En continuant la lecture du « Un » sur les riches, on tombe sur l’article central du journal qui consiste en un entretien avec Gabriel Zucman : « L’enjeu est de sortir d’une spirale d’Injustice fiscale ».
Gabriel Zucman est un jeune économiste français mais qui vit actuellement aux Etats-Unis.
Il est né en 1986 à Paris, il a enseigné à la London School of Economics, mais depuis 2015 il est professeur assistant à l’université de Californie à Berkeley.
Il s’est spécialisé dans le domaine des inégalités sociales et des paradis fiscaux.
Il a rédigé sa thèse « Trois essais sur la répartition mondiale des fortunes » sous la direction de Thomas Piketty
Le journal « Washington Examiner » confirme qu’il influence les deux candidats les plus à gauche de la primaire démocrate « Two French economists from Berkeley advise Warren and Sanders on wealth tax »
Les deux économistes français dont parle le journal de Washington sont les deux auteurs de l’ouvrage qui vient d’être traduit et publié en France le 13 février « Le triomphe de l’injustice » et qui a pour sous-titre « Richesse, évasion fiscale et démocratie ». Emmanuel Saez est de 14 ans plus âgé que Gabriel Zucman, il est professeur à la même université Berkeley. Il est aussi français mais a été naturalisé américain. Ses travaux portent aussi sur les inégalités économiques et les inégalités de revenu et il est également lié avec Thomas Piketty avec lequel il mène des études communes.
Picketty, Zucman et Saez, trois français, sont donc en train de convertir sinon les États-Unis au moins un des principaux candidats démocrates : Bernie Sanders au socialisme, à l’imposition des grosses fortunes et aussi à une redynamisation de la progressivité de l’impôt sur les revenus. Comme le dit le journal de Washington, ils ont aussi l’oreille d’Elisabeth Warren l’autre candidate de gauche des démocrates.
Mais c’est de plus en plus Bernie Sanders, celui qui se proclame socialiste et qui affirme aux USA que le régime de Castro à Cuba présentait des aspects positifs, qui fait la course en tête et qui est en train de s’envoler dans les sondages.
<Le Monde> avait consacré fin 2019 un article à ces trois français au pays de l’oncle Sam :
« Dans le sillage de Thomas Piketty, [Gabriel Zucman] le trentenaire, chercheur à Berkeley, cosigne avec son compatriote Emmanuel Saez un livre sur le triomphe des inégalités aux Etats-Unis. Et s’impose comme un des cerveaux influents de la gauche américaine.
Dans la bande à Piketty, il est le benjamin. Mais pas le moins doué. […]. Si Thomas Piketty, 48 ans, a été son directeur de thèse à Paris, c’est son complice, Emmanuel Saez, 46 ans, qui l’a fait venir aux Etats-Unis. A eux trois, ils sont en train de changer le paysage politique américain par leurs travaux sur les inégalités.
Avec son livre Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013), devenu en 2014 un improbable best-seller au pays du marché-roi, Piketty a été le pionnier. « C’est lui qui a l’approche la plus ambitieuse, décrit Gabriel Zucman. Il veut créer une nouvelle idéologie de socialisme participatif. » Emmanuel Saez, coauteur de plusieurs travaux avec Piketty, est le surdoué : diplômé de Normale-Sup et du MIT, il est lauréat de la médaille John Bates Clark, la plus haute distinction américaine en économie. Un perfectionniste d’« une rigueur vraiment extrême », dit son jeune collègue. Au point que certains voient déjà sa voiture occuper un jour l’une des places réservées aux Prix Nobel sur le parking de la faculté.
Gabriel Zucman, lui, se range dans une catégorie plus modeste. « Plombier » de la justice sociale. Ajusteur des politiques publiques, pour « contribuer au progrès ». « S’il y a une volonté politique de créer un impôt sur la fortune, si on veut taxer les multinationales, comment on fait en pratique pour que ça fonctionne ? » Et pour « faire de la bonne plomberie », insiste-t-il, il faut « commencer par avoir de bons chiffres »
Il semble que c’est Gabriel Zucman qui a été chargé d’assurer la promotion, en France, du livre écrit avec Saez.
C’est ainsi qu’il a été l’invité de la Grande Table, émission dans laquelle je l’ai entendu pour la première fois : <Gabriel Zucman : réinventer l’impôt pour combattre l’injustice>
Dans leur livre les deux économistes épluchent les statistiques fiscales sur plus d’un siècle en prenant en compte l’ensemble des prélèvements supportés par les contribuables américains et non le seul impôt sur le revenu, comme c’était l’habitude.
Leur constat est clair : Les riches paient moins d’impôts que le reste de la population. Ils soulignent que, en 2018, à la suite de la réforme fiscale de Trump votée à la fin de l’année précédente et pour la première fois depuis un siècle, les milliardaires ont été moins taxés que les classes moyennes et populaires. Ainsi, une infime partie de la population américaine prend une part croissante de la richesse nationale : ce sont 0.1% des Américains qui possèdent la même portion de patrimoine que 99% du reste de la population. Et, alors que tous les groupes sociaux, classes populaires ou supérieures, payent entre 25 et 30 % de leurs revenus en impôts, les milliardaires ont un taux d’imposition effectif de seulement 23 %. Cela constitue une rupture dans l’histoire des États-Unis qui avec le New Deal de Roosevelt avaient créé un système fiscal véritablement redistributif.
Dans le « Un » Zucman est plus précis :
« C’est comme si vous aviez un impôt proportionnel géant qui devenait dégressif pour les plus riches ! Dans le détail, on a assisté à une détaxation du capital sous toutes ses formes et à une augmentation de l’imposition du travail. Jusque dans les années 1980, l’Amérique avait un impôt sur les sociétés de 50% des taux marginaux sur les dividendes de près de 90%, des taux de succession allant jusqu’à 80% – une taxation du capital beaucoup plus lourde que ce qui a jamais pu exister en France. Aujourd’hui, le produit de l’impôt sur les sociétés est passé de 8% du revenu national à 1% quand les cotisations sociales ont fait exactement le chemin inverse. »
Dans l’émission de France Culture, Gabriel Zucman a dit :
« Si la mondialisation est synonyme d’impôts toujours plus bas pour les grandes entreprises et d’impôts toujours plus élevés pour les petits commerçants, alors cette forme de mondialisation n’a pas d’avenir. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a d’autres formes de mondialisation »
Pour accompagner ce livre, les deux auteurs ont mis au point TaxJusticeNow.org, un site qui permet à chacun de simuler sa propre réforme fiscale et d’en évaluer les implications. Le tout destiné à un large public, afin d’apporter les connaissances nécessaires à un débat démocratique sur l’impôt. Car, montrent-ils, le sentiment croissant de trahison et d’injustice fiscale fait perdre foi en la démocratie, les impôts votés par les représentants du peuple ne cessant d’accroître les revenus d’une minorité favorisée. Il faut, nous disent-ils, inventer de nouvelles institutions fiscales et de nouvelles formes de coopération.
Dans l’émission, il précise qu’ils ne sont pas des conseillers officiels de Bernie Sanders et Elisabeth Warren mais que les deux s’inspirent de leurs travaux.
La grande révolution que préconise Bernie Sanders est de créer un impôt sur la fortune aux Etats-Unis.
Dans l’entretien du « Un », il précise :
« Un impôt sur la fortune qui ferait contribuer les milliardaires à hauteur de leurs revenus : puisque leur fortune croît en moyenne de 8% chaque année, alors Sanders propose un taux d’imposition sur la fortune de 8 % au-delà de 10 milliards de dollars. C’est audacieux mais c’est une manière de répondre à une demande de justice fiscale de plus en plus pressante. ».
Il prétend dans l’émission de France Culture :
« Si on appliquait le programme de Bernie Sanders à la France, cela ne toucherait que les plus riches mais rapporterait 25 milliards, soit 5 fois plus que l’ISF français ancienne mouture. »
Cela n’a en effet rien à voir avec l’ISF à la française qui imposait à partir du seuil de 1,3 millions de d’euros et dont le taux ne dépassait pas 1,5%.
Il faut bien comprendre ce que signifierait la proposition de Bernie Sanders, il veut au-delà d’un certain patrimoine capter la totalité des revenus générés par ce dernier : 8% de revenus, 8% d’impôts.
Cette mesure radicale devrait conduire à ce que les très hauts patrimoines n’augmentent plus ou au moins ralentissent beaucoup leur progression.
Mais pourrait-il être élu avec un tel programme aux Etats-Unis ?
Bill Gates qui avait déclaré son aversion pour Donald Trump, n’a pas exclu de voter pour lui si les Démocrates avaient des propositions fiscales trop extrémistes, c’est-à-dire les propositions de Bernie Sanders.
Et même s’il était élu, pourrait-il mettre en œuvre ce programme ?
Dans le « Un » Zucman défend l’idée qu’il est possible d’augmenter massivement l’impôt sur le capital sans fuite des capitaux :
« Tous ces dirigeants (Thatcher, Reagan, Trump, Macron) ont adopté un discours selon lequel il n’y avait pas d’autres choix possible que celui de baisser les impôts sur le capital. Que la concurrence fiscale allait pousser les grandes fortunes à partir. Que l’imposition des multinationales allait encourager l’exil dans les paradis fiscaux. Et qu’il fallait donc baisser les taux marginaux supérieurs ou supprimer les impôts sur la fortune pour s’adapter à une mondialisation incontrôlable Mais c’est faux et c’est en cela que ce triomphe de l’injustice a des airs de déni de démocratie. C’est une analyse ignorante de ce qu’à pu être la taxation avant les années 1980 et qui porte un diagnostic erroné sur ce que peut être la mondialisation […]
Nous disposons aujourd’hui de traités de libre-échange, mais il n’existe aucune forme de coordination fiscale. Vous avez la possibilité d’avoir un taux d’imposition nul, mais pas celle d’instaurer des barrières douanières ! C’est un choix qui a été fait, mais qui peut être renversé, avec des traités commerciaux qui incluent un volet fiscal »
Il est certain que si les Etats-Unis entraient dans ce type de politique et de traité cela serait plus simple pour les autres. Car je m’interroge quand même sur la capacité d’un pays comme la France d’imposer de telles règles, alors que nous savons qu’à l’intérieur de l’Union Européenne il existe une concurrence fiscale qui n’est pas remis en cause.
Zucman pense aussi qu’il est possible de mettre fin au paradis fiscaux et d’imposer des taux d’imposition sur les très hauts revenus de 60% avec un taux marginal supérieur à 75 %.
La conclusion de son entretien se présente comme positif et volontariste :
« Je suis frappé par les similarités entre la situation actuelle et le Gilded Age, cette période de prospérité de la fin du XIX siècle marquée par une fiscalité régressive, une explosion des inégalités et la constitution de grands monopoles privés. Résultat : au début du XXème siècle il y a eu en quelques années un grand retournement qui a permis de mettre en place le système fiscal le plus progressif au monde. Aujourd’hui, l’émergence de figures politiques comme les démocrates Warren et Sanders aux Etats-Unis laisse penser qu’un autre modèle est possible. Quant à la France, où les prélèvements obligatoires sont déjà élevés, l’enjeu n’est pas de les augmenter encore, mais de sortir de la spirale d’injustice fiscales en échappant au nihilisme actuel : oui, on peut encore agir et renverser la table, à condition d’y mettre un peu de volonté politique. »
Il est certain pour qu’une vraie évolution puisse se réaliser il faut d’abord des théoriciens qui proposent des modèles différents de ceux qui sont à l’œuvre aujourd’hui et il faut ensuit des politiques qui prennent le risque de mettre en œuvre ces méthodes.
Peut-être que les théoriciens sont ces économistes français au pays de Trump et que Bernie Sanders est l’homme politique qui soit en mesure d’être le levier d’action.
La plupart des analystes pensent aujourd’hui qu’il n’a aucune chance de gagner.
Mais depuis l’élection de Trump, l’imprévisible est de rigueur.
Vous pouvez aussi lire cet article d’« Alternatives économiques » : <Gabriel Zucman : « La concentration des richesses pose un problème démocratique »>
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