«une chose est absolument nécessaire : la compassion»
Daniel Barenboïm est un des plus grands musiciens vivants, pianiste et chef d’orchestre.
Il est juif de nationalité israélienne. Contrairement à Herbert von Karajan évoqué lors d’un mot du jour récent, il ne se réfugie pas dans son art pour rester sourd aux drames qui l’entourent.
Il a créé un orchestre avec l’écrivain chrétien américano-palestinien Edward Saïd composé d’israéliens, de palestiniens et d’arabes de Syrie, du Liban, de Jordanie et d’Egypte.
La création de cet orchestre a lieu en 1999 à Weimar à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Goethe : le nom de l’orchestre vient d’ailleurs du recueil West-östlicher Divan (Divan occidental-oriental) du poète allemand.
Il prend en effet pour nom : Le West-Eastern Divan Orchestra (Orchestre du Divan occidental-oriental).
Edward Saïd est décédé en septembre 2003.
Chaque été environ ces 80 jeunes instrumentistes viennent en Europe se former et jouer ensemble.
Il s’assemble en Espagne, à Séville où il répète pendant le mois de juillet avant d’entreprendre en août une tournée mondiale (Europe, Amérique du Sud, …)
Daniel Barenboïm a été l’invité d’Anne Sinclair le 25 mai 2015 : http://www.europe1.fr/emissions/l-interview/daniel-barenboim-linterview-integrale-989228
Anne Sinclair l’interroge d’abord sur des sujets artistiques car il vient interpréter l’intégrale des sonates de piano de Schubert à la Philharmonie de Paris.
Mais dans la seconde partie de l’entretien elle l’interroge sur le conflit israélo-palestinien.
Il raconte d’abord un épisode de l’Histoire de l’orchestre.
Il était prévu de se réunir comme chaque année en juillet 2014 mais la guerre de Gaza venait d’être engagé par Israël.
Plusieurs jeunes musiciens ne voulaient pas venir.
Alors Daniel Barenboim leur a dit à chacun :
« Écoute en restant dehors tu n’aides pas la chose. Viens et on va en parler tous ensemble.
Si après que tu sois venu, tu ne te sens pas bien alors tu pourras partir, je ne t’en voudrai pas.
Le premier soir on a immédiatement fait une réunion et on a parlé de tout et tout le monde se disputait et chahutait.
Alors j’ai pris la parole et j’ai dit : Écoutez c’est complètement irréaliste d’attendre d’un israélien d’avoir de la sympathie avec le destin d’un Palestinien ou pour un Palestinien d’avoir de la sympathie pour un israélien.
Parce que la sympathie c’est une qualité émotionnelle.
Mais une chose est absolument nécessaire et ça c’est la compassion qui n’est pas une qualité émotionnelle mais une qualité morale.
Et si parmi vous, les musiciens, il existe des musiciens qui n’ont pas cette compassion, alors votre place n’est pas ici, vous pouvez partir demain.
Tout le monde est resté.»
Le mot « compassion » vient du latin : cum patior, « je souffre avec ».
C’est une vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui.
Cet extrait se situe à partir de 16:30 de l’entretien.
Et un peu plus loin il dit cette chose simple et tellement évidente :
« Ce n’est pas un conflit symétrique. Les Israéliens sont les occupants et les palestiniens sont les occupés.
Une partie nettement plus grande de la responsabilité repose sur les épaules des israéliens. »
En janvier 2008, l’Orchestre avait enfin reçu l’autorisation de jouer en Cisjordanie, à Ramallah
<Ici vous verrez et entendrez les mots que Daniel Barenboim prononce à la fin de ce concert exceptionnel :
« Ce projet qu’Edward Said et moi-même avons entrepris a parfois été décrit comme un orchestre pour la paix, un orchestre capable d’insuffler tel ou tel sentiment.
Mesdames et messieurs, je vous l’affirme, nous n’apportons pas la paix vous le savez.
C’est un fait, ces gens merveilleux qui jouent ensemble n’apporteront pas la paix.
Ce qu’ils peuvent apporter c’est la compréhension, la patience, le courage et la curiosité d’écouter ce que l’autre veut dire. C’est là toute notre ambition.
Dans ce contexte chacun a pu s’exprimer librement et ce qui est aussi important a pu entendre la version de l’autre.
C’est la raison de notre présence parmi vous pour apporter un message d’humanité pas un message politique, un message d’humanité, de solidarité pour la liberté qui fait défaut à la Palestine. Cette liberté dont toute la région a besoin.
Nous croyons qu’il n’existe pas de solution militaire à ce conflit.
Nous croyons que les destinées de ces deux peuples palestinien et israélien sont inextricablement liées.
Ainsi le bien être, le sentiment de justice et le bonheur de l’un dépendront inévitablement de ceux de l’autre.
Ils représentent notre objectif.
Nous œuvrons pour le changement du mode de pensée qui prévaut dans cette région.
Nombreux sont ceux qui comprendront bientôt que nous avons ici deux peuples pas un.
Deux peuples liés par un lien très fort philosophique, psychologique et historique à cette région du monde.
C’est notre devoir d’apprendre à vivre ensemble.
Nous avons le choix : nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager.
C’est ce message que nous venons vous porter aujourd’hui. »
Depuis janvier 2008, Daniel Barenboïm a reçu un passeport palestinien de la part de l’autorité palestinienne.
Cette attitude ouverte ne lui attire pas que des sympathies en Israël.
Ainsi, un député du parti ultra-orthodoxe Shass affirme que « c’est une honte que le chef d’orchestre ait accepté la nationalité palestinienne »
Il demande que « son passeport israélien lui soit confisqué, puisque désormais, il en détient un autre, d’une entité ennemie ».
Nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager, tout est dit.
Et en 2009, je pense que l’académie Nobel aurait pu donner le prix Nobel de la paix à Barenboïm et à cet orchestre plutôt qu’à Obama.
<507>