Jeudi 4 juillet 2019

« Le repas est une caractéristique de l’humanité depuis très longtemps »
Pascal Picq

Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Père du Messie des chrétiens, Jésus de Nazareth, Allah le Dieu de l’Islam, le Dieu monothéiste qui est unique selon ces trois religions et toutes les chapelles qui sont à l’intérieur de ces 3 religions, ce Dieu là, il ne mange pas.

Jacques Attali écrit dans son livre « Histoires de l’Alimentation » page 56 :

« A la différence des divinités des religions précédentes, le Dieu des juifs, qui a créé les hommes, ne mange pas : manger est, dans le judaïsme, le propre des créatures de Dieu ; c’est même ce qui Le distingue des hommes. »

Chez les dieux grecs dans l’Olympe, on festoyait en mangeant et en buvant.

Dans cette somme qu’est « l’Histoire de l’Alimentation » de Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari :

« Dans l’Olympe, le banquet est le passe-temps favori des dieux. « Toute la journée et jusqu’au coucher du soleil, ils demeurent au festin et leur cœur n’a pas à se plaindre du repas où tous on leur part » raconte Homère. Ils mangent et boivent des nourritures d’immortalité, ambroisie et nectar. » (page 154)

C’est toujours intéressant de s’intéresser aux dieux, ou plutôt à la manière dont les hommes décrivent les dieux. Cela dit beaucoup des humains

Le chapitre 2 de ce même livre a pour titre : « La fonction sociale du banquet dans les premières civilisation » et on y lit :

« Si la société divine a vraiment reproduit, dans la conception que s’en faisaient les Mésopotamiens, certaines caractéristiques de la société humaine, c’est sans doute dans les descriptions des banquets auxquels participent les divinités que le parallèle est le mieux établi : l’esprit comme la forme de ces réunions illustrent, en effet, directement la fonction de ce type de réjouissances à Sumer, en Babylonie ou en Assyrie. […]

L’assemblée des grands dieux, au cours de laquelle sont prises des décisions importantes, se tient souvent lors d’un banquet. Le banquet apparaît comme une des principales marques de la solidarité qui unit ce groupe, en même temps qu’il illustre les agréments de la vie divine telle que la conçoivent les humains. Le banquet est normalement organisé et les invitations faites par le dieu le plus âgé ou le plus haut placé. […]

De même, dans le « cycle de Baal » de la littérature ougaratique, en Syrie occidentale, le dieu Baal inaugure le palais qu’on vient de lui construire par un grand banquet. […].

[après avoir cité un certain nombre d’exemples les auteurs concluent ] Ces exemples […] nous livrent les caractéristiques du banquet en Mésopotamie : rassemblement festif d’une communauté, moment important d’une cérémonie, règles de conduite. […]

Le plaisir du repas pris en commun

Tout accord un peu solennel qui unit des individus et surtout des groupes familiaux se concrétise par leur participation à un repas pris en commun » (page 47 et 48) »

La littérature et les éléments dont s’inspire l’historien qui écrit ces lignes date du IIIème ou IIème millénaire avant notre ère.

Il est question déjà de banquet de repas pris en commun.

Pascal Picq a expliqué que, chez les chasseurs cueilleurs, lorsqu’une importante proie venait d’être chassée, la viande qui en résultait faisait l’objet d’un partage, d’une négociation autour d’un repas commun.

Pascal Picq explique que nous sommes des mangeurs sociaux depuis très longtemps. Les chasseurs cueilleurs, semble-t-il, aimait grignoter :

« Quand il y a des baies succulentes pas en grande quantité on les consomme. Ce qui n’est pas en grande quantité on peut picorer au passage.

Quand il y a des collectes importantes qui peuvent être rapportées dans des paniers ou autre, là par contre ils font l’objet d’échange.

Le repas est une caractéristique de l’humanité depuis très longtemps.

En quoi ce que nous mangeons ensemble, en quoi c’est un enjeu social et de solidarité. On l’a peut-être oublié. »

Pascal Picq comme l’histoire des dieux, non monothéistes, nous montre que les humains ont adopté une attitude sociale du repas en commun : moment où on partage, où on discute, où on prend des décisions.

Un grand nombre d’animaux mange tout le temps, au fil de la journée. L’homme prend des repas : il déjeune. Déjeuner signifie sortir du jeûne, ce qui conduit justement à manger à des moments précis de la journée et de ne rien manger entre temps. Je sais bien, qu’aujourd’hui il en est qui grignote. Tout le monde le sait, ce n’est pas bon de grignoter, de ne pas respecter le jeûne entre deux repas.

Il y a divers mots qui sont utilisés pour désigner les repas.

<Ce blog érudit> nous informe que :

« En 1694, le Dictionnaire de l’Académie française (DAF, 1ère éd.) les définit de la façon suivante :

Desjeuner     Repas qu’on fait le matin avant le disner.

Disner    Repas que l’on fait ordinairement à midy.

Souper    Repas du soir. »

En 1935, l’Académie française (DAF, 8e éd.) ne définit plus ces termes exactement de la même façon :

Déjeuner    Repas du matin OU celui du milieu du jour.

Dîner    Repas qu’on fait le soir. […] Il se disait autrefois du Repas du milieu du jour. Il a gardé cette acception dans quelques provinces.

Souper     Repas du soir. On dit plutôt aujourd’hui, en ce sens, Dîner. Il se dit particulièrement d’un Repas que l’on prend à quelque heure de la nuit.

Aujourd’hui nous disons plutôt petit déjeuner, déjeuner et diner. Si ce sujet vous intéresse le blog indiqué ci-avant est très disert sur l’évolution et les particularismes régionaux..

<selon ce site> nos cousins québécois continuent à enchaîner déjeuner, diner, souper.

Du point de vue étymologique Wikipedia nous apprend que « Dîner » et « déjeuner » ont la même origine puisqu’ils sont tous deux dérivés du latin populaire disjunare signifiant « rompre le jeûne », et constituent donc un doublet lexical.

Est-ce que seuls les humains prennent un repas en commun ?

On voit que les vaches broutent ensemble, les moutons aussi. Mais Michel Serres raconte une histoire qui lui a été rapporté par un forestier des landes qui est allé exercer son beau métier au Gabon :

« C’était dans une forêt tropicale. A la fin de la journée, il avait l’habitude de coucher là. Et tout d’un coup un gorille est arrivé et l’a regardé longuement. Et le forestier qui était tout seul a regardé aussi. Et puis le lendemain le gorille est revenu. Et il est revenu comme ça 8 soirs. Et le neuvième soir il est arrivé avec sa guenon, tous les deux. Et la guenon avec un geste de la main, lui a fait un geste presque d’invitation. Et avec un courage que j’admire beaucoup, il les a suivis dans la forêt. Et tout d’un coup il s’est trouvé près d’un tronc d’arbre sur lequel était posé des bananes et d’autres fruits. Le gorille et sa guenon avait invité l’humain a un repas commun. »

C’est très étonnant. Cette sociabilité précède peut-être même l’espèce humaine.

Le repas à heure fixe est urbain. Michel Serres précise qu’à la campagne l’heure des repas dépend des saisons, du rythme et des impératifs des travaux agricoles.

Pour les marins, que Michel Serres a aussi été, les repas dépendent de l’organisation des services de quart. J’ai appris aussi que dans la marine nationale, un pavillon était levé pour indiquer que le capitaine du bateau était en train de manger. Dans une certaine tradition, l’officier le plus jeune chantait le menu au capitaine.

Bien que le Dieu monothéiste ne mange pas, ses fidèles mangent et prient pendant le repas. La messe chrétienne a été organisée par le récit de la dernière cène du Christ où il a partagé le pain et le vin, ce qui est toujours célébré lors des messes ou services divins d’aujourd’hui.

Le shabbat juif est ponctué de repas succulent, la famille se réunit, moment du partage du pain, de bénédictions et de paroles et d’échanges.

Les musulmans ont aussi une grande tradition de repas partagé. Nous connaissons un peu mieux les repas du soir après le jeune du ramadan.

Pour nous autres français, italiens et latins tout se passe autour de repas partagé. Quand on rencontre un ami qu’on n’a pas vu depuis longtemps, immédiatement on l’invite à déjeuner et on parle autour d’un bon repas.

Même dans les exercices de séduction, souvent tout commence par un repas. Quand la famille éparpillé se retrouve, quand un fils longtemps absent revient voir les parents, les retrouvailles se passent autour d’un repas pris ensemble.

Et Michel serres de nous faire remarquer que lorsqu’on est au restaurant, on voit souvent la joie qui illumine le visage des convives quand le plat arrive à table.

Joie, partage, échange, sociabilité tout cela se joue autour de nos repas.

Mais tout le monde ne partage plus aujourd’hui cet enthousiasme pour le repas pris en commun, mais nous essayerons de voir cela demain.

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