Mercredi 14 juin 2023

« Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. »
François Ruffin, député LFI de la Somme, à propos de la société politique française

François Ruffin était l’invité de France Info le 1er juin 2023.

<Il répondait aux questions de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia>.

A une des questions, il a répondu :

« Pour moi, le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. On a une société profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections n’est pas le fruit du hasard (….)

Dans ce climat de tension, d’épuisement des esprits, il faut de l’apaisement, de la stabilité ».

En tout cas, c’est ainsi que l’a résumé Jean Leymarie dans son « Billet Politique » : <La gauche a-t-elle le sens du progrès ?>

Quelle était la question ?

La question était de savoir s’il était prioritaire pour la Gauche, dans l’hypothèse où elle arrivait au pouvoir, de voter une loi pour permettre à des jeunes de 16 ans de changer de genre, sans l’accord de leurs parents ?

Ce débat avait divisé la gauche espagnole. Le parti PODEMOS l’a imposé et une Loi espagnole le permet désormais.

Pour être le plus précis possible je cite « Le Monde » du <16/02/2023>

« Les députés espagnols ont adopté définitivement, jeudi 16 février 2023, une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans. Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez, cette loi dite « transgenre » permet aux personnes qui le souhaitent de faire changer leur genre sur leurs papiers d’identité via une simple déclaration administrative dès l’âge de 16 ans.

Il ne sera donc plus nécessaire de fournir des rapports médicaux attestant d’une dysphorie de genre et des preuves d’un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c’était le cas jusqu’ici pour les personnes majeures. Le texte – adopté par 191 voix contre 60 et 91 abstentions – étend également ce droit aux 14-16 ans, à condition qu’ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux, ainsi qu’aux 12-14 ans, s’ils obtiennent le feu vert de la justice. »

Donc pour François Ruffin, cette évolution législative ne doit pas constituer une priorité pour la Gauche.

Mais en disant cela, il s’oppose frontalement à Jean-Luc Mélenchon qui souhaite inscrire la possibilité de changer de genre dans la Constitution.

Dès lors, les « Insoumis », au moins celles et ceux qui s’expriment ont vivement critiqué François Ruffin.

<France Info> rapporte :

« Une fois l’extrait diffusé sur le compte Twitter de franceinfo, les premières critiques fusent. Quelques heures plus tard, le compte “Le coin des LGBT+”, aux près de 48 000 abonnés, relaye la vidéo, assorti de ce commentaire : “François Ruffin ne veut pas d’une loi permettant de changer plus facilement sa mention de genre car il faut ‘de l’apaisement’ pour que son parti accède au pouvoir”.

Dans la foulée, François Ruffin se voit critiqué par ses pairs, sur le même réseau social. “Ce n’est en rien une position de La France insoumise ni du groupe parlementaire”, recadre la députée Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon. “Ce propos, en ce jour, est au mieux maladroit, au pire une faute politique”, cingle-t-elle. […]

Dans un tweet, le député LFI Antoine Léaument rappelle que le programme de son parti prévoit de “garantir le droit au changement de la mention du sexe à l’état civil, librement et gratuitement devant un officier d’état civil, sans condition médicale »

Si bien que François Ruffin se sent obligé de faire marche arrière :

Il twitte :

« Ma réponse sur le genre, ça va pas ».

Puis ajoute :

« Sur ce sujet [des droits LGBT+] comme sur pas mal d’autres, en toute humilité, je dois progresser »

Cela rappelle furieusement la culture de l’autocritique pratiquée dans les partis et régimes communistes d’antan.

Mais revenons exactement au verbatim de l’interview de France Info :

Marc Fauvelle contextualise et pose sa question

« En Espagne, votre allié, le parti PODEMOS a pris une claque aux élections locales. 3% des voix seulement ! Certains électeurs ont, semble-t-il, considéré que PODEMOS qui gouverne avec les socialistes avait mis en place des lois trop clivantes. Comme par exemple la Loi qui permet de changer librement de genre à 16 ans, sans l’accord des parents. Est-ce que vous feriez la même chose en France ?

Réponse de François Ruffin :

« Je vous l’ai dit que pour moi le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. »

Marc Fauvelle :

« Ce n’est pas les lois de société ? »

François Ruffin

« Je pense qu’on a une société qui est profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections ne sont pas le fruit du hasard.

Il y a un bloc libéral, central qui s’effrite dans la durée, il y a un bloc d’extrême droite, il y a un bloc de gauche. Dans ce climat là de tension, d’épuisement des esprits, qu’est-ce qu’il faut ? Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. Je pense que dans ce cadre-là, on ne devra pas faire tout ce qui nous passe par la tête. Tout ce qu’on souhaite. Tout ce qui est peut-être, même, bon en soi. Mais il faudra chercher les chemins qui permettent de réconcilier la société.

Marc Fauvelle :

« Pas de loi qui fracture la société, cela veut dire par exemple pas de GPA. Pas de Loi sur le genre.

François Ruffin

« Je ne suis pas personnellement favorable à la GPA. Mais je ne crois pas que c’est ça qu’on doit placer au cœur de notre projet. C’est clair. Après il y a des choses sur lesquelles ont peut chercher à avancer avec précaution, avec sagesse, il faut avancer avec tendresse, avec compréhension à l’égard de l’opposition »

Marc Fauvelle :

« Si vous étiez au pouvoir, vous ne feriez pas la Loi sur la Fin de vie ?

François Ruffin

« Si ! En tout cas ouvrir la réflexion sur la fin de vie. Écouter les avis des français. Demander ce qu’ils en pensent. Demander comment ils vivent la fin de vie de leurs parents, comment ils appréhendent leur propre fin de vie. Est-ce qu’il a des choses à aménager ? […] Bien sûr pour aboutir à un texte à la fin.

Je crois qu’il y a des tas de sujets où on peu chercher…Emmanuel Macron fait des Lois qui reposent su 1/3 ou 1/4 des français. Ben non, il faut chercher les 2/3 ou le 3/4 des français pour avancer avec l’ensemble de la société.

Je crois qu’il y a un sujet sur lequel la société recule depuis 40 ans, c’est le travail, à cause de la mondialisation.

Je veux aussi qu’on montre tout ce sur quoi la société, elle avance. Elle avance avec des limites. Mais la reconnaissance de l’homosexualité, elle a avancé. Les lois sur le Handicap, ça a avancé. La place des femmes dans la société ça a avancé. Même des choses comme la sécurité routière ça a avancé.

Je ne veux qu’on ait une vision sur ce qui se passe en France depuis 40 ou 50 ans comme étant une régression sur tous les points. »

Et il dit encore que la Gauche doit rassurer, parler à toute la société et ne pas imposer une humiliation et ne pas mépriser ceux qu’elle ne convainc pas.

Je dois dire que je suis d’accord sur tous ces points avec François Ruffin.

Je veux dire que je suis d’accord avec la version originale pas celle de l’auto-critique.

Une majorité de français a voté Emmanuel Macron pour faire barrage à Le Pen. Mais, lui avait mis pour priorité une Loi brutale et non négociable sur la retraite.

Il ne faudrait pas que les français votent pour la Gauche pour plus de justice sociale, une amélioration de la vie au travail, un programme écologique plus offensif et structuré et qu’au final la priorité soit la Loi sur le genre.

Je pense d’ailleurs que ce type de projet servirait de repoussoir pour beaucoup de français.

Au fond, je suis plein de doutes. Je pense à l’« l’homo deus » de Yuval Noah Harari.

L’individualisme poussé à l’extrême ! L’individu doit pouvoir tout choisir, même son genre et son sexe. Rien ne saurait lui être opposé comme limite ou contrainte.

Est-ce ainsi qu’on peut faire société ?

Or, il faut faire société, si on veut pouvoir faire face aux défis qui sont là.

Et plus encore pour pouvoir faire vivre un État social, il faut faire société, une assemblée d’individus ne le permet pas.

Dans le mot du jour du <12 septembre 2014> j’avais cité Emile Durkheim

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »

C’est pourquoi le propos de François Ruffin : il vaut chercher à avancer avec l’ensemble de la société, me parait très sage.

Jean Leymarie finit son billet politique par cette conclusion :

« Quels “progrès” la gauche veut-elle porter ? Que considère-t-elle comme un “progrès”, d’ailleurs ? Des mesures sociétales, bien sûr – depuis quelques années, elle les met beaucoup en avant. Mais est-ce que ça suffit ? Il y a dix ans, le mariage pour tous, défendu par François Hollande, était une mesure d’égalité. Un progrès, largement admis aujourd’hui, y compris à droite. Ce progrès n’a pas empêché la désillusion de nombreux électeurs, en tout cas de ceux qui voulaient d’abord des mesures sur le travail, sur la fiscalité.

Finalement, quels sont les marqueurs de la gauche ? Ceux qui feront revenir ses électeurs perdus ? Une grande partie d’entre eux – des ouvriers, des employés notamment – réclame plus de justice sociale. Ça ne signifie pas que la gauche doit balayer tout le reste. Mais si elle veut convaincre, et si elle veut s’unir, il faudra qu’elle soit claire. Elle doit choisir ses combats. »

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Mardi 19 mai 2020

«Provoquer de nouvelles façons de produire, de consommer de se comporter, de vivre ensemble, de savoir vivre les uns avec les autres»
Claude Alphandery en présentant le Conseil National de la Nouvelle Résistance qui vient d’être créé le 13 mai et dont il est co-président

Le monde d’après le COVID-19 ?

Beaucoup l’imagine, en adéquation avec les souhaits, les utopies, les rêves qu’ils avaient avant.

Certains développent des tribunes, des initiatives ou même lance des mouvements. L’une de ses initiatives a retenu mon attention : la création du « Conseil National de la Nouvelle Résistance »

Non pas en raison du titre, mais parce que pour le présider les personnalités qui ont fondées ce mouvement ont eu l’idée de choisir deux figures de la résistance historique : Claude Alphandéry et Anne Beaumanoir.

Le premier est né en 1922 et la seconde en 1923.

Ce sont des grands seniors, mais qui à leur âge restent absolument épatants, au bout d’une vie …bien remplie. Camus a dit :

« Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence. » (Le premier homme)

C’est Claude Alphandery qui a été invité aux matins de France Culture de ce samedi pour présenter ce Conseil national de La Nouvelle Résistance.

C’est donc de lui que je vais parler aujourd’hui.

Grâce à Wikipedia nous pouvons connaître son parcours à grands traits :

Claude Alphandéry est né le 27 novembre 1922 à Paris. Il s’engage dans des actions de résistance alors qu’il étudie au lycée du Parc à Lyon en automne 1941. Il assure notamment du transport de documents et des distributions de tracts.

Après dénonciation de ses relations avec une réfugiée juive allemande, il entre dans la clandestinité pendant l’hiver 1942-1943. Il devient lieutenant-colonel dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI), chef des Mouvements unis de la Résistance Drôme-Ardèche (MUR) puis président du comité départemental de Libération de la Drôme.

Après avoir été attaché d’ambassade à Moscou, Claude Alphandéry est élève de la 2e promotion de la nouvelle École nationale d’administration (ENA) en 1946. Il devient expert économique auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York. Cette expérience nourrira sa réflexion sur la société de consommation dont l’opulence cache de profondes inégalités dans la répartition des richesses tant du point de vue des individus que des États-nations.

Il devient membre du Parti communiste français en 1945 mais il quitte le PCF en 1956 à la suite du 20e Congrès du Parti communiste soviétique et de la parution du rapport Khrouchtchev.

En 1960, Claude Alphandéry participe à la fondation de la Banque de construction et des travaux publics dont il devient le président de 1964 à 1980.

Il continue de participer au débat public, en tant qu’animateur d’un cercle de réflexion, le Club Jean Moulin (1959-1965), ou dans les années 1970 au sein du club Échanges et projets, fondé par Jacques Delors et animé par Jean-Baptiste de Foucauld.

En 1976, il adhère au Parti socialiste, où il est proche de Michel Rocard.

Par la suite il va prendre un rôle de premier plan dans l’organisation de l’économie sociale et solidaire.

Au début des années 1980, Claude Alphandéry va conduire une mission sur le développement local et la lutte contre les exclusions. C’est ainsi qu’en 1988 il est amené à créer, présider et développer l’association France active, qui soutient et finance les initiatives économiques créatrices d’emplois et génératrices de solidarité et dont il est aujourd’hui le Président d’honneur.

En 1991, Claude Alphandéry devient président du Conseil national de l’insertion par l’activité économique.

En 2006, Claude Alphandéry et Edmond Maire, ancien secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), sont les initiateurs d’un « manifeste pour une économie solidaire ».

Considéré comme le porte-flambeau de l’économie sociale et solidaire, à 89 ans, Claude Alphandéry continue d’initier de nombreuses actions pour promouvoir cette économie qui place l’être humain avant le profit. Il est Président du Labo de l’Economie Sociale et Solidaire et a animé l’organisation des États généraux de l’économie sociale et solidaire, marqués par un grand rassemblement au Palais Brongniart les 17, 18 et 19 juin 2011.

Il a aussi participé, en mars 2012, à la constitution du Collectif Roosevelt que j’ai évoqué lors du mot du jour récent évoquant Franklin D. Roosevelt et son petit-fils Curtis..

Il me semblait important de savoir tout cela avant de dire qu’il participe avec une vingtaine de personnalités à la création du Conseil National de la Nouvelle Résistance (CNNR), le 13 mai 2020.

Sa conclusion dans l’émission fut la suivante :

« Nous avons vu comment, par la solidarité, la pandémie a pu être contenue. C’est un exemple de ce que nous pouvons faire, dans un monde qui risque d’être invivable. Avec ce nouveau Conseil, nous voulons susciter la renaissance de cet esprit de solidarité. Il existe, en France, des milliers d’associations, d’entreprises sociales et solidaires, qui doivent être un noyau de ce système nouveau que nous voulons mettre en place. […]

Il y a des adversaires, il y en a qui voudrait revenir au système actuel parce qu’il leur est hautement profitable.

Il faut savoir résister à ceux qui ne veulent pas du bien.

Mais il faut surtout savoir s’appuyer sur les choses existantes

Je pense que l’important pour la réussite c’est de s’appuyer complètement et développer sur tout ce qui existe déjà en France d’entraide, de coopération, de solidarité.

Il y a des milliers d’associations de l’économie sociale et solidaire qui se sont développées, ce sont elles qui doivent constituer le noyau de ce système nouveau que nous essayons de mettre en place.

On ne pourra pas avancer, s’il n’y a pas d’abord un sauvetage des faillites et du chaos. On a besoin d’un Etat qui fasse ce qu’il faut.

Mais pour investir dans ce nouveau système, il faut une bonne fiscalité, un bon code du travail, des crédits qui vont aux bonnes activités et pas aux mauvaises.

Il y a bien sûr ce qui vient de l’Etat ou de l’Europe, mais il y aussi ce qui se fait sur le terrain. C’est un changement de comportement qui au lieu de se fonder sur la seule concurrence, la seule compétition, se fonde sur la solidarité et la coopération.

Ce n’est pas irréaliste, cela existe un peu partout. Il faut simplement les aider, les soutenir.

Il faut simplement que tout ce qui existe, converge, coopère ensemble. Parce que pour l’instant c’est encore trop dispersé, disséminé, fragmenté. Et dans la mesure où c’est fragmenté, cela n’a pas l’impact suffisant.

Cela ne fait pas système, ça ne change pas la façon de produire de consommer, d’échanger, de faire des affaires.

Changer le système, il le faut au niveau de la France, au niveau de l’Europe, au niveau du monde et partout sur le terrain.

La nouvelle résistance, c’est cela : faciliter, encourager, soutenir, provoquer de nouvelles façons de produire, de consommer de se comporter, de vivre ensemble, de savoir vivre les uns avec les autres.

Et cela bien entendu nécessite l’Etat, mais à côté de l’Etat un Conseil National de la résistance qui vérifie la capacité de la société de se transformer profondément.

C’est cette fameuse métamorphose dont parle souvent Edgar Morin. »

Cela apparaît un peu utopique et le chemin est si compliqué dans un monde interdépendant où la France pèse si peu de chose.

Mais l’enthousiasme de cet homme de 98 ans est tellement communicatif.

Il n’est pas seul dans cette aventure outre Anne Beaumanoir, il y a aussi neuf femmes (Dominique Méda, Danièle Linhart, Sabrina Ali Benali, Anne Eydoux, Pauline Londeix, Véronique Decker, Fatima Ouassak, Anne-Claire Rafflegeau, Clotilde Bato) et neuf hommes (Dominique Bourg, Samuel Churin, Pablo Servigne, Olivier Favereau, Yannick Kergoat, Jean-Marie Harribey, Dominique Rousseau, Antoine Comte, Benoît Piédallu). Plusieurs de ces personnalités ont été citées dans des mots du jour.

Ils ont un Logo et l’Obs leur a consacré un article : « Des personnalités créent un… « Conseil national de la Nouvelle Résistance » » il y a aussi une vidéo accessible dans cet article dans laquelle divers intervenants explique la démarche.

Ils vont produire un document dans lequel :

« Il s’agit d’énoncer les principes selon lesquels notre société devra être gouvernée et de sommer les responsables politiques de s’engager vis-à-vis d’eux. »

Le résultat de ces travaux sera publié le 27 mai, journée nationale de la Résistance.

<1427>

Vendredi 21 février 2020

« Bella Ciao »
Un chant italien sur lequel on raconte des histoires

Dans la série concernant les mots de l’actualité, le 11 février je parlais <des sardines>, ce mouvement anti populiste qui est né à Bologne pendant des élections locales pour stopper l’irrésistible ascension de Salvini et de la Ligue et qui s’est répandu à l’ensemble de la péninsule italienne.

Les « sardines » manifestaient, étaient nombreux, se pressaient les uns contre les autres et <chantaient Bella Ciao>

Una mattina mi son svegliato,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,

Je continue en français

Un matin, je me suis réveillé,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Un matin, je me suis réveillé,
Et j’ai trouvé l’envahisseur.
Hé ! partisan emmène-moi,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Hé ! partisan emmène-moi,
Car je me sens mourir.

J’ai pensé : voici un mot du jour facile, on raconte un peu l’histoire de cette chanson, on parle de sa renommée planétaire, on renvoie vers quelques versions de ce chant et ce sera une belle manière de terminer la semaine.

Opportunément ARTE a réalisé une petit documentaire de moins de quinze minutes  : <Bella Ciao dans les rizières du Pièmont> qui racontent tout ce qu’il y à savoir sur ce sujet, chant des partisans lors de la dernière guerre mais dont l’origine remonterait aux ouvrières saisonnières qu’on appelait les « mondines » et qui travaillaient, dans de dures conditions, à la culture du riz dans les terres humides de la plaine du Pô, dans le nord de l’Italie.

<Wikipedia> reprend cette version :

« C’est une chanson de travail et de protestation piémontaise. Elle exprime la protestation des mondines, les saisonnières qui désherbaient les rizières d’Italie du Nord et y repiquaient les plants de riz, contre les dures conditions de travail : les femmes devaient rester courbées toute la journée, dans l’eau jusqu’aux genoux, sous le regard et les brimades des surveillants. Les conditions de travail et de vie des mondines sont illustrées par le film <Riz amer> de Giuseppe De Santis, chef-d’œuvre du néoréalisme italien. »

Dans cet article nous avons aussi les paroles complètes du chant des partisans, comme du chant des mondines dont je donne le début dans sa traduction française :

Le matin, à peine levée
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Le matin, à peine levée
À la rizière je dois aller

Et entre les insectes et les moustiques
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Et entre les insectes et les moustiques
Un dur labeur je dois faire

Le chef debout avec son bâton
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Le chef debout avec son bâton
Et nous courbées à travailler

Quelques recherches plus loin, j’ai appris que ce chant avait connu un regain de popularité récente en raison d’une série espagnole produite sur Netflix : « La casa de papel ». Je n’en ai jamais entendu parler avant, montrant ainsi ma déconnexion de Netflix et mon manque de culture actuelle et populaire. J’ai trouvé <cet article d’Ouest France> qui rapporte :

« Le dernier gros succès de la plateforme de streaming Netflix, la série espagnole La Casa de Papel, a remis au goût du jour le chant révolutionnaire italien Bella Ciao. […]

« O Bella Ciao, Bella Ciao, Bella Ciao, ciao, ciao… » Dans la série télévisée espagnole La Casa de Papel, qui cartonne sur Netflix, les protagonistes – qui participent à un impressionnant braquage organisé à la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre (à Madrid), pour imprimer 2,4 milliards d’euros – entonnent à plusieurs reprises ce chant au rythme entraînant, particulièrement addictif.

Au fil de la série, il devient en quelque sorte, la chanson de ralliement des malfaiteurs. Impossible de ne pas la siffloter quand on regarde les épisodes.

Depuis que la première saison a été diffusée sur Netflix (en décembre 2017), les recherches sur Google avec le mot-clé « Bella Ciao », explosent. Elles ont été multipliées par dix. Sur YouTube c’est pareil, elles grimpent en flèche depuis le début de l’année.La plateforme américaine a flairé le filon et a basé une grande partie de sa communication sur ce chant pour la deuxième saison de La Casa de Papel, diffusée depuis le 6 avril : affiches, vidéos, posts sur Twitter, sur Facebook, karaoké… À tel point que sur les réseaux sociaux, ça s’empoigne entre fans de la série qui font du morceau « LA chanson de La Casa de Papel » et les puristes, qui hurlent au détournement de ce chant partisan italien, né il y a plus d’un siècle. »

Et l’article revient sur l’origine des mondines :

« Car au tout début, Bella Ciao est un chant ouvrier, dont la datation précise est difficile. Les « mondines », ces ouvrières saisonnières piémontaises qui travaillaient dans les rizières italiennes de la plaine du Pô à la fin du XIXe siècle en seraient à l’origine. »

Alors il semble bien que c’est cette série qui en a fait un tube mondial :

D’abord en Amérique du Sud : <au Chili>, <au Venezuela>, <en Uruguay> on chante bella ciao ou en s’inspire de l’air.

L’obs nous parle de manifestations au <Liban>

« Depuis le début de la contestation la semaine dernière au Liban contre la classe politique, la précarité et les taxes, la foule compacte rassemblée place Al-Nour dans le centre de la capitale du Nord [Tripoli] se déhanche au son des basses du coucher du soleil jusqu’au bout de nuits euphoriques. […]
Sur la place Al-Nour, où trône une imposante sculpture formant le mot “Allah” (Dieu), un DJ officie depuis un balcon surplombant une marrée humaine illuminée par les lampes torches des milliers de téléphones portables. Limonade et friandises gratuites sont distribuées. Des slogans et des hymnes populaires sont repris en choeur comme la chanson révolutionnaire italienne “Bella Ciao”, écrite en 1944, popularisée auprès des jeunes par la série Netflix espagnole La Casa de Papel et reprise aussi dans les manifestations en Algérie et à Barcelone. »

Donc le Liban, l’Algérie l’Espagne et aussi <des palestiniens qui font aussi appel à ce chant> dans leur lutte pour un Etat.

<Et cet article> parle du Kurdistan et de New Delhi en Inde où résonne ce chant dans des manifestations.

<En Irak> des artistes de Mossoul reprennent “Bella ciao” en arabe pour en faire un hymne de la contestation.

<Même à Hong Kong> on chante bella ciao.

Mais revenons à l’origine de ce chant.

« Mediapart » a publié quatre articles sur ce sujet : <1>, <2>, <3>, <4> et a donné comme titre à cette série : « Les métamorphoses de Bella Ciao »

Le premier article s’étonne qu’il n’y ait rien de collectif dans les paroles de Bella Ciao. Un homme s’engage seul, et fait ses adieux à sa bien-aimée en sachant aller à la mort : un récit atypique dans l’univers de la Résistance européenne.

Un historien, Bruno Leroux, s’est intéressé aux chants de maquisards français et en analysant un corpus de 85 de ces chants il constatait que 79 d’entre eux étaient « l’expression d’un nous » désignant « les maquisards » ou plus rarement « la Résistance et les Français ». Un nous, mais pas ce moi romantique que met en scène Bella Ciao.

La suite de l’article met en doute que cette chanson ait été souvent chantée par les partisans italiens :

« Très rares sont les témoignages d’anciens partisans qui disent se souvenir avoir chanté Bella Ciao pendant leur clandestinité. Tout au plus en trouve-t-on une poignée autour de Montefiorino, en Émilie-Romagne, mais recueillis si tard que l’on est enclin à y voir des souvenirs reconstitués »

Et l’auteur de l’article de poser cette question pleine de sens :

« Dès lors se pose une énigme. Comment une chanson qu’aucun partisan n’a chantée durant les années de la Résistance a-t-elle pu devenir un hymne international de l’antifascisme »

L’Italie, plus qu’un autre pays occidental, après la première guerre mondiale et la révolution soviétique était minée par des quasi guerres civiles entre les forces de gauche et les forces conservatrices qui vont muter vers le fascisme. Puis après la seconde guerre, avec le parti communiste le plus puissant de l’ouest, les forces de gauche vont forger l’histoire de ce chant méconnu de la résistance italienne.

« C’est dans ce contexte politique complexe que se comprend l’émergence de Bella Ciao comme chanson emblématique de l’antifascisme. On l’a vu dans le premier volet de cette série, l’hymne était entre 1943 et 1945 inconnu des nombreuses formations locales de partisans, appuyées sur une vallée, un plateau, un massif.

Comment se fait-il que Bella Ciao ait conféré à l’Italie antifasciste cette unité qui lui manquait tant ? Les travaux historiques manquent sur ce point. Tout juste note-t-on souvent que les chorales populaires dans les communes acquises à la gauche firent beaucoup pour populariser, dès la Libération, la chanson. Pour la gauche unie des socialistes, des communistes et d’autres formations aujourd’hui oubliées comme le Parti d’action, Bella Ciao offrait un consensus fédérateur : mourir aux côtés des partisans luttant pour la liberté, voilà qui donnait une image flatteuse et fédératrice de la gauche, tout en évitant les questions qui fâchent.

La première représentation publique de Bella Ciao prend forme lors de la création du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, organisé à Prague à l’été 1947. D’autres représentations suivront au festival de Budapest (1949) et Berlin-Est (1951). La délégation italienne y enthousiasme ses camarades internationalistes par ses claquements de mains accompagnant le refrain qui donne son nom à la chanson. En ce début de guerre froide, Bella Ciao est devenu un hymne fédérateur du camp progressiste.»

Et puis…

Dans les années 1960, un milanais Roberto Leydi, journaliste et musicien, a pour objectif de faire une anthologie de la chanson populaire italienne. Il parcoure l’Italie du Nord, magnétophone à l’épaule, pour y recueillir des chants populaires. Et en 1962, lors d’une de ces campagnes de collecte, Leydi fait la connaissance d’une certaine Giovana Daffini. Ancienne mondine (ces ouvrières des rizières de la plaine du Pô), elle est aussi une musicienne accomplie. Et voici qu’elle déclare à Leydi qu’elle chantait, dès les années 1930, l’air de Bella Ciao, mais sur de tout autres paroles.

L’auteur de l’article, Nicolas Chevassus-au-Louis, analyse :

« Pour la gauche italienne, l’irruption de Giovana Daffini est du pain bénit. Bella Ciao a été construit après guerre comme hymne antifasciste consensuel. Et voici que la chanson se rattache aux plus anciennes luttes sociales italiennes, celles des journaliers de l’agriculture, qui présentent de surcroît l’avantage de pouvoir mobiliser tant au nord qu’au sud. Leydi est enchanté de sa découverte. Quant à Giovanna Daffini, elle connaît, à 47 ans, la gloire. »

Mais cette histoire ne semble pas plus exacte que la précédente :

«  L’ancienne « mondine » multiplie les versions, jusqu’à son décès en 1967. Tantôt elle aurait chanté son Bella Ciao des rizières avant guerre, tantôt après. Dans son livre Guerra, guerra ai palazzi e alle chiese (Odradek, 2003, non traduit), Cesare Bermani, un ancien des Nuovo Canzionere Italiano, donne le fin mot de l’histoire. Comme il le résume en empruntant une citation à l’historien britannique Eric Hobsbawm, l’histoire que l’on raconte dans les années 1960 de Bella Ciao n’est rien d’autre que « l’invention d’une tradition ». Irrité par la notoriété soudaine de Giovanna Daffini, Bermani rapporte qu’un ancien ouvrier agricole, Vasco Scansani, écrit à L’Unità, quotidien du PCI, pour affirmer qu’il a composé en 1951 les paroles de l’air des mondines… Ce que ne conteste pas la chanteuse, qui n’en est pas à une palinodie près.  »

Au départ je croyais à une histoire toute simple et un mot du jour rapide….

Cette <Page> de France Culture est un peu plus synthétique que Mediapart

« La popularité de “Bella Ciao” n’est plus à prouver. Pourtant ses origines restent floues, mélangeant faits historiques et légendes urbaines.

[…] On l’aurait vu apparaître en 1943 pendant la guerre civile italienne et la plupart des résistants l’auraient entonnée. […] En réalité la chanson a été très peu connue et chantée par les résistants.

Elle aurait donc bien été écrite dans ces années-là mais elle n’aurait été que très peu connue. […] La chanson acquiert en réalité sa notoriété après 1945. La presse socialiste la reprend et une revue d’ethnographie la publie dans ses pages en 1953.[…]

Une des légendes de “Bella Ciao” situe les origines au début du XIXe siècle dans le Nord de l’Italie. Là-bas des femmes, appelées les “Mondines” travaillent dans les rizières autour du fleuve Pô principalement. On raconte qu’elles auraient été les premières à chanter “Bella Ciao” mais avec des paroles différentes pour dénoncer leurs conditions de travail.

[…] Pour des historiens ce pan de l’histoire est une invention. Le témoignage de Vasco Scansiani, désherbeur dans les rizières va dans cette direction. Il affirme avoir écrit les paroles de la chanson en 1951 après les premières apparitions du chant “partisan ».

On ne sait pas davantage, d’où vient la mélodie. Certains avancent l’idée d’une origine française qui daterait du XVIe siècle, d’autres pensent que la mélodie pourrait aussi venir d’un chant yiddish de 1910.

Et l’article conclut :

«  La popularité de cette chanson s’est construite au fil des ans. Les fables autour des origines de ce chant renforcent sa symbolique et aident le pays à se projeter dans l’histoire de “Bella Ciao”, dont tous les Italiens se revendiquent, aujourd’hui encore. »

En voici une version italienne et traditionnelle <Bella Ciao>. <Les Swingle Singers> chantent avec une grande perfection, mais on peut se demander si l’âme du chant se trouve dans cette version épurée. Et si on veut entendre une version plus dans l’émotion je pense qu’il faut plutôt faire appel à cette chanteuse italienne <Tosca>. Elle s’appelle Tiziana Tosca Donati, mais a choisi comme nom de scène le titre du célèbre opéra de Puccini.

J’ai trouvé un extrait de la série <La casa de papel – Bella Ciao> dans lequel deux des protagonistes fredonnent puis chantent ce chant que cette série a contribué à faire connaître planétairement.

Les textes se trouvent dans <Wikipedia>

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Jeudi 5 décembre 2019

« C’est en France que la durée de vie après la vie professionnelle est la plus longue. »
Etude de l’OCDE

Aujourd’hui c’est la grève !

La grève pour nos retraites.

C’est un sujet très compliqué qui me laisse songeur.

La retraite par répartition que nous avons en France constitue une magnifique œuvre de solidarité et d’entraide, mais elle est très contraignante et nécessite le contraire d’une réaction individualiste. Elle nécessite une réaction sociale et solidaire.

Si tout le monde se précipite sur la place publique et dit : « Et moi et moi, et moi, j’ai des droits », sans jamais se poser la question des droits des autres, ni encore davantage qui paiera, nous ne nous en sortirons pas.

La première question à se poser, est de savoir si nous voulons continuer à rester dans un système essentiellement par répartition.

J’avais déjà abordé ce sujet de manière assez personnelle dans le mot du jour du 2 mai 2018 : « Grandeur et servitude du système de retraite par répartition »

Si la réponse à cette question est oui, il faut bien sûr s’interroger sur un niveau acceptable de pension pour les retraités, mais il faut tout autant s’interroger sur la capacité des actifs à payer la pension de ces retraités.

A partir des éléments factuels recueillis sur le site du Conseil d’Orientation des Retraites j’avais pu établir cette projection :

« Ceci signifie qu’en 1960 : 4 actifs cotisaient, en moyenne, chacun 25 euros pour qu’un retraité puisse toucher 100 euros. Selon cette projection en 2050, un actif devra cotiser 83,33 € pour arriver au même résultat que le retraité puisse toucher 100 euros. »

Aborder ce vaste sujet uniquement par l’angle des droits, sans aborder la question du coût pour les actifs me parait hautement déraisonnable.

Cela étant dit, la communication chaotique du gouvernement est anxiogène. Nicholas Baverez l’a dit sur France Inter :

« Sur les retraites, on a multiplié les incertitudes sans apporter de solutions »

En outre, les technocrates qui nous gouvernent ont trouvé pertinent d’inventer une novlangue qui par son côté obscur ajoute à l’anxiété.

Alternatives économiques a proposé un article : « Tout comprendre à la novlangue des retraites »

L’article est introduit ainsi :

« Comme si la réforme des retraites n’était pas déjà suffisamment compliquée, le vocabulaire qui l’accompagne ajoute à la confusion générale. Si les Français ont bien compris que l’orientation choisie par l’exécutif était de les faire travailler plus longtemps, beaucoup n’ont toujours pas saisi les subtiles modalités de cet allongement de la durée de vie au travail.

De nouveaux concepts émergent dans le débat, à l’instar de l’âge minimum de taux plein, certains sont sortis de la naphtaline comme la clause du grand-père. D’autres encore recouvrent des nuances techniques qu’il est utile de définir. Car tous ces termes sont lourds de conséquences pour les futurs pensionnés. »

Les journalistes apportent ainsi des précisions sur dix expressions :

1/ Age pivot ou âge d’équilibre

2/ Age minimum du taux plein

3/ Age d’annulation de la décote ou du taux plein automatique

4/ Age de départ moyen ou âge de départ effectif

5/ Age conjoncturel de départ en retraite

6/ Clause du grand-père

7/ Réforme paramétrique ou systémique

8/ Taux de remplacement

9/ Valeur d’acquisition et valeur de service du point

10/ Désindexation des pensions

Si vous vous dépêchez vous devriez pouvoir lire l’article, car Alternatives économiques a décidé d’ouvrir son site gratuitement pour 24h.

« Tout comprendre à la novlangue des retraites »

Thomas Picketty attaque sévèrement le gouvernement en parlant « d’arnaque  » et il dénonce le fait que gouvernement tente d’opposer les bas salaires entre eux.

Il émet cette idée qu’il faudrait faire davantage cotiser les hauts salaires.

Et en effet, le gouvernement a prévu de ne taxer les revenus au-delà de 10 000 euros uniquement à 2,8 %.

Mais Léa Salamé a répliqué que la part au-dessus de 10 000 euros ne permettrait plus de percevoir de pensions qui sont ainsi plafonnés. Cet argument a été repris le jour suivant par Dominique Seux :

« La complexité du sujet permet à chacun de projeter ses propres fantasmes. Avant-hier, au micro de Léa Salamé, Thomas Piketty a cru pouvoir lever un lièvre en expliquant qu’avec un taux de cotisation de 2,8% au-delà de 10 000 euros bruts par mois, les plus riches étaient les grands gagnants cachés. Léa Salamé a rappelé qu’il n’y aura aucun droit à retraite en face, et elle a bien fait. La vraie conséquence est que des cadres ne bénéficieront plus de la solidarité nationale à un seuil nettement inférieur à ce qu’il est aujourd’hui.

Le plus amusant est que Jean-Luc Mélenchon a dénoncé une réforme qui obligera les classes moyennes (sic, à plus de 10 000 euros par mois) à souscrire à un fonds de pension, tandis que François Ruffin dénonçait lui aussi un cadeau aux riches. Il faudrait savoir, la politique a ses raisons qui font parfois déraisonner.  »

Et Alternatives Economiques explique davantage le mécanisme dans un article : « Qui paiera la retraite des super-cadres ? »

« La réforme prévoit de diminuer le plafond de la retraite : il n’y aura plus de cotisation au-dessus de trois plafonds de la Sécurité sociale (10 000 euros brut par mois environ) et la part du salaire supérieure à ce niveau n’est pas inclue dans le calcul des droits à la retraite. Il restera une cotisation de solidarité de 2,8 % est versée sur la totalité du salaire. Malgré la forte communication du gouvernement sur ce sujet, cette cotisation de solidarité n’est pas vraiment une innovation, mais simplement un léger relèvement (de 0,4 point) du taux par rapport à celui pratiqué dans système actuel.

Ainsi, les cadres à très haut salaire obtiennent leur « bon de sortie » du système collectif de Sécurité sociale. Plus précisément, ils y sont toujours affiliés, mais uniquement pour le « bas » de leur salaire. Pour le haut de leur salaire, charge à ces personnes, et à leur employeur, de s’assurer elles-mêmes une retraite en se tournant vers différents fonds de pensions privés (fonds qui d’ailleurs sont en partie subventionnés par différentes formes d’avantages fiscaux ou sociaux).»

Alternatives Économiques soulève cependant le problème de la transition qui semble être le vrai lièvre sur ce sujet :

« La partie supérieure des hauts salaires ne cotise plus, ou presque, mais elle ne donne pas de droits à retraite. Il n’y a donc pas de problème ? Au niveau individuel, peut-être, mais au niveau collectif, ce n’est pas tout à fait exact. En effet, les cadres supérieurs qui sont déjà à la retraite, ou même encore en activité, ont acquis des droits à la retraite y compris au-dessus de trois plafonds de la Sécurité sociale. Autrement dit, jusqu’à leur mort ces cadres percevront leur retraite, calculée sur des salaires pouvant aller jusqu’à huit plafonds de la Sécu. Ces salaires ont par le passé été soumis à cotisation et leurs droits à retraite ne seront pas remis en cause – ce qui est relativement logique dans le cadre d’une assurance sociale.

Le problème c’est qu’à partir du basculement dans la réforme (par exemple en 2025), il n’y aurait plus de cotisations versées entre trois et huit plafonds de la Sécu par les cadres dirigeants actuellement en activité. Cela veut dire que pendant plusieurs décennies, le système de retraite devra en même temps verser des pensions calculées sur des très hauts salaires, tout en ayant renoncé à percevoir des cotisations sur les très hauts salaires. Cela créerait un déséquilibre entre recette et prestations dans le système, qui sera au final financé par la diminution globale des pensions. »

Mais au milieu de toutes ces difficultés, il y a quand même une heureuse nouvelle pour la France : Nous sommes premiers !

Les Français sont le peuple qui a la durée de vie après la vie professionnelle la plus longue de tous les pays développés, nous confirme l’OCDE.

C’est écrit dans le panorama annuel publié hier sur les retraites par l’OCDE, l’Organisme d’études économiques des pays développés.

L’information et le classement se trouve en ligne :

Pour les hommes voici le classement sur les données 2018

1    France    22,7

2    Luxembourg    22,3

3    Greece    21,8

4    Spain    21,7

5    Belgium    21,1

6    Italy    20,7

7    Australia    19,8

8    Austria    19,3

9    Finland    19,1

10    Germany    19,1

Les Etats-Unis sont 24ème avec 16,4.

Pour les femmes, c’est encore les françaises qui sont en tête

1    France    26,9

2    Spain    26,6

3    Greece    26,4

4    Italy    25,7

5    Slovenia    25,6

6    Belgium    25,5

7    Luxembourg    25,0

8    Austria    25,0

9    Poland    24,3

10    Finland    23,5

Les Etats-Unis sont cette fois 32ème avec 19,8 années et l’Allemagne 19ème avec 22,5.

Dominique Seux a tenté d’analyser ces chiffres

« Que montre ce tableau ?

Que la France est, reste, et d’assez loin, le pays où le temps passé à la retraite une fois que l’on quitte le marché du travail et jusqu’à hélas l’inévitable décès, ce temps est LE plus long de tous les pays industrialisés.

Notre pays se singularise ailleurs aussi : un taux de pauvreté des retraités plus faible, et un niveau de la pension par rapport au dernier salaire plus élevé.

Qu’inspire ce temps à la retraite record ?

Il s’explique par une sortie de l’emploi plus précoce qu’ailleurs (avec un âge de la retraite plus bas qu’ailleurs et très dispersé – régimes spéciaux), et par un chômage des seniors plus haut. Alors, disons-le clairement : il n’y aucune raison de principe de toujours s’aligner par le bas, et être différent par le haut n’est bien sûr pas un problème a priori.

A partir de là, la question posée est double : pourquoi ne nous rendons-nous pas compte de cet avantage français, qui est réel et pas une fake news inventée par les ultra-libéraux ? Pourquoi ? Je ne sais pas.

Et comment est financée cette durée hors-norme ? Si c’est un choix de société, il faut avoir conscience que ce sont les actifs qui en supportent le coût. »

Les allemands disaient « Heureux comme Dieu en France »

Avec ces tableaux, ils risquent de dire « Heureux comme un retraité en France ».

Cela ne règle, bien sûr, en rien le problème du financement.

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Lundi 27 mai 2019

« Une histoire simple »
Une histoire racontée sur twitter

Une histoire simple est un film de Claude Sautet avec Romy Schneider.

Ce titre s’est imposé à moi comme exergue pour partager une histoire lue sur twitter et écrit par Vincent qui raconte ce qu’il comprend de ce que fait sa mère qui est Principale de collège.

Ce sont des faits, rien que de faits.

Je la partage sous la forme des tweets.

vincent‏ @WaveDock
24 mai 13:08

J’invite ma mère au restaurant ce soir pour la fête des mères. On parle de nos vies, nos boulots. Je la sens un peu préoccupée. J’insiste. Et là, elle me raconte ce qui lui “pèse” depuis plusieurs semaines.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

En Janvier, elle a commencé à s’intéresser à une fille sénégalaise de 12 ans fraîchement débarquée dans le collège de la ville avec sa famille. Rapprochement familial, des évènements de la vie les amènent dans ce bled pommé au nord de Lyon.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Les 4 enfants sont scolarisés, mais les parents sont sans emploi, sans domicile, vivent à l’hôtel du patelin où le tenancier leur loue une chambre de 4 (pour 6) à un tarif défiant toute concurrence, mais sans aucun service. Pas de lessive, pas de changement des draps. Rien.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Ma mère rencontre les parents après des signes suspects sur la fille de 12 ans. Mauvaise hygiène, comportement bizarre … Et elle découvre la situation. Pas de salaire, la manche, payer l’hôtel à tout prix pour ne pas finir à la rue.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Ni une ni deux, ma mère saisit toutes les institutions, organismes, associations du coin. Rien. Alors elle commence elle-même à donner de sa personne. Elle commence par faire un CV au père de la famille. À chercher des appartements dans le coin.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Elle utilise son réseau pour démarcher des propriétaires du coin pour un logement. Se propose en caution solidaire pour l’appartement. Envoie des CV. Fait des lettres de motivation “en laissant deux ou trois fautes histoire de …”.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Bref, à ce moment là, ma mère est déjà une héroïne pour moi. Je vous passe les troubles scolaires des enfants, les messages racistes que cette gamine reçoit de camarades de collège “parce qu’elle pue”, des histoires de Snapchat screenshotés.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Et puis on finit la conversation là-dessus. La situation se décante. Le père a trouvé un travail en 3×8, ma mère a trouvé un ami qui lui a vendu une vieille 205 à 300€. Ils ont une touche sérieuse pour un appart’. La fille de 12 ans va mieux.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

On arrive chez ma mère dans son logement de fonction. Parce que ma mère est principale de collège, fonctionnaire de l’Éducation Nationale. Et cette gamine de 12 ans est une élève.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Dans le couloir de l’entrée je vois 2 gros sacs poubelle. Je lui demande “tu fais un ménage de printemps ?”, et là elle me regarde et me dit “non, avec ma CPE on ramène leur linge les weekends pour le laver, ils sont 6 alors tu comprends …”

vincent‏ @WaveDock
24 mai

J’ai rien pu faire d’autre que lui faire un gros câlin. Ma mère gère depuis des années la misère sociale en étant au contact des gamins de familles au bord du gouffre. Mais jamais autant qu’aujourd’hui. Et jamais son rôle n’a été aussi important.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Bref, ma mère est la meilleure du monde et si j’entends encore quelqu’un parler en mal des fonctionnaires, je le déssoude.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

J’ai oublié tout un tas d’éléments, mais la CPE en question fait les lessives en cachette, parce que son mari en a marre qu’elle soit la justicière en chef, se flingue la santé à faire du bénévolat partout et tout le temps.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

La secrétaire italienne de ma mère a un jardin et un mari retraité qui jardine beaucoup, alors elle ramène tous les deux jours des pleins bacs de soupe pour eux, et quand elle a le temps elle leur prépare des lasagnes.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Les “dames de la cantine” planquent des barquettes de plats non entamées pour leur donner. Ce qui peut au passage leur valoir leur poste : “Quand c’est des frites les gosses mangent tout alors elles leur gardent du pain”.

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Aaaaaah j’arrête j’ai les yeux qui piquent. Mais quelles femmes. <3

vincent‏ @WaveDock
24 mai

Vous avez été nombreux à le demander. En DM, par message Instagram, en mentions. Avec concertation avec ma mère, nous leur mettons en place une cagnotte Leetchi : https://www.leetchi.com/c/le-combat-de-grandes-femmes …

Dans le mot du jour du mercredi 27 mars 2019, je citais Christophe André : « Notre société ne tient que grâce aux gens gentils.».

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Mercredi 30 janvier 2019

« Ce sont des destins qui passent dont je vous parle en cet hiver de colère et de méfiances. [les voit-on ?]»
Claude Askolovitch

Un cordiste est un technicien qualifié qui se déplace à l’aide de cordes pour effectuer des travaux en hauteur et des travaux d’accès difficile sans utiliser d’échafaudage ni d’autre moyen d’élévation (type nacelle).

On appelle aussi le technicien cordiste un travailleur acrobatique.

J’ai trouvé une offre d’emploi qui vante ce métier sur <ce site> :

Intégrer une équipe où règne la bonne ambiance
Réaliser des tâches variées. Pas d’ennui
Développer un savoir-faire en termes de réalisation
Évoluer par formation interne
Réaliser des missions à fortes technicités.
Vous êtes Idéalement de formation technique, formé et expérimenté en Travail en hauteur ; apte et volontaire au port des appareils respiratoires et à l’intervention en milieux confiné et espace restreint

Quand vous travaillez dans un immeuble de grande hauteur, parfois vous apercevez des hommes de l’autre côté de la fenêtre, du côté du vide, qui nettoient les vitres de l’immeuble : ce sont des techniciens cordistes.

C’est la revue de Presse de <Claude Askolovitch du 11 janvier 2019> qui a attiré mon attention sur ce métier qui « permet donc de réaliser des tâches variées et d’éviter l’ennui » mais qui est aussi dangereux, surtout quand la pression économique conduit à oublier toute prudence.

Et Claude Askolovitch évoque un procès qui fait suite à un accident mortel de 2012 :

« Un procès qui vient bien tard, 7 ans après la mort de deux hommes ensevelis sous 3000 tonnes de sucre dans le silo qu’ils devaient nettoyer; c’était le 13 mars 2012 à Bazancourt dans la Marne, ils s’appelaient Arthur Bertelli et Vincent Dequin, ils étaient cordistes, c’est le nom de leur métier d’acrobates de l’industrie, employés comme intérimaires par la société Carrard services, pour faire disparaitre les agglomérats de sucre compact qui collaient aux parois du plus grand des silos du géant du sucre cristal union. A 11.30, dix minutes après le début de leur mission, le sucre s’est mis à glisser et couler comme un sablier, Arthur est parti le premier, Vincent ensuite qui a crié “Coupe ta corde, t’es pas dedans !” à Frédéric Soulier qui était au-dessus de lui et qui a coupé la corde et qui s’est mis à hurler pour que l’aide arrive et elle ne venait pas…

Il s’en est sorti et ne s’en remettra jamais, Frédéric il le raconte dans le Parisien, il le dira au tribunal correctionnel de Reims où les représentants de Cristal union et Carrard Services vont répondre des faits “d’homicides et de blessures involontaires, commis par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement”…

Long intitulé pour comprendre comment deux hommes sont morts, deux de ces cordistes qui gagnent quelques dix euros de l’heure et que les accidents rattrapent. Le 21 juin 2017, Quentin Zaroui-Bruat, 21 ans, est mort à son tour , encore à Bezancourt, enseveli lui sous des tonnes de déchets de grains de céréales qui dégageait ce jour-là une poussière épaisse dans ce silo de la société Cristanol, une filiale de Cristal union, qui fabrique du carburant végétal… L’employeur de Quentin mettait la pression sur ses intérimaires, quand ils hésitaient à descendre en rappel, « Si vous n’y allez pas, vous n’êtes pas des hommes ! »

L’histoire de Quentin est racontée sur le Web, l’article a été mis en ligne début janvier par le site basta mag, un site engagé, et qui, comme la presse radicale autrefois, raconte ce qu’est la condition des ouvriers précaires et donc de ces cordistes, souvent itinérants, qui ont leur porte-parole, l’un d’entre eux qui est aussi écrivain. Un homme mur, Eric Louis, il avait connu Quentin dans un silo où ils transpiraient ensemble, et a écrit un livre, “on a perdu Quentin”, pour qu’on n’oublie pas ce môme qui ne plaignait jamais, “posé, enjoué, gentil, attachant, volontaire, courageux” et qui venait travailler en Champagne depuis ses cotes d’Armor dans une 306 Peugeot à bout de souffle. Eric Louis se lit dans basta mag, il se lit dans un autre journal en ligne, la brique.net, où il a parlé de Quentin juste après sa mort.

Ce sont des destins qui passent, les voit-on, dont je vous parle en cet hiver de colère et de méfiances. »

Il renvoie vers deux articles qui parlent du second accident celui de Quentin Zaraoui-Bruat, cordiste de 21 ans:

« Quand le travail tue » sur le site « la brique » dans lequel Eric Louis qui était sur les lieux raconte comment les collègues ont compris peu à peu le drame avec l’arrivée des secours. Je tire de cet article qui est à lire ce court extrait :

« Plus tard, rentré à la maison, je consulte un article sur le site internet de L’Union, le quotidien local. […]. Sous la rubrique faits divers, je me tape le récit très succinct, au milieu duquel brille une publicité. Le nom de Quentin n’est même pas cité. Contrairement à celui du directeur de l’usine. Je suis écœuré.

J’y apprends que les pompiers du GRIMP (groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux) n’ont pas voulu descendre dans le silo, estimant les conditions trop dangereuses. »

Et un article plus analytique sur le site « bastamag » « Si vous n’y allez pas, vous n’êtes pas des hommes ! »

Nous apprenons notamment que :

« Pour des questions de rendements, on a envoyé des cordistes à la mort dans un silo bien trop plein, au lieu d’attendre que la matière s’écoule toute seule. »

C’est encore une question d’impatience et de refus de laisser le temps faire son œuvre. Mais le temps c’est de l’argent, l’homo economicus n’a pas le temps.

Nous apprenons aussi qui était le commanditaire et la description du travail des cordistes dans ce lieu :

«  Quentin Zaraoui-Bruat travaillait pour Cristanol, une filiale du deuxième groupe sucrier français Cristal Union – qui exploite les marques Daddy ou Erstein… –, installée à Bazancourt, dans la Marne.

À Bazancourt, la distillerie Cristanol se présente comme l’« un des leaders de la production de bioéthanol en Europe », un biocarburant obtenu à partir du blé et de la betterave. Dans ses silos, les résidus de céréales s’agglomèrent le long des parois et forment d’énormes blocs – qu’on appelle la « drêche ». Le travail de Quentin et ses collègues consistait à casser ces blocs, afin d’évacuer cette matière servant ensuite à l’alimentation des bovins. Toute la journée, ils tapaient à la pioche, à la houe, à la pelle, au marteau-piqueur, sous une chaleur étouffante, dans une atmosphère poussiéreuse, éclairés par une simple frontale. »

Il se passe aussi des épisodes comme ceux-ci dans notre beau pays.

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Jeudi 20 décembre 2018

« C’est trop cher ! »
Réflexions personnelles sur une addiction

Je sais comment conclure ce mot du jour, mais comment le commencer ?

Commençons par les impôts. Ils sont trop chers.

Ils grèvent le pouvoir d’achat, empêchent des investisseurs d’investir, les agents économiques dynamiques et nomades de toucher la juste rémunération de leurs mérites.

Les impôts paient le prix de la civilisation et du lien social de l’État providence, mais ils sont trop chers.

Les impôts servent aussi à payer des fonctionnaires, ils sont trop chers, ils sont trop nombreux.

Il y a trop d’enseignants, trop d’infirmières, trop de juges, trop de policiers… Il faut que cela coute moins cher.

Et les cotisations sociales, c’est comme les impôts ! Rare d’ailleurs sont ceux qui utilisent encore ce mot « cotisations sociales », on les appelle « des charges ». Un auditeur de France Inter, parlait de poids qu’on infligeait aux entreprises françaises dans la compétition mondiale, comme si on envoyait nos athlètes courir aux jeux olympiques avec une charge d’une dizaine de kilos sur les épaules. On ne peut pas gagner dans ces cas !

L’alimentation aussi, c’est trop cher. Je ne regarde pas la télévision et je n’écoute pas beaucoup les radios qui vivent grâce à la publicité. J’écoute, le samedi Europe 1 parce qu’il y a l’émission Mediapolis et pendant cette heure je reçois la dose extrême que je puisse supporter pour une semaine. Quasi tous les spots ont pour unique argument d’appel : c’est moins cher, décliné en promo, en offre spéciale etc. Ces publicités mettent en scène des couples qui hystérisent tel prix de 12 œufs ou d’un lot de pâtes, de cuisses de poulets ou encore d’un lot de 4 pneus. Enfin, n’importe quoi pourvu que le prix soit annoncé comme peu cher.

Jamais je n’entends une publicité qui vante la seule qualité du produit, c’est toujours le prix qui est déterminant.

Et les vêtements ? Les « fringues » comme on dit…

Jamais les conditions de fabrication ne sont évoquées…

Ah si ! Une fois lorsqu’une usine du Bengladesh à Dacca s’était effondrée, on l’avait appelé le drame du « Rana Plaza »

J’en avais fait un mot du jour : « Sommes-nous capables de regarder en face (la vie de) ceux qui nous permettent de consommer comme nous le faisons ? »

Les banques aussi sont trop chers… Il faut choisir des banques en ligne qui peuvent faire appel à des collaborateurs délocalisés qui eux aussi coûtent moins cher.

L’hôtel c’est trop cher. Il faut faire appel à des plateformes numériques qui poussent les hôtels à baisser leurs prix. Et voilà une branche d’activités qui ne peut pas vraiment être délocalisée : si vous allez dans un hôtel à Bordeaux, un salarié en Malaisie ne vous sera d’aucune utilité. Il peut être malaisien, mais il faut qu’il soit en France. Donc c’est une branche d’activité qui cherche des salariés pour faire le job et qui n’en trouve pas. C’est normal leurs salaires sont trop faibles. C’est bien sûr en raison de la rapacité des patrons. Oui, sans doute, mais c’est aussi parce il y a une forte pression sur les prix des chambres.

Et alors l’avion ? Mais enfin ! il faut absolument prendre les compagnies low cost. C’est moins cher. Vous savez que les salariés des compagnies low-cost doivent payer, sur leurs propres deniers, leur formation. Quand une compagnie low cost demande à un de ses pilotes qui habite en France de faire un vol Rome Los Angeles, c’est au pilote de payer son voyage à Rome et son hébergement avant le vol.

Le but n’est pas de multiplier à l’envie les exemples qui montrent toujours la même chose : la recherche du moins cher.

Que tous celles et ceux qui s’adonnent à cette quête quotidienne et obsessionnelle, ne soient point étonnés que le patron, le responsable, la société leur disent :

« Vous aussi vous coutez trop cher, vos salaires sont trop élevés. »

Car c’est bien cela la conclusion de toute cette addiction.

C’est cela que la mondialisation nous a offert : des produits et des services moins chers dans un monde ou peu à peu on nous fait comprendre que nous aussi, les classes moyennes des pays développés, sommes payés trop cher.

Il y là, quelque chose comme une «  dissonance cognitive. »

C’est-à-dire que nous ne voulons pas voir que le malheur que certains vivent et que d’autres craignent, à raison, pour leur futur, provient de notre appétence, notre manière de consommer, l’organisation de la production dans le monde.

Un joueur de football comme Lionel Messi pourra réclamer des sommes exorbitantes, tant que des millions de gens beaucoup plus modestes accepteront de payer des droits télés, acheter des produits chers eux car estampillés “Lionel Messi” et accessoirement quelquefois payer pour aller le voir jouer dans un stade.

Quelques autres emplois de niches ou particulièrement qualifiés et recherchés ou encore des investisseurs disposant d’une puissance financière suffisante pourront continuer à espérer une augmentation forte de leurs revenus.

Pour un salarié ou un entrepreneur de la classe moyenne normale ce sera beaucoup plus compliqué d’avoir des exigences de revenus. L’automatisation et la robotisation vont encore accentuer ce phénomène.

Des économistes savants vous expliqueraient que le fameux « pouvoir d’achat » dont parlent les « gilets jaunes » dépend de ce qu’on gagne mais aussi du prix de ce qu’on souhaite acheter. Et aussi un peu des taxes et prélèvements qui permettent une vie sociale plus harmonieuse et solidaire.

Récemment, Villeroy de Galhau, le directeur de la Banque de France était l’invité des matins de France Culture et expliquait doctement que le protectionnisme, le frein au libre-échange, bref l’arrêt de la mondialisation se paierait immédiatement par une diminution du pouvoir d’achat qui pénaliserait en premier les populations les plus modestes.

Et, il a raison.

Il y a un monde entre :

  • Le Fordisme où le patron disait : il faut que je paye à mes employés un salaire d’un niveau qui leur permette d’acheter les voitures (ou les produits) qu’ils fabriquent et que je vends ;
  • Et la situation actuelle, où l’essentiel est de maîtriser les salaires et les charges en local. Le pouvoir d’achat des salariés étant assurés par tous les produits qu’ils peuvent acheter moins cher parce qu’ils sont fabriqués ailleurs, dans des pays où les salariés sont moins payés et où le coût de la protection sociale n’obère pas les prix.

Un jour, j’étais encore au PS et nous manifestions à Lyon, je crois que c’était contre le contrat premier embauche que voulait mettre en place Dominique de Villepin. C’était pour payer moins les salariés français qui entraient sur le marché du travail, puisque le problème est qu’ils coutent trop chers. Et je me souviens d’un jeune couple qui manifestait avec 4 chaises, chacun en portant deux. Je trouvais ces accessoires baroques et je les interrogeais : « Mais pourquoi avez-vous ces chaises ? ». Et le jeune homme de me répondre avec un grand sourire :

« Avant de venir à la manifestation, nous avons vu un magasin qui vendait ces chaises à 5 euros, alors comme ce n’était vraiment pas cher, nous les avons achetés »

Comment peut-on vendre des chaises à 5 euros ? Qu’est-ce qu’il faut qui se passe en amont pour que, arrivés dans le magasin, le prix soit de 5 euros ?

Et puis, on va manifester pour que le salaire, en France, reste à un niveau acceptable ?

C’est cela la dissonance cognitive.

Bossuet écrivait : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. »

Dans cette excellente émission « L’esprit Public » de ce dimanche, Daniel Cohen a cité Hannah Arendt (à 11:40) :

« Il faut accepter qu’on ait une société complexe. Or cette complexité n’est plus intelligible. Dans les sociétés traditionnelles que le monde industriel a portées, il y a des classes sociales, des ouvriers avec des syndicats, des ingénieurs avec leurs clubs d’ingénieurs. Tout ceci est assez visible et chacun sait qu’il a des ressources politiques, sociales, syndicales qui permettent d’exprimer une attente. Nous vivons dans un monde où tout cela est pulvérisé. [dans les années 30] Hannah Arendt disait dans son analyse de la montée du totalitarisme : on est passé d’une société de classe, où chacun comprend son intérêt et est capable de l’opposer à celui des autres, à une société de masse. Une société de masse ce sont des individus isolés qui n’ont plus la conscience collective de leurs souffrances individuelles. Ce mouvement a, autour des ronds-points, donné d’une certaine manière une dimension collective à la souffrance individuelle »

Une société de masse formée d’individus et pour être encore plus précis de consommateurs, n’a que faire des prélèvements publics, chacun préférera trouver sa propre assurance parfaitement adaptée à son profil et à ses revenus et pour le reste l’individu aimera trouver des biens et services au prix le moins cher.

Zygmunt Bauman appelle cette société d’individus et de consommateurs : « une société liquide » par opposition aux sociétés traditionnelles qui étaient des « sociétés solides »

Je ne dis pas qu’il existe une solution dans le système économique dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Mais c’est une grande tromperie de le faire croire.

On pourra certainement avoir une société plus égalitaire mais elle sera indiscutablement plus pauvre en pouvoir d’achat.

Elle ne sera pas forcément moins désirable, mais cela induit de grands changements de comportement.

Et probablement que d’individus nous soyons à nouveau capable de faire société, peut-être plus totalement solide mais certainement un peu moins liquide.

Mais est-ce que le plus grand nombre le désire ?

Et est-il possible de faire cela dans un seul pays ?

J’ai peur que dans ce cas le reste du monde ressemble à Astérix et Obélix dans cet extrait « d’Astérix légionnaire » et que la France se trouve dans le rôle du centurion qui veut faire la pause..


Je ne dis pas que nous sommes entièrement responsables de ce qui arrive, mais nous y participons grandement quand nous oublions notre humanité, notre sociabilité, notre citoyenneté pour nous immerger dans notre seule condition de consommateur qui veut être servi tout de suite, à n’importe quelle heure, beaucoup et pour pas cher.

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Mercredi 19 décembre 2018

« La classe moyenne allemande est fracturée. Sa partie centrale subit un vrai mouvement de mobilité descendante. »
Oliver Nachtwey, un sociologue allemand cité par Brice Couturier

Le mouvement social actuel ne concerne pas la partie la plus pauvre de notre population, mais plutôt la classe moyenne inférieure, qui peut être au chômage, mais qui le plus souvent possède un emploi mais ne parvient pas à vivre convenablement de son salaire.

Souvent nous nous comparons à nos amis allemands.

Il y a un point qui fait consensus : l’économie allemande est plus forte que celle de la France, dégage une plus grande productivité et crée des surplus commerciaux avec le reste du monde, alors que la France fait l’inverse.

Il y a un autre point qui fait consensus : le taux de chômage est nettement plus faible en Allemagne qu’en France.

Et puis, il y a un sujet qui crée de grandes dissensions entre les analystes.

  • Les premiers, plutôt de gauche qui prétendent que certes il y a moins de chômage en Allemagne, mais il y a plus de pauvreté qu’en France.
  • Les seconds, plutôt de droite, considèrent cette analyse fallacieuse et affirment qu’il n’y a pas plus de pauvreté en Allemagne.

Le média d’opinion participatif « Agora Vox » est plutôt dans le premier camp surtout dans <cet article> datant de 2015:

« Selon une étude publiée par la fédération d’aide sociale Paritätischer Wohlfahrtsverband, la pauvreté en Allemagne est actuellement à son niveau le plus élevé depuis la réunification, en 1990. A noter que le Paritätischer Wohlfahrtsverband (PW) est une fédération qui regroupe environ 10.000 associations actives dans le domaine de l’aide sociale et de la santé.

Le taux de pauvreté est passé de 15% en 2012 à 15,5% en 2013, un pourcentage qui correspond à 12,5 millions de personnes.[…]

Le directeur général ce cette fédération, Ulrich Schneider, a déclaré : « Depuis 2006, on observe clairement une dangereuse tendance d’augmentation à la pauvreté (…) La pauvreté en Allemagne n’a jamais été aussi élevée et la fragmentation régionale n’a jamais été aussi sévère qu’aujourd’hui », ajoutant que l’Allemagne « a clairement un problème croissant de distribution de la richesse ».[…]

Une autre donnée, toute aussi inquiétante, c’est la forte hausse du nombre de salariés qui se situent sous le seuil de pauvreté. Ce sont aujourd’hui 3 millions de salariés allemands qui se retrouvent dans cette situation, soit une augmentation de 25% en 7 ans (2,5 millions à l’époque). […]

On peut légitimement se poser des questions sur un modèle de société qui n’est pas capable de subvenir aux besoins de sa population, et bien plus grave encore, de ceux qui ont un emploi. »

Le journal « Libération » est plus ambigüe, tout en reconnaissant une augmentation de la pauvreté. Dans un article plus récent, publié le 26 mars 2018, le journal donne la parole à Bruno Amable, professeur à l’université de Genève : <Allemagne : moins de chômeurs, plus de pauvres> :

« Cette situation favorable de l’emploi s’accompagne aussi d’une hausse des inégalités. Celles-ci concernent en premier lieu le niveau des salaires. En moyenne, ils ont recommencé à augmenter en termes réels mais ces augmentations ne concernent pas l’ensemble de la distribution des revenus. Entre 1995 et 2015, alors que les 20 % de salariés les moins bien payés connaissaient une baisse de salaire réel de 7 %, les 30 % de salariés les mieux payés bénéficiaient d’une hausse allant de 8 % à 10 %.

Autre phénomène connu, la baisse du chômage s’est accompagnée d’une hausse de l’emploi atypique (temps partiel, CDD). Celui-ci ne représentait que 13 % de l’ensemble des emplois en 1991. En 2015, c’était plus d’un emploi sur cinq (21 %) qui était atypique. Cela ne signifie pas nécessairement que tous ceux ou celles qui occupent ces emplois vivent dans la précarité, mais d’autres indicateurs témoignent d’une dégradation de la situation des personnes employées. On définit de façon conventionnelle l’emploi mal payé comme celui qui correspond à un salaire inférieur à deux tiers du salaire médian. Les emplois mal payés représentaient à peu près 16 % de l’emploi au milieu des années 90 ; ce chiffre était monté à 22 % ou 23 % dans les années 2010. »

L’article de Libération développe aussi une analyse comparative entre la France et l’Allemagne mais en prenant en compte la structure familiale (célibataire, famille bi-active, ou famille mono-active). Dans cette analyse, les résultats sont différents selon les cas.

On en conclut cependant que s’il n’est pas totalement concluant que la pauvreté soit plus forte en Allemagne, il faut reconnaître selon ces éléments que le surplus de richesse et de force économique ne lui sert pas à diminuer vraiment la pauvreté par rapport à son voisin plus fragile économiquement.

Si « les Echos » (07/03/2017) contestent l’affirmation de Benoit Hamon de la plus grande pauvreté allemande, ils concluent cependant :

« Certes, en ce qui concerne les actifs, ces derniers sont plus nombreux à vivre sous le seuil de pauvreté en Allemagne. Près de 10 % de la population active qui occupe effectivement un emploi sont pauvres chez nos voisins germaniques alors qu’ils ne sont que 7,5 % en France. Cela s’explique largement par l’existence de mini-jobs, dotés de mini-salaires, dans de nombreux secteurs d’activité en Allemagne, et notamment les services à la personne. Et la pauvreté a tendance à augmenter plus vite en Allemagne qu’en France. »

Donc l’Allemagne est un géant économique mais dans la lutte contre la pauvreté, elle ne s’en sort pas mieux que la France.

Olivier Passet de Xerfi (institut d’études économique privé) (16/05/2018) rappelle l’objectif du père de la réforme allemande Peter Hartz :

« On se souvient de la formule de Peter Hartz, l’artisan de la réforme du marché du travail allemand: « Il vaut mieux un peu de travail que pas de travail du tout ». 15 ans après ses réformes, le taux d’emploi allemand a augmenté de 10 points, tandis que celui de la France a fait du sur-place. Avec l’impact que l’on connaît sur le taux de chômage, qui aujourd’hui est à son plus bas depuis la réunification.

Le revers de la médaille de cette politique, on le connaît aussi. C’est la montée de la pauvreté, et notamment de la pauvreté au travail, liée à la montée des mini-jobs. […] »

Et s’il signale l’avantage de la France concernant la lutte contre la pauvreté, il nuance ce jugement en raison d’une structure familiale par rapport au travail très différente en Allemagne, cet aspect est aussi développé dans l’article de Libération  :

« Les écarts demeurent mais sont bien moins spectaculaires, lorsque l’on opère ces calculs sur la base du revenu disponible, après impôts et transferts sociaux donc et en incluant tous les types de revenus. C’est ce que l’on appelle le taux de risque de pauvreté au travail, indicateur largement commenté lui-aussi. La part des personnes en emploi touchant moins de 60% du revenu disponible médian ressort à 7,9% en France contre 9,5% en Allemagne. L’avantage reste à la France, mais l’Allemagne n’est plus en position polaire. […]

Plus récemment un troisième indicateur, produit par l’OCDE, a défrayé la chronique. Il concerne lui aussi la proportion de travailleurs pauvres. Il en ressort que le taux serait de 7,1% en France, tandis qu’il ne serait que de 3,7% en Allemagne. Il a bousculé le discours selon lequel l’Allemagne payerait son faible taux de chômage par une importante précarisation. Mais nuance, l’indicateur parle de pauvreté au niveau du ménage, après redistribution, une fois que l’on intègre l’ensemble des revenus perçus au niveau d’un foyer dans lequel au moins une personne travaille. Cela montre que si la proportion de personnes travaillant à bas salaire est incontestablement plus forte en Allemagne, le risque est mutualisé au niveau du foyer. 1/Il existe une répartition des rôles au niveau du foyer, entre celui qui produit le revenu principal, est celui (le plus souvent celle), qui fournit le revenu d’appoint, souvent à temps partiel). 2/ Il existe des transferts sociaux correcteurs, notamment pour les familles monoparentales, comme au Royaume-Uni notamment 3/ Le taux d’emploi, beaucoup plus élevé, permet de limiter le risque de pauvreté au niveau du foyer.

Point décisif remporté par Peter Hartz apparemment donc, puisque la diffusion des petits jobs réduirait bien le risque de pauvreté au niveau des ménages. Oui à cela près qu’il faut accepter une répartition très sexuée des rôles, de fortes dualités. Et qu’en définitive, cette politique a aussi des effets collatéraux sur les retraités. Beaucoup de petits jobs, c’est beaucoup de petites retraites en perspective et une montée de la pauvreté dans la population toute entière. C’est encore ce que racontent les statistiques sur l’incidence de la pauvreté au niveau de la population totale jusqu’à dernière nouvelle du moins. »

Si vous voulez un article qui réfute le fait qu’il y ait plus de pauvres en Allemagne il faut aller vers « l’Obs » : <Inégalités, pauvreté : non, l’Allemagne n’est pas un désastre social…>

Mais ce qui m’a parait intéressant et instructif, c’est une chronique de Brice Couturier qui est un macroniste revendiqué et qui dans chacune de ses interventions les années précédentes citait l’Allemagne de Merkel en exemple. Dans sa chronique du 14 décembre 2018, il a sensiblement évolué : <Merkel désigne son héritière mais laisse une Allemagne en mauvais état> :

« Un sociologue allemand, Oliver Nachtwey, dresse un sombre tableau de l’Allemagne d’aujourd’hui. « La stabilité et même la monotonie associée à la vie politique allemande sous Merkel apparaît devoir se terminer », dit-il. Et son départ imminent traduit une crise du système politique allemand qui menace l’Europe tout entière.

Mais la crise politique allemande, poursuit-il, traduit une crise sociale beaucoup plus profonde. Malgré l’atout que constitue une monnaie dévaluée de fait par rapport à ses excédents commerciaux, la puissance de son industrie manufacturière, la croissance allemande ne cesse de faiblir depuis une décennie.

Et le fameux modèle social allemand subit une érosion. Ulrich Beck l’avait nommé « l’effet ascenseur ». Des inégalités de revenus assez importantes étaient acceptées par la population parce que tout le monde avait le sentiment justifié d’être dans un ascenseur – même si certains montaient plus haut que d’autres.

C’est fini.

Les salaires du bas de l’échelle stagnent et ont même tendance à baisser. Le nombre de jobs procurant la stabilité et des salaires conséquents, qui étaient la norme il y a trente ans, se réduit progressivement. Les boulots précaires explosent. Ils concernent à présent près d’un tiers des travailleurs.

La classe moyenne allemande est fracturée. Sa partie centrale subit un vrai mouvement de mobilité descendante. Pour eux, l’ascenseur dégringole. »

En conclusion, et même si on reste prudent de savoir qui lutte le mieux contre la pauvreté de l’Allemagne et la France, on s’aperçoit qu’il y a bien un problème plus général dans nos pays occidentaux, qu’on soit un géant économique ou un compétiteur un peu faiblard :

  • La problématique qu’il n’y a plus de travail pour tout le monde, la France ajuste cela par le chômage, l’Allemagne par un travail partiel accru par rapport à la France, surtout réservé aux femmes.
  • L’autre problématique est que le travail des classes moyennes n’est plus suffisamment rémunéré.

Les Etats-Unis vivent exactement la même chose : les salaires des classes moyennes stagnent depuis de très nombreuses années.

La mondialisation a bien des attraits et notamment pour notre pouvoir d’achat puisqu’il est possible d’acheter des biens à des prix bas, mais la pression sur les salaires dans nos pays est terrible.

je ne crois pas un seul instant que Macron, ni d’ailleurs un autre homme politique sera capable de résoudre cette tension interne à la mondialisation actuelle.

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Mardi 18 décembre 2018

« Pris à part, chacun des éléments paraît logique, voire acceptable, mais placés bout à bout, ils finissent par former une infernale machine à broyer. »
Florence Aubenas

Florence Aubenas est allé s’immerger, pendant une semaine, au sein de groupes de gilets jaunes dans la région de Marmande dans le Lot et Garonne et en a tiré un reportage publié dans le journal Le Monde le 15 décembre 2018.

Son reportage est accompagné de photos en noir et blanc réalisés par Edouard Elias.

Florence Aubenas n’est pas une conceptuelle, elle n’est pas giletjaunologue, elle va simplement voir sur place, reste suffisamment longuement pour laisser s’exprimer celles et ceux qu’elle rencontre puis essaye de décrire le plus précisément possible ce qu’elle a vu et compris.

Elle avait publié un premier travail de reportage en France, en 2011, <Le quai de Ouistreham>, livre qu’elle a écrit après avoir, pendant six mois, essayé de « vivre la vie » des plus démunis, ceux et surtout celles qui tentent de s’en sortir en enchaînant des travaux précaires (femme de ménage par exemple) et du temps partiel. Elle a mené cette enquête à Caen. C’est un des emplois qu’elle a occupé : nettoyer un quai qui a donné le titre du livre.

Puis elle avait parcouru la France, les villages et les gens de France, ailleurs que dans les riches métropoles , là où il devient de plus en plus difficile ou compliqué de vivre et l’avait rapporté dans un livre « en France » publié en 2013 et auquel j’avais consacré une série de 5 mots du jour que vous retrouverez sur cette page : « “En France ” – Chroniques dans les villes et villages de France »

Frédéric Pommier a parlé du reportage de Florence Aubenas sur les gilets jaunes lors de <La revue de Presse du week end> du dimanche 16 décembre 2018 :

« Les mouvements de contestation peuvent créer du lien social.

C’est ce qu’on découvre dans le formidable reportage que signe Florence Aubenas dans LE MONDE… « La révolte des ronds-points »… Un journal de bord qu’elle a tenu une semaine durant, s’installant sur les giratoires occupés près de Marmande par des dizaines de Gilets jaunes… Le photographe Edouard Elias était à ses côtés… Il faut lire et il faut dans le même temps regarder pour comprendre cette France qui, depuis plus d’un mois, se retrouve pour mener le combat contre les taxes et pour davantage de justice sociale… »

Et Florence Aubenas était l’invité de Léa Salamé lundi 17 décembre 2018 pour parler de son reportage : <L’invité de 7h50>

Léa Salamé a d’abord posé la question de ce qui l’avait le plus surpris :

« [On a vu sur ces ronds-points] des gens qu’on ne voyait jamais, ce n’était pas des gens qui avaient l’habitude de prendre la parole, ce n’était pas la grande gueule du coin. Pourquoi ces gens ne sortaient pas et sortent aujourd’hui et c’est cela qui serre le cœur. Ils ne sortaient plus de chez eux. […]

au début] Certains ne parlaient pas, ne se présentaient pas, écrivaient juste leur nom sur leurs gilets»

Et puis peu à peu, ils ont commencé à parler. A parler d’argent, de leurs difficultés financières. Sujet tabou qu’ils n’osaient jamais aborder, même avec leurs amis, mais là sur les ronds-points ils et surtout elles ont parlé et ont constaté qu’elles n’étaient pas seules que d’autres vivaient les mêmes choses.

Bien sûr, elle reconnait avoir entendu des propos racistes, et des propos extrêmes, mais elle ajouté tout de suite qu’elle en entend aussi dans les milieux de journalistes à Paris, même si les propos ont plus policés. Et elle a aussi entendu sur ces ronds-points des gens qui disaient « je ne suis pas d’accord » devant ces propos extrémistes.

Surtout le racisme était selon elle marginal et non au cœur des discussions.

Vous trouverez ce long reportage sur le site du Monde : <Sur les ronds-points les gilets jaunes à la croisée des chemins>

Il faut bien sûr être abonné pour pouvoir accéder à l’intégralité de l’article et des photos.

Florence Aubenas raconte par exemple l’expérience de Coralie qui est une gilet jaune rencontrée sur un rond-point :

Coralie arrive la première. A son mari, apiculteur, certains sont allés dire : « On a vu ta femme sur le rond-point avec des voyous et des cas soc’. » « Moi aussi, je suis un cas social », constate Coralie, 25 ans. Elle a mis un temps à digérer le mot, mais « objectivement », dit-elle, c’est bien celui qui pourrait la définir.

Elle vient de déposer à l’école ses deux fils d’un premier mariage. Garde le souvenir amer d’un élevage de chevaux catastrophique. Aimerait devenir assistante maternelle. Il fait très froid, il faudrait rallumer le feu éteint dans le bidon. « Qu’est-ce que je fais là ? », se demande Coralie.

Et puis, un grand gars arrive, qui voudrait peindre un slogan sur une pancarte. « Je peux écrire “Pendaison Macron” ? », il demande.

« Vas-y, fais-toi plaisir », dit Coralie. Personnellement, elle ne voit aucune urgence à pendre Macron. Et alors ? On affiche ce qu’on veut. Le gilet jaune lui-même sert à ça, transformer chacun en homme-sandwich de son propre message, tracé au feutre dans le dos : « Stop au racket des citoyens par les politiques » ; « Rital » ; « Macron, tu te fous de ton peuple » ; « Non au radar, aux 80 km/h, au contrôle technique, aux taxes, c’est trop » ; « 18 ans et sexy » ; « Le ras-le-bol, c’est maintenant » ; « Marre d’avoir froid » ; « Fatigué de survivre » ; « Staff du rond-point » ; « Frexit » ; « Le peuple en a assez, Macron au bucher. »

Depuis des mois, son mari disait à Coralie : « Sors de la maison, va voir des copines, fais les magasins. » Ça a été les « gilets jaunes », au rond-point de la Satar, la plus petite des trois cahutes autour de Marmande, plantée entre un bout de campagne, une bretelle d’autoroute et une grosse plate-forme de chargement, où des camions se relaient jour et nuit.

L’activité des « gilets » consiste ici à monter des barrages filtrants. Voilà les autres, ils arrivent, Christelle, qui a des enfants du même âge que ceux de Coralie, Laurent, un maréchal-ferrant, André, un retraité attifé comme un prince, 300 chemises et trois Mercedes, Sylvie, l’éleveuse de poulets. Et tout revient d’un coup, la chaleur de la cahute, la compagnie des humains, les « Bonjour » qui claquent fort. Est-ce que les « gilets jaunes » vont réussir à changer la vie ? Une infirmière songeuse : « En tout cas, ils ont changé ma vie. »

Le soir, en rentrant, Coralie n’a plus envie de parler que de ça. Son mari trouve qu’elle l’aime moins. Il le lui a dit.

Un soir, ils ont invité à dîner les fidèles du rond-point. Ils n’avaient jamais reçu personne à la maison, sauf la famille bien sûr. « Tu l’as, ton nouveau départ. Tu es forte », a glissé le mari.

Coralie distribue des tracts aux conducteurs. « Vous n’obtiendrez rien, mademoiselle, vous feriez mieux de rentrer chez vous », suggère un homme dans une berline.

« Je n’attends rien de spécial. Ici, on fait les choses pour soi : j’ai déjà gagné. »

Elle raconte aussi à Marmande la relation ambigüe entre le patron d’un Centre Leclerc d’abord soutenant les gilets jaunes puis estimant que la contestation avait assez duré essaye de casser le mouvement.

Ou encore cette réflexion :

« Dorothée, 42 ans, monteuse-câbleuse, 1 100 euros net, est l’une des deux porte-parole des « gilets » de Marmande. « Ça faisait des années que je bouillais devant ma télé, à me dire : “Personne ne pense comme moi, ou quoi ?” Quand j’ai entendu parler des « gilets jaunes », j’ai dit à mon mari : « C’est pour moi.” » »

Je retiens surtout ce besoin d’échanges, de dialogues qui n’existaient plus :

« Et puis, que s’est-il passé ? Comment tout le monde s’est soudain retrouvé à déballer devant de parfaits inconnus – « Des gens à qui on aurait marché dessus chez Leclerc à peine deux semaines plus tôt, sans les saluer » – les choses les plus profondes de sa vie ? Des choses si intimes qu’on les cachait soigneusement jusque-là, « sauf parfois entre amis, mais c’était gênant ». La cahute est devenue le lieu où « les masques tombent ». Plus de honte. « Ça fait dix ans que je vis sans sortir, à parler à ma chienne. Aujourd’hui, les digues lâchent », dit une infirmière. »

Et Florence Aubenas conclut :

« Chacun a son histoire, toujours très compliquée, mais toutes se ressemblent au fond, un enchevêtrement de problèmes administratifs, de santé, de conditions de travail. Pris à part, chacun des éléments paraît logique, voire acceptable, mais placés bout à bout, ils finissent par former une infernale machine à broyer. »

Elle raconte aussi la méfiance et peut être même la haine des politiques :

« La politique est prohibée : un militant communiste a bien essayé de tracter, puis un petit couple – lui en costume, elle en blouson de cuir –, se disant France insoumise. Tous ont été chassés. Le seul discours commun évoque les « privilégiés de la République », députés, énarques, ministres, sans distinction, à qui « on ne demande jamais de sacrifices ». En fait, c’est à eux qu’on en veut, bien davantage qu’aux multinationales ou aux patrons. »

Un reportage à lire.

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Jeudi 13 décembre 2018

« La beauté de la fêlure : Le Kintsugi»
Art japonais pour réparer ce qui est cassé

Le récit japonais raconte qu’à la fin du XVe siècle, le shogun (chef de guerre) Ashikaga Yoshimasa aurait renvoyé en Chine, un bol de thé chinois auquel il tenait et qui était endommagé, pour le faire réparer. Mais la réparation chinoise lui avait fortement déplu. Et il aurait donc demandé à des artisans japonais de trouver un moyen de réparation plus esthétique, et qui prenne en compte le passé de l’objet, son histoire et donc les accidents éventuels qu’il a pu connaitre.

C’est cette démarche qui aurait été à l’origine de l’art traditionnel japonais de la réparation de la céramique cassée avec un adhésif résistant aspergé ensuite de poudre d’or.

Cet art s’appelle « le Kintsugi. ». Le terme «  Kintsukuroi » désignant quant à lui l’art de réparer l’objet de façon à ce qu’il devienne plus solide et plus beau cassé.


Dans cet art, je dirai cette philosophie, La casse d’une céramique ne signifie plus sa fin mais un renouveau.

Il ne s’agit donc pas de cacher les réparations, mais de mettre en avant la zone brisée en recouvrant les fissures d’or. C’est donc par le métal symbole de valeur, symbole de richesse  que les fêlures seront comblées, réparées, embellies.

Il existe des sites qui parlent de cet art pour l’étendre à la vie humaine et à la maladie : « La vie Kintsugi »

Nous sommes ici dans une philosophie de vie qui pense quand quelque chose qui a de la valeur se brise, il ne faut pas le jeter, le mettre de côté, mais le réparer pour qu’il devienne plus beau et plus fort.

Bien sûr cela peut certainement s’appliquer aux humains et aux sociétés humaines.

Le mot du jour du 17 Juin 2016 évoquait une idée proche, un livre d’Abdennour Bidar : «Les tisserands : réparer ensemble le tissu déchiré du monde».

<Le site Cosmopolitan> donne plus de détail sur cette technique :

« De kin, l’or, et tsugi, la jointure, le kintsugi évoque l’art japonais de réparer un objet cassé en soulignant ses fissures avec de l’or plutôt qu’en les camouflant. Les éclats de l’objet cassé sont récoltés, nettoyés et recollés à la laque naturelle. Une fois l’objet sec et poncé, on souligne ses fissures à l’aide de plusieurs couches de laque. Enfin, on saupoudre ses “cicatrices” de poudre d’or.  »

Certaines pages ne parlent que du kintsugi, dans sa mission première de réparer la céramique : « Qu’est-ce que le kintsugi, la technique de réparation à la japonaise ?  »

<J’ai trouvé aussi cette vidéo qui montre cet art en action>

Une jeune auteure veut en tirer des leçons de vie, c’est ainsi que Céline Santini a écrit : «  Kintsugi, L’art de la résilience ».

Céline Santini a un propos plus ambitieux sur le site <esprit-kintsugi>, probablement qu’elle a aussi l’intention de vendre son livre et d’autres services.

Il faut certainement séparer le bon grain et l’ivraie.

Mais j’ai trouvé fécond et apaisant, dans ce monde troublé, insatisfait, violent, qui casse et sépare beaucoup, de mettre en avant un art qui a pour but de réparer, de rendre plus beau et plus fort.


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