Mardi 28 janvier 2020

« Méga-feux »
Phénomène récent qui touche les forêts

Pendant ce début du mois de janvier, il est un mot qui a été très utilisé. Je ne l’avais pas entendu avant : « méga-feux ».

Pendant le mois de janvier, ce mot a été utilisé pour ce qui se passait en Australie, depuis septembre 2019. En Australie, les observateurs ont donné un autre nom : « The monster ». Mais ce mot-là présente une ambigüité, car il a l’air d’annoncer que ce qui frappe l’Australie est un seul gigantesque incendie. Et ce n’est pas le cas. Il y en a  plusieurs, Fabrice Argounès, que je cite plus loin, estimait qu’il existait entre 300 à 500, foyer d’incendies à qui on pouvait donner le nom de « méga-feux », c’est-à-dire un feu qui le plus souvent échappe à la capacité humaine de l’éteindre. Il faut attendre que le feu cesse de lui-même, ou qu’un autre événement naturel comme la pluie éteigne le feu.

L’émission « La Méthode scientifique » du <22 janvier 2020> nous donne quelques précisions sur ce concept : Le terme « megafire » est apparu d’abord en anglais, sous la plume de Jerry Williams, responsable du service américain des forêts. Il met en exergue le fait que les feux de forêt ont acquis un comportement que les spécialistes et les riverains qui en sont victimes n’avaient jamais observé dans le passé. 
Les incendies qui ont ravagé le sud-est de l’Australie ont réduit en cendres plus de 10 millions d’hectares. On ne parle pas ici d’incendies « classiques », mais de mégafeux, une notion encore incomplètement définie par les scientifiques. La recherche s’engage depuis des années à comprendre comment ces incendies d’une ampleur sans précédent fonctionnent et interagissent avec le climat et les conditions météorologiques. Avec le changement climatique en cours provoquant des canicules et des sécheresses intensifiées, ces mégafeux vont devenir de plus en plus fréquents.

En Australie, comme un symbole, plusieurs vidéos ont montré l’image pathétique de koalas aux milieux des flammes, ou des koalas quémandant de l’eau aux humains et aussi des humains qui sauvaient cet animal si mignon et si propice à déclencher des vagues d’émotion.

Les koalas sont encore plus menacés que les autres animaux, car ils n’ont pas l’habitude de fuir devant le feu.

Un vétérinaire explique :

« La particularité du koala, c’est que c’est un animal qui vit dans son garde-manger. Il se nourrit d’eucalyptus et vit dans cet arbre-là. Donc le koala va avoir comme réflexe de survie de monter dans l’arbre pour se cacher, et va brûler en même temps que lui. »

En outre l’eucalyptus est gorgé d’huile, une fois une certaine température atteinte, il va exploser et le koala avec.

Ces méga-feux ne sont pas confinés à l’Australie. L’été dernier, des feux ont également ravagé la Sibérie, l’Arctique, le bassin du Congo, « deuxième poumon vert mondial » ou encore la forêt amazonienne où entre janvier et septembre 2019, le nombre d’incendies a augmenté de 41% par rapport à l’année précédente.

En Australie, qui est un pays habitué aux feux et qui dispose de pompiers très aguerris, le nombre de victimes a été en fin de compte relative faible en regard de la violence des incendies : moins d’une trentaine de morts. Le chiffre d’un milliard d’animaux morts est souvent cité, mais j’ai entendu plusieurs commentateurs le mettre en doute, car il semble que les autorités sont incapables de mesurer l’impact de ces catastrophes sur le monde animal. Il peut toutefois être conclu que l’impact est considérable.

Dans un article du New York Times, on apprend qu’en Nouvelle-Galles du Sud, un des états australiens les plus touchés par les incendies, une librairie a changé son enseigne. On peut y lire ceci : «les romans de fiction post-apocalyptiques se trouvent désormais au rayon actualités.».

Les matins de France Culture pour essayer d’analyser ces dérèglements climatiques avaient invité : Fabrice Argounès, géographe et politiste, enseignant chercheur à l’Université de Rouen, auteur du « Dictionnaire de l’Anthropocène », Charlotte Epstein, professeure associée à l’Université de Sydney, et Joëlle Zask, philosophe qui enseigne la philosophie à l’université Aix-Marseille et a publié « Quand la forêt brûle ».

Cette émission dont le début peut être vu en vidéo <ICI> est très intéressante, elle est écoutable en intégralité audio <Ici>.

Guillaume Erner introduisait l’émission de la manière suivante :

« Les catastrophes arrivent dans un pays traditionnellement peu versé sur la question écologique où la remise en question de la dépendance au charbon reste taboue. Dénonçant l’inaction de son pays, l‘écrivain australien Richard Flanagan publiait le 3 janvier une tribune dans le New York Times alertant du «suicide climatique » qu’était en train de commettre son pays.

Face à l’épreuve des méga-feux, une prise de conscience est-elle en train de s’opérer ? La catastrophe qui touche l’Australie nous donne-t-elle un avant-goût des dérèglements à venir dans le reste du monde ? »

Joelle Zask a aussi participé à un article dans la revue <Reporterre>

« Ces incendies vont au-delà même de tout ce que j’avais pu imaginer et décrire dans mon livre. C’est d’une gravité extrême. Le désastre est devant nous : plus les zones brûlées s’étendent et plus les feux deviennent intenses, moins la réversibilité de la situation semble envisageable. […] Le feu détruit non pas la planète, mais les conditions d’existence des êtres humains et de nombreux animaux sur Terre.

Un autre aspect me révolte : l’attitude négationniste du Premier ministre Scott Morrison. Le gouvernement, qui a longtemps été climato-sceptique, refuse d’arrêter la production de charbon. Ces feux ne sont pourtant pas un phénomène naturel. Le croire est criminel.

[L’activité humaine est en cause] Ces incendies sont nourris par le réchauffement climatique. L’augmentation des températures fait baisser le taux d’humidité, la végétation sèche et devient extrêmement inflammable. Les forêts sont aussi de plus en plus attaquées par des insectes ravageurs et des pathologies qui croissent avec la chaleur. En Californie, une région qui a connu aussi de nombreux incendies ces dernières années, un arbre sur dix est victime d’agents pathogènes, de virus ou de champignons. Les forêts sont malades, les écosystèmes fragilisés et donc plus vulnérables à des incendies. Avec la sécheresse et le réchauffement climatique, la saison des feux s’allonge. »

Joëlle Zask dit une chose que j’ai lu sur d’autres site de manière assez cohérente.

Le dérèglement climatique ne crée pas les feux mais les rend plus intense, plus hors de contrôle, il a donc un impact énorme sur le phénomène des méga-feux.

Nous sommes en face d’un phénomène qui s’aggrave :

« Cela fait plus de dix ans que le phénomène des feux s’est aggravé et que les incendies sont devenus hors norme. C’est notre perception qui a changé récemment. On a commencé à en parler, à les voir, à les conscientiser. On revient de loin. Quand j’ai commencé la rédaction de mon livre [Quand la forêt brûle], il y a trois ans, la vulgate disait que les incendies étaient bons pour la forêt, qu’ils la régénéraient.

Les positions ont évolué depuis que les feux sont rentrés dans les villes, quand les habitants de Singapour ont commencé à suffoquer à cause des incendies en Indonésie ou que les gens de Sao Paulo étouffaient du fait de l’Amazonie en feu. En Australie, c’est parce que le brasier menaçait Melbourne et Sydney que les médias et les politiques ont commencé à s’emparer de la question. On ne peut plus en faire abstraction, l’incendie vient défier notre société urbaine, frapper à ses portes. Ses fumées entraînent de nombreuses maladies respiratoires et condamnent des dizaines de milliers de personnes à une mort prématurée. Canberra, en Australie, est désormais la ville la plus polluée du monde, avec un taux de pollution de l’air plus de 20 fois supérieur au maximum autorisé. Les gens s’empoisonnent. Désormais, on le sait. Avant le territoire des indigènes ou des ruraux brûlait en silence, sans susciter l’indignation. Ça prouve que pour se mobiliser contre le réchauffement climatique, il faut le vivre dans sa chair, ses tripes. C’est ce que découvrent aujourd’hui des populations urbaines partout sur la planète. »

Selon Joëlle Zask, la France ne sera pas épargnée dans l’avenir :

« Certains scénarios de la Nasa envisagent un embrassement des terres émergées. Quand on regarde le planisphère des feux, on se rend compte que leurs foyers se rapprochent de plus en plus les uns des autres. On estime qu’en 2050, 50 % des municipalités françaises seront exposées aux méga feux. »

Bruno Fady, directeur de recherche à l’INRAE émet les mêmes craintes :

« Ce qui se passe en Australie se passera dans le bassin méditerranéen et en Europe, dans les décennies à venir, si nos sociétés continuent à ne pas fournir les efforts nécessaires pour suivre les résolutions de l’accord de Paris sur le climat de 2015. »

L’industrialisation est aussi une cause de ces incendies :

« J’ai été frappée par les feux de forêt, totalement inédits, en Suède, à la fin de l’été 2017. C’était sidérant parce que l’on ne s’attendait pas à ce que des forêts boréales et même arctiques brûlent. Ces incendies ont révélé le fait que la Suède possédait une forêt à 70 % industrielle. Des plantations de pins, des monocultures uniformes qui appauvrissent les sols et affament les rennes qui manquent de lichens. Les méga feux se sont rapidement propagés du fait de l’extrême densité de ces pins et de la vulnérabilité de ces forêts industrielles. On voit la même chose se développer en Espagne ou au Portugal avec les plantations d’eucalyptus particulièrement inflammables. »

Pour Joëlle Zask la solution se trouve dans une évolution de nos idéologies et de notre récit :

« Il faut évidemment lutter contre les causes du réchauffement climatique mais aussi remettre en cause les croyances qui irriguent la pensée occidentale : l’idéologie qui voudrait soumettre la nature, la dominer, mais également le préservationnisme – c’est-à-dire l’idée selon laquelle les équilibres naturels et la présence humaine sont incompatibles, que la nature fait bien les choses, qu’il faut s’en retirer, la protéger en la sanctuarisant et en la mettant sous cloche. Au contraire, je pense qu’il faut prôner une sorte de coopération et de partenariat, développer un modèle de soin de la forêt où cette dernière ne serait pas uniquement vue sous l’angle de l’extractivisme.

Concrètement, cela veut dire revenir à des pratiques menées par des peuples indigènes mais aussi par les paysans traditionnels. Monter la garde, débroussailler, habiter le territoire, faire des feux de surface pendant la saison des pluies. Devenir l’auxiliaire de la nature. Faire avec elle plutôt que contre. S’opposer à la nature, c’est la détruire mais c’est aussi détruire nos chances de vie sur la Terre. »

Certains pensent justement que le savoir des peuples aborigènes pourra aider à combattre ces dérèglements : <Le savoir des Aborigènes d’Australie pour survivre aux futurs méga-feux>.

Ce n’est pas indifférent que ces catastrophes arrivent dans un pays riche et climato-sceptique comme l’Australie.

Le site Conspiracy Watch rapporte en outre tous les mensonges que les autorités australiennes et le groupe de média australien Murdoch ont propagés pour essayer de nier le lien entre l’intensité des feux et le réchauffement climatique auquel l’Australie apporte une part énorme.

L’Australie paye ainsi un énorme tribut au désastre écologique, mais son économie est entièrement tournée vers les énergies fossiles. Dans un pacte faustien, il ne veut pas abandonner ce qui fait sa richesse mais qui va entraîner sa perte. Il est envisageable qu’à terme l’Australie ne soit plus habitable.

Sur <ce site> on apprend que :

« Au niveau de l’OCDE, l’Australie est le premier pays émetteur de CO2 par habitant, devant le Canada et les États-Unis. Il faut dire que l’île-continent est riche en minerais. Elle détient les principales réserves mondiales en or, en nickel ou encore en zinc dont l’extraction nécessite beaucoup d’énergie. Or, le mix énergétique national est à 93 % composé d’énergies fossiles, et à 75 % dépendant du charbon.

Mais pour les gouvernements successifs, difficile de renoncer à une telle manne financière. En pleine crise, le Premier ministre australien a ainsi continué à défendre cette industrie. Ce qui pousse l’écrivain australien Richard Flanagan à parler de « suicide climatique » dans une récente tribune parue dans le New York Times. « Les gouvernements conservateurs qui se sont succédé depuis 1996 se sont battus pour renverser les accords internationaux sur le changement climatique au nom de la défense de l’industrie fossile nationale », fustige-t-il.

Tony Abbott, premier ministre australien de 2013 à 2015, climatosceptique avéré, avait enterré la taxe carbone aussitôt élu. Scott Morrison, l’actuel Premier ministre, a martelé qu’il serait irresponsable de tourner le dos au charbon, alors que le pays était ravagé par les flammes. En 2017, alors ministre de l’Économie, il avait frappé les esprits en faisant circuler un morceau de charbon dans l’assemblée parlementaire, invitant à « ne pas en avoir peur ». Le pays a également renoncé à inscrire dans la loi les objectifs de réduction d’émissions pris en amont de l’Accord de Paris. »

Le Monde explique dans une vidéo de 5 minutes <Pourquoi l’Australie brûle>.

Il faudrait comme l’avait annoncé Hollande, sans le réaliser, que « le changement soit maintenant », car il semble de plus en plus clair que « la catastrophe soit déjà maintenant ! »

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