Mardi 11 février 2020

« Les sardines »
Invention italienne anti-populiste

La sardine est un poisson gras excellent pour la santé notamment en raison de la présence d’oméga 3. Le docteur canadien Richard Beliveau, que j’ai déjà cité et sur lequel je reviendrai en fait l’éloge sur son site et prétend même qu’il s’agit une arme anti cancer <Adoptez les poissons gras> :

Mais ce n’est pas de ces sardines que je voudrais parler aujourd’hui, mais de sardines italiennes.

L’Italie constitue un laboratoire mondial pour la politique.

C’est l’Italie qui avant tout le monde, avant Trump, a mis à sa tête un milliardaire vulgaire, sexiste et sidérant : Silvio Berlusconi.

Au préalable, la justice avait lancé la grande opération < Mani pulite > (en français « Mains propres ») au début des années 1990 et visant la corruption de personnalités du monde politique et économique italien. Ces enquêtes mirent au jour un système de corruption et de financement illicite des partis politiques. Des ministres, des députés, des sénateurs, des entrepreneurs et même des ex-présidents du conseil furent impliqués. Elles donnèrent lieu à une grande indignation de l’opinion publique et révolutionnèrent la scène politique italienne, provoquant la disparition de partis historiques comme la Démocratie chrétienne (DC), le Parti socialiste italien (PSI), le Parti socialiste démocratique italien (PSDI) ou encore le Parti libéral italien (PLI). Et ouvrirent la voie à Berlusconi.

Après Berlusconi et quelques péripéties, un jeune homme, maire de Florence, gendre idéal, séducteur, libéral-social et ouvert à la mondialisation su s’emparer du cœur des italiens. Cela ne vous rappelle rien de plus récent en France ?

Parce qu’en Italie, c’était avant et l’homme dont il s’agit était Matteo Renzi.

Il accumula les réformes jusqu’à celle de trop et un référendum qu’il perdit avec plus de 59% de Non. Les élections législatives qui suivirent, amenèrent au pouvoir un duo populiste improbable :

  • l’extrême gauche :  « le mouvement 5 étoiles » de Luigi Di Maio
  • et l’extrême droite « La ligue » de Matteo Salvini.

Le mouvement 5 étoiles avait nettement plus de députés que la Ligue. Mais dans le gouvernement, mis en place avec un premier ministre technocrate, Giuseppe Conte, les deux chefs politiques n’étaient que vice-ministre, l’impétueux Matteo Salvini allait rapidement s’imposer face à son partenaire d’extrême gauche. Les sondages montraient une chute de Di Maio et une montée inexorable de Salvini.

Cela se concrétisa lors de scrutins régionaux, mais surtout lors des élections européennes dans lesquelles La Ligue gagna largement avec 34,26% des voix, le mouvement 5 étoiles ne représentant plus que la moitié 17,06 %.

Salvini fort de ses succès et voulant accentuer sa politique d’extrême droite que le mouvement 5 étoiles tentait de maîtriser, souhaita convoquer de nouvelles élections et mis fin à la coalition. Les institutions italiennes résistèrent à cette manœuvre et Salvini fut éjecté du gouvernement au profit du Parti Démocrate.

Et c’est dans cette situation que fin 2019 se préparait les élections régionales d’Emilie-Romagne du 26 janvier 2020 qui ne pouvait qu’amener une victoire éclatante du populiste Matteo Salvini dans une région à gauche depuis 70 ans et encore gouverné alors par le Parti Démocrate.

Et, il s’est alors passé quelque chose d’étrange. Une sorte de mouvement des gilets jaunes à l’envers. Non pas un mouvement pour contester le gouvernement ; mais pour contester… l’opposition, en particulier Matteo Salvini.

Ce mouvement a pris le nom de Sardine (sardines) car, lors de sa première action publique, sur la Piazza Maggiore de Bologne le 14 novembre 2018, les organisateurs ont invité les participants « à se serrer comme des sardines ». La référence aux sardines vient, en effet, de l’expression « serrés comme des sardines dans une boite » (stretti come sardine),

<Wikipedia> nous apprend que :

« Lors du lancement de la campagne électorale pour les élections régionales en Émilie-Romagne, le 14 novembre 2019, la Ligue du Nord pensait lancer la candidature de la candidate Lucia Borgonzoni. En même temps, un groupe de quatre amis crée sur Facebook une manifestation d’opposition nommée « 6000 sardine contro Salvini » (six mille sardines contre Salvini) avec pour objectif d’organiser « la première révolution piscicole de l’histoire » et de jeter dans l’ombre la campagne électorale adverse en rassemblant [sur la place publique] au moins six mille personnes, soit plus que les 5 750 places assises de [la salle] réservées par la manifestation adverse.

Le succès du rassemblement des sardines à Bologne (peut-être dix mille personnes) est ensuite répliqué le 19 novembre sur la Piazza Grande de Modène puis, à travers de mobilisations éclair (flash mob), dans d’autres villes italiennes, mais aussi à l’étranger, avec une manifestation à New York, portant une visibilité internationale. Le 14 décembre à Rome, les sardines rassemblent 35 000 personnes selon la préfecture de police, 100 000 personnes selon les organisateurs ; au cours de cet évènement, un des organisateurs, Mattia Santori, réclame en particulier l’abolition du « décret sécurité » passé par Matteo Salvini lors du précédent gouvernement Conte I et qui a introduit une série de mesures contre l’accueil des migrants ou qui en facilitent l’expulsion ».

Grazia, le magazine italien dans un article récent : < Les Sardines Miraculeuses”, le mouvement antipopuliste qui anime l’Italie > décrit ce mouvement ainsi :

« Les sardines ne sont pas qu’un bon petit plat, mais un mouvement antipopuliste qui se répand comme une tache d’huile en Italie. […]

Un van déboule sur une place romaine à coups de joyeux Klaxon. Décoré d’un filet de pêche, il s’arrête et diffuse Bella Ciao , le chant des résistants italiens pendant la Seconde Guerre mondiale. Collés sur un barnum, des poissons en papier délivrent ces slogans : “Non au racisme”, “Non à la haine”, “Non à l’homophobie”, “Non à la violence physique et verbale”. Des militants invitent les passants à inscrire leurs pensées et propositions sur des poissons prédécoupés et à les déposer dans des filets. Voilà l’esprit des sardines

[Tout commence le 14 novembre 2019, à Bologne] Quatre trentenaires inconnus au bataillon – un coach sportif diplômé en sciences politiques, une kiné, un guide touristique et un ingénieur – lancent un appel sur Facebook à une contre-manifestation. Le mot d’ordre : “Pas de drapeau, pas de parti, pas d’insulte. Créez votre propre sardine et participez à la première révolution piscicole de l’histoire. […]

“Être une sardine, c’est faire bloc contre le populisme, explique Alice, une Turinoise de 26 ans. Seul, le petit poisson est incapable de se défendre, mais, en banc, il peut survivre à une attaque de requins.” Comme tant d’autres Italiens, Alice n’en pouvait plus du “climat de haine” régnant dans son pays – rien que ces derniers mois, une femme noire interdite de monter dans un bus, une librairie de gauche brûlée à Rome, une famille rom chassée de son logement social par des néofascistes… Après Bologne, plus de 400 groupes se créent spontanément sur Facebook et Telegram pour remplir les places à Palerme, Naples, Florence, Milan, Rome […] “La Péninsule n’avait pas vu ça depuis trente ans”, s’étonne Emiliana De Blasio, sociologue. En interviewant plus de 1 000 Sardines, elle est surprise de trouver parmi elles des électeurs “de gauche, bien sûr, mais aussi du Mouvement 5 étoiles et du centre droit”. Valeria, 48 ans, a participé au rassemblement de Ferrare un livre à la main “Chacun en avait apporté un, certains Les Raisins de la colère de John Steinbeck, censuré par Mussolini. Un clin d’œil à la candidate de la Ligue en Emilie-Romagne qui venait de déclarer avec fierté n’avoir lu aucun livre depuis trois ans. »

A priori, ils ne veulent pas créer un parti politique :

«  Mattia Santori, l’un des fondateurs devenus aussi difficiles à interviewer qu’un ministre, le répète : “Nous ne voulons pas nous substituer aux politiques.” Jeune, sourire et charme XXL, il a été propulsé “sardine en chef” et invite à regarder plus loin que l’écran de son téléphone : “Nous courons un seul risque croire que les sardines sont la solution à tous les maux. Les sardines n’existent pas et n’ont jamais existé. Il existe seulement des personnes qui prennent position. »

<Marianne> a interrogé Bernard Spitz, président de l’association les Gracques, un groupe de réflexion qui souhaite une rénovation de la gauche française autour de valeurs sociales-libérales :

« Il s’est passé un événement exceptionnel samedi dernier : plus de 100.000 personnes rassemblées dans la rue pour protester ! […] Et elles ne protestaient pas pour réclamer, elles protestaient pour défendre l’intérêt général. L’ennemi désigné n’était pas seulement la Ligue et ses alliés d’extrême droite, elles se dressaient contre la mauvaise foi, les fake news, la démagogie, la pratique systématique de l’invective et de l’insulte dans le débat politique. Et elles ont choisi pour emblème les sardines. […]

Le choix de la sardine est un symbole d’humilité. De petits poissons qui circulent en nombre et se serrent les uns contre les autres. Leurs meetings se terminent par une chanson connue de tous : ciao bella ciao, une sorte de chant des partisans sur un rythme enlevé qui se termine par l’éloge de la liberté.

Les sardines offrent à la société civile l’occasion de s’engager pour des valeurs positives et pour l’intérêt général. C’est la raison pour laquelle nous les avons rencontrées à Rome cette semaine, que nous soutenons leur initiative et espérons les aider à l’élargir au-delà des frontières italiennes, pour diffuser leur message positif d’universalité. »

Et cela a fonctionné. Je donne la parole à <L’HUMANITE> du 27 janvier 2020.

« Cette région dirigée par la gauche depuis 70 ans restera dans le giron du Parti démocrate. Le président sortant Stefano Bonaccini l’emporte avec 51 % des voix. Matteo Salvini, le leader de l’extrême droite espérait l’emporter dans cette région centrale de l’Italie pour mettre en difficulté la coalition au pouvoir au niveau national.

Les sardines ont repoussé le requin. Le parti d’extrême droite de Matteo Salvini, la Ligue, a échoué, dimanche 26 janvier, lors des élections régionales en Émilie-Romagne. Sa candidate, Lucia Borgonzoni, n’a obtenu que 43,8 % des suffrages

[…] La prise de conscience permise par le mouvement des Sardines semble avoir fait son effet. La participation électorale a été plus forte qu’aux européennes dans les villes qui votent centre-gauche. »

« Les sardines » est un mot nouveau puisqu’il désigne un nouveau mouvement qui a pu gagner une bataille contre le populisme d’extrême droite.

Mais la guerre est encore loin d’être gagnée.

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