Ce dimanche est consacré à la fêtes des mères. Pour ce jour je voudrais partager ce mot d’Albert Cohen.
L’immense écrivain, Albert Cohen a écrit un livre : « Le livre de ma mère », livre d’un fils qu’il a consacré à sa mère alors qu’elle ne faisait plus partie de la communauté des vivants.
C’est un livre bouleversant qui est certainement résumé par ces quelques mots que j’ai mis en exergue.
C’est un livre aussi très drôle où il raconte des anecdotes sur sa mère qui est une mère juive.
Mais toutes les mères sont un peu « des mères juives ».
Alors elle est bien sûr inquiète que son fils ne suive pas les règles communautaires :
« Dis mon enfant, à Genève, tu ne manges pas de l’Innommable ? [traduction : du porc].
Enfin, si tu en manges, ne me le dis pas, je ne veux pas savoir. » (page 25)
Ou encore :
« Écoute, mon fils, même si tu ne crois pas en notre Dieu, à cause de tous ces savants, maudits soient-ils, eux et leurs chiffres, va tout de même un peu à la synagogue, supplia t’elle gentiment, fais-le pour moi. (page 24)»
Elle était simple, pieuse et suivait scrupuleusement les règles religieuses qu’on lui avait enseigné. Elle était pourtant très lucide sur les fondements de sa religion :
« Mon fils, vois-tu, les hommes sont des animaux. Regarde-les, ils ont des pattes, des dents pointues. Mais un jour des anciens temps, notre maître Moïse est arrivé et il a décidé, dans sa tête, de changer ces bêtes en hommes, en enfants de Dieu, par les Saints Commandements, Tu comprends. Il leur a dit : tu ne feras pas ceci, tu ne feras pas cela, c’est mal […]. Moi, je crois que c’est lui qui a inventé les Dix commandements en se promenant sur le Mont Sinaï pour mieux réfléchir. Mais il leur a dit que c’était Dieu pour les impressionner, tu comprends. Tu sais comment ils sont, les juifs. Il leur faut toujours le plus cher. […] Alors, Moïse qui les connaissait bien, s’est dit : si je leur dis que les commandements viennent de l’Eternel, ils feront plus attention, ils respecteront davantage. » (Page 69)
La sagesse des simples…
Mais il n’est finalement que peu question de sujets proprement juifs dans ce livre. Il est bien davantage question de l’histoire universelle des fils avec leur mère.
Et Albert Cohen de raconter ce qu’il a vécu avec sa mère qui était toujours prête à l’impossible pour lui, à toutes les attentions et lui de raconter toutes ces fois où il a manqué de temps, d’attention, de douceur ou même les cas où il a été injuste à son égard. Et nous arrivons au chapitre 27 :
« Et pourtant je l’aimais.
Mais j’étais un fils.
Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles.
Fils des mères encore vivantes, n’oubliez plus que vos mères sont mortelles.
Je n’aurai pas écrit en vain, si l’un de vous, après avoir lu mon chant de mort, est plus doux avec sa mère, à cause de moi et de ma mère.
Soyez doux chaque jour avec votre mère.
Aimez-la mieux que je n’ai su aimer ma mère.
Que chaque jour vous lui apportiez une joie, c’est ce que je vous dis du droit de mon regret, gravement du haut de mon deuil.
Ces paroles que je vous adresse, fils des mères encore vivantes, sont les seules condoléances qu’à moi-même je puisse m’offrir. […]
Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils se fâchent et s’impatientent contre leurs mères, les fous si tôt punis.» (page 168-170)
On dit que les hommes de la guerre 14-18, endurcis et prêt à tous les sacrifices, au moment ultime et dans leur plus grande détresse n’avez qu’un mot qui venait spontanément : « Maman »
Fils des mères encore vivantes, n’oubliez pas que vos mères sont mortelles.
Car il y a une vie avant la mort, pendant laquelle vous pouvez agir avec attention, en bienveillance et en douceur.
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Le Théatre des Célestins de Lyon met à son programme en janvier 2019 (du 26/01/2019 au 02/02/2019) Le livre de ma mère d’Albert Cohen mis en scène par Dominique Pitoiset Avec Patrick Timsit
https://www.theatredescelestins.com/saison-2018-2019/spectacle/le-livre-de-ma-mere/
Ici, pas de grand décor ou d’effet de troupe. Patrick Timsit est seul sur scène, au sein de l’espace intime auquel peut donner corps le théâtre. Une table de travail, un écran sur lequel seront projetés des souvenirs d’enfance. Et puis la voix du comédien qui se lance dans les mots d’Albert Cohen comme dans la matière de sa propre conscience, de sa propre vie. Hommage bouleversant aux « mères de toute la terre », ce récit publié en 1954 passe par l’histoire personnelle de l’écrivain pour embrasser l’universel.
Le silence se fait, laissant à la porte le vacarme du monde. S’élève alors l’ampleur d’une solitude essentielle, d’un manque impossible à combler : celui d’une mère disparue. Des anecdotes surgissent. Des incidents remontent à la mémoire. Un petit homme — un petit prince comme aurait peut-être dit sa mère — s’adresse à nous, entrelaçant introspection et tendresse. Sans pathos, Patrick Timsit fait naître une intensité pleine d’émotion retenue. Il illumine de son sourire le message humaniste d’Albert Cohen.