
La première édition eut lieu en 1932 avec le Philharmonique de Berlin sous la direction de Furtwängler. Wolf musique continua à participer à l’organisation de ce festival jusqu’en 2013. En 2014 le festival s’arrêta suite au dépôt de bilan de la Société des Amis de la Musique de Strasbourg… Dépôt de bilan annonciateur de celui de Wolf Musique, six années plus tard : fragilisé comme de nombreux professionnels du secteur par la montée en puissance d’internet, la vente en ligne puis par la baisse de clientèle liée aux attentats de 2015, qui ont amené les autorités à renforcer les mesures de sécurité autour du marché de Noël et à boucler une partie du centre-ville.
La pandémie lui aura donné le coup de grâce. Wolf Musique, n’a pas survécu à la crise économique liée au coronavirus, la boutique a baissé son rideau définitivement samedi 13 juin 2020.
Le magasin comptait encore 6 salariés. Dans les années 1960, Wolf Musique connaissait son âge d’or avec 49 employés répartis dans 9 boutiques
Cette fermeture n’est pas passée inaperçue, les sites et journaux ont donné un écho à cet évènement :
France Musique : <A Strasbourg, fermeture de Wolf, l’un des plus anciens magasins de musique de France>
Le Figaro <Requiem pour Wolf Musique, institution de la vie musicale européenne depuis près de deux siècles>
Le Parisien : <Strasbourg : Wolf, le plus vieux magasin de musique de province, tire le rideau>
Le Monde : <A Strasbourg, Wolf, institution du monde de la musique, fait entendre ses dernières notes>
Cette faillite, rendue inéluctable par la perte de son chiffre d’affaires liée au Covid-19, n’est pas un cas isolé. Il vient s’ajouter à une liste hélas grandissante de vénérables lieux de culture et de musique, victimes un peu partout dans le monde des conséquences économiques du coronavirus.
Le Figaro écrit :
« C’est ainsi que l’on a appris, il y a quarante-huit heures, la fermeture du plus ancien disquaire de Manhattan, à New York : Record Mart, fondé en 1958. Le mois dernier, c’était aussi le choc pour de nombreux mélomanes et musiciens néerlandais, qui découvraient que Hampe & Berkel, la plus ancienne boutique d’instruments et partitions d’Amsterdam, venait de mettre définitivement la clef sous la porte, après 178 ans de bons et loyaux services. »
Le monde de la musique et plus généralement de la culture est terriblement impacté par cette crise économique.
Souvent des institutions étaient déjà fragilisées en raison de l’évolution des modes de consommation, le COVID-19 a été dans ces cas l’épreuve de trop..
D’autres commerces aussi sont impactées.
Que deviendront nos villes quand un nombre de plus en plus important de commerces fermeront leurs portes et leurs vitrines ?
On me dit qu’Amazon va bien…
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