Vendredi 4 Octobre 2024

« La Neuvième symphonie de Mahler est l’oméga de la Musique. »
Herbert von Karajan

La Phrase complète de Karajan est la suivante :

« La Messe en si de Bach et la Neuvième de Mahler sont l’alpha
et l’oméga de la musique. »

Bien sûr il existe des chefs d’oeuvre écrits avant Bach et d’autres après Mahler, mais Karajan veut montrer un arc qui relie deux piliers sur lesquels repose la musique européenne : le premier une messe catholique écrit par un luthérien et achevé en 1749, le second l’aboutissement de la symphonie romantique créée, le 26 juillet 1912, à Vienne sous la direction de Bruno Walter, un peu plus d’un an après la mort de Gustav Mahler, le 18 mai 1911, à 51 ans.

Mahler avait écrit le premier avril 1910 : « Mise au net, la partition de ma Neuvième est
terminée. ». Il l’avait donc terminé un an avant sa mort, il ne l’a jamais entendue autrement que dans une réduction au piano et dans sa vie intérieure.

Concernant la musique de chambre, j’ai déjà évoqué le disque que j’emmènerai sur une île déserte : « Le quintette en ut pour D. 956. » de Franz Schubert. S’il m’était possible d’ajouter un disque de symphonie je prendrai une interprétation de la 9ème symphonie de Mahler.

Hier nous avons eu la joie d’entendre cette symphonie jouée à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre de Paris, dirigé par son jeune et talentueux directeur musical : Klaus Mäkelä

S’il faut croire André Peyrègne, un critique ayant assisté à ce concert « Symphonie n°9. Orchestre de Paris / Klaus Mäkelä » :

« La Neuvième symphonie de Gustav Mahler fait partie de ces œuvres monumentales que l’on n’entend en concert que deux ou trois fois dans sa vie. »

Si cette assertion est exacte, j’ai déjà rempli mon quota.

J’ai pourtant eu le sentiment que ce monument mystique de l’Adieu se refusait à moi, en concert. Pourtant, le 17 février 2019, l’Orchestre Philharmonique de Vienne était de passage à Lyon et joua cette œuvre à l’Auditorium. Mais, au même moment, avec Annie et Florence, nous étions déjà à la Philharmonie de Paris, pour assister au concert d’une symphonie de Mahler encore plus rarement joué : la symphonie N°8 symphonie « des Mille » qui nécessite des effectifs démesurés. J’avais écrit un mot du jour le lendemain de ce concert : « une hymne à la sacralité de l’univers ».

Une seconde chance nous fut offerte et nous avions pris nos billets pour assister à l’interprétation de la 9eme par l’Orchestre de San Francisco sous la direction de Michael Tilson-Thomas. Mais ce concert devait avoir lieu le 7 avril 2020, temps de la Covid 19 et de confinement. Et finalement, la première fois eut lieu le 16 septembre 2022, le jour où mon frère m’annonça qu’il était atteint de la leucémie qui l’emportera 40 jours après. Gustavo Dudamel était le chef et l’Orchestre était celui dans lequel mon frère a œuvré pendant 15 ans : l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Depuis, Nikolaj Szeps Znaider a interprété cette œuvre avec son orchestre lyonnais, lors de la dernière saison.

 Beaucoup de musicologues ont parlé de la superstition de Mahler concernant la symphonie numéro 9 qui fut la dernière de Beethoven, de Schubert et aussi de Dvorak. Il tenta de biaiser, sa vraie 9ème fut en réalité sa précédente œuvre, mais pour conjurer le sort, il l’appela « Le chant de la terre ». Et puis, il n’avait pas encore totalement finalisé la symphonie qu’il numérota 9, pour commencer la composition de la 10 en 1909. Tout ceci fut vain, seul le premier mouvement de la 10 put être, à peu près, fini et la symphonie qu’il appela 9 fut bien sa dernière œuvre achevée qu’il ne put jamais entendre jouée par un orchestre.

L’œuvre est composée de 4 mouvements, le premier est extraordinaire. Alban Berg écrivit :

« Le premier mouvement de sa Symphonie n° 9 est le plus merveilleux que Mahler ait écrit. Il exprime l’amour de ce monde, pour la nature,le désir d’y vivre en paix, d’en jouir pleinement, jusqu’aux tréfonds de son être, avant que la mort, irrémédiablement,ne nous appelle. »

Mahler est dans une période douloureuse de sa vie. Sa fille ainée est morte suite à une brusque maladie, son médecin vient de lui diagnostiquer une maladie cardiaque très grave et son épouse Alma Schindler dont il se rend compte combien elle compte pour lui, s’éloigne de lui et le trompe. Ce premier mouvement émerge du silence. Bernstein entend, dans ce début, le rythme irrégulier d’un cœur qui bat :

« La première chose qu’on entend dans ce mouvement est une prémonition de la mort sous forme d’un rythme irrégulier qui, j’en suis sûr, est pour Mahler le battement irrégulier de son propre cœur. Son rythme cardiaque l’inquiétait beaucoup. Dans la dernière année de sa vie, il connaissait ce problème cardiaque, et il le nota pour en faire le début de cette symphonie. »

Par la suite ce mouvement passera par toutes les phases des émotions humaines : la tendresse, la colère, la révolte, la nostalgie, l’apaisement. Harnoncourt ou Celibidache ne voulaient pas interpréter Mahler parce qu’ils le trouvaient impudique, il mettait toutes ses émotions dans la partition. Sa fille survivante Anna disait qu’il n’a jamais rien écrit de plus accompli, tout Mahler est dans ce premier mouvement. C’est encore Bernstein qui en parle le mieux :

« Dans ce premier mouvement, c’est surtout un adieu à la tendresse, à la passion, un adieu à l’amour humain. […] Toute la symphonie parle de réminiscences, de nostalgie, de tendresse, de relations personnelles. Au milieu de cette nostalgie attristée, il y a une série d’immenses progressions, des rencontres personnelles qui tantôt marchent et tantôt échouent. Elles sont suivies de renoncements, de retraites, de redditions. Suivis de nouvelles tentatives de se souvenir, de ressaisir, de revivre les moments passionnés de la vie. […] Dès que j’arrive à la fin de ce premier mouvement, avec sa rage tempétueuse et ses aspirations, c’est comme si j’étais à la fin d’un roman de Tolstoï. Il dure près d’une demi-heure. C’est une espèce de « Guerre et Paix », et je suis toujours étonné à l’idée qu’il reste encore trois autres longs mouvements à jouer, dans lesquels Mahler fait de nouveau ses adieux à d’autres aspects de la vie. »

Les deuxièmes et troisièmes mouvements sont des danses pleines de fougues, d’ironies et de futilités. Selon Bernstein la première danse est rustique et la seconde urbaine.

Je dirai que Mahler s’amuse, essaye de se divertir entre l’immense premier mouvement et le sublime adagio final. Pour cet adagio, il vaut mieux encore laisser la parole à Leonard Bernstein qui a tant joué, étudié et aimé la musique de Mahler :

« Le mouvement est à peine discernable. L’espace entre les lignes est immense. C’est ce qui se rapproche le plus dans la musique occidentale de la notion orientale de méditation transcendantale. Mais il n’est pas encore prêt à accepter cette solution, ce « Brahma », ce néant. Et il se cramponne donc de nouveau à la vie avec amertume, ressentiment, passion. Tout au long du mouvement, Mahler alterne entre ces deux tentatives de réalisation spirituelle : l’occidentale et l’orientale. Lorsqu’il s’essouffle dans l’une, il essaie l’autre, et inversement. Il y a une série de progressions, dont la dernière n’aboutit pas. Très courte, elle essaie de les surpasser toutes, mais n’y parvient pas.
Après cela, on a soudain le sentiment qu’il laisse filer. C’est le tournant du dernier mouvement, car c’est à ce moment-là que le monde lui glisse entre les doigts. Il réussit à parvenir à une acceptation heureuse, sereine de la fin de la vie. Et il lâche prise. Et ce moment est l’une des choses les plus remarquables de toute la musique : la dernière page de cette symphonie. Qui arrive avec une étonnante lenteur, une étonnante série de silences. Mais après chacun il essaie de nouveau de ressaisir la vie, de s’y accrocher, et elle glisse de nouveau. Il y a une série de tentatives, de moins en moins réussies. Et finalement il lâche, complètement, de la plus merveilleuse façon, par le silence plus que par les notes.
A la fin du mouvement, il n’y a plus qu’une série de « fils d’araignée » : Un petit fil qui le rattache à peine à la vie. Et puis qui lâche, et puis un autre petit fil, juste un la bémol aigu, et il finit, et c’est le silence. Et finalement, l’acceptation, et tout s’éteint. »

Ces pianossimos finaux que Claudio Abbado expliquait à ses musiciens par l’image suivante : « le bruit que fait la neige qui tombe sur de la neige ».

La symphonie a émergé du silence et retourne dans le silence, après être passé par des chemins tortueux de violence, de chaos, de méditation et de tendresse. Si le coeur vous en dit Gil Pressnitzer, sur le site Esprits Nomades analyse longuement cette symphonie de l’adieu et de la plénitude : « L’abîme des abîmes »

Que dire de l’interprétation de Klaus Mäkelä du haut de ses 28 ans ?

D’abord on est frappé une nouvelle fois par la symbiose incroyable qu’il est parvenu à créer avec son Orchestre de Paris qu’il va quitter en 2027 pour devenir le directeur musical de deux orchestres qui se trouvent dans le Top 5 au niveau mondial : L’orchestre du ConcertGebouw d’Amsterdam et le Chicago symphony Orchestra.

Ensuite, j’ai été ému et j’ai aimé par ce concert.

Les critiques ont été partagées. Le magazine Diapason a été déçu « Une claudicante Neuvième de Mahler par Klaus Mäkelä ». Le site ResMusica est dans le même esprit :« un beau témoignage orchestral, malheureusement dénué d’émotion, d’intériorité et de continuité. ».

André Peyrègne, déjà cité, est d’un avis opposé « On eut droit à une interprétation étourdissante, bouleversante, mémorable de cette œuvre hors du commun. ». Le plus drôle est Loïc Céry qui non seulement encense Klaus Mäkelä « Une version magistrale de la Neuvième Symphonie de Mahler par l’orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä jeudi 3 octobre », en outre, critique les deux premiers critiques avec un argumentaire solide et structuré.

Pour ma part, sur le site de Diapason j’ai plus simplement répondu à la première critique par ces mots :

« j’ai beaucoup aimé. Évidemment que dans 40 ans, il jouera autrement ce monument, cet Omega de la musique selon Karajan. Il aura alors 68 ans et je ne serai plus en état de l’entendre.
Alors je suis très heureux et comblé d’avoir pu entendre ce que du haut de ses 28 ans, Klaus Mäkelä pouvait faire résonner de cet œuvre d’adieu, de mort et de beauté.
Il a su donner des moments sublimes dans l’adagio, mais aussi la fin du premier mouvement qui fut un moment de grâce. Et il n’y a jamais eu des moments de vide, tout était habité et intéressant.
Il a eu raison d’interpréter cette oeuvre à ce stade de son développement artistique et humain.
J’étais rempli de beauté et d’émotion à la fin de ce concert.
Et rien ne m’empêche en rentrant d’écouter sur ma chaîne d’autres interprétations : Giulini, Walter a quelques mois de sa mort, Karajan, Klemperer ou Sinopoli et tant d’autres…. Abbado par exemple…
Cette œuvre est si riche et si intense qu’elle autorise beaucoup de regards différents.»

Au cours des années, beaucoup d’enregistrements remarquables ont été publiés. Faire un choix est très subjectif.

Sur internet vous trouverez de nombreuses interprétations de cette 9ème symphonie, mais toujours avec cette contrariété absolue d’interruption de la musique par de la publicité, contrepartie de la gratuité.

Si vous passez outre ce sacrilège, vous pouvez visionner le dernier concert, en tant que directeur musical, sur une page coréenne, de Seiji Ozawa à la tête du Boston Symphony Orchestra dans le Boston Symphony Hall, le 20 avril 2002.

Seiji Ozawa fut le directeur musical de cet orchestre durant près de trente ans, de 1973 à 2002.

« Mahler – 9 – Boston Symphony – Seiji Ozawa – 20 avril 2002 »

Mardi 23 juillet 2024

« Une lumière si tendre qu’elle semble s’adresser aux morts plus qu’à nous. »
Christian Bobin « Ressusciter »

C’était un immense cadeau que nous nous offrions l’un à l’autre : du temps.

Deux fois par an, l’été et l’hiver, Fabien et moi convenions d’un jour : un vendredi, d’un lieu : un restaurant pour nous offrir ce qu’un être humain a de plus précieux : du temps de vie.

La dernière fois où nous avons eu cet échange à deux, ce fut au restaurant Bulle qui est situé juste à côté de la basilique de Fourvière.
La qualité du repas était importante, mais n’était pas principale.

Le cadre, l’écrin du dialogue, était plus essentiel.

A la fin du repas, comme nous avions prélevé 1/2 journée sur notre portefeuille de congé, nous nous accordions encore le reste de l’après-midi, pour continuer la discussion en marchant et en finissant par nous asseoir à la terrasse d’un café.

Nous parlions de tout, de politique, d’économie, d’Histoire, des relations humaines, de la santé, des idées et de la vie.
Et puis nous parlions aussi de notre finitude, la mort s’invitait à notre dialogue.

Surtout depuis un épisode qu’il avait vécu.

Le 30 novembre 2018, notre rendez-vous avait eu lieu au Restaurant « Les téléphones » situé rue Radisson dans le 5ème arrondissement de Lyon, près des ruines romaines.
Quelques semaines plus tard, en plein déjeuner, lors de la pause méridienne professionnelle, Fabien s’est écroulé victime d’un arrêt cardiaque.

Un collègue, initié dans cette technique, a immédiatement pratiqué des massages cardiaques pendant que d’autres appelaient le SAMU.
Il fut sauvé !

Lors de notre rencontre suivante, il eut ce mot :

« Je suis mort, mais j’ai ressuscité ! »

Il faut croire qu’on ne peut ressusciter qu’une fois.
Fabien a quitté définitivement la communauté des vivants le 20 juillet 2024, il avait 62 ans.

« Ressusciter » est un verbe particulier, il se conjugue à la fois avec l’auxiliaire être et avec l’auxiliaire avoir et il est surtout l’apanage d’une grande communauté de croyants qui racontent une histoire dans laquelle un homme, mais qui dans ce récit était aussi un dieu, est ressuscité, le 3ème jour après sa mort.

Christian Bobin a écrit un ouvrage en 2001 qui a pour titre « Ressusciter », on peut y lire ces mots dont j’ai extrait l’exergue du mot du jour.

« Il y a ce matin sur les arbres, les murs et dans le ciel, une lumière si tendre
qu’elle semble s’adresser aux morts plus qu’à nous.
à moins que ce ne soient les morts qui nous l’envoient,
comme on écrit une lettre rassurante à des parents un peu inquiets. »
« Ressusciter » Page 79 dans la version Folio

La dernière fois que nous nous sommes vus c’était le 17 mai, Pierre s’était joint à nous. Fabien se plaignait bien de quelques douleurs mais il ignorait alors qu’un cancer terriblement agressif était à l’œuvre. La médecine s’est révélée impuissante à stopper le mal.

Nos agapes et nos causeries fécondes nous éloignaient parfois de Lyon comme ce vendredi de juin 2020, au milieu de deux confinements, où notre lieu de rencontre se situait à Ville-sur-Jarnioux, dans la petite région appelée « Pierres dorées ».

Il venait de découvrir ce petit restaurant plein de charme : « L’Auberge de la place » situé 7 route de Theizé.
Cette fois-là, après le restaurant, nos pas nous ont amené à Chasselay.

7 jours auparavant, j’avais écrit un mot du jour sur «Le Tata sénégalais de Chasselay» parce que 80 ans plus tôt, le 20 juin 1940, des soldats allemands de la Wehrmacht et non des SS comme on l’a cru pendant longtemps, ont assassiné des soldats français parce qu’ils avaient la peau noire et qu’ils avaient résisté avec force et courage à l’armée blanche des bons aryens

Dans ce mot du jour j’expliquais que « Tata » signifie enceinte fortifiée en Afrique. L’édifice, entièrement ocre rouge, est constitué de pierres tombales entourées d’une enceinte rectangulaire de 2,8 mètres de hauteur. Son porche et ses quatre angles sont surmontés de pyramides bardées de pieux. Le portail en claire-voie, en chêne massif, est orné de huit masques africains.
On a fait venir de la terre de Dakar par avion, pour la mélanger à la terre française.

188 tirailleurs « sénégalais » ainsi que six tirailleurs nord-africains et deux légionnaires (un Albanais et un Russe) y sont inhumés. Nous nous sommes rendus, plein d’émotion, dans ce lieu de mémoire.

L’Histoire était un de nos sujets de discussion préférés. Fabien lisait énormément, c’était un puits de culture.

Au début de notre rencontre, lors des pauses méridiennes de notre service, Fabien m’étonnait par l’étendue de son savoir qu’il présentait avec assurance mais sans aucune arrogance.

J’étais tellement interpellé qu’après la pause j’allais vérifier ses dires, c’était quasi toujours parfaitement exact. Quand il y avait quelques imprécisions, il pouvait s’expliquer facilement par de petites confusions jamais essentielles. Il reconnaissait d’ailleurs facilement ces quelques erreurs minimes.

Un collègue Louis B. avait eu cette description, finalement assez juste :

« Fabien, c’est ce collègue qui, alors que tu lui demandes l’heure, te narre l’histoire de l’horlogerie »

Mais Fabien était bien plus que cela.Il était d’une profonde humanité et ce que nous échangions ce n’était pas essentiellement nos savoirs mais bien davantage ce que nous avions appris et continuions d’apprendre de la vie.

Après le mot du jour, dans lequel je laissais entrevoir une aggravation de mon état de santé, je lui envoyais un message pour l’inciter à rapidement fixer une date de rencontre car je lui disais que nous ne savions pas combien de rencontres nous pourrions encore nous offrir.

Il m’a alors répondu par ce message :

« Comme tu l’as exprimé dans ton mot du jour du 21 janvier sur « l’attente », la solitude et le silence peuvent être habités.
J’ai ressenti ce mot du jour dans toute sa profondeur comme tu l’auras sans doute deviné, une profondeur qui s’inscrit certes dans mais aussi au-delà de nos histoires et trajectoires personnelles et nous renvoie à l’humaine condition, c’est à dire à l’essentiel.

Si « La solitude et le silence peuvent être habités  » c’est aussi en partie parce que les mots ne permettent pas toujours d’exprimer avec exactitude la complexité de ce que nous ressentons …

Cher Alain, nous n’allons pas pour autant sacrifier au culte de la vitesse et tu comprendras que je me refuse tout particulièrement à évaluer le nombre de repas qu’il nous resterait à partager  faisons comme nous le ressentons.

Comme d’habitude, pour le choix du lieu de nos agapes, je m’en remets lâchement et pleinement à ton choix, ..aussi propose moi ( et c’est un ordre ! ) une prochaine date de rencontre. Il n’appartient qu’à nous de faire de ces moments de vrais moments d’amitié et de liberté. »

Tous ceux qui l’ont connu, ont apprécié sa bonhomie, sa bienveillance, sa rectitude. Il était de ceux à qui on pouvait toujours faire confiance, on savait que cette confiance était entre de bonnes mains.

Il savait écouter avant de parler.

Nous n’étions pas toujours d’accord, mais nous savions accepter nos désaccords et aussi évoluer à cause de l’argumentation de l’autre.

Fabien était mon collègue.

Il est devenu mon ami, un ami précieux, un ami qui fait progresser.

Nous n’irons plus ensemble dans tous ces restaurants comme « l’Étage » place des terreaux auquel on accède après avoir monté un escalier d’un autre temps.

Le serveur à l’humour « pince sans rire » nous révélait qu’il était encore plus difficile à descendre qu’à monter et que parfois après des repas arrosés, des convives descendaient très vite en roulant plutôt qu’en marchant.

Photo prise en décembre 2021 après notre repas à l’Artichaut, je prends en photo Fabien en train de prendre une photo de la basilique d’Ainay

Ou encore « l’Artichaut » qui se situe à côté de la merveilleuse Basilique d’Ainay, endroit qui incite au recueillement, à la méditation.

C’est lors de ce repas que Fabien m’a parlé de Jules Supervielle et comme un moment, hors du temps, m’a récité, d’un trait, ce poème :

« Encore frissonnant
Sous la peau des ténèbres
Tous les matins je dois
Recomposer un homme
Avec tout ce mélange
De mes jours précédents
Et le peu qui me reste
De mes jours à venir.
Me voici tout entier,
Je vais vers la fenêtre.
Lumière de ce jour,
Je viens du fond des temps,
Respecte avec douceur
Mes minutes obscures,
Épargne encore un peu
Ce que j’ai de nocturne,
D’étoilé en dedans
Et de prêt à mourir
Sous le soleil montant
Qui ne sait que grandir. »

J’en avais fait l’objet du mot du jour du 23 décembre 2021.

Il reste la richesse de tout ce que nous avons échangé, des souvenirs à jamais dans mon cœur de vivant.

« J’écris pour me quitter,
aussi pour inventer une maison pour les vivants,
avec une chambre d’amis pour les morts »
Christian Bobin, « Ressusciter » Page 83 dans la version Folio

Mardi 24 octobre 2023

« Le voyage à Nantes. »
Souvenir personnel d’il y a un an lundi 24 octobre 2022

Le voyage à Nantes est pour les nantais un concept touristique.

Le Voyage à Nantes est d’abord un organisme touristique chargé de la promotion via la culture de la destination de Nantes, créé en 2011 sous la forme d’une société publique locale.

C’est ensuite un parcours pérenne d’une cinquantaine d’étapes, dans la ville de Nantes, matérialisé par une ligne verte tracée au sol qui conduit le visiteur d’une œuvre originale d’un artiste d’aujourd’hui à un monument du patrimoine, célèbre ou méconnu.

Pour un grand nombre de français, le voyage de Nantes fait songer à une chanson bouleversante de Barbara.

Une chanson d’Adieu.

D’adieu à son père incestueux.

Elle entreprit le voyage à Nantes pour le rencontrer une dernière fois avant qu’il ne meure.

Mais elle n’est pas arrivée à temps.

Le titre exact du voyage à Nantes est simplement « Nantes ».

Il pleut sur Nantes
Donne-moi la main
Le ciel de Nantes
Rend mon cœur chagrin
Un matin comme celui-là
Il y a juste un an déjà
La ville avait ce teint blafard
Lorsque je sortis de la gare
Nantes m’était alors inconnue
Je n’y étais jamais venue
Il avait fallu ce message
Pour que je fasse le voyage
Madame soyez au rendez-vous
Vingt-cinq rue de la Grange aux Loups
Faites vite, il y a peu d’espoir
Il a demandé à vous voir
À l’heure de sa dernière heure
Après bien des années d’errance
Il me revenait en plein cœur
Son cri déchirait le silence
Depuis qu’il s’en était allé
Longtemps je l’avais espéré
Ce vagabond, ce disparu,
Voilà qu’il m’était revenu
Vingt-cinq rue de la Grange aux Loups
Je m’en souviens du rendez-vous
Mais j’ai gravé dans ma mémoire
Cette chambre au fond d’un couloir
Assis près d’une cheminée
J’ai vu quatre hommes se lever
La lumière était froide et blanche
Ils portaient l’habit du dimanche
Je n’ai pas posé de questions
À ces étranges compagnons
J’ai rien dit, mais à leur regard
J’ai compris qu’il était trop tard
Pourtant j’étais au rendez-vous
Vingt-cinq rue de la Grange aux Loups
Mais il ne m’a jamais revue
Il avait déjà disparu
Voilà tu la connais l’histoire
Il était revenu un soir
Et ce fut son dernier voyage
Et ce fut son dernier rivage
Il voulait avant de mourir
Se réchauffer à mon sourire
Mais il mourut à la nuit même
Sans un adieu, sans un je t’aime,
Au chemin qui longe la mer
Couché dans le jardin de pierres
Je veux que tranquille il repose
Je l’ai couché dessous les roses
Mon père, mon père
Il pleut sur Nantes
Et je me souviens
Le ciel de Nantes
Rend mon cœur chagrin

Pour moi, aujourd’hui, « le voyage à Nantes » est le trajet en train que j’ai entrepris, il y a un an, lundi 24 octobre 2022, avec Annie.

Mon but était de voir encore une fois mon grand frère, avant qu’il ne soit trop tard.

Les nouvelles étaient mauvaises. 40 jours auparavant Gérard m’avait appris qu’il était atteint d’une leucémie aigüe. Mais lors du weekend, les médecins avaient brusquement donné le signal de l’urgence absolue.

Alors, avec Annie nous avons pris le TGV pour Nantes à 15:30 avec une arrivée prévue à 19:50.

A 16:50, ce TGV va s’arrêter en pleine voie, une panne électrique en est la cause.

Il sera toujours arrêté quand à 17:25, Gérard expira pour la dernière fois.

Son fils Gregory m’a tout de suite informé :

« Papa vient d’avoir son dernier souffle. »

C’était mon Grand Frère, puisque lui m’appelait toujours, alors que j’avais 60 ans passé, « mon petit frère ».

Il est vrai que 11 ans nous séparaient.

Le train arrivera à Nantes à 22:10 avec 2h20 de retard


« La vie est une drogue.
La mort est son sevrage qui nous rend plus jeunes encore qu’au berceau où nous sommes saturés de gloires.
Il y a deux forces inépuisables dans le monde, celle des nouveau-nés et celle des morts.
Le seul fait de vivre, d’être jeté au monde, comme on est jeté aux chiens, nous crée un devoir envers ceux qui nous ont précédés sur ce chemin, sous cette charmille, dans ce cyclone.
Les morts nous ont menés, siècle après siècle, au rivage de la vie. Nous leur devons bien un peu de lumière.
Être dignes d’eux, ne pas abîmer ce qu’ils n’ont plus.
Nous avons le devoir d’enchanter le bout de tissu que nos doigts de nouveau venu serraient au fond du berceau.
Ce tissu est la vie entière, légère, froissable. »
Christian Bobin, « Le muguet rouge » page 40

Bobin l’enchanteur est mort le 23 novembre 2022, soit trente jours après mon grand frère

<1770>

Vendredi 11 août 2023

« Charlotte et moi. »
Olivier Clert

Aujourd’hui, je vais parler d’une bande dessinée en trois tomes que je viens de lire : « Charlotte et moi »

C’est une Bd plutôt de jeunesse, mais qui peut se lire à tout âge.

Les éditions « Makaka » qui publient ce livre écrivent malicieusement qu’elle est à destination de lecteurs de « 10 à 109 ans ».

J’aurais dû lire ces 3 livres depuis longtemps, puisque le tome 1 est paru en novembre 2016 et que le tome 3 a été publié en septembre 2018.

Pourquoi aurais-je du lire ces 3 livres depuis plusieurs années ? C’est ce que je vais narrer dans la suite de ce mot du jour.

Mais je voudrais d’abord dire que j’ai été conquis par cette BD pleine de sensibilité, d’humanité et aussi de rebondissements qui rendent sa lecture à la fois agréable et pleine d’intérêt jusqu’au bout de l’Histoire.

Son auteur qui a écrit le texte et dessiné les personnages présente cette histoire dans <Ouest France> de la manière suivante :

« [C’est l’histoire] d’un petit garçon, Gus, dont les parents divorcent. Il part vivre avec sa mère dans un petit immeuble de province. Il n’a pas envie. C’est juste avant la rentrée des classes et il s’ennuie. Il se met à observer les habitants de son immeuble. En particulier Charlotte, une grosse bonne femme timide qui ne parle pas, lui fait un peu peur et sur laquelle ragotent les gens du village. Il l’espionne. Cette BD, c’est l’histoire de Gus, de Charlotte et des gens de leur immeuble. Avec un effet domino : les actions des uns ont des conséquences sur la vie des autres. »

En faisant une recherche sur le site des bibliothèques de Lyon j’ai pu constater que les 3 Tomes étaient présents dans 10 des 16 établissements de la ville et que 5 de ces 10 exemplaires sont empruntés actuellement.

Cela donne la double preuve que les administrateurs de la bibliothèque de Lyon ont beaucoup aimé la série et que les abonnés de la bibliothèque l’apprécient toujours, 5 ans après sa sortie.

Sur ce <Site> j’ai trouvé cet avis qui fait écho avec ce que j’ai ressenti à la lecture de ces pages qui racontent une histoire de quête :

« Cette bande dessinée en 3 tomes est une merveille de tendresse, d’humour et d’aventures. […] La rencontre entre ces deux êtres sera pourtant le point de départ d’une aventure extraordinairement émouvante, autour d’une quête commune : celle des origines. Leur amitié se construira peu à peu, nous donnant l’envie de croiser le chemin d’une Charlotte et d’un Gus, un jour ou l’autre… Mention spéciale pour le dessin, la colorisation et le fourmillement de petits détails auxquels prêter attention, notamment au niveau des transitions entre les scènes.
Ode au vivre-ensemble et à la lutte contre les préjugés, voici une BD à mettre entre toutes les mains. »

Mais l’histoire que je veux partager et qui s’entremêle avec celle de Gus et de Charlotte a commencé au milieu des années 1990.

Je travaillais alors dans l’administration centrale d’une Direction qui n’existe plus depuis 2008 et qui était la Direction Générale des Impôts. Mon bureau était situé au cinquième étage, du bâtiment Turgot, celui qui était le plus loin des bureaux des Ministres et le plus proche de la gare de Lyon.

Mon bureau était juste à côté des ascenseurs, facilement accessible et ma porte était toujours ouverte.

Ce devait être en avril ou mai, nous étions à la fin de la journée, André est venu me rendre visite après une réunion à laquelle je n’avais pas assisté. Pendant notre discussion qui fut assez longue dans mon souvenir, le soleil s’était couché lentement, les fenêtres étaient orientées sud-ouest.

La lumière chaude nous enveloppait et rendait ce moment inoubliable, c’est pourquoi son souvenir ne m’a pas abandonné.

André était mon ainé de douze ans. Le travail commun nous avait rapproché, il y avait de l’affection parce que nous nous reconnaissions mutuellement la capacité de nous écouter, la volonté de nous comprendre et d’aboutir à une solution qui nous convenait à tous les deux et que nous pourrions défendre devant notre hiérarchie. Il était responsable d’une équipe d’informaticiens et moi je représentais la maîtrise d’ouvrage qui écrivait les cahiers des charges et exerçait la recette des applications c’est-à-dire leur réception et leur test.

La confiance et surtout l’écoute de l’autre permet de passer à un autre niveau de dialogue, plus engageant et qui touche davantage l’intime.

Nous parlions de nos enfants, mais les miens étaient encore dans leurs toutes premières années.

André Clert était particulièrement préoccupé par son fils qui était dans l’année de son baccalauréat et qui ne travaillait pas assez pour la réussite de cet examen selon les critères de son père. Il me disait et je sentais une angoisse dans sa voix :

« Tu comprends Alain, il trouve beaucoup plus important de dessiner toute la journée. Il s’est pris de passion pour les dessins animés et la bande dessinée. J’essaie de lui expliquer de travailler pour son Bac et puis de dessiner après. »

Et il a ajouté cette phrase qui m’est resté :

« Nos enfants et nous les parents n’avons décidément pas les mêmes priorités ! »

Après mon départ de Paris pour Lyon et même après sa retraite nous avons continué à échanger par courriel.

Et puis le 21 novembre 2016, j’ai reçu, avec d’autres, un message provenant de l’adresse courriel d’André, mais ce n’était pas lui qui écrivait :

« C’est avec une immense tristesse que je vous annonce le décès brutal d’André survenu samedi soir dans un restaurant de Toulouse où nous étions pour quelques jours.

Un séjour pour circuler dans Toulouse où il a fait ses études et qu’il aimait beaucoup, et aussi pour aller à un festival de bandes dessinées où notre fils Olivier dédicaçait sa bande dessinée qui vient d’être publiée (il en était heureux et fier).

Nous avions passé une merveilleuse journée…

Malgré une retraite pleine d’occupations, il ne vous a pas oubliés et nous gardons un excellent souvenir de nos années parmi vous. »

André est donc décédé le 19 novembre 2016, le Tome 1 de « Charlotte et moi » était paru exactement le 4 novembre 2016.

Le tome 2 paru en avril 2018, porte cette simple dédicace : « Pour mon père »

Dans l’article d’Ouest France déjà cité, Olivier Clert expliquait en 2017 les différentes facettes de son activité professionnelle :

« J’ai 36 ans et je vis à Paris. J’ai toujours dessiné. Après le lycée, j’ai fait une fac d’arts plastiques et préparé le concours de l’école des Gobelins. Je me suis formé au film d’animation, notamment en participant à un court-métrage collectif de fin d’études, Blind Spot. Je me suis occupé de l’histoire et de la mise en scène. J’ai ensuite travaillé comme animateur sur plusieurs longs-métrages comme Un monstre à Paris […]

Être storyboarder, c’est travailler sur le script des réalisateurs et en faire une BD du film. »

Et il raconte comment est né la BD :

« J’ai eu une fenêtre entre deux projets d’animation. J’ai commencé Charlotte et moi, puis je l’ai proposée à des éditeurs.

[… J’ai des idées de BD mais très vagues : il faut que je plonge dedans. En dessin animé, je travaille sur Klaus (paru en 2019). Faire un film, c’est très long : environ cinq ans. On est nombreux à travailler : cela permet à la fois une émulation intéressante, c’est pour ça qu’il y a souvent beaucoup de gags et de trouvailles visuelles, mais ça peut aussi être très laborieux car on est beaucoup. Alors que quand on fait une BD, on est seul, on dessine et ça peut aller vite. C’est la façon la plus simple de raconter une histoire. Ça tombe bien, c’est mon métier ! »

Gus et Charlotte qui ont vécu beaucoup d’aventures ensemble, vont se quitter, avant la fin du Tome 3 parce que Charlotte va continuer sa quête seule, loin de France.

La manière dont Olivier Clert dessine cet instant me fait revenir en mémoire la parole d’Eleanor Roosevelt l’épouse du Président Franklin D. Roosevelt :

« The future belongs to those who believe in the beauty of their dreams.
– L’avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves. »

<1756>

Mercredi 01 février 2023

« Jubilación »
Mot espagnol invitant à l’euphorie

Ce 1er février 2023 est mon premier jour de retraite.

C’est un drôle de nom que celui de « retraite ».

La première définition que j’avais comprise, dans ma jeunesse, de ce mot était sa réalité militaire : « battre en retraite ». Autrement dit fuir devant l’adversaire, abandonner le champ de bataille, abandonner la position.

Il existait des retraites en bon ordre de généraux ingénieux qui évitaient ainsi une défaite. Mais le plus souvent « retraite » était synonyme de « fuite », « débâcle », « débandade » « déroute ».

Dans la Lorraine de mon enfance et plus précisément le bassin houiller lorrain, il n’était pas question de « retraité » mais de « pensionné », celui qui touchait une pension.

C’était assez clair dans mon esprit : un salarié touchait un salaire, un pensionné touchait une pension.

Dans les cours de religion, on parlait d’une autre retraite, la « retraite spirituelle » pour s’éloigner du tumulte de la vie séculaire et commerçante.

Quand on se tourne aujourd’hui vers le « Larousse » il est clair que la première définition du mot retraite et la deuxième aussi, correspond à ma réalité d’aujourd’hui.

« 1. Action de se retirer de la vie active, d’abandonner ses fonctions ; état de quelqu’un qui a cessé ses activités professionnelles : Prendre sa retraite.

2. Prestation sociale servie à quelqu’un qui a pris sa retraite : Toucher sa retraite. »

Puis on arrive à la retraite spirituelle et une déclinaison :

« 3. Période où l’on se tient loin des préoccupations profanes pour se recueillir ; lieu où se déroulent ces exercices.

4. Lieu où quelqu’un se retire pour vivre dans le calme, la solitude, ou pour se cacher : Un appartement qui a servi de retraite à un fugitif. »

Il faut arriver au rang 5 pour parler d’une armée en retraite :

« 5. Marche en arrière d’une armée qui ne peut se maintenir sur ses positions. »

Et puis il y a des cas spécifiques :

« Bâtiment

6. Diminution donnée à l’épaisseur d’un mur, étage par étage, à mesure que l’on s’élève.

Militaire

7. Signal (sonnerie de clairon, batterie de tambours) marquant la fin d’une manœuvre ou d’un tir.

Vénerie

8. Sonnerie de trompe qui marque la fin de la chasse. »

Dans « le Robert » l’ordre n’est pas le même on commence par la retraite militaire.

Mais le juge de paix est le vieux « Littré » dont la première définition est : « Action de se retirer. ». Si vous voulez en savoir davantage voici le lien : https://www.littre.org/definition/retraite

Si on s’intéresse à l’étymologie du mot retraite on constate qu’il est formé de deux mots :

  • du préfixe re, retour en arrière
  • et du latin trahere, tirer, traîner, tracter

Et c’est donc le Littré qui commence par expliquer que c’est l’action de se retirer qui semble le plus proche de cette origine.

Mais comment appelle t’on la « retraite » des salariés dans les autres langues ?

En anglais, il s’agit toujours de se retirer : « retirement ».

L’italien semble plutôt utiliser « pensione».

Alors que l’allemand utilise « Ruhestand » ce qui signifie, en version littérale, Position (stand) de Repos (Ruhe).

Mais c’est ma belle-sœur Josiane qui m’a appris que l’espagnol utilisait un terme à la consonance. étonnante.

J’ai quand même voulu vérifier auprès du meilleur traducteur en ligne « DeepL »

Et pas de doute, l’espagnol utilise bien le mot « Jubilación »

Alors je suis bien incapable de produire l’exégèse de ce mot en espagnol.

Toutefois cette langue comme la langue française sont des langues latines.

Or l’excellent dictionnaire du CNRS nous apprend que « jubilation» vient du latin jubilaciun « chant d’allégresse » (Psautier Oxford, éd. F. Michel, p. 127 [= Psaume 88, 16])

Et à la fin du XIVème siècle on trouve :

«  « réjouissance, joie vive » (Roques t. 2, 6319 : iubilacio, cionis jubilacion. c’est chançon joieuse. grant joie). Empr. au lat.jubilatio « cris », lat. chrét. « cris, chants, retentissement d’un instrument de musique (exprimant la louange, la joie, le triomphe; Vulgate, Psaumes 88, 16 et 150, 5) », dér. de jubilare (jubiler*). »

Il me semble donc qu’il faut bien entendre ce mot comme jubilatoire.

Si un peu d’Histoire ne peut nuire, il faut rappeler que le système de retraite français est mis en place à la Libération par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 qui instituent la Sécurité sociale.

Les pères de cette réforme furent Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947 et Pierre Laroque , Haut fonctionnaire.

J’avais évoqué ces deux visionnaires de l’État social dans un mot du jour de 2016 en mettant en exergue une phrase d’Ambroise Croizat :

« Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain »

Mais il semble que l’ancêtre de tous les régimes de retraite français est « La Caisse des Invalides de la Marine Royale ». Le ministre des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673.

Donc finalement, en un mot et en conclusion : Jubilation !

<1730>

Dimanche 15 janvier 2023

« Maman »
Terme affectueux dans le langage de l’enfant et dans celui de l’adulte pour désigner sa propre mère

Maman est un nom doux, un nom tendre.

Revienne les souvenirs de l’enfance, on tombait et on se faisait mal, le nom de « Maman » sortait naturellement de la bouche. La tristesse trouvait sa consolation quand Maman prenait son enfant dans les bras.

Brassens, chanteur iconoclaste qui écrivait le plus souvent des paroles drues et provocantes est devenu tout doux en l’évoquant

« Maman, maman, je préfère à mes jeux fous
Maman, maman, demeurer sur tes genoux
Et, sans un mot dire, entendre tes refrains charmants »

Le dictionnaire du CNRS donne la définition suivante de « Maman » :

« [Souvent employer comme appellatif affectueux] Mère, dans le langage de l’enfant et dans celui de l’adulte pour désigner la mère de famille, sa propre mère ou celle qui en tient lieu. »

Et Jean Pruvost écrit dans le <Figaro> :

Issu du grec et du latin «mamma» qu’on retrouve dans «mammifère» et «mamelle», s’installe aussi dans notre langue son synonyme très affectueux et somme toute premier dans le langage enfantin: «maman». Attesté par écrit dès 1256, il entre aussi dans nos tout premiers dictionnaires, par exemple en 1680 dans le Dictionnaire françois de Pierre Richelet, avec une orthographe surprenante : m’aman, orthographe qui démarque bien la nature de ce mot, d’abord propre aux enfants.

On raconte que dans les tranchées de 14-18, les rugueux soldats appelaient « Maman » quand ils étaient gravement blessés ou trop angoissés, comme un enfant qui appelle « Maman » car elle est forcément la solution.

Après la mort de sa mère Albert Cohen a écrit « Le livre de ma mère » dans lequel il a eu cette phrase :

« Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles. »

C’est pourtant l’expérience de la vie, quand l’ordre des choses est respecté, la mère décède avant ses filles et ses fils.

Et dans l’immense majorité des cas, ce moment est une déchirure : la perte de l’être humain qui nous a porté et mis au monde.

Mais avant de devenir Maman, il faut d’abord qu’une précédente Maman la fasse naître.

Il y a 100 ans : le lundi 15 janvier 1923, une fille est née dans le foyer de Franziska Kordonowski et Vincent Tettling, tous deux de nationalité polonaise.

35 ans après elle deviendra ma maman.

A 24 ans elle est devenue Maman en mettant au monde mon frère Gérard. Entre temps, elle deviendra aussi la maman de Roger à 26 ans.

Son acte de naissance révèle qu’elle est née le 15 janvier 1923 à 10h30 du matin à Essen III.

Essen est une ville allemande de la Ruhr du Land : Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Essen est divisée en subdivision administrative et la partie III se situe selon Wikipedia à l’Ouest de la ville.

L’acte de naissance précise aussi que son père est mineur, c’est-à-dire travaille à la mine.

Sa mère est née à Warmhof en Pologne le 15 juin 1898.

Mais en 1898, l’Etat polonais n’existait pas, n’existait plus.

En 1898, cette ville qui porte aujourd’hui le nom polonais de Ciepłe, était intégrée à l’empire de Russie.

Selon l’acte, du 1er juillet 1947, de naturalisation française du père, ce dernier est né le 11 janvier 1894 à Osin en Pologne. Pour les mêmes motifs cette ville ne se situait pas en Pologne en 1894, mais aussi dans l’Empire de Russie.

Je n’ai pas trouvé Osin sur Internet, j’ai trouvé deux villes polonaises d’aujourd’hui qui ont respectivement comme nom Osina et Osiny.

La Pologne renaît après la guerre 1914-1918, comme le racontait le mot du jour du <15 novembre 2018> et à partir de cet instant mon grand-père et ma grand-mère sont devenus, de plein droit, des citoyens polonais et disposaient d’un passeport polonais.

L’acte de naissance de ma mère donne une autre précision : l’adresse de ses parents : Gewerkenstraße au numéro 56.

Cette adresse existe toujours et Google nous permet de la visualiser en aout 2008.

A cette époque, dans les milieux populaires les femmes accouchaient à leur domicile.

La seconde guerre mondiale ayant détruit la plus grande partie des villes allemandes, rien ne permet d’affirmer que cette maison est celle où est née ma mère : Anne Tettling, le 15 janvier 1923. Mais c’est en ce lieu, dans la maison qui s’y trouvait à cette date.

Elle ne restera pas longtemps en Allemagne.

Immédiatement après la création de l’État de Pologne, une convention franco-polonaise fut signée le 3 septembre 1919 pour favoriser l’arrivée de milliers de Polonais dans le Bassin minier Nord-Pas de Calais. Par suite cette convention s’appliqua pour d’autres bassins d’emplois en France. Mon grand-père qui avait travaillé dans les mines de charbon de la Ruhr jusque-là, va profiter de cette convention pour venir dans cette même année 1923 travailler pour les Houillères du Bassin de Lorraine.

Il s’installera avec sa famille dans la petite ville de Stiring-Wendel où habitait mon père et sa famille.

Elle deviendra française par son mariage en 1947.
Mais auparavant elle va aller à l’école française. Ses parents sont très catholiques et ils ne vont pas l’envoyer à l’école Publique mais dans une institution religieuse : « Le Pensionnat de la Providence de Forbach ». Elle y restera le temps de l’école élémentaire et se verra attribuer le Certificat d’Études Primaires Élémentaires le 18 juin 1935.

Ce qu’il y a de remarquable c’est que ma mère écrivait sans jamais faire une faute de grammaire. Elle écrivait au même niveau d’excellence, l’allemand sans erreur.

Elle fut d’ailleurs embauchée comme secrétaire dans l’antenne locale du grand journal régional : « Le républicain Lorrain » C’est de cette époque, il me semble, que date cette photo avec la bicyclette.

Elle vivait dans un monde populaire un peu rude dirigé par le père de famille.

Sa maman comme elle, aimaient lire, ce à quoi s’opposait le père ouvrier pour qui il était inconcevable que des femmes perdent du temps à cette activité de loisir, selon lui.

Peut être craignait-il aussi qu’une femme cultivée ne s’émancipe.

Je reste persuadé que ma mère aurait pu continuer à faire des études et aspirer à un tout autre destin social.

Mais cette époque ne le permettait pas, il fallait préparer les femmes à devenir femme au foyer et mère de famille.

Mais pour ma maman avant que cela n’arrive, il y eut la terrible épreuve de la guerre qui éclata en 1939.

Pour les nazis, ma région natale n’était pas une terre française occupée, mais une terre germanique retournée dans sa patrie légitime.

Ma mère fut obligée d’aller travailler dans un grand magasin allemand à Sarrebruck, tout le temps de la guerre.

Elle vécut cette période très mal et exprima un grand ressentiment à l’égard des allemands très longtemps. Ainsi après la guerre, elle ne retournera, pour la première fois en Allemagne qu’en 1991, 46 ans après la fin de la guerre. Elle habitait à 3 km de la frontière et la grande ville proche de notre maison était Sarrebruck.

Elle me raconta une histoire de la guerre dans laquelle elle montra son esprit rebelle mais aussi une sorte d’inconscience.

Un officier allemand l’arrêta un jour et lui demanda son adresse et elle répondit « Rue nationale à Stiring ». Or, dès le début de l’occupation les nazis avaient renommé cette rue qui emmenait tout droit vers l’Allemagne : « Adolf Hitler Strasse ». L’officier lui fit répéter deux fois sa réponse. Et devant l’obstination de ma mère, il lui dit « Fais attention jeune fille, tu pourrais tomber sur un soldat moins compréhensif que moi et tu serais envoyé dans un camp. Moi je me contente de t’avertir car tu me fais penser à ma fille »

Après la guerre, elle rencontra mon père qui habitait à 250 m de sa maison. Et elle consacra le reste de sa vie et toute son énergie à sa famille.

Nous étions très modestes, mais jamais nous n’avons manqué de l’essentiel grâce à sa rigueur et son sens de l’organisation mais surtout par un travail immense de tous les instants qui compensait le manque de moyens.

Elle était l’âme et le moteur du foyer.

Elle était toujours debout et travaillait.

Quand la maladie l’a attrapé et qu’elle ne pouvait plus rester debout, elle s’éteignit très vite en quelques mois.

Pour son mari et ses enfants elle était prête à tout et savait être une tigresse.

Dans mon enfance et plus encore, dix ans avant pour mes frères ainés, les instituteurs étaient brutaux et frappaient leurs élèves, notamment un qui avait pour nom Beck.

Un jour il trouva une autre idée : il enferma mon frère ainé dans un placard. Ce fut un traumatisme pour Gérard qui ne rentra pas à la maison mais se cacha derrière l’église. Quand ma mère compris ce qui s’était passé, elle alla voir cet instituteur et lui dit sa façon de penser de manière directe et sévère. Jamais plus ce fameux Beck n’embêta Gérard !

Je n’aimais pas beaucoup l’école maternelle, je trouvais qu’il y avait trop de bruit. Je fus souvent absent. La maîtresse dit à ma mère que jamais je ne parviendrai à faire d’études et que les lacunes que j’avais accumulées me poursuivront toute ma vie.

Ma mère la regarda dans les yeux devant moi et lui dit « Vous racontez n’importe quoi, ne vous inquiétez pas pour mon fils »

Nul ne décrivit mieux sa situation que maître Raynal le professeur de violon de mon frère Gérard au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris.

Lors de la dernière épreuve du conservatoire, à Paris, pour obtenir le premier Prix, Maître Raynal s’est rapproché de mon père et lui a demandé

« Et votre épouse est-elle là ? »

Et mon père a répondu par la négative et a dit qu’elle était restée à la maison.

Maitre Raynal a eu alors ce mot :

« Ah oui, l’éternelle sacrifiée ! »

Ce fut longtemps le destin des mères de famille, surtout dans les familles modestes.

Ma mère fut l’une d’entre elle, parmi les plus absolues dans le dévouement pour sa famille.

Ce n’était pas juste qu’il en fut ainsi, ce ne peut être un exemple pour aujourd’hui.

C’était ma maman.

Elle a tout donné de ce qu’elle pouvait donner, sans compter.

Elle est née polonaise, en terre d’Allemagne.

C’était il y a 100 ans.

<1728>

Mardi 10 janvier 2023

« Ce n’est qu’en entrant dans l’océan […] que la rivière saura qu’il ne s’agit pas de disparaître dans l’océan, mais de devenir océan. »
Auteur inconnu

Continuer.

Continuer à écrire des mots du jour.

Je vais encore beaucoup parler de la mort.

Mais, pour moi, parler de la mort, c’est avant tout parler de la vie.

Parler des vivants qui sont affectés dans leurs sentiments, leur quotidien, leur confort, par l’absence.

Parler de ce qui reste de vivant, en nous, de ceux qui sont partis.

Personne n’a su exprimer cela de manière plus lumineuse que Tacite :

« Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants. »

Le deuil de mon frère a précipité l’évolution que je souhaitais mettre en œuvre à partir du 1er février 2023.

Pourquoi le 1er février 2023 ?

Ce jour-là sera le premier de la dernière période de ma vie, celle de retraité !

Jusqu’à présent mon ambition a été d’écrire un mot du jour par jour de semaine, en dehors des congés.

Cette ambition s’est fracassée, d’abord devant le traumatisme de la guerre en Ukraine, ensuite le deuil inattendu de mon frère ainé.

Le changement s’est donc imposé prématurément avant ce 1er février.

Je ne suivrai plus la discipline d’écrire un mot du jour, chaque jour. Mais d’en écrire un chaque fois qu’un sujet, un évènement, une pensée me poussera à écrire.

Ce ne sera plus : « Le mot du jour », mais une « invitation à un mot du jour…»

Aujourd’hui, je souhaite partager un poème et aussi une explication sur la difficulté, souvent présente, de vérifier les sources des textes que l’on partage.

Voici d’abord un texte magnifique qui peut se lire à l’heure de la mort, mais aussi à l’heure de beaucoup de moments de la vie, lorsqu’il s’agit de passer d’un monde connu, d’un confort relatif et de quelques certitudes vers l’inconnu et l’incertitude.

« On dit qu’avant d’entrer dans la mer,
une rivière tremble de peur.
Elle regarde en arrière le chemin
qu’elle a parcouru, depuis les sommets,
les montagnes, la longue route sinueuse
qui traverse des forêts et des villages,
et voit devant elle un océan si vaste
qu’y pénétrer ne paraît rien d’autre
que devoir disparaître à jamais.
Mais il n’y a pas d’autre moyen.
La rivière ne peut pas revenir en arrière.
Personne ne peut revenir en arrière.
Revenir en arrière est impossible dans l’existence.
La rivière a besoin de prendre le risque
et d’entrer dans l’océan.
Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
que la peur disparaîtra,
parce que c’est alors seulement
que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
de disparaître dans l’océan,
mais de devenir océan. »

Qui est l’auteur de ce texte, qui parle d’une rivière qui ne peut revenir en arrière et qui va s’accomplir en devenant océan ?

Ce texte a été publié des dizaines de fois sur les réseaux sociaux ou des pages internet, en donnant comme auteur Khalil Gibran.

Ce poète libanais, inoubliable auteur du livre « Le Prophète » qui a passé la plus grande partie de sa vie aux États-Unis et qui est mort en 1931, à New York, à 48 ans.

Certains précisaient que ce texte est inclus dans « Le Prophète ».

Cette affirmation me semblait fausse. Je suis allé m’en assurer en reprenant ce livre.

Dans un des derniers poèmes, Khalil Gibran parle de la mort et dit :

« Vous voudriez percer le secret de la mort,
Mais comment le découvririez-vous si vous ne le pourchassez au cœur même de la vie ? »

Et un peu plus loin, il évoque la rivière et la mer :

« Si vraiment vous souhaitez percevoir la nature de la mort, faites que vos cœurs s’ouvrent largement au corps de la vie,
Parce que la vie et mort ne font qu’un, comme fleuve et océan. »

Mais pas de texte qui évoque la rivière qui disparait dans l’océan et qui devient océan.

Mes recherches m’ont conduit à découvrir que la collection « Bouquins » de Robert Laffont avait publié un ouvrage ayant pour titre « Khalil Gibran : Œuvres complètes »

Je suis allé l’emprunter à la Bibliothèque Municipale de Lyon.

Et j’ai cherché…

Mais je n’ai pas trouvé.

Dans une des œuvres publiées « L’Errant » il existe un texte qui a pour titre « La rivière » (page 767) et qui relate la discussion de deux petits ruisseaux :

« L’un des ruisseaux s’enquit : « Comment es-tu arrivé là, mon ami et comment était ton chemin ? »

Ce texte se conclut ainsi :

« A cet instant, la rivière leur dit d’une voix forte : « Venez, venez, allons vers la mer.
Venez, venez donc et cessez de discuter. Rejoignez-moi. Nous allons à la mer.
Venez, venez vous jeter en moi, vous oublierez vos errances qu’elles soient tristes ou joyeuses.

Venez, venez et vous et moi, nous oublierons tous nos méandres lorsque nous atteindrons le cœur de notre mère, la mer. » »

Mais la rivière qui tremble de peur avant de se jeter dans l’océan ne se trouve pas dans les 950 pages des œuvres complètes.

Peut être se trouve t’il ailleurs, dans un ouvrage non publié dans ce bouquin. Restons prudent…

Mais pour l’instant, rien ne me permet de dire que ce texte est de Khalil Gibran.

Il est rationnel d’écrire que l’auteur est inconnu.

Il arrive que des personnes non connues trouve qu’un de leur texte mériterait qu’il soit connu et dès lors tente de le publier en prétendant qu’il a été écrit par un auteur connu.

J’ai trouvé un site <https://theophilelancien.org/> qui prétend donner la parole à un sage qui s’appelle Theophile l’ancien, sans plus de précisions.

Sur ce site il y a une page qui a pour titre : « La rivière et l’Océan » dans laquelle on peut lire

« Quand la rivière se jette dans l’Océan, elle perd son nom. »

[…] Cette métaphore m’inspire. La rivière perd tout naturellement son identité quand elle rejoint l’Océan, et tout se fait en douceur.

La rivière en amont continue sa vie. Elle jaillit des profondeurs de la terre, puis s’écoule en traversant différents reliefs, contournant ou submergeant les obstacles. Elle reçoit les eaux de la pluie et les eaux des autres petits ruisseaux. Elle bouillonne en cascade, se repose paisiblement dans les lacs et se retrouve parfois même, emprisonnée par un barrage. Elle irrigue toutes les terres qu’elle traverse.

Plus elle avance vers l’Océan, plus elle s’enrichit de limon nourrissant les terres environnantes […] Le plus difficile, c’est toujours le premier cycle. Une fois que la rivière a perdu son identité en se jetant dans l’Océan, elle devient l’Océan, sa conscience englobe tout l’Océan […]

La conscience de la rivière est devenue océanique. Elle est à la fois la rivière, l’Océan et les cours d’eau… Elle est l’Eau. »

L’esprit de ce développement me parait assez proche de celui que je cherchais.

Je ne sais pas pour autant qui se cache derrière Théophile l’ancien.

En musique, il a toujours existé des inconnus qui ont prétendu que le morceau qu’ils ont écrit était d’un glorieux ainé.

Tomaso Albinoni est un compositeur baroque vénitien qui est né en 1671.

Mis à part quelques mélomanes fouineurs comme moi, il n’est connu qu’à travers une seule œuvre : le célèbre « Adagio d’Albinoni » qui n’a pas été écrit par Albinoni mais par Remo Giazotto qui est décédé en 1998.

Vous apprendrez cela sur cette page de Radio France : < Le mystère de l’Adagio d’Albinoni >.

Nous ne savons pas de qui est ce texte.

Il reste très inspirant :

« La rivière a besoin de prendre le risque
et d’entrer dans l’océan.
Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
que la peur disparaîtra,
parce que c’est alors seulement
que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
de disparaître dans l’océan,
mais de devenir océan. »

<1727>

Lundi 24 octobre 2022

« Non rien ne m’est interdit, car je détiens le rêve. »
Alicia Gallienne

Depuis longtemps je n’ai plus partagé un poème d’Alicia Gallienne.

Pour l’instant, il y en a eu 4 :

  • Le 7 février 2020 : « L’autre moitié du songe m’appartient »
  • Le 18 février 2020 : « Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez »
  • Le 18 avril 2020 : « A Mozart je dois une Église un arbre et une île»
  • Le 3 mai 2020 : « Pour aller plus haut »

Aujourd’hui, les circonstances me poussent à reprendre ce livre plein de mots magiques :

« Je suis riche de mes heures perdues
De mes phrases mille fois heurtées à elles-mêmes
Je suis riche de mes émerveillements
Et chaque jour je bénis Dieu d’avoir donné
La vertu de se dépasser et de créer l’impossible
Pour cerner ses contours
Avec la délicatesse des doigts amoureux
Exquise sensation que de pouvoir toucher cet au-delà
Aux émanations d’interdit

Non rien ne m’est interdit
Car je détiens le rêve
Entre mes mains pleines de ciel
Car j’ai conquis les oiseaux
Tout au-dessus de l’eau
Où je marche la nuit

Oui tout m’est offert
Tout est possédé de moi
Et le plafond de Chagall est plein d’ailes
De musique et de tentation
ET c’est un dôme du ciel humain
Comme une transcription magique
Et les yeux sont appelés
A se créer leur unique illusion »
Page 191 Conclusion du poème « <La mort du Ciel » où elle a écrit en sous-titre (Si j’ai choisi ce titre, c’est bien pour qu’il ne meure jamais.)
«L’autre moitié du songe m’appartient»
Alicia Gallienne


Le plafond de Chagall orne la grande salle de l’Opéra Garnier où mon frère ainé Gérard a œuvré dans l’Orchestre de 1970 à 1985.

Dans ma famille nous sommes trois frères, Gérard, Roger, et moi qui suis le petit dernier d’une dizaine d’années plus jeune que les deux autres.

Des trois frères, c’est Gérard qui était le roc, jamais malade, toujours super dynamique.

Mais il y a quelques semaines une terrible maladie l’a submergé et ces derniers jours son état s’est brusquement détérioré.

C’est important d’avoir son jardin secret. On dit aussi que les grandes douleurs sont muettes.

Je crois cependant tout en respectant ces deux préceptes, il est aussi essentiel, tout en restant digne, de faire part des sentiments qui nous touchent et qui nous saisissent.

Gérard a eu la grâce d’exercer un métier, dont l’objet est de créer la beauté.

Avec l’Octuor de Paris il a fait le tour du monde.

Plusieurs disques ont été produits avec cet ensemble en vinyle dans les années 70, mais n’ont jamais été reporté en CD.

Parmi ces disques il y a l’emblématique Octuor de Schubert qui donne la composition de l’Octuor de Paris : un quatuor à cordes plus une contrebasse avec 3 instruments à vent : un cor, une clarinette et un basson.

En voici le 3ème mouvement : 

Allegro Vivace

Après l’Opéra de Paris , Gérard est parti à Nantes où il est devenu violoniste supersoliste jusqu’à sa retraite.

Ouest-France l’avait interviewé lors d’une folle journée de Nantes : <Gérard Klam a connu l’âge d’or des orchestres>

Vous comprendrez donc que le mot du jour est interrompu jusqu’à nouvel ordre.

<1725>

Jeudi 23 décembre 2021

« Tous les matins je dois recomposer un homme. »
Jules Supervielle

Un poème de l’écrivain franco-uruguayen Jules Supervielle (1884-1960) qui se trouve dans le recueil « La Fable du monde » publié en 1938 :

« Encore frissonnant
Sous la peau des ténèbres
Tous les matins je dois
Recomposer un homme
Avec tout ce mélange
De mes jours précédents
Et le peu qui me reste
De mes jours à venir.
Me voici tout entier,
Je vais vers la fenêtre.
Lumière de ce jour,
Je viens du fond des temps,
Respecte avec douceur
Mes minutes obscures,
Épargne encore un peu
Ce que j’ai de nocturne,
D’étoilé en dedans
Et de prêt à mourir
Sous le soleil montant
Qui ne sait que grandir. »

Fabien et moi nous connaissons depuis près de 20 ans.

Pendant plusieurs années nous travaillions dans la même unité. Nous avons appris à débattre ensemble, dans le sens développé par Étienne Klein et rapporté dans le mot du jour d’hier.

Après que Fabien ait quitté le Rhône pour poursuivre son chemin administratif dans d’autres contrées, nous avons décidé de nous retrouver au moins deux fois par an, pour partager un repas puis l’après midi dans des échanges féconds dans lesquels nous nous enrichissons mutuellement, non de biens matériels, mais de nourriture de l’esprit.

Lors de notre dernière rencontre, la semaine dernière, alors que nous échangions sur nos lectures, Fabien a parlé de Jules Supervielle et a récité ce poème.

J’ai compris que je ne pouvais trouver de meilleur sujet pour le dernier mot du jour, avant la trêve de Noël.

Comme Michel Serres le disait quand on donne un objet matériel, on le perd. Si je vous donne mon smartphone, je ne l’ai plus.

Mais quand on partage une idée, un poème, on ne perd rien, on multiplie.

« Tous les matins, je dois recomposer un homme »

Le mot du jour reviendra fin janvier ou début février.

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