« Le populisme » est vraiment un mot qui fait l’actualité.
Il est difficile de saisir précisément ce qu’il signifie, mais il est beaucoup utilisé. Et à ma connaissance toujours avec une connotation négative. Le « populiste » c’est l’autre.
Dans ma jeunesse, il y avait un autre mot très utilisé en politique : « démagogue ». Mon professeur de français de troisième nous a dit :
« Vous serez intelligent le jour où vous comprendrez le sens du mot démagogie »
La démagogie est assez facile à définir. C’est la méthode d’un homme politique qui pour se faire élire va multiplier les promesses et flatter les électeurs sans être capable une fois au pouvoir de mettre en œuvre ses promesses.
Mais le populisme est une notion plus floue.
En revanche il est plus commode de faire la liste d’un grand nombre de personnalités politiques qui sont traitées de populiste :
- Donald Trump le président des Etats-Unis
- Narendra Modi le premier ministre indien
- Jair Bolsonaro le président brésilien
- Boris Johnson le premier ministre britannique
- Matteo Salvini l’ancien ministre de l’intérieur italien
- Viktor Orban le premier ministre hongrois etc..
Et en France Marine Le Pen et Jean-Luc Melenchon sont le plus souvent traités de leaders populistes.
Dans leur défense, ces leaders retiennent que dans le mot populiste, il y a le mot peuple et que ils se réjouissent de représenter le peuple.
C’est une première approche du populisme que de constater qu’un de leur point commun est le fait d’opposer « le peuple » et « les élites » et de prétendre qu’ils sont du côté du peuple.
Pour Donald Trump, c’est un rôle de composition, mais qu’il joue visiblement très bien.
Plus largement, l’historien Pierre Rosanvallon s’est intéressé à ce terme de « populisme » en expansion partout dans le monde :
« De l’Inde à l’Amérique de Trump, à notre Europe et à l’Amérique latine, ce qu’on appelle populisme est en train de gagner. »
Et pour faire cette analyse, il a écrit un livre « Le siècle du populisme » édité par le Seuil et paru le 9 janvier 2020
Il a été l’invité d’Ali Baddou le <10 janvier 2020>, émission dans laquelle il explique qu’il a voulu faire une Histoire de ce mot « populisme »
Il nous apprend que l’apparition explicite du mot populiste, en France, apparaît d’abord en 1929 dans le monde littéraire : « Le manifeste populiste » rédigé par Léon Lemonnier et qui entend inciter l’élite littéraire de s’intéresser à la vie du peuple, à la société profonde, d’en raconter les réalités et de beaucoup moins s’intéresser à la vie élégante de la bourgeoisie.
Le livre de Rosanvallon a pour ambition de combler un vide parce que le populisme n’a jamais été théorisé en tant que pensée politique.
Il analyse ainsi que :
« Le populisme, c’est à la fois un symptôme et une proposition […] Le populisme-symptôme est facile à analyser : c’est le dégagisme, la critique de la mal-représentation dans la société, c’est le dégoût devant des inégalités galopantes. [A l’inverse] le populisme-proposition apparaît beaucoup plus diffus, d’autant plus qu’il n’a jamais fait l’objet d’une analyse de fond, contrairement, par exemple, au communisme avec Marx, le socialisme avec Jaurès, le libéralisme avec Tocqueville. Toutes les grandes idéologies ont eu leur traducteur. »
Pierre Rosanvallon ne veut bien sûr pas faire œuvre d’idéologue comme les penseurs cités précédemment, il n’est pas populiste. Mais il dit :
« J’ai voulu montrer que derrière une certaine confusion, il y avait quand même un certain nombre de lignes directrices. J’ai voulu être un théoricien du populisme »
Et il fait remonter le populisme politique en France à Napoléon III :
« Le populisme est inséparable de l’histoire de la démocratie, c’est d’abord une proposition démocratique. Pendant la Révolution, il y a beaucoup de débats sur les rapports entre la représentation et la démocratie directe, immédiate. Et, le premier à apporter une réponse originale à cette problématique c’est Napoléon III. Parce qu’il dit que la démocratie repose d’abord sur le suffrage, d’abord sur le référendum. Au nom de la souveraineté du peuple, il a été le premier à critiquer les corps intermédiaires, la liberté de la presse et les partis, en disant aux journalistes que personne ne les avait élus, qu’ils n’étaient pas représentants de la société. Et aux partis politiques qu’ils n’étaient que des entrepreneurs politiques, pas des représentants. Il est le premier à avoir théorisé la suprématie de ce qu’on appelle aujourd’hui la démocratie illibérale. Et quand on relit Napoléon III, on voit que c’est exactement le discours d’Orban, et à certains égards le discours de Trump aussi ».
Il donne donc à Napoléon III la paternité de ce premier élément du populisme : celui de la démocratie directe, immédiate qui rejette les corps intermédiaires. Tout doit être soumis au pouvoir, parce que celui-ci a eu l’onction populaire.
Le second pilier du populisme serait le « dégagisme ». Pierre Rosanvallon situe son essor en Amérique latine en parallèle avec l’essor d’un leader comme incarnation du peuple. C’est évidemment connu de tous le « péronisme » argentin. Mais ; Il cite en premier leader sud-américian, un colombien : Jorge Eliécer Gaitán (1898 – assassiné le 9 avril 1948). Gaitan qui a été admiré par Peron, par Castro et Chavez disait :
« Je suis un homme peuple ».
Il ne savait pas qu’il reprenait ainsi la formule des partisans de Napoléon III.
« Puisqu’il est élu du peuple, il est un homme peuple »
Il y a donc selon Rosanvallon, une théorie de la démocratie dans le populisme.
Et dans une des principales propositions des populistes, en face des inégalités, c’est de se refermer sur soi-même, d’arrêter les flux d’immigrés, c’est ce que Pierre Rosanvallon appelle :
« Le national protectionnisme. »
Il parle ainsi d’une théorie sous-jacente du populisme qui :
- D’abord oppose le peuple et l’élite ;
- Ensuite conduit à l’émergence d’un leader qui émane de l’élection par le suffrage universel ;
- Ce leader une fois élu n’a pas à tenir compte de corps intermédiaires parce qu’il est l’homme peuple ;
- Enfin la principale proposition est de nature nationaliste, protectionniste et souvent xénophobe.
Ces 4 éléments définissent assez bien Donald Trump, Viktor Orban, et quelques autres.
Pierre Rosanvallon a déclaré au journal belge le «Soir»:
«Les populismes prétendent être une forme supérieure de démocratie»
Dans cet article de <Philosophie Magazine> qui analyse l’ouvrage de Rosanvallon, je retiens cette conclusion :
« Si le populisme n’apporte que des réponses simplistes, il a au moins le mérite d’obliger la démocratie à se critiquer et à se réinventer. Au lieu de s’en remettre au référendum, qui n’offre selon lui qu’une souveraineté impuissante, Rosanvallon en appelle plutôt à complexifier la démocratie, à l’élargir, à la généraliser, à la démultiplier et à la rendre interactive sous la vigilance de « l’œil » du peuple (destiné à compléter sa « voix »). Le populisme, enfant terrible de nos démocraties désenchantées, pourrait finalement en être le ferment. »
Lors de la préparation de ce mot du jour, j’ai appris qu’un autre livre vient de paraître le 10 janvier : « Mondialisation et national-populisme » d’Arnaud Zacharie
Arnaud Zacharie est belge et « Le Monde » a consacré un article à ce livre : <Les populismes observés à la lumière de l’histoire>
<Le Monde> qui consacre aussi un article au livre de Pierre Rosanvallon dans lequel on peut lire :
« La démocratie, écrit-il, « est par nature expérimentale ». Elle reste à ce titre le meilleur instrument pour permettre aux sociétés d’apprendre à vivre dans le changement perpétuel. Mais à condition de progresser encore, de se « démultiplier » en accroissant sa capacité de représentation de la réalité des vies et en donnant aux individus davantage de prise sur ses procédures, qu’il s’agit dès lors d’enrichir, à côté de l’exercice électoral, de « dispositifs permanents de consultation, d’information, de reddition des comptes ».
Il y a aussi cette émission de la Grande Table : <Populisme, l’affaire du siècle ?>
Et cet article de l’Obs : <Pierre Rosanvallon : « Il faut prendre le populisme au sérieux »>
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