Un poème de l’écrivain franco-uruguayen Jules Supervielle (1884-1960) qui se trouve dans le recueil « La Fable du monde » publié en 1938 :
« Encore frissonnant
Sous la peau des ténèbres
Tous les matins je dois
Recomposer un homme
Avec tout ce mélange
De mes jours précédents
Et le peu qui me reste
De mes jours à venir.
Me voici tout entier,
Je vais vers la fenêtre.
Lumière de ce jour,
Je viens du fond des temps,
Respecte avec douceur
Mes minutes obscures,
Épargne encore un peu
Ce que j’ai de nocturne,
D’étoilé en dedans
Et de prêt à mourir
Sous le soleil montant
Qui ne sait que grandir. »
Fabien et moi nous connaissons depuis près de 20 ans.
Pendant plusieurs années nous travaillions dans la même unité. Nous avons appris à débattre ensemble, dans le sens développé par Étienne Klein et rapporté dans le mot du jour d’hier.
Après que Fabien ait quitté le Rhône pour poursuivre son chemin administratif dans d’autres contrées, nous avons décidé de nous retrouver au moins deux fois par an, pour partager un repas puis l’après midi dans des échanges féconds dans lesquels nous nous enrichissons mutuellement, non de biens matériels, mais de nourriture de l’esprit.
Lors de notre dernière rencontre, la semaine dernière, alors que nous échangions sur nos lectures, Fabien a parlé de Jules Supervielle et a récité ce poème.
J’ai compris que je ne pouvais trouver de meilleur sujet pour le dernier mot du jour, avant la trêve de Noël.
Comme Michel Serres le disait quand on donne un objet matériel, on le perd. Si je vous donne mon smartphone, je ne l’ai plus.
Mais quand on partage une idée, un poème, on ne perd rien, on multiplie.
« Tous les matins, je dois recomposer un homme »
Le mot du jour reviendra fin janvier ou début février.
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