François Ruffin était l’invité de France Info le 1er juin 2023.
<Il répondait aux questions de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia>.
A une des questions, il a répondu :
« Pour moi, le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. On a une société profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections n’est pas le fruit du hasard (….)
Dans ce climat de tension, d’épuisement des esprits, il faut de l’apaisement, de la stabilité ».
En tout cas, c’est ainsi que l’a résumé Jean Leymarie dans son « Billet Politique » : <La gauche a-t-elle le sens du progrès ?>
Quelle était la question ?
La question était de savoir s’il était prioritaire pour la Gauche, dans l’hypothèse où elle arrivait au pouvoir, de voter une loi pour permettre à des jeunes de 16 ans de changer de genre, sans l’accord de leurs parents ?
Ce débat avait divisé la gauche espagnole. Le parti PODEMOS l’a imposé et une Loi espagnole le permet désormais.
Pour être le plus précis possible je cite « Le Monde » du <16/02/2023>
« Les députés espagnols ont adopté définitivement, jeudi 16 février 2023, une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans. Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez, cette loi dite « transgenre » permet aux personnes qui le souhaitent de faire changer leur genre sur leurs papiers d’identité via une simple déclaration administrative dès l’âge de 16 ans.
Il ne sera donc plus nécessaire de fournir des rapports médicaux attestant d’une dysphorie de genre et des preuves d’un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c’était le cas jusqu’ici pour les personnes majeures. Le texte – adopté par 191 voix contre 60 et 91 abstentions – étend également ce droit aux 14-16 ans, à condition qu’ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux, ainsi qu’aux 12-14 ans, s’ils obtiennent le feu vert de la justice. »
Donc pour François Ruffin, cette évolution législative ne doit pas constituer une priorité pour la Gauche.
Mais en disant cela, il s’oppose frontalement à Jean-Luc Mélenchon qui souhaite inscrire la possibilité de changer de genre dans la Constitution.
Dès lors, les « Insoumis », au moins celles et ceux qui s’expriment ont vivement critiqué François Ruffin.
<France Info> rapporte :
« Une fois l’extrait diffusé sur le compte Twitter de franceinfo, les premières critiques fusent. Quelques heures plus tard, le compte « Le coin des LGBT+ », aux près de 48 000 abonnés, relaye la vidéo, assorti de ce commentaire : « François Ruffin ne veut pas d’une loi permettant de changer plus facilement sa mention de genre car il faut ‘de l’apaisement’ pour que son parti accède au pouvoir ».
Dans la foulée, François Ruffin se voit critiqué par ses pairs, sur le même réseau social. « Ce n’est en rien une position de La France insoumise ni du groupe parlementaire », recadre la députée Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon. « Ce propos, en ce jour, est au mieux maladroit, au pire une faute politique », cingle-t-elle. […]
Dans un tweet, le député LFI Antoine Léaument rappelle que le programme de son parti prévoit de « garantir le droit au changement de la mention du sexe à l’état civil, librement et gratuitement devant un officier d’état civil, sans condition médicale »
Si bien que François Ruffin se sent obligé de faire marche arrière :
Il twitte :
« Ma réponse sur le genre, ça va pas ».
Puis ajoute :
« Sur ce sujet [des droits LGBT+] comme sur pas mal d’autres, en toute humilité, je dois progresser »
Cela rappelle furieusement la culture de l’autocritique pratiquée dans les partis et régimes communistes d’antan.
Mais revenons exactement au verbatim de l’interview de France Info :
Marc Fauvelle contextualise et pose sa question
« En Espagne, votre allié, le parti PODEMOS a pris une claque aux élections locales. 3% des voix seulement ! Certains électeurs ont, semble-t-il, considéré que PODEMOS qui gouverne avec les socialistes avait mis en place des lois trop clivantes. Comme par exemple la Loi qui permet de changer librement de genre à 16 ans, sans l’accord des parents. Est-ce que vous feriez la même chose en France ?
Réponse de François Ruffin :
« Je vous l’ai dit que pour moi le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. »
Marc Fauvelle :
« Ce n’est pas les lois de société ? »
François Ruffin
« Je pense qu’on a une société qui est profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections ne sont pas le fruit du hasard.
Il y a un bloc libéral, central qui s’effrite dans la durée, il y a un bloc d’extrême droite, il y a un bloc de gauche. Dans ce climat là de tension, d’épuisement des esprits, qu’est-ce qu’il faut ? Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. Je pense que dans ce cadre-là, on ne devra pas faire tout ce qui nous passe par la tête. Tout ce qu’on souhaite. Tout ce qui est peut-être, même, bon en soi. Mais il faudra chercher les chemins qui permettent de réconcilier la société.
Marc Fauvelle :
« Pas de loi qui fracture la société, cela veut dire par exemple pas de GPA. Pas de Loi sur le genre.
François Ruffin
« Je ne suis pas personnellement favorable à la GPA. Mais je ne crois pas que c’est ça qu’on doit placer au cœur de notre projet. C’est clair. Après il y a des choses sur lesquelles ont peut chercher à avancer avec précaution, avec sagesse, il faut avancer avec tendresse, avec compréhension à l’égard de l’opposition »
Marc Fauvelle :
« Si vous étiez au pouvoir, vous ne feriez pas la Loi sur la Fin de vie ?
François Ruffin
« Si ! En tout cas ouvrir la réflexion sur la fin de vie. Écouter les avis des français. Demander ce qu’ils en pensent. Demander comment ils vivent la fin de vie de leurs parents, comment ils appréhendent leur propre fin de vie. Est-ce qu’il a des choses à aménager ? […] Bien sûr pour aboutir à un texte à la fin.
Je crois qu’il y a des tas de sujets où on peu chercher…Emmanuel Macron fait des Lois qui reposent su 1/3 ou 1/4 des français. Ben non, il faut chercher les 2/3 ou le 3/4 des français pour avancer avec l’ensemble de la société.
Je crois qu’il y a un sujet sur lequel la société recule depuis 40 ans, c’est le travail, à cause de la mondialisation.
Je veux aussi qu’on montre tout ce sur quoi la société, elle avance. Elle avance avec des limites. Mais la reconnaissance de l’homosexualité, elle a avancé. Les lois sur le Handicap, ça a avancé. La place des femmes dans la société ça a avancé. Même des choses comme la sécurité routière ça a avancé.
Je ne veux qu’on ait une vision sur ce qui se passe en France depuis 40 ou 50 ans comme étant une régression sur tous les points. »
Et il dit encore que la Gauche doit rassurer, parler à toute la société et ne pas imposer une humiliation et ne pas mépriser ceux qu’elle ne convainc pas.
Je dois dire que je suis d’accord sur tous ces points avec François Ruffin.
Je veux dire que je suis d’accord avec la version originale pas celle de l’auto-critique.
Une majorité de français a voté Emmanuel Macron pour faire barrage à Le Pen. Mais, lui avait mis pour priorité une Loi brutale et non négociable sur la retraite.
Il ne faudrait pas que les français votent pour la Gauche pour plus de justice sociale, une amélioration de la vie au travail, un programme écologique plus offensif et structuré et qu’au final la priorité soit la Loi sur le genre.
Je pense d’ailleurs que ce type de projet servirait de repoussoir pour beaucoup de français.
Au fond, je suis plein de doutes. Je pense à l’« l’homo deus » de Yuval Noah Harari.
L’individualisme poussé à l’extrême ! L’individu doit pouvoir tout choisir, même son genre et son sexe. Rien ne saurait lui être opposé comme limite ou contrainte.
Est-ce ainsi qu’on peut faire société ?
Or, il faut faire société, si on veut pouvoir faire face aux défis qui sont là.
Et plus encore pour pouvoir faire vivre un État social, il faut faire société, une assemblée d’individus ne le permet pas.
Dans le mot du jour du <12 septembre 2014> j’avais cité Emile Durkheim
« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »
C’est pourquoi le propos de François Ruffin : il vaut chercher à avancer avec l’ensemble de la société, me parait très sage.
Jean Leymarie finit son billet politique par cette conclusion :
« Quels « progrès » la gauche veut-elle porter ? Que considère-t-elle comme un « progrès », d’ailleurs ? Des mesures sociétales, bien sûr – depuis quelques années, elle les met beaucoup en avant. Mais est-ce que ça suffit ? Il y a dix ans, le mariage pour tous, défendu par François Hollande, était une mesure d’égalité. Un progrès, largement admis aujourd’hui, y compris à droite. Ce progrès n’a pas empêché la désillusion de nombreux électeurs, en tout cas de ceux qui voulaient d’abord des mesures sur le travail, sur la fiscalité.
Finalement, quels sont les marqueurs de la gauche ? Ceux qui feront revenir ses électeurs perdus ? Une grande partie d’entre eux – des ouvriers, des employés notamment – réclame plus de justice sociale. Ça ne signifie pas que la gauche doit balayer tout le reste. Mais si elle veut convaincre, et si elle veut s’unir, il faudra qu’elle soit claire. Elle doit choisir ses combats. »
<1751>