Vendredi 18 décembre 2015

Vendredi 18 décembre 2015
«Madeleine project »
Clara beaudoux
Pendant longtemps, l’Histoire fut celle des Grands Hommes. On racontait l’Histoire en s’attachant à décrire les faits, les gestes, les actions et la pensée d’Alexandre le Grand, de César, de Charlemagne etc.
L’Ecole des Annales créée par Lucien Febvre et Marc Bloch, approfondie par Fernand Braudel a conceptualisé l’Histoire à travers tout le reste : les gens qui vivaient en grand nombre à côté des grands hommes, les mœurs de ces époques, la vie quotidienne, c’est à dire l’Histoire vécue par le plus grand nombre.
Dans cette conception de l’Histoire, Alain Corbin a poussé jusqu’au point ultime cette volonté de s’éloigner de l’Histoire des Grands Hommes. Il a choisi au hasard, dans une liste, un nom :  Louis-François Pinagot, né en 1798, mort en 1876. Puis il s’est mis en quête de trouver toutes les informations qu’il pourrait trouver sur cet homme ordinaire. Il en a tiré un livre <Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot – Sur les traces d’un inconnu (1798-1876)>.
Sur le site de France Culture, cette enquête est décrite de la manière suivante :
«Né en 1798, mort en 1876, Louis-François Pinagot, le sabotier de la Basse-Frêne, n’a jamais pris la parole et ne savait du reste ni lire ni écrire; il représente ici le commun des mortels. Un jeu de patience infini se dessille, afin d’en reconstituer le destin – mais eut-il jamais conscience d’en avoir un? – d’un Jean Valjean qui n’aurait pas volé de pain. Par cette méditation sur la disparition, l’auteur entendait modestement inverser le travail des bulldozers aujourd’hui à l’œuvre dans les cimetières de campagne. »
L’histoire de Madeleine se rapproche de cette quête : retrouver les traces d’une inconnue et s’y intéresser. Toutefois l’entrée dans cette histoire est très différente de celle de l’Historien.
La personne qui va révéler Madeleine est une journaliste, Clara Beaudoux, qui a besoin d’un appartement pour se loger et qui le trouve. Et puis… elle raconte :
«Quand j’ai loué mon appartement, la bonne surprise c’est qu’il y avait une cave, mais le propriétaire ne savait pas ce qu’il y avait dedans. C’était la cave n°16. Il n’avait plus la clé non plus. J’ai scié le cadenas.
La cave était pleine d’affaires. Celles de la vieille dame décédée après 20 ans dans cet appartement. Dans la boîte aux lettres, une publicité pour une mutuelle m’apprend qu’elle s’appelait Madeleine.
Elle n’a pas de descendant, alors je téléphone à l’unique lien de cette femme, selon le propriétaire : son filleul.
Au téléphone il me dit qu’il avait mandaté une entreprise pour vider l’appartement, elle a semble-t-il oublié la cave.
Les affaires de sa marraine ne l’intéressent pas, il me dit d’en faire ce que je veux.»
L’immense majorité d’entre nous, n’auraient eu qu’une idée en tête : vider au plus vite cette cave en allant jeter le contenu dans une déchetterie.
Mais Clara Beaudoux n’a pas fait cela : 
«J’ai donc une cave pleine des affaires de Madeleine dont personne ne veut. Je vais m’y plonger pour tenter d’en savoir un peu plus sur elle
Madeleine est née il y a un siècle le 7 mars 1915, en pleine première guerre mondiale, et elle est morte en 2011. Elle aurait donc eu 100 ans cette année. C’est une inconnue de l’Histoire
Mais elle avait rangé toute sa vie dans une cave : carnet, photos, souvenirs, bijoux, lettres, vieux journaux… que Madeleine avait classé, emballé, étiqueté dans des enveloppes, des cartons ou des valises.
Pour qui ? Pour quoi ? La vieille dame n’a pas eu de descendant.
A sa mort en 2011, le trésor est resté à l’abandon, il aurait pu finir à la décharge.
C’est l’émission 7h43 de France Inter qui m’a fait découvrir ce “Madeleine Project” qui a déclenché un véritable enthousiasme sur les réseaux sociaux
Et c’est aussi émouvant que captivant.
Impossible de ne pas être happé par cette femme qui fut enseignante –on la voit sur plusieurs photos de classe, école Jean Macé à Aubervilliers- qui collectionnait la revue Historia, les guides touristiques sur la Hollande, les crayons à papier et les carnets Moleskin, avec des paroles de chansons ou des recettes de cuisine, Madeleine qui semble avoir perdu son frère à la guerre en 1941 et un grand amour, Loulou, dont elle a numéroté toutes les lettres consignées dans une valise. Qui écrivait quantités de cartes postales à sa maman, débutant par « Ma petite mère ».
Et beaucoup d’autres choses … Madeleine est née il y a un siècle le 7 mars 1915 et retrouve une deuxième vie sur les réseaux sociaux.
Le cœur de ce récit numérique se trouve sur Twitter avec le hashtag  #madeleineproject mais vous trouverez aussi le récit de cette aventure ici >> https://storify.com/clarabdx/madeleineproject