Lundi 2 septembre 2013

«Le silence des chagos»
Shenaz Patel

Le mot du jour fait référence à un livre qui montre le manque de crédibilité des occidentaux à vouloir se poser en défenseur et gardien des droits de l’homme.

L’archipel des Chagos fait partie géographiquement de l’Ile Maurice et de ses dépendances.

Ces îles étaient colonisées par la Grande Bretagne.

Les Etats Unis ont trouvé pertinent d’installer sur l’archipel des Chagos une grande base militaire.

Ils se sont mis d’accord avec le colonisateur et ont signé un bail avec la Grande Bretagne mais avec une condition : que ces iles soient vides d’habitants. La Grande Bretagne a scrupuleusement respecté la condition dans un premier temps en limitant le commerce avec les iles pour finalement en 1973 embarquer de force les habitants qui étaient restés, dans un bateau pour les déporter dans ce paradis du tourisme occidental : l‘ile Maurice, à plus de 2000 km, où ils vivent misérablement leur vie de déportés.


L’armée des Etats-Uniens a donc pu, en toute discrétion, installer une base et des équipements militaires sur l’île de « Diego Garcia »

Dans un premier temps aucune compensation financière n’avait été proposée.

Dans un second temps parce que des bonnes âmes occidentales ont dénoncé ce scandale, quelques compensations furent distribuées.

C’est l’émission « Interception » de France Inter” de hier qui m’a rappelé opportunément cette histoire au moment où les États-Unis veulent punir la Syrie : <Chagos : les déracinés de l’Océan Indien>

La page de l’émission présente le sujet ainsi :

« C ‘est l’histoire des Chagos, un archipel de carte postale, un point sur la carte du monde quelque part dans l’Océan indien juste au sud des Maldives. C’est l’histoire d’îles tropicales aux lagons poissonneux, aux plages de sable blanc parsemées de cocoteraies. C’est l’histoire de descendants d’esclaves originaires du Mozambique et de Madagascar, esclaves débarqués sur ces îles par des navigateurs français pour y récolter le coprah qui fait l’huile de coco.

L ‘histoire de ces Chagossiens que l’on appelait aussi « îlois » aurait pu s’arrêter là jusqu’à ce que l’Empire britannique -qui avait annexé les Chagos à l’issue des guerres napoléoniennes- décide dans les années 60 d’y construire la base militaire de Diego Garcia et de la louer aux Etats-Unis d’Amérique. Les avions de l’US Air Force ont utilisé cette plateforme pour aller bombarder l’Afghanistan et l’Irak… L’Iran est à moins de 4000 kms de là.

Évidemment, une installation aussi stratégique est vouée au secret total. C’est pour cette raison que, de 1966 à 1973, les navires britanniques ont déporté les habitants des Chagos vers l’Ile Maurice, à plus d’un millier de kilomètres de chez eux. Les Chagossiens ont été débarqués sur les quais de Port-Louis sans une explication et sans espoir de retour. »

Mais c’est une autre émission, toujours très instructive, « Rendez-vous avec X » qui me l’avait fait découvrir. C’était l’émission du 22 juin 2013 :

< Les Chagos ou les oubliés de la guerre froide >

« Ce sont des oubliés de la Guerre froide … Des oubliés et des victimes. Un petit peuple purement et simplement expulsé de son habitat traditionnel pour faire place à une gigantesque base militaire. Et comme si cela ne suffisait pas, ces malheureux qui ont dû quitter leurs îles en toute hâte, sans même avoir le temps de rassembler leurs maigres biens, ont ensuite été relogés très loin dans des considérations misérables, sans réelles indemnités. Et avec interdiction de revenir chez eux !  »

Depuis j’ai lu un article de libération de Jean-Michel LE CLEZIO, le prix Nobel de littérature, d’origine Mauricienne qui parle de cette triste et honteuse histoire occidentale à l’occasion d’une décision qui ne fait pas honneur à la Cour européenne des droits de l’homme.

<Les îlois des Chagos contre le Royaume-Uni, suite et fin ?>

J’en tire l’entame et la conclusion dans lesquelles, le Prix Nobel exprime son indignation :

« La décision rendue en décembre 2012, par la Cour européenne des droits de l’homme, de ne pas recevoir la plainte des Chagossiens contre le gouvernement du Royaume-Uni restera comme une des grandes hontes et un déni de justice de l’époque contemporaine. Cette décision est loin d’être courageuse. Elle n’est sans doute pas non plus définitive, car le peuple chagossien a pris conscience depuis de nombreuses années de la solitude dans laquelle il doit livrer combat afin que soient reconnus ses droits au retour dans sa patrie d’origine. […]

Rappelons que la position du gouvernement britannique n’a pas changé depuis la création des Territoires de l’océan Indien, et que Colin Roberts, qui fut Commissionner desdits Territoires ne cacha pas son dédain pour la population chagossienne, (WikiLeaks publia en décembre 2010 son commentaire sur les îlois : «On ne verra plus les traces des pieds des Man Fridays – des sauvages – sur les plages de Diego Garcia.»).
Il affirmait aussi que la création éventuelle d’un parc marin aux Chagos pourrait servir à empêcher définitivement le retour des habitants sur les lieux.
Quant aux Etats-Unis, partenaire du Royaume-Uni dans la création de la base militaire de Diego Garcia, ils n’ont cessé de masquer l’iniquité du traitement infligé aux Chagossiens par les mesures prises en faveur des déportés – mesures qui ne servent qu’à farder la triste vérité. La réalité de la politique menée par les États puissants du monde s’affirme avec un certain cynisme dans la réponse que le gouvernement présent des États-Unis a donnée aux plaignants chagossiens (réponse de la Maison Blanche à la pétition We The People sur les torts infligés aux Chagossiens, 21 décembre 2012) : cette réponse qui reprend les arguments de la Cour européenne, conclut par la promesse du gouvernement américain de continuer à soutenir, comme par le passé, la compensation britannique pour les torts subis par les habitants des Chagos.
Il n’est pas indifférent que la réponse provienne, entre autres signataires, de M. Andrew Shapiro, adjoint au ministre des Affaires politiques et militaires. Ainsi la boucle est bouclée, et l’archipel des Chagos continuera sans doute, sauf élément imprévisible actuellement, à être le porte-avions de l’armée américaine au Proche et Moyen-Orient.

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu sa décision, dans l’indifférence des puissants de ce monde. Qu’importe une poignée d’îlois, petits agriculteurs, pêcheurs à la ligne dans leur lagon, quand les intérêts stratégiques et militaires sont en jeu, et que ces îles lointaines, perdues au milieu de l’océan Indien, peuvent être transformées à vil prix en une des bases les plus opérationnelles du monde – comme elle le fut pour les bombardiers de la guerre du Golfe ? Et que dire du soupçon de tortures infligées aux détenus de Diego Garcia, comme à Guantánamo ?

Certains des habitants se souviennent encore du jour tragique où ils durent embarquer de force sur le navire qui les déportait, sans pouvoir emmener avec eux leur bétail, ni même leurs chiens restés à aboyer sur la rive.

Les grands de ce monde qui ont rendu cette décision inique, le président David Björgvinsson et ses six assesseurs, devraient pourtant se soucier des gens qu’ils condamnent ainsi au non-retour et à l’exil éternel.
Peut-être devraient-ils – mais cette proposition sans doute amènera un sourire ironique sur leurs lèvres – visiter un jour la modeste maison à Gros-Caillou, un quartier déshérité de Maurice, qui sert en quelque sorte de refuge et de mémoire au peuple des îlois, où sur les murs, les enfants des Chagossiens nés en exil peuvent regarder les images de leur petite patrie qu’ils ne pourront jamais connaître, fût-ce pour fleurir les tombes de leurs ancêtres. »
J.M.G. Le Clezio

L’émission de France Inter donne un certain nombre de liens pour approfondir cette triste histoire dans laquelle l’Occident joue un rôle indigne :

Les Chagos, l’archipel convoité
Article d’Emmanuel Grégoire, géographe, directeur de recherche à l’IRD, membre du Centre d’études africaines (CEAf) de l’EHESS, paru dans la revue Politique africaine en 2005 (n°97). En ligne sur le portail Cairn.info.

Diego garcia : enjeux de la présence américaine dans l’océan indien
Article d’André Oraison, professeur de droit à l’université de la Réunion, paru dans la revue Afrique contemporaine, n° 207, automne 2003. En ligne sur le portail Cairn.info.

Des îles britanniques de l’océan Indien disputées : Diego Garcia et l’archipel des Chagos
Article d’Emmanuel Grégoire, géographe, directeur de recherche à l’IRD, paru dans la revue Hérodote, 2ème trimestre 2010. En ligne sur le portail Cairn.info.

The UK Chagos Support Association
Supporting the Chagos islanders in their struggle against British injustice

Chagos conservation trust
Organisation non gouvernementale britannique œuvrant pour la préservation de l’écosystème de l’archipel.

Cour européenne des droits de l’Homme
Décision d’irrecevabilité de la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’affaire Habitants des îles Chagos contre le Royaume-Uni (décembre 2012).

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