C’est une histoire que j’ai lue dans le numéro du Nouvel Obs qui célébrait les 60 ans de l’hebdomadaire créé par Jean Daniel.
Le Nouvel Obs pour fêter ses 60 ans, s’est offert 60 éclats de joie partagés par des personnalités. Parmi ces articles qui fêtaient le pouvoir de la joie, j’ai été particulièrement marqué par celui de l’écrivaine camerounaise Hemley Boum : « Quand Mohamed Ali a découvert que le pilote de son avion était noir… ».
Cet épisode a été aussi décrit sur le site de RTL Info : « Nos destins se sont croisés avant le combat du siècle à Kinshasa ».
Je pense que tout le monde connaît Mohammed Ali, probablement le plus grand boxeur de l’Histoire. Mais il fut aussi un militant de la cause noire luttant contre les injustices et les humiliations qui étaient infligées à ses frères de couleur par le pouvoir et la domination blanche.
Il refusa notamment à aller se battre dans l’armée américaine au Viet-Nam. Lorsqu’on lui reprocha son attitude, il répondit :
« Aucun vietcong ne m’a jamais traité de nègre »
En 1974, il devait se rendre au Zaïre affronter George Foreman pour reconquérir le titre mondial qui lui avait été retiré en raison de son refus d’aller se battre au Viet-Nam.
Pour s’y rendre, un avion d’Air Zaïre avait été mis à sa disposition. Cet avion était piloté par des africains. Le commandant de bord était Simon Diasolua.
Simon Diasolua Zitu, né à Léopold ville (actuellement Kinshasa), le 14 Novembre 1942, est l’un des deux premiers pilotes Congolais en 1965. Il fut pilote de ligne pendant 37 ans, puis instructeur pilote DC-10, il a également occupé le poste d’Administrateur Directeur des Opérations au sein de la compagnie aérienne étatique Air Zaïre. Expert en enquêtes d’accidents et Consultant en aéronautique. Il a écrit ses mémoires dans un livre intitulé « Entre ciel et terre, Confidences d’un pilote de ligne congolais » paru aux éditions Le Harmattan en 2014.
Et dans ce livre il conte sa rencontre avec Mohamed Ali en 1974 :
« Nos destins se sont croisés un mois et demi avant le combat du siècle à Kinshasa. J’étais pilote pour la compagnie Air Zaïre, qui était à l’époque la compagnie aérienne nationale de la République démocratique du Congo. Je devais piloter l’avion que Mohamed Ali allait prendre pour se rendre à Kinshasa. Le boxeur allait affronter George Foreman »
Les deux hommes ont été présentés lors de la conférence de presse que l’Américain donnait à l’aéroport français. Lorsqu’il a entendu que Simon allait être son pilote, il n’a pas caché sa surprise en comprenant que l’équipage du vol était « noir ».
« Il m’a dit qu’il était fier et étonné d’être piloté par un équipage noir. »
Au moment de l’embarquement, les pilotes ont accepté que Mohamed Ali s’installe avec eux dans le cockpit, les consignes de sécurité étaient beaucoup plus souples à l’époque. Mais lorsque le boxeur est entré, il est resté figé quelques instants.
« Il était tétanisé et son visage est devenu très pâle lorsqu’il a réalisé que l’équipage du DC-10 était complètement noir. »
Mohamed Ali lui a lancé, inquiet :
« Il n’y a pas de blanc ? Je croyais que c’était une blague. »
Le pilote, amusé par la situation, lui a confirmé que toutes les personnes de l’équipage étaient noires. Ensuite, il a demandé au boxeur de s’installer et de mettre sa ceinture.
« Je comprenais sa surprise. J’avais fait un entrainement sur DC-10 en Californie l’année d’avant et les Américains me demandaient si j’étais un vrai pilote. Comme eux, Mohamed Ali était surpris de voir un homme noir aux commandes d’un avion car il n’en avait jamais vu. Je ne lui en voulais pas, bien au contraire. »
Je trouve absolument édifiant que même un homme comme Mohamed Ali, défenseur acharné de la cause noire, de la lutte contre la discrimination contre les noirs, puisse avoir une telle réaction de défiance parce que la situation qui se présente à lui est en dehors de ses schémas mentaux, de ce que la vie jusqu’à ce moment lui avait prescrit : les blancs savent piloter des avions, pas les noirs….
Simon Diasolua va parvenir par sa compréhension de la situation et son calme à rassurer le boxeur et à changer son appréhension en fierté. Quand Mohammed Ali débarque à Kinshasa, il déclare aux journalistes qui l’attendent :
« C’est un sentiment de liberté que je n’ai pas ressenti depuis longtemps. Ce n’est pas rien de voler dans un avion piloté par des Noirs, non ?
C’est vraiment étrange pour nous les Afro-Américains. Nous n’aurions jamais pu imaginer une chose pareille !
A chaque fois que nous regardons la télé, on nous montre Tarzan et les Indigènes et la jungle. On ne nous parle jamais des Africains qui sont plus intelligents que nous ne le sommes. Ils parlent anglais, français et africain. »
Deux ans plus tard, Simon a croisé le sportif par hasard à l’aéroport de Los Angeles. Lorsque l’Américain l’a reconnu, il a crié :
« My pilot ! »
Oui même un homme comme Mohammed Ali, dont on ne peut contester l’engagement, a pu être pris par ses représentations du monde et ses habitudes. Heureusement qu’en face il a eu un homme intelligent et suffisamment confiant qui a compris et accueilli cette faiblesse sans s’en offusquer.
Je trouve que cet exemple est une invitation pour chacun et chacune d’entre nous à être vigilant face à nos vision du monde enfermantes et aussi indulgents quand nous les rencontrons chez l’autre pour garder la capacité à dialoguer comme l’a fait de pilote.