Vendredi 7 juillet 2023

« Un débat bloqué [entre] deux camps caricaturaux et irréconciliables : D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. »
La Tribune de Genève à propos des évènements en France suite à la mort du jeune Nahel

Un jeune homme de 17 ans, français, de religion musulmane, a été tué, lors d’un contrôle routier, par un tir, à bout portant, d’un motard de la police nationale.

Le jeune garçon conduisait une voiture, avec deux passagers à bord.

Cette scène a été filmée.

La mort du jeune homme, d’origine algérienne comme le mentionne le communiqué du ministre des affaires étrangères algérien, a conduit à des manifestations de protestation de jeunes gens qui s’identifient à la victime, dans un premier temps.

Mais rapidement ces protestations ont fait place à des scènes de pillages, de destructions, d’agressions et de chaos dans les grandes métropoles françaises et aussi dans des villes de moindre population.

En parler est délicat, les choses sont compliquées.

Il vaut peut-être mieux se taire pour ne pas déplaire.

Mais ne pas savoir poser des mots sur ce qui se passe, c’est laisser la place à la violence.

Les mots c’est ce que la démocratie a trouvé pour gérer les conflits : débattre pour ne pas se battre.

Mais d’abord, il faut en revenir aux faits.

Il faudrait quand même pouvoir se mettre d’accord sur les faits, sinon comment débattre, comment analyser ?

« Le Monde » a publié un article le 5 juillet donnant les éléments de l’enquête mené par le parquet général de Versailles à ce jour : < les premières constatations de l’enquête >

La chronologie est la suivante :

  • Lundi 26 juin, une Mercedes de type AMG, immatriculée en Pologne, est louée auprès d’une société de location de voiture, FullUp Location à Nanterre. Cette société avait été créée trois mois auparavant. A ce stade, il n’est pas précisé qui a loué.
  • Mardi 27 juin, Avant que le jeune Nahel n’en prenne le volant, deux autres personnes l’ont utilisé dans des circonstances encore inconnues. Le jeune Nahel, 17ans, qui n’a pas de permis, prend le volant de ce véhicule onéreux et puissant capable de passer de 0 à 100 km/h en 3,9 secondes, selon sa fiche technique.
  • D’après le brigadier qui a tiré, les deux motards ont remarqué « une Mercedes dont le moteur vrombissait et qui circulait dans la voie de bus ».
  • Lorsque la Mercedes regagne le flot normal de la circulation, les motards de la police tentent une première fois de l’intercepter. Le brigadier se porte alors à la hauteur du passager et, sa sirène enclenchée, fait signe au conducteur de se ranger sur le côté. « Mais celui-ci, note le réquisitoire, avait alors accéléré brusquement et pris la fuite . Poursuivi par les deux motards, il avait conduit à vitesse élevée avec de brusques accélérations, des franchissements de feux rouges fixes et passages de carrefours « à pleine vitesse » et sans précaution pour les piétons…… Il avait même fait une embardée volontaire vers son collègue qui était venu se mettre à son niveau. »
  • Après examen de la vidéosurveillance, le parquet note que, au cours de son périple, la Mercedes a « failli percuter un cycliste tandis qu’un piéton engagé sur un passage protégé avait dû faire demi-tour en courant pour éviter d’être percuté ». Celle-ci aurait également roulé plusieurs fois à contresens.
  • Une fois la Mercedes à l’arrêt, bloquée par d’autres véhicules à proximité de la place Nelson-Mandela où elle finira sa course, les deux policiers mettent leur moto sur béquille et s’en approchent, leur arme de service dégainée, la visière de leur casque relevée. Le premier, gardien de la paix, que les enquêteurs de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) désignent dans un rapport comme « P1 », se place face à la vitre du côté du conducteur. Le second, le brigadier (« P2 » pour l’IGPN), se positionne du côté avant gauche du capot, son pistolet automatique Sig Sauer pointé en direction du conducteur.
  • C’est dans cette attitude que la séquence vidéo tournée par une passante saisit les deux fonctionnaires, quelques secondes avant que ne soit tiré le coup de feu mortel. C’est également à ce moment que le brigadier reconnaît avoir cogné contre le pare-brise – l’un des deux passagers évoque des coups de crosse contre Nahel M. – pour « attirer l’attention du conducteur ».
  • L’exploitation de la séquence vidéo par l’IGPN confirme les mots prononcés par l’un des policiers, sans pour autant que celui-ci soit identifié à ce stade. Dans leur reconstitution des échanges, les enquêteurs notent : « Au début de la séquence, on entend un échange entre trois voix différentes (V1, V2, V3) avant la détonation, que nous interprétons comme suit :
    • V1 : « … une balle dans la tête »
    • V2 : « Coupe ! Coupe ! »
    • V3 : « Pousse-toi ! »
    • V1 : « Tu vas prendre une balle dans la tête » (propos pouvant être attribués à P1 qui agite son bras droit au même moment).
    • V2 : « Coupe ! » »
  • D’après cette première analyse, ce serait donc le collègue du brigadier et non ce dernier qui aurait crié à l’adresse de Nahel « Tu vas prendre une balle dans la tête », des propos que le policier auteur du tir a, du reste, constamment nié avoir tenus lors de sa garde à vue.
  • Nahel redémarre et le Brigadier (P2) tire, à bout portant, une balle mortelle.

Il existe ensuite une ambigüité. Tous les médias ont repris l’information que le Brigadier a menti en affirmant que la voiture fonçait sur lui alors qu’il était à côté de la voiture.

Je cite :

« Le parquet souligne que le premier compte rendu policier, à 8 h 22, six minutes après le tir policier, évoque un « individu blessé par balle à la poitrine gauche ». L’opérateur signale, dans une fiche de résumé d’intervention Pegase (pilotage des événements, gestion des activités et sécurisation des équipages) que « le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper » et que « le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire ». Ce qui soulève une interrogation importante sur l’origine de cette information démentie par la vidéo de la passante : comment est-elle remontée jusqu’à l’opérateur ? Le parquet note que le brigadier n’utilise jamais ces mots dans les conversations enregistrées sur la « conférence 32 » – en réalité, la « conférence 132 » qui est le réseau radio utilisé par l’ensemble des effectifs de la direction de l’ordre public et de la circulation, à laquelle appartenaient les deux policiers motocyclistes. »

Selon cette version, le brigadier n’aurait pas, lui-même, déclaré que la voiture lui fonçait dessus.

Dans sa version, le brigadier a déclaré qu’il avait peur que son coéquipier soit entraîné par la voiture parce qu’il pensait que son corps était engagé dans l’habitacle, alors qu’en réalité ce n’était que le bras qui était concerné. Enfin, il a affirmé que sa volonté était de viser vers les jambes du conducteur mais que déstabilisé par le démarrage le coup est parti vers le thorax.

Le brigadier, auteur du tir, a également révélé qu’il enchaînait son neuvième jour consécutif de travail

L’article du Monde fait aussi mention d’une situation extrêmement tendue dès les minutes qui ont suivi la mort de Nahel.

Le parquet relève que, au moment de la sécurisation des lieux, des « jeunes hostiles étaient présents » ainsi que des proches de la victime.

  • Selon les policiers, la grand-mère de la victime aurait tenu les propos suivants : « Les deux policiers, ils vont pas sortir (…). Je les attendrai. J’ai des copains qui travaillent au dépôt. (…) Il y a un terroriste qui va tous les attraper Inch’Allah, un terroriste qui va tous les massacrer. »
  • Un gardien de la paix, lui, est pris à partie par un ambulancier, dans une séquence également filmée et devenue virale où l’on peut entendre les propos, répétés à deux reprises : « Tu vas plus vivre tranquille, frère. »
  • Le même jour, un jeune homme âgé de 20 ans a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze mois avec sursis probatoire pour avoir diffusé les coordonnées personnelles du brigadier.

J’ai entendu un journaliste affirmer que l’adresse de l’hôtel dans lequel, la famille du policier avait trouvé refuge, a également été divulgué.

Très rapidement le Ministre de l’intérieur a eu des propos qui exprimait une défiance par rapport à l’attitude du policier. Et le Président de la République a eu ces mots, en contradiction formelle avec la présomption d’innocence, traitant le geste du policier « d’inexcusable » et d’inexplicable »

Probablement que le Président de la République et son Ministre espéraient ainsi calmer la colère des jeunes de banlieue qu’ils craignaient.

Il n’en fut rien : La France s’est embrasée malgré ces propos prenant délibérément partie contre le policier.

La Justice qui a pourtant inculpé le brigadier pour « homicide volontaire » et placé en détention provisoire n’est pas davantage parvenue à éviter ce qui allait devenir un chaos de destruction et de pillage.

Dans leur ensemble, tous les médias, mis à part ceux d’extrême droite, ont exprimé leur compassion pour le jeune homme, certain parlant « d’enfant » et ont présenté le brigadier comme un assassin.

Le footballeur né à Bondy et mondialement connu Kylian Mbappé a publié ce tweet en direction de ses 12,6 millions d’abonnés en évoquant « un petit ange ! » :

« J’ai mal à ma France. Une situation inacceptable. Toutes mes pensées vont pour la famille et les proches de Nahel, ce petit ange parti beaucoup trop tôt ».

Quand le chaos était à son comble, Jean-Luc Melenchon a pris la parole.

Il a été fidèle à son récit : Toutes ces horreurs viennent des inégalités économiques, de la discrimination à l’égard de la population des banlieues et du mauvais fonctionnement de la police qui tue et qui est raciste.

Il n’a pas appelé « au calme » mais à « la justice »

Il a demandé que les jeunes ne s’attaquent pas aux « Ecoles », « aux Bibliothèques » « aux gymnases », ce qui laisse à penser que pour les autres cibles, le saccage est une option ?

Michel Onfray lui a répondu avec véhémence : « Melenchon est prêt à tout pour arriver au pouvoir » :

« Quand je dis tout, c’est-à-dire détruire la France. C’est-à-dire mettre la France à feu et à sang. C’est-à-dire contribuer à ce que le sang puisse couler. Melenchon est prêt à tout ça »

et il ajoute:

« [on dit] Les gens sont mécontents, ils descendent dans la rue. Non ce ne sont pas des gens qui sont mécontents dans la rue. C’est un peuple qui se soulève contre un autre peuple ! »

Michel Onfray poursuit un autre récit, totalement opposé à celui de Melenchon, celui d’une « guerre civile à bas bruit »

A ce propos, j’ai entendu un sociologue estimer à 0,2% de la population des banlieues concernées par les faits de violence.

Par ailleurs pour qu’on puisse parler de « Peuple », il faudrait que ces personnes aient une conscience politique d’être un peuple ayant un destin commun. Je ne vois pas ce dessin politique mais surtout une rage de se défouler et un désir irréfragable de consommer des chaussures Nike, des Smartphones et autres marques de réussite.

Et lors du 20h de Darius Rochebin sur LCI le 1er juillet 2023, le premier argument utilisé par Hubert Vedrine, le secrétaire général de la présidence de la République de François Mitterrand et le ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin est celui d’une immigration mal maîtrisée et il en appelle à l’exemple danois.

Chacun suit son récit, sans jamais rencontrer et même chercher à échanger avec l’autre.

<Le Monde> cite un éditorial de « La Tribune de Genève » qui appelle de son côté à sortir d’un « débat bloqué » entre « deux camps caricaturaux et irréconciliables » : « D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. » « Selon toute apparence, le policier n’avait pas à tirer », analyse l’auteur, qui ajoute, au sujet du jeune conducteur tué, que, « s’il avait obtempéré à la police, il vivrait ». « Dans le débat politique français, ces deux vérités ne sont jamais confrontées, elles s’affrontent stérilement, déplore le journal suisse. Pauvre débat, triste débat, qui ne fait qu’entretenir la violence, car chacun ne veut voir que celle de l’autre. »

Si je dois donner quelques mots de conclusion, ce serait les suivants :

  • Si ce jeune homme n’avait pas pris le volant d’une voiture excessivement puissante alors qu’il n’avait ni le permis, ni d’assurance, il n’aurait pas été tué.
  • S’il avait obtempéré à l’ordre de la police, il n’aurait pas été tué.
  • On a écrit, il n’avait pas d’arme dans cette voiture. Mais enfin, la voiture qu’il conduisait pouvait tuer. D’ailleurs il a faillé renverser un piéton et un cycliste. Il était donc non seulement dans l’illégalité mais aussi un danger pour autrui.
  • Les policiers n’auraient sans doute pas du sortir leur arme pour menacer parce que dans ce cas il se mettaient en posture et en risque de tirer et de mal tirer.
  • Mais était-il raisonnable de laisser repartir cette voiture qui risquait de créer des accidents étant donné l’état d’excitation du jeune Nahel et probablement sa maîtrise limitée du bolide qu’il conduisait ? Je n’ai entendu personne expliquer comment immobiliser ce véhicule de manière efficace et sans utilisation d’arme létale. Il me semble que laisser repartir la voiture n’était pas une option.

Il y a certainement des problèmes au sein de la police. Sans doute une formation insuffisante, peut être une organisation et des méthodes d’interpellation à revoir. Il existe probablement des racistes au sein de la Police qu’il faut combattre.

Mais le déchainement de violence qui a eu lieu ces derniers jours doit aussi nous interroger sur ce que vivent nos policiers dans ces quartiers.

Que ferions nous s’il n’y avait plus de Police ?

SI tous les policiers déposaient brusquement tous leurs attributs en disant nous en avons marre de vivre cette violence, ces insultes et incivilités au quotidien, ce rejet systématique de l’autorité.

D’ailleurs contrairement à ce que pense ces gauchistes qui ont perturbé les comparutions aux Palais de Justice de Lyon et qui scandaient cette affirmation : « Tout le monde déteste la Police », les français sont plutôt du côté de la police.

<Selon ce sondage IFOP réalisé après la mort de Nahel> 43% et 14% ressentent de la confiance ou de la sympathie envers les forces du maintien de l’ordre, soit un total de 57% d’avis positifs. La police inspire de l’inquiétude ou de l’hostilité pour 32% des Français, tandis que 11% d’entre eux n’ont pas d’opinion.

Alors, il ne s’agit pas de nier les problèmes mais gardons-nous bien de solution simpliste comme croire que tout est la faute de la Police ou inversement que tout est de la faute de l’immigration.

Les choses sont infiniment plus complexes que cela.

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Mercredi 9 juin 2021

« Osez Joséphine »
Titre d’une pétition

« Osez Joséphine » est une chanson et un album d’Alain Bashung paru en 1991.

Mais, en ce moment, « Osez Joséphine » présente une autre signification.

Aujourd’hui, c’est une pétition qui demande l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker..

Le magazine « ELLE » explique dans son article : « Osez Joséphine » :

« À l’occasion de la fête de l’Armistice du 8 mai 1945, l’essayiste Laurent Kupferman a décidé de mettre en place cette pétition. Pour lui, l’artiste et militante est un symbole d’unité nationale. […] Joséphine Baker, première star internationale noire, a un parcours assez atypique. Muse des cubistes dans les années 1930, elle devient ensuite résistante dans l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale et activiste aux côtés de Martin Luther King pour les droits civiques aux États-Unis d’Amérique et en France aux côtés de la Licra »

Pour l’instant, il n’y a que 5 femmes qui reposent au Panthéon, contre 75 hommes.

Dans <le mot du jour du 17 mai 2021> j’avais évoqué les obstacles qui se dressent sur le chemin de la panthéonisation de Gisèle Halimi.

Outre son genre, Joséphine Baker présente deux autres caractéristiques absentes au Panthéon : Sur ces 80 résidents, il n’y a aucun artiste de spectacle vivant et aucune personne racisée

Je dois avouer que je ne savais pas grand-chose de Joséphine Baker.

Mais j’ai d’abord été informé de la pétition par <le billet du 4 juin> de François Morel :

« Entre ici, Joséphine Baker avec ton amoureux cortège de plumes et de bananes et d’enfants adoptés et de combats contre le racisme et de courage.

Car Joséphine fit partie de ce « désordre de courage » comme le disait André Malraux devant le cercueil de Jean Moulin, évoquant la résistance.

Entre ici Joséphine avec tes chansons de Vincent Scotto et ton parcours admirable d’icone des années folles devenue militante du Mouvement des droits civiques de Martin Luter-King. […]

Entre ici Joséphine, avec ton cortège de danses et de chansons, de rythmes et de rêves de music-hall.

Rentre ici, pas parce que tu es une femme, pas parce que tu es une noire mais parce que, toi aussi, tu avais fini par devenir un visage de la France.

Et parce qu’étant femme, et parce qu’étant noire, tu peux réussir à transmettre un message à une jeunesse qui sans doute n’a jamais entendu parler de toi. « Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cette femme ».

Entre ici Joséphine qui, ne pouvant avoir d’enfants, en adopta douze, de toutes origines, qu’elle appelle « sa tribu arc-en-ciel ». Comme disait à peu près Mark Twain « Elle ne savait pas que c’était impossible, alors elle l’a fait ».

Entre ici Joséphine si affectueuse avec les animaux en liberté dans sa maison du Vésinet, les chats, les chèvres, les cochons et, tenue en laisse, un guépard, Chiquita qui, à la ville, comme à la scène l’accompagne. »

Puis j’ai entendu une émission sur France Musique : Musicopolis : < Joséphine Baker, une américaine à Paris > qui revient davnatage sur sa carrière musicale quand elle est arrivée à Paris>

Elle arrive à 19 ans et avec une troupe de 25 chanteurs et danseurs noirs va obtenir un succès retentissant avec un spectacle appelé « la « Revue Nègre »
Oui ! parce qu’à cette époque on avait le droit d’utiliser le terme de nègre.

Ces deux émissions m’ont conduit à m’intéresser à la vie et au destin de Joséphine Baker.

Grâce à Wikipedia on peut avoir une vision assez complète de ce destin.
Joséphine Baker est née Freda Josephine McDonald le 3 juin 1906 à Saint-Louis, dans le Missouri, dans un pays ségrégationniste et profondément raciste.

Elle est née dans une famille très pauvre. La jeune femme passe une partie de son enfance à alterner l’école et les travaux domestiques pour des gens aisés chez qui sa mère l’envoie travailler.

Elle se marie une première fois à 13 ans. Ce mariage ne durera pas longtemps et Joséphine Baker a une passion pour la danse. Elle va intégrer diverses troupes. Lors d’une tournée, elle va rencontrer à Philadelphie Willie Baker, qu’elle épouse en 1921, donc à 15 ans. Elle gardera ce nom pour la suite de sa vie bien qu’elle divorcera à nouveau et contractera encore d’autres mariages.

Elle vivra son arrivée à Paris comme une libération. Elle dira :

« Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris »

Elle éblouira Paris et la France par sa vélocité et l’enthousiasme de ses danses et puis elle commencera à chanter.

Elle participera activement à la résistance. Elle s’acquitte durant la guerre de missions importantes, et reste connue pour avoir utilisé ses partitions musicales pour dissimuler des messages. Lors de sa première mission à destination de Lisbonne, elle cache dans son soutien-gorge un microfilm contenant une liste d’espions nazis, qu’elle remet à des agents britanniques.

Un autre aspect de sa vie est étonnante. Elle épousera un homme riche du nom de Jo Bouillon, et achètera avec lui le château des Milandes en Dordogne où elle vivra jusqu’en 1969. Elle y accueille douze enfants de toutes origines qu’elle a adoptés et qu’elle appelle sa « tribu arc-en-ciel ». La fin de sa vie fut obscurcie par de très grandes difficultés financières.

Elle mourra d’une hémorragie cérébrale à 68 ans le 12 avril 1975, juste après un dernier spectacle qu’elle aura donné le 9 avril 1975 à Bobino dans le cadre d’une série de concerts célébrant ses cinquante ans de carrière.

Dans le Magazine « Elle  » on lit que l’auteur de la pétition Laurent Kupferman, donne la raison de son initiative :

« Une femme libre, féministe, une résistante et une personnalité engagée contre le racisme. De son vivant, la France a déjà décoré cette femme d’exception. Elle a reçu quatre médailles, dont celle de Chevalier de Légion d’honneur à titre militaire. Sa panthéonisation serait un puissant symbole d’unité nationale, d’émancipation et d’universalisme à la française »

France Inter a aussi publié une page sur cette initiative : <« Osez Joséphine », la pétition qui plaide pour l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon>

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Mercredi 24 juin 2020

«L’antiracisme est un combat juste. Il ne doit pas devenir un acte de vandalisme intellectuel ou de désordre dans ce monde si fragile.»
Kamel Daoud

Lors des derniers mots du jour, j’ai évoqué à plusieurs fois le racisme de blancs à l’égard des noirs, des crimes contre les noirs et des questions de mémoire aussi.

La mémoire que l’on met en avant dans un récit et qui se reflète dans des statues que l’on érige dans les villes ou les noms qu’on donne à des boulevards ou des avenues et aussi ceux qu’on donne à des ruelles ou des impasses.

Lundi, j’évoquais la proposition de donner le nom de Franz Fanon à une ruelle d’un nouveau quartier de Bordeaux. Ce n’était pas grand-chose, ce n’était qu’une ruelle. Mais c’était encore trop pour ceux qui continuent à raconter le récit de l’Algérie française. Dans ce récit un opposant au colonisateur ne peut pas être honoré, même d’une ruelle.

En revanche, il n’y a pas de problème en France d’avoir des rues et des statues au nom du Maréchal Bugeaud qui fut un responsable de la colonisation de l’Algérie. C’est la réflexion que je me faisais, hier soir, en passant par la rue Bugeaud dans le cossu 6ème arrondissement de Lyon.

Une avenue parisienne porte son nom dans le 16e arrondissement de Paris qui est un peu l’équivalent du 6ème de Lyon. La place centrale de la ville de Périgueux porte une monumentale statue de ce maréchal de France. J’ai lu qu’une rue porte aussi son nom dans le 3ème arrondissement de Marseille.

Le Maréchal Bugeaud qui a dit

« Le but n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, […] de jouir de leurs champs […]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes […], ou bien exterminez-les jusqu’au dernier. »

Ou encore

« Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fumez-les à outrance comme des renards. »

Cet article <des Inrocks> donne la parole à Benjamin Stora pour essayer de décrire le personnage et ses actes.

Article qui avait été écrit après qu’Eric Zemmour ait dévoilé son récit de la France, qu’hélas un trop grand nombre partage :

« Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi, je suis aujourd’hui du côté du général Bugeaud. C’est ça être Français ! »

Voilà qui est dit !

Mais s’il est possible de s’interroger, de se poser des questions sur ce sujet des récits, sur des hommes qu’on a mis en avant jusqu’à présent et aussi sur les femmes et les hommes qu’on pourrait aujourd’hui mettre en avant, il est tout aussi possible de ne pas partager tous les combats de celles et ceux qui aujourd’hui se prétendent de la lutte antiraciste.

On peut désapprouver une femme noire qui insulte un policier de peau noire et le traite de <vendu> parce que selon ses préjugés antiracistes, on ne peut être noir et policier de la République. Pour elle un policier est blanc et c’est la police des blancs. Avec ce type de réaction, nous n’allons pas avancer beaucoup dans notre société.

C’est ce que dénonce Caroline Fourest dans son livre « génération offensée » dans lequel elle dénonce l’antiracisme identitaire et des procès en appropriation culturelle qui peuvent menacer la liberté d’expression et de création artistique. Puisque pour ces antiracistes, un blanc ne peut pas avoir un discours ou créer un ouvrage artistique qui défend les noirs ou simplement dénonce l’injustice qui leur est faite. Il n’a pas le droit de le faire parce qu’il n’est pas noir et ne peut donc pas comprendre les souffrances et les sentiments des noirs.

J’aime beaucoup Caroline Fourest.

J’aime aussi Kamel Daoud qui est un esprit libre et qui comme Caroline Fourest aspire à une pensée universaliste et non sectaire.

Car, avant, le contraire du raciste était l’universaliste celui qui considérait que tous les humains étaient égaux et que chaque humain avait le droit de défendre un autre humain même s’il n’appartenait pas à sa tribu. Et chaque humain avait le droit de critiquer sa tribu et des humains de sa tribu.

Rien de tel chez beaucoup d’antiracistes d’aujourd’hui, pour qui la défense de sa tribu ne permet aucune nuance.

Kamel Daoud est universaliste et il est ainsi critiqué parce qu’on le soupçonne de trahir sa tribu. Le journal algérien « El Watan » rapporte, en janvier 2020, les propos de Rachid Boudjedra, l’auteur de « la Répudiation », sur Kamel Daoud :

« Kamel Daoud dont les œuvres récentes, sont idéologiquement plus référencées à la mentalité de l’ancien colonisateur qu’au patrimoine historique et culturel de son pays. Il lui adressa en ce sens une critique sans concession qui a eu du mal à passer dans les milieux intellectuels algériens, une diatribe frontale pour lui signifier que sa « soumission » psychologique à l’intelligentsia outre-Méditerranée est une véritable dérive. Le rapport à l’écriture est ainsi vu comme une grave altération à la liberté de penser et de s’exprimer à partir de l’instant où il devient dépendant et s’exécute en fonction d’un imaginaire trompeur et souvent perfide, qui va trop loin aussi dans la déformation de la vérité. »

Et le journal d’ajouter :

« Tout est sciemment articulé autour de ce « lien » avec l’ancien colonisateur qui doit être visible et pas seulement suggéré »

Kamel Daoud a publié une tribune dans le journal le Monde publié le 22/06/2020, tribune que je veux partager aujourd’hui : « L’Occident est imparfait et à parfaire, il n’est pas à détruire »

Il interroge d’abord sur cette obsession de vouloir détruire, piétiner l’occident :

« Faut-il détruire l’Occident ? Le mettre à feu et à sang pour mieux le reconstruire ou mieux le piétiner dans ses ruines ? […] On aura beau le nier et le relativiser, il y a déjà un instinct de mort dans les airs de la révolution totale imaginée par chacun. L’Occident étant coupable par définition selon certains, on se retrouve non dans la revendication du changement mais, peu à peu, dans celle de la destruction, la restauration d’une barbarie de revanche. »

Il ne faudrait en effet pas oublier que les arabes ont aussi été des colonisateurs et ont aussi été des très grands esclavagistes.

Quand aujourd’hui on ne critique que l’occident démocratique et qu’on est complaisant, voire admiratif pour la Chine qui est un pays totalitaire avec un régime oppressif qui ne connait aucun contre-pouvoir, ne fait-on pas fausse route ?

Kamel Daoud signale cette faiblesse de critiquer ceux qui acceptent la critique et de ne pas critiquer ceux qui font pire mais qui ne tolèrent pas la contradiction.

« Ces procès anti-Occident à la soviétique, si faciles et si confortables, à peine coûteux quand on ne vit pas dans la dictature qu’on a fuie, menés par les intellectuels du sud en exil confortable en Occident ou par des fourvoyés locaux sont une impasse, une parade ou une lâcheté. Ils n’ont ni courage, ni sincérité, ni utilité. […]

La règle de ce confort est qu’il est plus facile de déboulonner la statue d’un tyran, au nord, sous les smartphones, que de déboulonner un vrai tyran vivant au « sud ». Et il n’est pas même utile de répondre à ceux qui, lorsque vous tenez ces propos pourtant réalistes, vous accusent de servilité intellectuelle. »

Et il fait ce que lui reproche le journal « El Watan » il ne trouve pas tous les torts du côté de l’occident et tous les vertus du côté de ceux qui le critique :

« Le fait même de défendre l’Occident comme espace de liberté, certes incomplète et imparfaite, est jugé blasphématoire dans cette nouvelle lutte des classes et des races. Il est interdit de dire que l’Occident est aussi le lieu vers où l’on fuit quand on veut échapper à l’injustice de son pays d’origine, à la dictature, à la guerre, à la faim, ou simplement à l’ennui. Il est de bon ton de dire que l’Occident est coupable de tout pour mieux définir sa propre innocence absolue. […]

Erreurs et illusions coûteuses. L’Occident est à la fois coupable et innocent. Or, tuer un coupable ne brise pas la chaîne de la douleur. Elle fait échanger les robes des victimes et des bourreaux. On le sait tous, et c’est une banalité utile à remémorer.

Il est urgent de rappeler que sur les colères d’aujourd’hui se greffent trop de radicalités pour qu’on puisse éviter la violence si on continue dans le même aveuglement. Brûler l’Occident, ce rêve si facile qu’Internet et ces militants agitateurs des réseaux commercialisent en guise de « néopureté » et de légitimité, est une erreur qui aura de lourdes conséquences. »

On se retrouvera, dans quelques décennies, à vivre dans ces champs nus, à construire la barbarie qu’on a cru dénoncer. »

Voilà des paroles fortes et j’aime particulièrement sa conclusion :

« Monstrueux quand il a faim, selon l’expression d’un internaute, injuste et au passé vandale, beau, fascinant dans la nuit du monde, nimbé dans le rêve et le fantasme pour le migrant, vertueux par une démocratie inachevée, hypocrite à cause de sa prédation des ressources, son passé colonial tueur, inconscient et heureux, l’Occident est ce qu’il est : imparfait et à parfaire. Il n’est pas à détruire. Ceux qui en rêvent sont ceux qui n’ont pas su avoir de rêve meilleur que la barbarie de revanche, pas su dépasser des rancunes intimes. […] L’antiracisme est un combat juste. Il ne doit pas devenir un acte de vandalisme intellectuel ou de désordre dans ce monde si fragile. Son but est un avenir meilleur, pas un passé aveuglant […] »

Paroles de la nuance, de la complexité.

Non pas un monde binaire dans lequel d’un côté il y a tout le bien et de l’autre tout le mal.

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Vendredi 19 juin 2020

«Le Tata sénégalais de Chasselay»
Cimetière militaire de la Seconde Guerre mondiale

C’était il y a 80 ans.

Des hommes venant majoritairement du Sénégal, mais aussi du Mali, de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Gabon se sont battus pour la France en 1940. Ils appartenaient à toutes les ethnies de la région, peuls, bambaras ou malinké. On les appelait les « tirailleurs sénégalais » mais on leur avait aussi donné le nom d’« armée noire ». Wikipedia nous apprend que jusqu’en, 1905, ce corps intégrait des esclaves rachetés à leurs maîtres locaux.

En 1940, ils faisaient encore partie de l’empire colonial français.

L’armée française les avait convaincus de venir se battre au côté de leur colonisateur pour défendre la France qui était attaqué par l’Allemagne nazi.

Et en juin 1940, le 25e régiment de tirailleurs sénégalais fait partie des troupes déployées au nord de Lyon, sur une ligne de défense censée retarder l’entrée des Allemands dans Lyon.

Ces affrontements des 19 et 20 juin sont parmi les derniers combats de la campagne de France.

Ce sont des combats de l’inutile car la bataille de France est déjà perdue, le 17 juin, le maréchal Pétain a annoncé un cessez-le-feu et demandé l’armistice, signé le 22 juin à Rethondes, le 18 juin qui reste la date la plus célèbre de juin 40, le général de Gaulle appelle, depuis Londres les Français à poursuivre le combat.

A Chasselay, ni les tirailleurs ni leurs officiers n’ont évidemment entendu le message lancé sur les ondes de la BBC. Malgré tout, ils vont contribuer, dès le lendemain, à entretenir cette « flamme de la résistance française » que l’exilé appelle de ses vœux.

Moins de 5 000 hommes dont 2 200 tirailleurs sénégalais vont s’opposer aux 20 000 soldats du régiment d’infanterie Grossdeutschland et de la division SS Totenkopf. Les Allemands se pensent déjà en terrain conquis ; ils ont traversé la Bourgogne sans rencontrer d’opposition et savent que Lyon a été déclarée « ville ouverte » le 18 au matin.

Tandis qu’ailleurs les soldats français préfèrent rompre et s’enfuir, à Chasselay et dans les communes environnantes, comme Lentilly, Fleurieu ou L’Arbresle, les tirailleurs sénégalais et quelques artilleurs aux moyens dérisoires font face à la Wehrmacht. Ils ouvrent le feu, le 19 vers 10 heures, sur les émissaires allemands venus leur intimer de se rendre. S’ensuivent plusieurs heures de combats meurtriers, notamment autour du couvent de Montluzin. Le lendemain, à la tête d’une poignée de braves regroupés dans le parc du château du Plantin, le capitaine Gouzy décide même d’un « baroud d’honneur ».

Les troupes françaises devront au bout du combat se rendre.

Et, le 20 juin 1940, en fin d’après-midi, quarante-huit tirailleurs sénégalais faits prisonniers sont conduits à l’écart des maisons de Chasselay, dans un champ, au lieu-dit Vide-Sac.

Désarmés, les bras en l’air, ils vont bientôt être fauchés par les mitrailleuses de deux chars, achevés au fusil et avec des tirs d’obus, certains écrasés par les chenilles des blindés lancés à la poursuite des fuyards.

Le Monde est revenu, le 16 juin, sur cette horrible histoire : <Ces tirailleurs africains massacrés par les nazis>

Le journal y revient parce qu’on a retrouvé des photos inédites de ce massacre.

Le Monde raconte :

« Huit photos terrifiantes, prises par un homme de la Wehrmacht, illustrent la rage raciste à l’œuvre lors des fameuses journées. Les photos en question, totalement inédites, dormaient dans un vieil album, mis sur un site d’enchères par un brocanteur outre-Rhin et acheté par un jeune collectionneur privé de Troyes, Baptiste Garin. Sur une double page était épinglé un massacre de tirailleurs. « J’ai été saisi d’une émotion étrange, d’un malaise et puis du sentiment d’un cauchemar en croisant le regard de ces pauvres types », raconte l’acquéreur. Il prend contact avec un historien, Julien Fargettas. Voilà un quart de siècle que cet ancien militaire de 46 ans travaille sur cet épisode. Il vient même d’y consacrer un livre : « Juin 1940. Combats et massacres en Lyonnais (Poutan, 250 pages, 21 euros) ». Julien Fargettas identifie la scène. […] Ces preuves photographiques d’un crime de guerre corroborent les descriptions des gradés français témoins de la scène. Avant le carnage, ces Blancs avaient été mis à l’écart et forcés à se coucher au sol sous la menace de mitraillettes. »

Selon Julien Fargettas, les photos permettent d’identifier l’unité et les soldats responsables de la tuerie :

« Il ne s’agissait pas de SS, comme on l’a longtemps cru, mais d’hommes de la Wehrmacht ».

Certains voulaient épargner l’armée officielle allemande qui était une armée respectable pas comme les SS. Ce n’est pas exact.

C’est un historien allemand Raffael Scheck qui a écrit un livre « UNE SAISON NOIRE. Les massacres de tirailleurs sénégalais (Mai-Juin 1940)» qui l’avait déjà révélé : la Wehrmacht aussi avait les mains sales.

Le Monde cite un témoignage, daté de 1975, du caporal Gaspard Scandariato :

« Tout à coup, un crépitement d’armes automatiques retentit, se renouvelant à trois ou quatre reprises, auquel se succédèrent des hurlements et des grands cris de douleur. Quelques tirailleurs qui n’avaient pas été touchés par les premières rafales s’étaient enfuis dans le champ bordant le chemin, mais alors les grenadiers panzers qui accompagnaient les blindés les ajustèrent sans hâte et au bout de quelques minutes les détonations cessèrent. L’ordre nous fut donné de nous remettre debout et, colonne par trois, nous passâmes horrifiés devant ceux qui quelques heures auparavant avaient combattu côte à côte avec nous et qui maintenant gisaient morts pour notre patrie. Quelques tirailleurs gémissaient encore et nous entendîmes des coups de feu épars alors que nous étions déjà éloignés des lieux du massacre. »

Ces homo-sapiens de peau noire étaient des hommes et des soldats. Mais les militaires allemands leur déniaient ce double statut et les appelaient « Affen » (« singes »).

Le Monde précise :

« Les nazis développeront par la suite une intense propagande contre ce qu’ils appelèrent « Die Schwarze Schande », « la honte noire ». « Envers ces soldats indigènes, toute bienveillance serait une erreur, ils sont à traiter avec la plus grande rigueur », pouvait-on lire dans un ordre venu de l’état-major du général Heinz Guderian, un des artisans de la victoire éclair contre la France. Après la capitulation, les exécutions de prisonniers noirs qui, selon l’historien Raffael Scheck, ont fait plusieurs milliers de victimes seront réduites à des péripéties de la guerre et jamais jugées. »

L’épisode de Chasselay fut le dernier d’une série d’exactions commises contre les tirailleurs africains pendant la campagne de France. Il faut ajouter qu’à Chasselay, les officiers blancs des tirailleurs sénégalais furent aussi fusillés, parce qu’ils commandaient des noirs.

Vous trouverez sur cette page Wikipedia : <Liste de massacres perpétrés par les forces allemandes en France durant la Seconde Guerre mondiale> une liste exhaustive des massacres allemands.

Sur cette liste il y a une erreur car le massacre de Chasselay est attribué au SS, alors que c’était la Wehrmacht qui était à l’œuvre.

Au lieu précis du massacre, le lieudit Vide sac, un cimetière a été érigé : « Le Tata sénégalais de Chasselay »

« Tata » signifie enceinte fortifiée en Afrique. L’édifice, entièrement ocre rouge, est constitué de pierres tombales entourées d’une enceinte rectangulaire de 2,8 mètres de hauteur. Son porche et ses quatre angles sont surmontés de pyramides bardées de pieux. Le portail en claire-voie, en chêne massif, est orné de huit masques africains.

On a fait venir de la terre de Dakar par avion, pour la mélanger à la terre française

Il sert aussi de sépulture à d’autres victimes de massacres de la région lyonnaise.

188 tirailleurs « sénégalais » ainsi que six tirailleurs nord-africains et deux légionnaires (un Albanais et un Russe) y sont inhumés.

C’était exactement, il y a 80 ans.

Ces hommes ont parcouru 5000 km du Sénégal jusque dans le Beaujolais pour défendre le territoire de la France.

Ils étaient noirs.

Et c’est pour cette unique raison qu’ils ont été abattus, assassinés par des soldats dont la peau était blanche.

Et dans notre langue on utilise le mot « noir » pour signifier le mauvais, le méchant « une âme noire », « des noirs desseins ».

Et on utilise le mot « blanc » pour désigner la pureté, l’innocence.

Mais il y a 80 ans, comme avant, comme après et comme encore aujourd’hui ce sont des blancs qui tuent des noirs, parce qu’ils sont noirs.

Le Tata de Chasselay

Vous pouvez regarder ce documentaire de 50 minutes consacré à ce lieu : <Le Tata Sénégalais de Chasselay – Mémoire des tirailleurs sénégalais>

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Jeudi 18 juin 2020

«Le choix des statues dans une ville est un choix politique […] l’inscription des mémoires qui sont mis en avant !»
Françoise Vergés

Sortir de sa zone de confort…

Lundi, j’avais évoqué ce mouvement qui veut déboulonner la statue de Colbert, parce qu’il avait été l’instigateur du « code noir ».

Emmanuel Macron avait affirmé solennellement « La République ne déboulonnera pas de statue. » et avait ajouté :

« Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre Histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l’Afrique en particulier, pour bâtir un présent et un avenir possible, d’une rive l’autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou de nier ce que nous sommes. »

J’étais plutôt d’accord avec lui.

Plusieurs ont exprimé cette idée d’accompagner les statues de Colbert d’une plaque expliquant ce que fut Colbert, son rôle positif dans la construction de l’Etat mais en rappelant aussi la tâche que fut sa participation à l’élaboration du code noir.

Et Françoise Vergés a répondu à Guillaume Erner qui avançait cette thèse :

« Mais si vous pensez cela, pourquoi vous n’acceptez pas qu’on érige des statues au Maréchal Pétain, c’est quand même le vainqueur de Verdun. ?»

Et elle ajoute qu’il suffirait aussi, dans ce cas, d’ajouter une petite plaque expliquant que sur ces vieux jours, il a fait d’autres choses qui ; elles ; étaient abominables. »

Et c’est là que l’on sort de sa zone de confort.

J’ai écrit une série de mot du jour sur l’antisémitisme, en montrant sa spécificité dans l’Histoire. La Shoah qui fut l’aboutissement d’un processus de haine extrême des juifs qui s’est développé tout au long de l’histoire chrétienne par des pogroms et des persécutions, jusqu’à cette volonté d’extermination, constitue une faute et une plaie insupportable de l’histoire d’homo sapiens.

Mais il n’est pas acceptable, surtout pour celles et ceux dont les ancêtres en furent les victimes, de ne pas donner toute sa place à l’horreur et à la faute tout aussi insupportable d’avoir toléré et développé l’esclavage des noirs. D’avoir considéré l’homme de peau noire comme un bien meuble, qui n’avait aucun droit et pouvait être mis à mort sans procès, fouetter autant que son maître le souhaitait et aussi mutiler s’il s’enfuyait ce qui est quand même la chose la plus naturelle quand on est réduit au statut d’esclave.

Il ne s’agit pas de dire que ces deux abominations sont identiques. Mais vouloir les comparer pour essayer, au bout d’une argumentation de l’horreur, de prétendre que l’une serait plus grave que l’autre me semble une autre abomination.

Or, il en est beaucoup de « nos héros » qui ont joué un rôle abominable, je persiste dans ce mot, à l’égard des humains de peau noire.

Et nous ne le savons pas ! ou si peu.

Le Général Gallieni par exemple, il y a une rue importante de Montreuil sous-bois qui porte son nom, à Lyon c’est un pont sur le Rhône, à Paris c’est une Avenue entre le quai d’Orsay et les Invalides, et puis il y a bien sûr de nombreuses statues.

Joseph Gallieni, c’est bien sur celui qui en réquisitionnant les taxis de la Marne a pu réaliser une manœuvre stratégique qui a permis de surprendre l’armée allemande et de stopper sa progression vers Paris en 1914 et éviter de perdre prématurément la guerre qui fut gagnée par la suite.

Dans les livres d’Histoire que je lisais toujours avec passion, il n’y avait que cet épisode qui était relaté.

A 65 ans, tout à la fin de sa carrière, Joseph Gallieni fut nommé gouverneur militaire de la place de Paris et c’est en tant que tel qu’il participa à cette manœuvre disruptive pour l’époque, comme on dirait maintenant.

En 1916, il mourut.

Mais avant 65 ans que faisait-il ?

Vous pouvez aller lire sa page Wikipedia qui raconte ses différentes missions en Afrique noire (1876-1882), puis son poste de Commandant supérieur du Soudan français (1886-1888), et la Mission en Indochine (1892-1896) pour finir Gouverneur général de Madagascar (1896-1905). On parle de massacres, de répressions dures et de politiques coloniales sans états d’âme. Mais cette page n’entre pas trop dans le détail.

Je vous renvoie donc plutôt vers un blog de Mediapart, qui pose cette question <Qui était Joseph Gallieni ?>

Vous pouvez lire. Il parle par exemple du massacre d’Ambiki et renvoie vers une page plus complète sur cet épisode : <Le Massacre d’Ambiky en 1897, par Paul Vigné d’Octon.> :

« Le roi Touère, les personnages de marque, tous les habitants tombèrent sous les coups des mitrailleurs dans cette matinée ; les tirailleurs n’avaient ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas: enivrés de l’odeur du sang, ils n’épargnèrent pas une femme, pas un enfant. […] Quand il fit grand jour, la ville n’était plus qu’un affreux charnier dans le dédale duquel s’égaraient les Français, fatigués d’avoir tant frappé.

Les clairons sonnèrent le ralliement, les sous-officiers firent l’appel : nul des nôtres ne manquait. On se reposa, on mangea, des chants joyeux ne célébrèrent pas la victoire. Une boue rouge couvrait le sol. À la fin de l’après-midi, sous l’action de la chaleur, un petit brouillard s’éleva: c’était le sang des 5000 victimes, l’ombre de la ville qui s’évaporait au soleil couchant. »

Et ce blog cite Aimé Césaire qui disait en 1950 :

« On s’étonne, on s’indigne. On dit : «Comme c’est curieux ! Mais, Bah ! C’est le nazisme, ça passera !» Et on attend, et on espère; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il est sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. »

Alors il ne faut pas accepter des statues de Pétain, mais des statues de Gallieni, pour lui il n’y pas de problème ?

Pétain eut un rôle plus important lors de la guerre 14-18 que Gallieni.

Et pour le reste ?

Les crimes de Gallieni ont été perpétrés contre des populations « non européennes » pour reprendre le mot d’Aimé Césaire.

Françoise Vergés est née en 1952 à Paris, mais a passé la plus grande partie de son enfance à l’île de la Réunion où son père Paul Vergès poursuivait une carrière politique proche du Parti communiste.

Le célèbre avocat Jacques Vergés était son oncle.

Paul et Jacques Vergés étaient les enfants de Pham Thi Khang, institutrice vietnamienne, et du docteur Raymond Vergès, consul de France au Siam, c’est-à-dire la Thailande.

La mère de Françoise Vergés était aussi une militante communiste et féministe : Laurence Deroin.

Françoise Vergés est une universitaire et militante féministe « décoloniale » française.

En effet, elle a publié en 2019 son livre « Un féminisme décolonial »

Elle explique dans l’émission <à Voix nue>

« Ce que j’appelle féminisme décolonial, c’est un féminisme qui, tout en reconnaissant qu’il y a une domination masculine, ne se focalise pas sur la question de l’égalité de genre. […] En faisant sienne la fiction selon laquelle le colonialisme a pris fin en 1962, le féminisme s’est leurré sur l’existence d’un vaste territoire ‘ultramarin’ issu de la période esclavagiste et post-esclavagiste comme la présence en France de femmes racisées. Complice alors des nouvelles formes du capitalisme et de l’impérialisme, il demeure silencieux sur les nouvelles formes de colonialité et de racisme d’État dans les Outre-mer et en France. […] La plupart des groupes qui constituent le mouvement féministe en France va rester aveugle et sourd à la question de sa propre généalogie, de sa propre histoire. Son récit se construit en rapport avec la domination masculine blanche (c’est la longue marche vers les droits) et l’histoire coloniale et raciale disparaît complètement de la construction de la société dans le récit féministe

Dans son livre précédent, « Le Ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme » elle rapporte que dans les années 70, on pratiquait des avortements et stérilisations, à leur insu, sur des centaines de femmes réunionnaises.

C’est cette femme que Guillaume Erner avait invité le 16 juin 2020 pour parler « des Mouvements antiracistes : un tournant dans l’histoire ? ».

Elle parle de sa voix calme et répond à l’attitude de Macron qui ne veut déboulonner aucune statue en rappelant que tout au long de l’Histoire on a évolué dans le statuaire, on en a enlevé certains, on en a ajouté d’autres.

Lors de la monarchie, c’était des statues de roi qu’on a remplacé sous l’Empire c’était différent et puis encore sous la République d’autres personnalités furent choisis, cela change constamment :

« Quand le Président dit qu’il sera intraitable sur le racisme et les questions d’égalité […] les demandes de retrait les statues est une question d’égalité. Il n’y a pas de justice dont la façon la France présente les monuments. (…) En réalité, il n’y a pas de récit figé. La République pourrait se demander les récits qu’elle voudrait mettre en avant (…). Quelles sont les statues que je vois quand je me promène à Paris ? Essentiellement des hommes blancs, dans des postures guerrières (..). Il n’y a pas d’égalité mémorielle. »

Et elle approfondit cette question des statues qui sont choisies pour remplir l’espace public, comme d’ailleurs les noms donnés aux Boulevards, places, rues, ruelles, impasse :

« Plus profondément, c’est la question d’une plus grande égalité, de l’anti-racisme. Quels sont les récits valorisés ? Qu’est-ce qui est enseigné à l’école ? Qu’est-ce que les enfants de France apprennent ? La question des statues est prise dans un contexte. […]

Les statues ce sont des choix politiques […] Ce sont constamment des choix. [Ne pas discuter de ce qu’il faut déboulonner et ce qu’il faut ajouter signifie] Rien ne changera et votre demande d’égalité ne sera pas entendu. C’est-à-dire ce que vous demandez, vous n’existez pas, vous n’appartenez pas à l’Histoire de France. Il n’y aura jamais de statue d’Aimé Césaire, il n’y aura jamais de statue de Léopold Sédar Senghor. […]

Il y a une sélection qui est faite, […] il y a une hiérarchie qui est donnée, à qui aura un boulevard, à qui aura une ruelle, une impasse. Il s’agit de l’inscription des mémoires qui sont mis en avant dans une ville. Ce que nous demandons c’est plus de justice, plus d’égalité »

[…] C’est une question d’égalité et de dignité pour l’histoire de plein de femmes et d’hommes qui sont dans la République française, qui sont des citoyens français. »

C’est une parole qui m’a fait évoluer dans ma perception de l’Histoire et des choix qui sont faits pour sélectionner, raconter et aussi de valoriser certains aspects, en cacher d’autres.

Je ne suis plus si sûr qu’il ne faille pas réfléchir à déboulonner certaines statues, ou du moins diminuer le nombre de certains personnages statufiés et ériger d’autres statues non encore présente dans la représentation publique.

Je vous invite vraiment à écouter cette émission pleine d’intelligence : « des Mouvements antiracistes : un tournant dans l’histoire ? ».

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Lundi 15 juin 2020

«Le code noir»
Promulgué en 1685 et préparé par Jean-Baptiste Colbert

Notre jeune Président a donc, hier soir, dit solennellement : :

« Je vous le dis très clairement ce soir mes chers compatriotes, la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. »

Il répond à un mouvement très général qui des Etats-Unis à la France, en passant par l’Angleterre, la Belgique a pour ambition de déboulonner des statues de personnages historiques qui au regard des valeurs contemporaines ne devraient plus être honorées selon certains.

J’avais déjà évoqué ce phénomène à propos de Christophe Collomb, le 1er octobre 2019 : « Une oppression, une servitude si dure, si horrible que jamais des bêtes n’y ont été soumises ». Il est reproché à celui qui nous a été présenté comme le découvreur du nouveau monde, sa cruauté extrême à l’égard des indigènes des iles qu’il a conquises.

Le mouvement de révolte suite au meurtre de Georges Floyd a accentué ce phénomène.

Nous lisons sur cette page de France Culture :

« Les manifestations contre le racisme ont trouvé un écho en dehors des États-Unis : en Europe et aux Antilles notamment, où la mémoire de l’esclavage et de la colonisation résonne encore avec les discriminations d’aujourd’hui. Parmi les images qui circulent, un moyen d’action frappe les esprits : le déboulonnage de statues qui incarnent ce passé… Aux États-Unis avec les monuments confédérés, en Angleterre avec cette statue d’un marchand négrier jetée à l’eau à Bristol, en Belgique avec le retrait du buste de Léopold II ou en France avec la figure de Colbert et même de Victor Schœlcher. Les contextes et les moyens d’action sont différents (les dégradations sur les statues de Schœlcher en Martinique ont eu lieu avant la mort de George Floyd et concernent une figure abolitionniste) mais des parallèles existent : cette histoire est toujours à vif et son récit fait l’objet de conflits. »

Et je m’arrêterai aujourd’hui sur le personnage de Colbert.

Jean-Baptiste Colbert est né le 29 août 1619 à Reims et il est mort le 6 septembre 1683 à Paris. Il est un des principaux ministres de Louis XIV, certainement le plus connu. Il a été le Contrôleur général des finances de 1665 à 1683 et a joué un rôle fondamental dans l’économie française de cette époque.

Dans mes cours d’Histoire, j’ai appris qu’il était un grand homme politique de la monarchie et qu’il a été le concepteur et le réalisateur d’une politique économique interventionniste et mercantiliste.

L’étymologie du mot « mercantiliste » provient de l’italien « mercante », marchand. Dans le sens courant et banal ; le mercantilisme désigne l’attitude consistant à faire du commerce avec un esprit d’âpreté au gain.

Mais au sens économique et par rapport à la politique de Colbert le mercantilisme part du postulat que la puissance d’un Etat est fonction de ses réserves en métaux précieux (or et argent). Il prône le développement économique par l’enrichissement de l’Etat au moyen du commerce extérieur. Dans un système mercantiliste, l’Etat joue un rôle primordial en adoptant des politiques protectionnistes qui établissent notamment des barrières tarifaires et encouragent les exportations.

Parallèlement, il favorise le développement du commerce et de l’industrie en France par la création de fabriques et monopoles royaux, étatiques.

Cette politique économique qui donne un grand rôle à l’État est couramment utilisé désormais sous le nom de « colbertisme ».

Les élites françaises ont tellement intégré cette prééminence de Colbert que le principal bâtiment du ministère de l’économie et des Finances, à Bercy, porte pour nom « Le bâtiment Colbert »

C’est le bâtiment des ministres et des services les plus prestigieux du Ministère comme l’Inspection Générale des Finances.

Dans mes souvenirs de cours d’Histoire, les livres et les professeurs racontaient aussi un épisode moins glorieux et plus cynique de la vie de Colbert : sa conspiration contre le surintendant Fouquet, celui qui a fait construire le château de Vaux le Vicomte et qui a fini sa vie en prison  après une superbe fête organisée, en l’honneur du Roi, dans ce château.

Sur cette <page> du Ministère de l’Économie et des Finances en l’honneur de Colbert, classé parmi les grands noms du ministère, on parle aussi de cette épisode, en précisant que ce fut D’Artagnan qui arrêta Fouquet. On parle aussi du rôle économique et du colbertisme.

Mais on ne parle pas, comme on ne parlait pas dans mes cours et livres d’Histoire du « Code noir »

Depuis j’ai pu constater que des cours d’Histoire en ligne ont ajouté cette référence à la vie Colbert.

C’est le rôle joué dans la conception et la rédaction du Code Noir qui vaut à Colbert la menace de déboulonner ses statues et renommer les places, rues et bâtiments qui portent son nom.

Il se trouve ainsi dans le collimateur du Président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault qui appelle notamment à débaptiser la salle Colbert de l’Assemblée nationale. Sa réflexion va plus loin et concerne des statues ou noms de rue, qui font référence à des personnalités impliquées dans la politique colonialiste de la France et qui pourraient avoir vocation à changer de nom.

Il existe trois édits différents connus sous l’appellation de Code noir. C’est le premier qui a été préparé par Colbert. Il a été cependant promulgué par Louis XIV en 1685, 2 ans après la mort de Colbert. Il fut ainsi terminé par le fils de Colbert, le marquis de Seignelay (1651-1690).

Ce code précise le statut civil et pénal des esclaves, ainsi que les relations entre les esclaves et leurs maîtres.

Sa lecture, ne peut que révolter notre regard contemporain. Certains voudront trouver dans ce texte quelques limites mis à la cruauté et à la toute-puissance des maîtres des esclaves. Force est de constater que ces limites sont très molles.

Je citerai trois articles ou extraits d’articles :

« Art. 44
Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, […] »

Les esclaves dont on parle dans ce code sont évidemment de peau noire. Ils appartiennent à la même race d’homo sapiens que leurs maîtres blancs. Mais dans le code noir, cette humanité est niée puisqu’ils deviennent des biens meubles afin de pouvoir juridiquement justifier qu’ils soient propriétés d’autres humains et qu’ils puissent être vendus.

Ils sont des meubles, mais pourtant on les oblige a se soumettre à la même religion que leurs propriétaires. C’est même un des premiers articles du Code noir :

« Art. 2
Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneurs et intendant desdites îles, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable. »

On prévoit bien sur des châtiments corporels et la mort dans un grand nombre de cas. Mais l’article 38 est horrible dans sa précision pour punir les fugitifs :

« Art. 38
L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. »

Cela c’est le code noir.

Le mouvement de protestation qui a débuté aux États Unis après le meurtre de George Floyd et qui s’est répandu sur le monde entier, pose la question de l’Histoire et des hommes que l’on célèbre. La France est particulièrement touchée.

Le Nouvel Esprit Public de ce dimanche a consacré son émission à cette question : « Racisme : ils n’en souffraient pas tous, mais tous étaient frappés »

J’ai été saisi par l’intervention de Lionel Zinsou.

Lionel Zinsou est un homme particulièrement brillant. Il est de peau noire.

Né d’un père originaire du Bénin, médecin de Léopold Sédar Senghor, et d’une mère française, il a fait ses études secondaires en France au lycée Buffon, en CPGE au lycée Louis-le-Grand, puis aux Écoles Normales Supérieures de Saint-Cloud et de la rue d’Ulm. Il passe l’agrégation de sciences économiques et sociales, puis étudie pendant deux ans l’histoire économique à la London School of Economics.

Il a aussi été premier ministre du Bénin de 2015 à 2016.

Il a répondu à des interventions précédentes :

« Permettez-moi de faire entrer un peu de l’émotion populaire dans notre émission. On ne peut pas considérer qu’une liste de discrimination positive, ou affirmative action sur les retraites avantagées et les subventions au voyage a la moindre efficacité sur les peuples.

La discrimination existe partout, qu’on travaille à la banque Rothschild ou à Noisy-le-Grand. Si l’on est Noir ou Maghrébin, elle est permanente. Dès la scolarité avec l’orientation professionnelle, pour l’accès à des stages, pour l’embauche, pour le logement … Tout cela est mesuré et parfaitement documenté. Alors certes, l’Etat et même les entreprises prennent des mesures et signent des chartes, mais les problèmes subsistent, et les nier reviendrait à dire qu’il n’y a par exemple pas de différence de traitement entre hommes et femmes.
Ensuite, on peut faire de la sémantique, mais l’émotion n’est pas à bannir totalement. Même si Adama Traoré a fait plusieurs fois de l’obstruction, ou de l’outrage à agent de la force publique, ce n’est pas passible de la peine de mort en France. Vous avez beaucoup plus de chances d’être condamné à mort dans la rue si vous vous appelez Adama Traoré que « Lionel Bourlanges ». La peine de mort s’applique en France de manière très différentielle, alors même qu’elle a été abolie.
Quand des jeunes gens renversent la statue de Colbert, on s’offusque, on évoque le bilan de Colbert : restauration des finances publiques, manufacture de Saint-Gobain … C’est vrai. Il y a aussi le Code Noir. Et je vous assure qu’il est dans la mémoire et dans la vie des gens d’aujourd’hui, et que toute l’Afrique, les Caraïbes et une partie de l’Amérique Latine en est encore révoltée.

Dans ce code, il est écrit que les Noirs ne sont pas des êtres humains, mais des meubles, ceci pour justifier juridiquement le fait de les vendre.
Oui, la France est la terre des droits de l’Homme et de l’abolition. Oui, il y a eu 1848. Mais après, il y a eu aussi le travail forcé, qui a fait des centaines de milliers de morts, jusqu’en 1946 et la loi Houphouët-Boigny. Ce n’était rien d’autre que l’esclavage perpétué, sans la déportation. 1946, ce n’est qu’à une génération, autrement dit, des abus inqualifiables sont encore tout proches de nous. Aucun catalogue de mesures favorables ne lavera jamais cela.
C’est pour tout cela qu’il y a de « l’émotion » (dans les deux sens du mot). Rien ne justifie les pillages, mais tout justifie la violence des sentiments. La seule façon de sortir de tout cela n’est pas de dire « la République fait beaucoup de choses ». Ce n’est pas le ressenti, et ce n’est de toute façon pas vrai. La discrimination est réelle, il faut cesser le déni. On ne s’en sortira qu’en disant l’Histoire, qu’en faisant mémoire.
Le président Hollande avait eu l’idée, que le président Macron a mise en œuvre, d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage et des abolitions. Ce n’est qu’en étant factuel et objectif, et en disant les choses telles qu’elles se sont passées qu’on apaisera peu à peu ces situations. Il ne s’agit pas d’obtenir des réparations en numéraire, il s’agit de réparation historique. Cette fondation sert à cela, elle a des moyens éducatifs et scientifiques, et des programmes pour accomplir cette mission. Il ne s’agit pas de débaptiser toutes les rues Jules Ferry ou Colbert, il s’agit que nos enfants, Noirs, Blancs, juifs, musulmans ou que sais-je encore, soient dans la vérité de l’Histoire. Sans quoi nous n’aurons plus qu’une vérité de la violence. Ces choses n’étaient pas dans le récit national, c’est ce que François Hollande a reconnu en créant cette fondation. »

Il faut écouter toute l’émission, mais cette intervention me semble très forte.

Jean-Louis Bourlanges a réagi un peu plus tard et pose une autre immense question : qu’avons-nous à partager comme destin commun ?

« Il me semble qu’il y a deux problèmes différents.
Le premier est l’anachronisme, il concerne la dénonciation de Colbert […] Deux énormes asservissements entachent l’Histoire de l’humanité : l’inégalité homme/femme et l’esclavage. Vu d’aujourd’hui, l’esclavage est quasiment incompréhensible métaphysiquement, mais cela doit-il nous conduire à considérer que tous les gens de ces époques sont à mettre dans le même sac ? Devons-nous systématiquement considérer comme immoraux un certain nombre de personnages ? […]

Le second problème est de savoir ce qu’est une histoire mémorielle.

Pourquoi y a-t-il des statues par exemple ? Parce qu’elles faisaient consensus. Dès lors que le consensus n’existe plus, on se met à détruire les statues.

Pour des Français par exemple, Jules Ferry représentait avant tout l’école laïque et obligatoire. Pour des Malgaches ou des Indochinois, c’est une autre affaire. Lionel a raison d’exhorter à ce qu’on se ressaisisse de l’Histoire, avec objectivité et honnêteté intellectuelle. Mais c’est déjà fait ! L’historiographie moderne ne dit plus les énormités d’antan.

Il est vrai que les statues sont ce qui reste de cette période simpliste. Que faut-il enseigner en matière historique ? Car tous ces déboulonnages désacralisent ce récit national qui a façonné une grande partie de nos concitoyens.

Quelle société obtiendrons-nous avec une Histoire fragmentée, dont chaque groupe révère des éléments différents ? Ce n’est pas en en sachant davantage sur le passé que l’on résoudra ce problème, qui est central pour l’avenir du pays.
Nous avons aujourd’hui une impossibilité à vivre ensemble un destin commun, nous nous noyons dans ce qui nous oppose. C’est vraiment « une certaine idée de la France » (pour reprendre le général de Gaulle) qui se dissout dans la violence. »

Il faut être juste et s’efforcer à la rigueur. J’ai commencé ce mot du jour par une citation du discours d’Emmanuel Macron. Mais ce n’était que le début de ce qu’il a dit sur ce sujet. Il a aussi ajouté :

« Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre Histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l’Afrique en particulier, pour bâtir un présent et un avenir possible, d’une rive l’autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou de nier ce que nous sommes. »

Ce qui me parait essentiel, c’est déjà de ne pas être dans le déni et d’être capable de regarder l’Histoire en face ainsi que la réalité d’aujourd’hui telle que la décrit Lionel Zinsou.

<1438>

Lundi 8 juin 2020

« Les Etats-Unis ont été fondés sur le vol de la terre, le génocide des Indiens, et sur l’esclavage. Je le répète : c’est ainsi que les Etats-Unis ont été bâtis ! C’est la raison pour laquelle j’ai un vrai problème avec le terme « les pères fondateurs ».»
Spike Lee

Après un nouveau meurtre d’un homme noir, George Floyd, par un policier américain à Minneapolis, une vague de protestation et de manifestations déferlent sur les grandes villes américaines.

Mais cet élan ne s’arrête pas aux Etats-Unis. De Bristol à Budapest en passant par Madrid et Rome, des dizaines de milliers d’Européens ont rejoint dimanche les manifestations contre le racisme. Et ce mouvement ne s’arrête pas non plus en Europe, il a gagné progressivement le reste de la planète.

<L’AFP> donne une description de ces différentes manifestations.

Le journaliste de l’OBS, François Forestier, a interrogé sur ces évènements le cinéaste afro-américain Spike Lee : « Les Etats-Unis se sont bâtis sur l’assassinat des Noirs »

Spike Lee devait présider le jury du Festival de Cannes, cette année 2020. Nous savons que le festival n’aura pas lieu.

Il comprend parfaitement la réaction des manifestants :

« Comment ne pas comprendre la réaction des gens ? Nous avons eu les émeutes des années 1960, l’assassinat de Martin Luther King, l’affaire Rodney King, et, à chaque nouvel événement, justice n’est pas faite. Les gens veulent se faire entendre… Encore et encore. Rien de nouveau là-dedans.

C’est la même chose depuis quatre cents ans. L’assassinat des Noirs, c’est là-dessus que le pays s’est bâti. Le positif, c’est qu’il y a des gens très divers dans les manifestations. Voir que nos frères et sœurs blancs sont dans la rue, c’est très encourageant. L’espoir est là, dans cette jeune génération qui ne veut pas perpétuer la situation… Quant à Trump, c’est un gangster qui tente de devenir un dictateur. »

Il souligne un point essentiel c’est que lors des manifestations actuelles, la communauté noire n’est pas la seule à se révolter contre cette injustice, mais que de nombreux « blancs » n’acceptent plus cette situation aux Etats-Unis

Il appelle Trump : l’agent orange. On comprend qu’il fait référence aux cheveux du président américain mais L’« agent orange » est surtout le surnom donné à l’un des herbicides arc-en-ciel, plus précisément un défoliant, le plus employé par l’armée des États-Unis lors de la guerre du Viêt Nam entre 1961 et octobre 1971

Il rappelle aussi que lors de la guerre du Viêt-Nam, alors que le pourcentage de Noirs aux Etats-Unis était de 13 %, sur le terrain de guerre les troupes en ligne allaient jusqu’à 30 %.

Spike Lee sort, le 12 juin, un film sur Netflix, « Da 5 Bloods », dans lequel cinq vétérans afro-américains reviennent au Vietnam pour chercher une caisse d’or.

Le journaliste l’interroge à son propos :

« Dans « Da 5 Bloods », vous faites référence à des héros inconnus de la guerre du Vietnam, comme Milton Olive, soldat noir qui s’est jeté sur une grenade pour sauver ses compagnons…

Ce que j’essaie de faire, c’est de mentionner des faits historiques, souvent oubliés. Milton Olive a été l’un des premiers soldats à mourir là-bas, au nom des Etats-Unis. En octobre 1965, alors qu’il patrouillait dans la jungle lors de la bataille de Phu Cuong, il s’est sacrifié en se couchant sur une grenade. Il avait 18 ans. On a lui attribué la Medal of Honor, à titre posthume.

[Les soldats afro-américains.] sont les grands oubliés. C’est comme ça depuis toujours. Les Etats-Unis ont été fondés sur le vol de la terre, le génocide des Indiens, et sur l’esclavage. Je le répète : c’est ainsi que les Etats-Unis ont été bâtis ! C’est la raison pour laquelle j’ai un vrai problème avec le terme « les pères fondateurs ». Ces putains de pères fondateurs étaient des esclavagistes ! George Washington, le premier président, possédait cent vingt-quatre esclaves à sa mort. Le pays a été construit sur cette inhumanité. »

Il souligne que la violence à l’égards des noirs et d’ailleurs aussi des indiens est consubstantiel eux Etats Unis.

Il faut d’ailleurs comprendre que si les blancs américains suite à la guerre de sécession ont accepté d’affranchir les esclaves noirs, ils ont en fait des citoyens de secondes zones et ont immédiatement considérés qu’ils constituaient une menace pour les biens et l’intégrité des personnes qui détenaient le pouvoir économique et étaient les anciens esclavagistes.

Et c’est la police qui a eu ce rôle de contenir par tous les moyens « le danger des anciens esclaves noirs ».

<Cet article du Monde> rappelle qu’en janvier 1865, quelques mois avant la fin de la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage, le gouvernement d’Abraham Lincoln avait promis d’octroyer « 40 acres et une mule » aux quelque 4 millions d’esclaves noirs pour démarrer leur nouvelle vie d’hommes libres. Mais sa parole n’a pas été respectée et les lopins de terre, équivalents à 16 hectares, ont été rapidement rendus aux anciens propriétaires.

Cette manière de sortir de l’esclavage a eu des effets délétères.

On trouve ainsi sur le site de Mediapart un article d’une bloggeuse de New-York, cet article instructif <De l’esclavage à l’incarcération de masse> qui évoque un documentaire « The 13 th » de la réalisatrice Ava DuVernay qui expose les racines idéologiques suprémacistes de l’Amérique et les politiques qui ont abouti jusqu’à présent à la criminalisation et à l’incarcération exponentielle de la population noire aux Etats-Unis :

« Le titre The 13th, (le treizième) pourrait faire penser à un film d’horreur. Ce chiffre malheureux est celui du 13eme amendement de la Constitution des Etats-Unis, dont l’histoire retient qu’il a abolit l’esclavage en 1865, à une exception près: « sauf en tant que punition pour les personnes reconnues coupables de crime ». A partir de ces prémisses, Ava DuVernay retrace l’histoire terrifiante des injustices raciales et des violations des droits humains, toujours présentes au coeur de la politique et de société américaine.

[…] Remontant le fil de l’histoire, les protagonistes exposent la manière dont, dès la fin de la guerre de Sécession, la clause de criminalité du 13 eme amendement a été immédiatement utilisée pour reconstruire les Etats du Sud. L’esclavage était un système économique. Quatre millions de personnes qui étaient auparavant définies comme propriété sont désormais libres. Très vite, le stéréoptype du noir criminel remplace la figure de l’esclave dans la culture américaine. Après la guerre civile, les anciens esclaves sont arrêtés massivement et un nouveau système de location de détenus est mis en place, fournissant une main d’œuvre gratuite. Un système qui trouve son prolongement aujourd’hui à une échelle industrielle, dans la gestion de 150 prisons par des intérêts privés et dans l’exploitation du travail des détenus. La Corrections Corporation of America (CCA) et G4S, les deux entreprises leaders sur le marché des prisons privées, sous-traitent le travail des détenus aux 500 plus grandes entreprises comme Chevron, Bank of America, A&T, IBM, ou Boeing. Dans la plupart des Etats, près d’un million de prisonniers fabriquent des meubles de bureau, des composants électroniques, des uniformes, répondent aux appels dans des call-centers, travaillent dans des abattoirs et des champs de patates, ou fabriquent des jean’s , des chaussures ou des sous-vêtements pour de grandes marques, en étant payés entre 93 cents et $4,73 par jour. […]

Au fur et à mesure que la société devient moins tolérante à la discrimination raciale, le glissement sémantique qui s’opère entre noirs et criminels permet d’adopter des lois répressives qui ciblent les personnes de couleur et qui permettent de criminaliser les mouvements progressistes et les leaders de la communauté noire qui revendiquent plus de justice sociale. Dans une séquence édifiante, John Ehrlichman, secrétaire d’Etat aux affaires intérieures du président Richard Nixon déclare ainsi: « Nous ne pouvions pas rendre illégale l’opposition à la guerre du Vietnam ou aux noirs, mais en associant les hippies à la marijuana et les noirs à l’héroine, et en pénalisant lourdement les deux, nous pouvions disloquer ces communautés ».

La southern strategy inaugurée par Richard Nixon en 1968 et sa campagne présidentielle Law and Order, stigmatise les minorités ethniques comme criminels pour regagner l’électorat blanc démocrate dans les Etats du Sud. Cette stratégie sera poursuivie par Ronald Reagan dans les années 80 au nom de la « guerre contre la drogue », pénalisant bien plus lourdement le crack, qui ravage les quartiers pauvres noirs et hispaniques, que la cocaïne qui se répand dans les classes moyennes et supérieures blanches, puis par Bill Clinton dans la décennie suivante.

« L’institution de la ségrégation qui faisait des noirs des citoyens de seconde zone est remplacé aujourd’hui par le système d’incarcération de masse qui prive des millions d’américains noirs des droits supposés gagnés par le mouvement des droits civils. » analyse Michelle Alexander. »

Dans une <Tribune à Jeune Afrique> l’historien spécialiste des Etats-Unis Pap Ndiaye rappelle la longue histoire du racisme au sein de la police américaine :

« Au début des années 1920, la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), la principale organisation de défense des droits des Noirs, dénonçait la collusion entre certains services de police et de justice et des organisations suprématistes blanches comme le Ku Klux Klan (KKK), alors tout puissant dans le Sud profond. Des chefs du KKK portaient une étoile de shérif le jour et une cagoule blanche la nuit. Dans les grandes villes du Nord, ce sont les policiers, presque tous blancs jusqu’aux années 1960, qui étaient accusés de violences, comme à Chicago, en 1919, lorsqu’ils participaient aux ratonnades dans le quartier noir. […]

Pendant le mouvement pour les droits civiques, Martin Luther King n’hésitait pas à dénoncer les policiers violents et racistes. Dans son plus célèbre discours, « I have a dream », il avertissait : « Nous ne pouvons être satisfaits tant que le Noir est la victime des horreurs indicibles des brutalités policières ». Le combat contre la ségrégation et les violences trouva des échos profonds en Afrique. […]

Les départements de police de trop nombreuses villes américaines sont gangrenés en profondeur par un racisme structurel qui ruine la vie des Américains noirs depuis des décennies. Des efforts sérieux ont été consentis ici et là, mais on est encore très loin du compte. »

Cette page de France Culture retrace l’histoire aux <États-Unis des violences policières contre les noirs en quelques grandes dates>

Le mouvement de fond qui soulève actuellement l’Amérique doit se comprendre dans cette histoire de violence et d’asservissement. Et nous pouvons espérer qu’il débouche sur des évolutions importantes sur ce sujet de la violence faite aux noirs.

<1435>

Mardi 30 octobre 2018

« J’ai l’impression d’emporter avec moi un monde mort, aux synagogues détruites et aux tombes éventrées. »
Robert Badinter

Hier, je vous disais que Robert Badinter avait été l’invité du 7-9 de France Inter du vendredi 26 octobre 2018, mais je ne vous en n’ai pas donné la raison.

Il avait été invité parce qu’il vient de publier un livre sur sa grand-mère maternelle, « Idiss » (edition. Fayard).

Il a dit lors de cette émission en parlant du destin de sa grand-mère :

« C’est l’histoire d’une migration et de la fuite du régime tsariste. […] J’ai eu le sentiment qu’il fallait, avant qu’il ne soit trop tard, lui rendre témoignage. Les rapports entre les grands parents et les petits enfants ne sont pas de la même nature qu’avec les parents, c’est une source d’amour. […]

Fuyant le régime tsariste où les pogroms contre les juifs étaient fréquents, c’est en France que Idiss est arrivée : « On ne mesure pas ce qu’était cette très lointaine époque, dans l’empire allemand et celui du Tsar, le rayonnement de la République française. Celui qui a condamné de la façon la plus violente ces massacres, c’est Jaurès ». Il rappelle que « le Français était alors parlé dans toute l’Europe continentale. Et spécialement dans l’empire Russe. Le rayonnement de la langue, l’éclat des écrivains – Hugo était l’écrivain le plus vendu en Europe ».

La France et surtout la République, fille de la Révolution, avaient pour la première fois en Europe continentale donné aux juifs l’égalité des droits et la possibilité de devenir juge, officier, et la liberté complète comme les autres citoyens. D’où l’axiome de l’époque : « Heureux comme un juif en France ». C’est là où il fallait aller. »

Pour ce même livre, Robert Badinter a donné une interview à l’Express, publié le 23/10/2018 : « J’emporte avec moi un monde mort »

On apprend dans cet article que sa grand-mère maternelle, Idiss était originaire du Yiddishland, en Bessarabie, région située au sud de l’Empire tsariste, en lisière de la Roumanie. Elle était née en 1863, près de Kichinev qui est aujourd’hui la capitale de la Moldavie et qu’on appelle désormais Chisinau.

Kichinev est aussi entré dans l’Histoire en raison de deux pogroms qui ont eu lieu au tout début du XXème siècle. Ces deux émeutes antisémites appelés pogroms de Kichinev se sont déroulés en avril 1903 et en octobre 1905.

La Moldavie est un ancien Etat de l’Union soviétique coincée entre l’Ukraine et la Roumanie. C’est aujourd’hui le pays le plus pauvre d’Europe qui se vide de ses forces vives.

Le monde juif, le Yiddishland est évidemment un monde désormais perdu qui a été décimé par la Shoah.

Robert Badinter explique les raisons qui l’ont poussé à écrire ce livre :

« Il ne s’agit ni d’un projet de Mémoires, ni d’une biographie exhaustive sur la vie à la fois romanesque et tragique d’Idiss. C’est un geste. Un geste vers mon enfance d’abord, et un geste vers mes parents ensuite. J’ai compris à ce moment-là – ce qui n’est pas sans enseignement pour notre époque – que le fait de pouvoir se dire « j’ai eu des gens bien comme parents » est un grand réconfort dans la vie.  »

C’est pour fuir la violence des pogroms de la Russie tsariste que beaucoup de juifs ont fui cette région.

Robert Badinter parle :

D’« un destin juif, européen et cruel. Son parcours relève des grandes migrations de cette période. [Ma grand-mère] fuit une Bessarabie russe dominée par le régime tsariste, avec tout ce que cela implique de violences antisémites, pour gagner Paris avant la Première Guerre mondiale. Après le dénuement des débuts, à force de travail et grâce à la prospérité des années 1920, Idiss et les siens connaîtront une aisance quasi bourgeoise, jusqu’à ce que survienne le désastre de la défaite de 1940 et de l’Occupation allemande. »

Et il raconte :

« Les fils d’Idiss, Avroum et Naftoul, partirent les premiers, vers 1907. Ils prirent la route après les pogroms meurtriers de Kichinev. Parmi les motivations de leur départ pour la France, il y a leur prise de conscience que l’antisémitisme rendait la poursuite de la vie en Bessarabie impossible. Le sionisme n’était encore qu’un rêve d’intellectuels. Pour eux, la seule solution était de s’en aller dans l’espoir de trouver les horizons de la liberté et de la dignité.

Partir, mais où ?
N’importe où vers les villes d’Europe centrale – Berlin, Vienne – et puis, au-delà, vers Paris, Londres et, bien-sûr, les Etats-Unis. Je me souviens d’une anecdote qui dit tout de l’esprit du temps. Un voisin juif vient faire ses adieux à un ami :

– « Je m’en vais.
– Mais où vas-tu ?
– Je vais à Chicago.
– C’est loin, ça…. »

Et l’autre répond : « Loin d’où ? »

Merveilleuse réplique… »

Et il parle d’une époque où la langue française et la France disposaient d’un prestige qu’elles n’ont plus aujourd’hui :

« Dans la Russie tsariste, la langue française tenait une place toute particulière. On la parlait, l’enseignait dans les lycées, les enfants grandissaient dans la culture française. On ne mesure pas l’amour et sa part de rêve qu’une grande partie de la population juive de Bessarabie portait à la France et surtout à la République. Chez les étudiants, en général les plus pauvres, la France de la Révolution française restait un exemple lumineux. Après tout, au XIXe siècle, elle était le seul pays d’Europe où un juif pouvait être titulaire de tous les droits civils et civiques. Il avait le choix de devenir, comme les autres, juge, officier ou professeur. C’était quelque chose d’inouï pour des sujets de l’empire tsariste. D’où l’expression : « Heureux comme un juif en France. » Ce propos fleurissait dans toute l’Europe. Son appel résonnait dans les profondeurs de la Russie tsariste. La réalité, hélas, n’était pas toujours aussi favorable.  »

Et il évoque aussi l’école française de cette époque :

« L’école française, jusque dans les années 1930, était une prodigieuse machine assimilatrice. C’est pour cela que M. Martin – l’instituteur de ma mère, Charlotte – me paraît symbolique. Il prenait sur lui la charge des heures supplémentaires, car il y voyait le devoir d’intégrer les petits immigrés. Tous les enfants de « débarqués » allaient à l’école ; pas question de s’y soustraire. Tout cela eut un rôle majeur dans l’intégration de générations d’étrangers dans la République, et en particulier de juifs d’Europe centrale.  »

En revanche, Lyon qu’on a appelé par la suite la capitale de la résistance ne lui a pas laissé un souvenir bienveillant :

« Oui, j’étais révolté par le spectacle de cette ville ruisselante de pétainisme. C’était bien pire qu’à Paris. Dans la capitale, la plupart des Parisiens attribuaient leurs souffrances aux Allemands. Les Lyonnais, eux, étaient plus enclins à incriminer les juifs, surtout étrangers. Il régnait une atmosphère avilissante, d’une médiocrité inouïe, marquée par l’adoration pour un vieillard comme le Maréchal qui incarnait un passé glorieux. J’étais consterné par les parades et le cérémonial ridicule qui entouraient le régime. Au lycée, les adolescents étaient rassemblés pour le salut aux couleurs et le chant en choeur de Maréchal, nous voilà ! C’était une époque d’une grande bassesse. Le cadet des fils d’Idiss, Naftoul, a été dénoncé par une voisine après la mort de ma grand-mère. A la Libération, la délatrice a été identifiée, et ma mère s’est rendue à une convocation pour la rencontrer. Elle lui demanda :

– « Mon frère était-il désagréable ?
– Non, il était très aimable.
– Alors pourquoi avoir dénoncé sa présence aux autorités ? »

Et la femme de faire cet aveu : « Mais pour les meubles ! » »

Et il conclut sur cette réflexion philosophique et historique :

« Ecrire sur Idiss, c’est exhumer un univers englouti. Une Atlantide culturelle. […]. Il m’arrive de réfléchir, au Mémorial, devant la liste interminable des victimes de la Shoah, et je suis pris de vertige devant les crimes commis, notamment à l’égard des enfants. Face à l’énigme de ce massacre des innocents, je songe que Dieu, ces jours-là, avait détourné son regard de la terre. J’ai l’impression d’emporter avec moi un monde mort, aux synagogues détruites et aux tombes éventrées. Et je me dois d’en témoigner, pour que l’oubli ne l’emporte pas tout à fait. Bien sûr, je reconstitue certains détails par l’imagination, mais j’espère avoir été fidèle à l’essentiel. A cette occasion, j’ai revécu par la pensée tout ce qu’a dû endurer Idiss, à la toute fin de sa vie, dans le Paris de 1942. Les dernières années de l’Occupation furent terribles. »

Un témoignage poignant et qui rappelle d’où nous venons et où surtout il ne faut pas retourner.

<1136>

Lundi 29 octobre 2018

« Pour moi, jusqu’à la fin de mes jours, tant que j’aurai un souffle Monsieur Faurisson, vous ne serez jamais, vous et vos pareils que des faussaires de l’Histoire.»
Robert Badinter, 12 mars 2007. 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris.

Robert Faurisson est mort le 21 octobre 2018. Il fut le premier négationniste emblématique, il est mort mais ses idées perdurent. Dieudonné par exemple lui a rendu hommage.

Et parallèlement, l’antisémitisme qui s’était terré depuis la seconde guerre mondiale resurgit en Occident avec de plus en plus de vigueur.

Georges Bernanos l’avait écrit : « Hitler a déshonoré à jamais le mot antisémitisme ». Donc on ne pouvait plus rien dire.

Pour être juste avec Bernanos, cette phrase est sortie de son contexte et même s’il appartint dans sa jeunesse à l’Action Française, il ne peut pas être classé simplement parmi les anti-sémites. <Lire à ce propos la tribune de Philippe Lançon dans Libération le 2 septembre 2008>

<Même dans l’Université>, que l’on pourrait espérer épargné par ce sentiment primaire et haineux l’antisémitisme progresse.

Et aux Etats-Unis les actes antisémites sont aussi en forte progression. Un <article du Monde> nous apprend que le nombre d’actes antisémites recensés par l’Anti-Defamation League a augmenté de 57 % entre 2016 et 2017.

Et la fusillade qui a lieu ce week end et qui a fait 11 morts dans une synagogue à Pittsburgh (Pennsylvanie), samedi 27 octobre, « est probablement l’attaque la plus meurtrière contre la communauté juive de l’histoire des Etats-Unis », a estimé Jonathan Greenblatt, le directeur de l’Anti-Defamation League (ADL), principale association de lutte contre l’antisémitisme du pays. Mais cette fusillade n’est pas une attaque isolée, puisqu’il y a eu une recrudescence des actes antisémites sur le sol américain.

En France, des familles juives ne se sentant plus en sécurité dans leur quartier déménagent vers d’autres lieux.

Cette triste réalité a plusieurs causes. Dans certains milieux de gauche on explique cela par l’assimilation que font certains entre la communauté juive et la politique de l’Etat d’Israël. Ce qui ne rend l’antisémitisme ni défendable, ni justifiable.

Mais dans un certain nombre de cas, on constate qu’est de retour ce « fantasme antisémite traditionnel » du juif qui est riche et qu’on peut faire payer. Ce fut las cas du meurtre d’Ilan Halimi mais aussi d’affaires plus récentes.

Il existe des juifs riches, mais il existe aussi des musulmans riches, des protestants riches, des catholiques riches, des bouddhistes riches, des hindouistes riches et même des athées riches.

Il existe aussi des juifs pauvres <Et selon lesinrocks ce n’est pas facile de faire diffuser> un documentaire sur ce sujet.

Robert Badinter qui était l’invité du 7-9 de France Inter du vendredi 26 octobre 2018. Dans cette émission il raconte que l’entraide n’existait pas vraiment, avant-guerre, dans la communauté juive entre les quelques riches et la masse des pauvres.

Mais pour que cet antisémitisme puisse resurgir, il a fallu des hommes comme Faurisson pour nier la shoah, nier les chambres à gaz, nier le génocide juif.

Car le génocide est un crime très spécial dans l’Histoire d’homo sapiens. On tue tout le monde qui appartient à une communauté spécifique, désignée comme telle.

Il y a eu d’autres génocides, celui des arméniens, celui des tziganes, celui des Tutsis au Rwanda.

Faurisson a inventé ce concept d’ « escroquerie politico-financière » pour tenter de jeter la suspicion sur la réalité du génocide , en essayant d’expliquer que c’était un complot pour obtenir des avantages politiques et financiers.

Lors d’une émission d’ARTE, le 11 novembre 2006, Robert Badinter l’a alors traité de « faussaire de l’Histoire ».

Robert Faurisson a alors assigné en diffamation Robert Badinter pour l’avoir qualifié ainsi.

Et au centre de ce mot du jour, je voudrais partager la saine colère de Robert Badinter lors de ce procès qui fut bien sûr a son avantage.

« Tout à l’heure vous avez encore répété : « cette escroquerie politico-financière »
Alors ça veut dire quoi ? Si on traduit dans sa vérité humaine comme moi je l’ai vécu.
Ça veut dire que tout ceux qui sont morts, mes parents et les autres, tous ceux-là sont devenus les instruments conscients utilisés par tous les juifs, pour quoi faire ?

Pour arracher des réparations auxquelles ils n’auraient pas eu droit ?

Je me souviens de ma mère qui recevait de misérables indemnités dont il ne restait rien. Alors elle était quoi ? La complice d’une escroquerie politico financière ? C’était ça qu’elle faisait à cet instant-là ?

Et ses fils, nous étions quoi ? Des profiteurs, les bénéficiaires de cette escroquerie ?

Les mots ont un sens, sauf pour ceux qui les utilisent comme vous.

Pour qu’il n’y ait aucune équivoque, pour que les choses soient claires

Pour moi, jusqu’à la fin de mes jours, tant que j’aurai un souffle Monsieur Faurisson, vous ne serez jamais, vous et vos pareils que des faussaires de l’Histoire.

Des faussaires de l’Histoire et de l’Histoire la plus tragique qui soit, dont j’espère que l’Histoire tirera la leçon et gardera le souvenir ».

<Ici la vidéo de cette intervention>

Je crois qu’il faut la regarder.

France Inter avait consacré, en 2017, une émission d’« Affaires sensibles » à cet épisode et plus généralement aux faussaires de l’Histoire.

Lors de l’émission de France Inter de vendredi précité, Robert Badinter est revenu sur ce moment :

« Je me souviens de cette passion qui m’a emportée, c’était insupportable. Il m’avait assigné parce que j’avais, de mémoire, un jour, dit que la dernière affaire que j’ai plaidée dans ma vie c’était contre Faurisson et les révisionnistes, ils avaient été condamnés comme faussaires de l’histoire. Ce n’était pas faussaires de l’histoire, c’était qu’ils avaient manqué au devoir de l’historien. D’où l’assignation ».

« Mais de l’entendre, de le voir, à ce moment-là, j’ai revu tout ce que j’avais connu, j’ai mesuré l’infamie des propos révisionnistes… ma grand-mère paternelle avait près de 80 ans quand on l’a jetée dans le wagon qui l’a emmenée à Auschwitz… ça c’est l’illustration du crime contre l’humanité ».

La grand-mère paternelle est morte dans le wagon à bestiaux, pendant le voyage.

<1135>

Mardi 25 septembre 2018

« Nous n’étions que des enfants »
Rachel Jedinak

La semaine dernière la cinéaste Marceline Loridan-Ivens, camarade de déportation de Simone Veil pendant la Seconde guerre mondiale dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, est morte à 90 ans.

Il y a un an c’était le tour de Simone Veil.

Il n’y a plus beaucoup de survivants de cette époque sombre et terrible de l’humanité.

Rachel Jedinak est l’une d’entre elle, elle est une des rescapées de la rafle de la Vel d’Hiv.

Elle vient d’écrire un livre publié le 19 septembre 2018 : « Nous n’étions que des enfants ». Elle était invitée sur France Inter le jeudi 20 septembre 2018.

Elle raconte sa vie de petite fille juive, dans le Paris en guerre.

A la question pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour raconter votre histoire ?

Elle répond :

« En fait, après la guerre on ne nous a pas laissé parler.
On parlait de la France résistante !

Il m’est arrivé, je le dis dans le livre, d’essayer de parler de cela. On me répondait tais-toi on ne parle plus de cela, on parle de l’avenir.
J’ai entendu aussi, tu as eu de la chance d’être resté en vie. Alors tais-toi.

On ne parlait que de la France résistante.
Pendant cinquante ans, nous nous sommes tus.»

Lors des mots consacrés à Simone Veil j’avais déjà abordé ce sujet des mémoires. C’était le mot du 6 septembre 2017 dans lequel je citais Simone Veil :

« Si nous n’avons pas parlé c’est parce que l’on n’a pas voulu nous entendre, pas voulu nous écouter»

Dans cet article je décrivais les différents types de mémoire à la sortie de la guerre et j’opposais notamment la mémoire triomphante des résistants à la mémoire blessée des déportés.

Rachel Jedinak considère que la véritable rupture de l’« omerta » se situe au moment de la reconnaissance par le Président Chirac de la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv.

« Lorsque Jacques Chirac, en 1995, a reconnu la responsabilité du régime de Pétain, de la France d’alors, les vannes se sont ouvertes et nous avons enfin pu nous exprimer, parler. Cela a mis du temps. »

En 1939, elle vivait une vie heureuse d’une enfant de Ménilmontant qui grandit, entouré d’amour par ses parents, dans une famille juive polonaise. Rachel Jedinak est née Rachel Psankiewicz. en 1934.

« Je vivais dans le quartier de Ménilmontant où vivait également des républicains espagnols, des italiens qui avaient fui le régime de Mussolini. Il y avait donc un melting pot d’enfants. Nous jouions ensemble, beaucoup dans la rue, parce qu’il y avait très peu de voitures à l’époque. »

En 1940, Pétain signe l’armistice avec Hitler, et la traque des juifs commence. Rachel Jedinak raconte des enfants qui ne veulent plus jouer avec elle, parce qu’elle est juive. Et l’étoile jaune qu’il faut porter, cela va valoir une scène avec sa mère qui est en train de coudre l’étoile jaune sur la robe de petite fille. Elle arrache la robe et l’étoile et dit : « je ne veux pas porter ça ! »

Et sa mère la gronde et lui dit : « C’est comme ça, je vais la porter, ta sœur va la porter et tu vas la porter ».

« Je garde l’image, parce que cela a été un moment difficile pour moi.
J’ai pu échanger, assez récemment avec des gens qui étaient plus âgés que moi.
Les adolescents bravaient cela.
Moi j’avais 8 ans et c’était très difficile de la porter.
Je garde de cela une honte non pas d’être juive, mais d’être juive avant toutes les autres choses que j’étais.»

Elle manifestait pourtant son hostilité, elle refusait de chanter l’hymne à Pétain que les écoliers devaient chanter en commençant la classe : « Maréchal nous voilà ». Et sa maîtresse lui permettait de ne pas le chanter.

« J’ai eu des maîtresses formidables qui nous ont materné, qui nous ont aidé. »

En juillet 1942, c’est la rafle du Vel d’Hiv. Elle est emmenée avec sa sœur et sa mère, parquées dans une cour dans un immeuble appelé « La Bellevilloise » qui est aujourd’hui un lieu festif où on joue du rock. Sa mère apprend qu’il y a une sortie de secours, alors elle ordonne à ses deux filles de s’enfuir. Mais Rachel refuse, elle s’accroche à la jupe de sa mère. La mère lui donne alors une gifle la première et la dernière qu’elle lui aura jamais donné. Cette gifle va lui sauver la vie. Sidérée elle obéit et s’enfuit avec sa sœur.

« Cette gifle m’a sauvé la vie, je ne l’ai réalisé que plus tard. »

Elle raconte les conditions dans lesquelles tout cela s’est passé, dans le petit matin, avec une chaleur insoutenable notamment parce que tous ces nombreux parents et enfants étaient serrés les uns contre autres, les petits réveillés dans la nuit criaient dans les bras de leurs mères. Personnes ne savaient ce qui allaient se passer, les enfants étaient angoissés, avaient peur. Quitter leur mère était un déchirement d’une violence inouïe.

Ni la mère, ni le père ne reviendront des camps.

Le récit de cette journée se trouve aussi sur cette « page ».

Rachel Jedinak est la présidente du « Comité « Ecole de la rue Tlemcen » », l’association pour la Mémoire des Enfants Juifs Déportés du XXe arrondissement de Paris.

<Ici vous verrez une video où elle raconte son histoire>

Ce n’était que des enfants.

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