Vendredi 29 décembre 2023

« Il n’y a pas de chemin pour la paix – la paix est le chemin. »
Vivian Silver

J’ai déjà évoqué Vivien Silver, lors du mot du jour du 17 novembre 2023 : « C’était un temps déraisonnable. On avait mis les morts à table […] »

Vivian Silver, militante pacifiste israélienne a été assassinée par des terroristes du Hamas le 7 octobre.

Canadienne, elle était arrivée en Israël il y a cinquante ans, avec plusieurs membres du mouvement Habonim, des sionistes socialistes.

<La Croix> la présente ainsi :

« Née à Winnipeg au Canada, Vivian Silver part en 1968 étudier la psychologie et la littérature anglaise à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Après un bref retour au Canada, elle s’envole à nouveau pour Israël en 1974, quelques mois après la guerre de Kippour qui a fait plus de 2 700 morts côté israélien et près de 20 000 au sein de la coalition arabe.

Vivian Silver part en compagnie d’un groupe de jeunes Nord-Américains qui cherchent à rétablir le kibboutz Gezer, situé dans le centre d’Israël, précise le journal Haaretz.
Là, elle promeut l’égalité des genres au sein du kibboutz et dirige des projets de construction.
L’activiste est aussi un membre actif de l’organisation Chemin vers la guérison, qui transporte gratuitement des patients gazaouis – majoritairement des enfants – jusqu’aux hôpitaux israéliens, où ils peuvent être correctement soignés.

En 1998, Vivian Silver devient directrice exécutive de l’Institut du Néguev pour les stratégies de paix et de développement. L’organisation installée à Beersheba, dans le sud d’Israël, promeut la paix au Moyen-Orient, ainsi qu’un modèle de société partagée entre Juifs et Arabes.

Elle travaille d’abord en lien avec des organisations palestiniennes, avant de se concentrer ensuite sur le sort des communautés bédouines locales.
Vivian Silver milite pour la formation et l’autonomisation de cette minorité d’Arabes musulmans vivant dans le désert du Néguev, rattachée à Israël mais qui conserve des liens étroits avec les Territoires palestiniens.

Juste après la guerre de Gaza de 2014, Vivian Silver participe à la création d’une association féministe et pacifiste israélo-palestinienne, Women Wage Peace (« Les femmes mènent la paix »), qui rassemble plus de 45 000 membres. Un mouvement « non partisan, qui ne soutient aucune solution au conflit » israélo-palestinien et qui milite pour une plus grande représentation des femmes dans les négociations diplomatiques, assure l’organisation.

Vivian Silver a remporté de nombreux prix pour son engagement pour la paix tout au long de sa vie, dont le prix Victor J. Goldberg pour la paix au Moyen-Orient en 2011. « Elle se bat pour la justice, c’est une mère et grand-mère fantastique », avait déclaré Yonatan Zeigen, le fils de Vivian Silver, quelques jours après l’attaque du Hamas. »

Cet article : « Le Hamas n’a pas tué ton rêve » décrit ses obsèques et l’éloge funèbre de ses amis qui éclairent aussi la personnalité de cette femme exceptionnelle :

« Des centaines de proches, Juifs et arabes, de la pacifiste israélo-canadienne Vivian Silver ont rendu hommage jeudi à une « femme hors du commun » et « porteuse d’espoir » tuée lors de l’attaque du groupe terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre.

Ils se sont réunis au kibboutz Gezer, dans le centre d’Israël, où la militante avait vécu dans les années 1970. Elle a été assassinée à l’âge de 74 ans dans sa maison du kibboutz de Beeri, proche de la bande de Gaza.

Venues d’horizons très divers, les personnes qui ont pris la parole ont dit leur profonde douleur face à la mort de Silver mais aussi leur détermination à poursuivre les causes pour lesquelles elle se battait : la paix et le féminisme.

En larmes, son amie Ghadid Hani, une arabe israélienne de Hura, ville bédouine du sud d’Israël, qui militait avec elle au sein de WWP, a raconté son dernier échange avec Vivian Silver durant l’attaque du Hamas.

« Tu m’as dit que ça allait mais que tu entendais des bruits et puis mes messages n’ont plus reçu de réponses », raconte Mme Hani, vêtue de noir et voilée, une écharpe bleue azur autour du cou, un des symboles du mouvement WWP.
« Tu disais que l’obscurité ne se repousse que par la lumière, comme j’aimerais que tu sois là pour apporter de la lumière et de l’espoir comme tu le faisais toujours », ajoute-t-elle.
« Ma chère Vivian, si tu m’entends, je veux te dire que le Hamas n’a pas tué ton rêve. »
« Il est impossible de détruire l’humanité, la solidarité, le désir d’un avenir plus sûr », a ajouté Hani. […]

« Le seul moyen de vivre en sécurité ici c’est de faire la paix », répétait Mme Silver, selon son fils Yonatan Zeigen.

« Nous, les vivants, continuerons à briller, à persévérer et à faire tout pour apporter le lendemain dont tu parlais toujours. Avec ton absence, je suis retombé amoureux des mots comme paix, égalité des sexes et fraternité », a déclaré M. Zeigen, lors de la cérémonie. »

C’est en lisant un article d’« AOC » : rédigé par l’historienne Naomi Sternberg : <Le monde a oublié le camp de la paix israélien et palestinien> que j’ai vu la phrase que j’ai mise en exergue parce qu’elle était citée par l’autrice au début de son article :

« Il n’y a pas de chemin pour la paix – la paix est le chemin. »

Mais la Paix, n’est pas une chose qui va de soi. Il faut la construire.

Ce n’est pas une histoire d’amour, une brusque révélation de la bonté et de la morale.

Dans un remarquable entretien, en accès libre, mené par Edwy Plenel, Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, explique : « j’ai compris que la paix était une affaire très violente »

Elias Sanbar est né le 16 février 1947 à Haïfa, en Palestine mandataire, dans l’actuel Etat d’Israël.

Sa famille sera exilée au Liban après la proclamation de l’État d’Israël

C’est un historien, poète et essayiste palestinien.

Il fut aussi le commissaire de l’exposition « Ce que la Palestine apporte au monde » qui a eu lieu à l’Institut du monde arabe entre le 31 mai et le 31 décembre 2023.

Il a participé aux négociations bilatérales à Washington et dirigé, de 1993 à 1996, la délégation palestinienne aux négociations sur les réfugiés.

Et c’est l’expérience de ces négociations qui lui font dire :

« Vous savez, on subit beaucoup le fait que nous nous faisons violence.
Je vais vous dire dans mon vécu à moi, moi j’ai haï être face, quand j’ai été à des négociations, j’ai haï être en face d’une délégation israélienne.
Je ne pouvais pas les voir en peinture parce que je me disais : Tu es face aux gens qui ont fait ton malheur, qui ont fait que ton père est mort en exil en pleurant. Tu es face à eux.
Je me suis fait une violence inouïe pour leur parler.

Je n’y suis pas aller en disant : « ça va être formidable, on va s’aimer. »
Non pas du tout !

Et petit à petit, j’ai compris que la paix était une affaire très violente.
La différence entre la paix et la guerre, ce n’est pas que l’une est violente et l’autre non.
Les deux sont très violentes.

Dans la guerre, vous dirigez la violence contre votre adversaire, dans la paix vous la dirigez contre vous-même, pour accepter de parler avec celui que vous pensez être l’artisan de votre malheur.
Ce n’est pas un voyage d’agrément.
Les négociations contrairement à ce que beaucoup pensent, c’est très violent, mais c’est une violence faite à soi. »

Cet extrait commence derrière <ce lien>

Je vous conseille d’écouter cet entretien dans son ensemble car il est d’une grande intelligence et humanité : « Ce que la Palestine dit au monde »

Il me semblait essentiel de finir cette année 2023 par l’affirmation de ce combat, de cette conviction que c’est la paix qui est le chemin.

Toute cette violence ne résoudra rien.

Le Hamas est une idée, on ne peut pas éradiquer une idée avec des bombardements mais par une autre idée qui paraîtra plus désirable.

Daniel Barenboïm disait : « Nous avons le choix : nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager. »

Les enfants qui auront survécu sous ce déluge de bombe et auront vu mourir leurs proches, auront la violence au cœur et ne penseront qu’à se venger.

Sauf si une autre solution peut leur être proposée, une solution qui leur paraîtra désirable et pour laquelle ils auront l’énergie de diriger cette violence vers eux même pour faire la paix.

La paix est le chemin, Vivian Silver avait raison.

<1784>

Vendredi 15 décembre 2023

« Si on laisse monter l’intolérance, elle fait naître de l’intolérance en face. »
François Fillon

Dans le conflit israélo-palestinien, les extrémistes des deux bords sont dans l’exclusion et l’élimination de l’autre.

Par exemple le ministre des finances de Nétanyahou, Bezalel Smotrich, ultranationaliste israélien, a déclaré le 19 mars 2023 dans les salons Hoche, un luxueux centre de réception près des Champs-Elysées à Paris : « Le peuple palestinien n’existe pas. »

Je cite cet article « du Monde » :

« Durant la cérémonie, M. Smotrich s’est exprimé derrière un pupitre décoré d’une carte incluant non seulement l’Etat hébreu et les territoires occupés palestiniens mais aussi le territoire de l’actuelle Jordanie : l’espace du Grand Israël pour les tenants de cette idéologie expansionniste.

Il a prononcé un discours dans lequel il a exhorté les juifs de France à faire leur alya, c’est-à-dire à s’installer en Israël, [Et il a déclaré] :

Le peuple palestinien est une invention de moins de cent ans. Est-ce qu’ils ont une histoire, une culture ? Non, ils n’en ont pas. Il n’y a pas de Palestiniens, il y a juste des Arabes. »

En face, le mouvement Hamas veut créer sur tout le territoire compris entre la Méditerranée et le jourdain et comprenant donc l’État d’Israël, un État islamique de Palestine vierge de présence juive.

Alors, je voudrais partager une vidéo aujourd’hui.

C’est un partage qui me semble plein d’enseignements à plusieurs titres.

D’abord, celui qui s’exprime est François Fillon.

Je n’ai aucune affinité avec cet homme, mais ce n’est pas une raison de ne pas l’écouter pour examiner si ce qu’il dit est pertinent.

De plus en plus de personnes n’écoutent plus que les personnes qui leurs ressemblent et professent les mêmes idées qu’eux.

Il arrive même que ce soit des présupposés qui vont conduire à ce que l’on refuse d’écouter un tel parce qu’il serait homophobe, islamophobe, antisémite, islamo-gauchiste toute qualification qui ne vont pas plus loin qu’une simple impression, une rumeur ou simplement une interprétation hâtive d’une phrase sortie de son contexte.

Pour ma part je préfère écouter les personnes et faire mon jugement ensuite.

C’est ainsi que j’ai écouté et regardé François Fillon.

J’ai vu d’abord cette petite vidéo avec comme titre : « Free Palestine ».

Vous voyez François Fillon dire :

« Il y a trois ans je rencontrais à Téhéran l’ayatollah Rafsandjani, l’ancien président iranien.
Et un moment dans la conversation, on parlait d’Israël et il me dit qu’il faut qu’il s’en aille !.
Je lui réponds

  • Mais qu’est-ce que vous voulez dire ?
  • Ils n’ont rien à faire en Palestine, il faut qu’ils partent.
  • Vous ne pouvez pas dire cela, même si vous le pensez, de toute façon ça ne se produira pas.
  • Donnez-moi une seule raison pour laquelle il pourrait rester ?
  • Ben oui, ils étaient là, il y a deux mille ans.

Il éclate de rire et il me dit : nous il y a 5000 ans on était en Inde, on ne va pas y retourner.

Et là je ne sais plus quoi dire.

La vidéo s’arrête là avec une question : « et vous qu’auriez-vous répondu à la place de François Fillon ? »

Le sous-titre à cette question suggère qu’il n’y a pas de réponse et la conclusion en découle simplement : il n’y a aucune raison à ce que les juifs disposent d’un État en Palestine.

Puisque même François Fillon ne trouve rien à répondre, cette vidéo donne raison aux partisans des palestiniens qui veulent chasser les juifs de Palestine.

A ce stade, il y a encore deux enseignements :

Le premier est que la publication de cette vidéo est tronquée. Celui qui a publié a coupé à l’endroit qui lui permettait de renforcer sa thèse. Mais j’y reviendrai après.

Le second, c’est quand même que la réponse de François Fillon est très problématique : Les juifs ont le droit de créer un État juif parce qu’ils étaient là, il y a deux mille ans.

Cela fait partie du narratif d’Israël, sur lequel je reviendrai dans un mot du jour ultérieur.

Mais de manière rationnelle, ce que signifie cette prétention : ils ont droit d’être là parce qu’ils y étaient il y a deux mille ans, conduit à un concept très déstabilisant : le droit du premier occupant !

Je me souviens d’une déclaration de Valéry Giscard d’Estaing qui avait porté ce jugement définitif :

« En droit international, il n’existe pas de droit du premier occupant. »

Quand on évoque un concept de droit, il faut en examiner les conséquences.

Sainte Sophie d’Istanbul est une immense église chrétienne qui a été érigée au IVème siècle de notre ère dans la ville de Constantinople. Elle a été commandée par l’empereur romain Constantin en 325. Elle est restée une église Chrétienne Orthodoxe, comme Constantinople est resté la capitale chrétienne byzantine jusqu’à 1453. Bref 1100 ans. En 1453, immédiatement après la prise de Constantinople par les Ottomans, la basilique fut convertie en mosquée, Plus tard elle devint musée, jusqu’à ce que ce compagnon de route des frères musulmans, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan a décidé d’en refaire une mosquée. Devant cet acte de provocation, nous devrions faire jouer le droit du premier occupant, Constantinople est musulmane depuis 570 ans, alors qu’elle a été chrétienne pendant 1100 ans. Nous devrions exiger que Constantinople redevienne Chrétienne, nous étions là avant !

J’ai voulu dans un premier exemple parler de symboles, de religions puisque ce sont des éléments très utilisés dans le conflit qui secoue le territoire entre la méditerranée et le Jourdain.

De manière plus pratique, quelle serait les conséquences d’une application du droit du premier occupant aux États Unis et au Canada ? En Australie et en Nouvelle Zélande ? Et dans tant d’autres lieux de notre planète ?

L’expliciter ainsi, montre la fragilité de cet argument et la potentialité de la violence et des conflits que cela entraînerait.

J’espère que personne n’émettra l’idée d’un Dieu qui aurait promis quelque chose.

Car si le Dieu des armées, Yahvé a promis cette terre au peuple élu, Allah a de la même manière, selon les musulmans, consacré cette terre comme Dar al-Islam, c’est-à-dire terre d’Islam.

En faire un conflit entre deux dieux qui selon ce que j’ai compris de leurs croyances, est le même, n’a aucune vocation à simplifier le problème.

Il vaut beaucoup mieux en rester à une proposition de partage de l’Assemblée générale de l’ONU qui a souhaité un état juif et un état arabe et de constater qu’aujourd’hui la disparition de l’un des deux peuples sur le territoire convoité par une épuration ethnique est inadmissible de cruauté et de haine future.

J’en reviens au premier enseignement, la manipulation.

François Fillon a d’abord été déstabilisé c’est vrai, mais, après avoir repris ses esprits  il a répondu.

Et j’ai trouvé l’interview intégrale, c’était une émission de la Radio-Télévision Suisse : < Interview de François Fillon par Darius Rochebin, de la RTS>

Il évoque à partir de 22:16, la tendance de se replier sur sa communauté.

Il évoque d’abord la communauté géographique en parlant du Brexit britannique ou de la Catalogne.

Puis il parle du repli au sein de communauté religieuse.

« On voit monter une forme de sectarisme, de fondamentalisme religieux. Plutôt chez les musulmans aujourd’hui, mais qui peut demain, en réaction, appeler une sorte de fondamentalisme dans les autres religions […]
Je ne peux pas ne pas raconter cette histoire parce que je trouve qu’elle est très révélatrice.
Il y a trois ans je rencontrais à Téhéran l’ayatollah Rafsandjani, l’ancien président iranien.
Et un moment dans la conversation, on parlait d’Israël et il me dit qu’il faut qu’il s’en aille !.
Je lui réponds

  • Mais qu’est-ce que vous voulez dire ?
  • Ils n’ont rien à faire en Palestine, il faut qu’ils partent.
  • Vous ne pouvez pas dire cela, même si vous le pensez, de toute façon ça ne se produira pas.
  • Donnez-moi une seule raison pour laquelle il pourrait rester ?
  • Ben oui, ils étaient là, il y a deux mille ans.

Il éclate de rire et il me dit : nous il y a 5000 ans on était en Inde, on ne va pas y retourner.

Et là je ne sais plus quoi dire.

« Et donc je rassemble toutes mes forces pour trouver une réponse et je lui dis : C’est ça, continuer comme ça : Mettez les chrétiens dehors, mettez les juifs dehors et vous ne croyez pas qu’un jour les européens voudront mettre les musulmans dehors ?
Il y a eu un peu de silence et en repartant dans la voiture je me suis dit au fond, je n’ai pas réfléchi à cette phrase, elle est brutale, elle est provocatrice, mais c’est la vérité.

Si on laisse monter l’intolérance, elle fait naître de l’intolérance en face.
On a aujourd’hui des communautés religieuses qui peuvent se radicaliser.
On a un repli communautaire ethnique. »

Je trouve cette réponse pleine de sagesse.

Les communautés chrétiennes sont aujourd’hui opprimées dans les pays musulmans. Le nombre de chrétiens a diminué de manière considérable par rapport au début du XXème siècle en Turquie, en Égypte, en Syrie, en Irak etc…

Et que personne ne se trompe, il ne s’agissait pas de chrétiens occidentaux, venant d’Europe de l’Ouest qui auraient colonisé ces pays. Pas du tout, ce sont des populations locales qui s’étaient convertis au christianisme il y a longtemps et qui lors de l’expansion de l’Islam ont refusé de se convertir à ce troisième monothéisme.

Et la situation est encore plus dégradée pour les communautés juives dans ces pays. Si les pays arabes ne voulaient pas d’Israël, il aurait été intelligent, me semble t’il, qu’ils convainquent les juifs de leurs pays de rester et qu’ils prennent les mesures adéquates pour rendre ce séjour paisible et serein.

En parallèle dans nos pays, les communautés musulmanes augmentent notamment dans le nombre de celles et de ceux qui se soumettent à des pratiques religieuses ostensibles.

Tout n’est pas parfait dans nos pays, loin s’en faut : il existe des discriminations et des intolérances mais sans commune mesure avec ce qui se passe, en Turquie, en Égypte etc.

La cohabitation des religions dans un monde tolérant et acceptant l’autre constitue un grand progrès de l’humanité.

L’empire ottoman a su pendant longtemps, jusqu’à l’arrivée au pouvoir du gouvernement jeunes turcs, réaliser grosso modo cette cohabitation paisible.

Amin Maalouf parle même de son enfance au Liban et en Égypte où cette coexistence de communautés religieuses restait harmonieuse.

Il faudrait retrouver ce chemin de la tolérance qui appelle à la tolérance chez tous.

Ce qui conduit à écarter tous les discours qui veulent chasser l’autre, comme ce discours de l’ayatollah Rafsandjani.

<1781>

Jeudi 14 décembre 2023

« Ici, dans le feu mal éteint,
Perdant, notre jeunesse par miettes,
Nous n’avons esquivé aucun
Des coups qui tombaient sur nos têtes  »
Anna Akhmatova

Anna Akhmatova est, selon Christian Bobin, la plus grande des poètes et des poétesses.

Dans le livre « Anthologie » qui regroupe un choix de ses textes j’ai trouvé celui-ci :

« Honte à ceux qui laissent leur terre
A leur ennemi triomphant ;
Leur basse louange m’indiffère,
Je leur refuserai mon chant

Mais l’exilé me reste cher,
Comme un malade, comme un captif :
Le pain d’aumône est amer,
Le regret de l’exil est vif…

Ici, dans le feu mal éteint,
Perdant, notre jeunesse par miettes,
Nous n’avons esquivé aucun
Des coups qui tombaient sur nos têtes.

Dans le décompte des faits d’armes
Seront justifiés nos destins,
Personne n’est plus sec de larmes
Plus simple que nous, et plus hautain »
Anna Akhmatova
1922

Lorsqu’on voit ce qui se passe à Gaza et qui fait suite aux massacres du 7 octobre 2023, on est saisi par une sorte de sidération et de découragement.

Évidemment si on se place dans un des deux camps, l’analyse est simple :

Pour le camp d’Israël, les massacres du 7 octobre ne peuvent pas rester impuni.
D’abord à cause de l’horreur de l’attaque, ensuite parce que cela conduit à une menace sécuritaire de tous les instants. Il faut donc punir ceux qui ont fait cela, mais aussi empêcher qu’une telle attaque puisse être réitéré.
La destruction de Gaza, une émission de France Info évoque « Gaza en miettes  », s’explique dès lors par la nécessité de trouver les responsables et les combattants du Hamas afin de les neutraliser.
Pour ce faire, il y a des milliers de morts, de blessés, d’enfants, de femmes et d’hommes angoissés devant la mort qui rode, la famine qui guette, l’eau qui est rare et pollué.
Le camp d’Israël relève que les assassins du Hamas qui sont revenus à Gaza ont été célébrés par des foules en liesse. Que si ces combats sont si meurtriers, c’est parce que le Hamas se cache dans des tunnels interdits à ceux qui ne font pas partie de l’organisation.
Dans cette logique la population sans protection constituent pour eux un bouclier qui les protège. En outre, leur mort en masse constitue un excellent argument pour le Hamas pour dénoncer la violence d’Israël et essayer de faire arrêter par la communauté internationale le bras vengeur de leur ennemi.
Enfin ce camp peut encore dénoncer le fait que le Hamas s’empare de la plus grande part des denrées alimentaires que les ONG font entrer dans le territoire. Une interview en direct d’Al Jazeera montre une vieille femme palestinienne dénoncer ce fait devant un journaliste très ennuyé devant ce témoignage qui ne correspond pas au récit souhaité, mais qu’il ne peut éviter en raison du direct.

Pour le camp palestinien, l’attaque du 7 octobre est un acte qui a remis au premier plan la question palestinienne dont plus personne ne parlait.
Les pays arabes étaient en train d’établir des relations amicales et économiques avec Israël dans le cadre des accords d’Abraham, sans parler des palestiniens.
Même l’Arabie saoudite était en train de signer un tel accord. Ce qui achoppait encore était le fait que l’Arabie Saoudite exigeait d’avoir la responsabilité de l’esplanade des mosquées, la question palestinienne n’était pas prioritaire. Souvent les religieux sont attachés davantage aux symboles, aux pierres, qu’aux humains.
Et en Palestine, on voyait des murs, des checks point qui rendaient la vie tellement compliquée avec, en plus, une progression de l’emprise de la population juive sur la Cisjordanie à travers des implantations tolérées, voire encouragées par le gouvernement israélien.
Un gouvernement dans lequel le premier ministre et des hommes encore plus à droite exprimaient clairement leur refus de donner un État aux Palestiniens.
Bien au contraire, ils voulaient s’emparer de tout le territoire de Judée Samarie comme ils l’appellent.
Dans cette situation l’action du Hamas a constitué une rupture et, en tant que tel, un acte de résistance d’un peuple opprimé. Certes la violence extrême et des excès ont pu être commis, mais il était nécessaire d’arrêter le lent étouffement de la cause palestinienne.

Dans tout cela il n’y a pas plus de place pour l’empathie, d’empathie pour l’autre, même pour le plus faible et le plus innocent de l’autre : un enfant.

Jean Daniel avait écrit le <9 juillet 2014> :

« Mais pour finir sur Israël je peux confier, à l’âge où je parviens, que l’un de mes échecs personnels a été de ne pas arriver à persuader les élites juives de sauver leur peuple et leurs âmes. Sur la violence, il y a eu les plus grands textes. Et sur celle qui concerne les enfants, on ne peut pas oublier Dostoïevski.

Voyant revenir les stigmates annonciateurs de la fraternelle cruauté entre Israéliens et Palestiniens, je ne puis m’empêcher de repenser aux fameux propos prêtés à la redoutable et remarquable Golda Meir : « Ce que je vous reproche, vous serez étonnés de l’apprendre, ce n’est pas tant de tuer nos propres enfants, mais c’est de nous forcer à tuer les vôtres. » Cette phrase peut avoir mille interprétations. Un de mes amis arabes était révolté que je puisse m’y attarder. Non seulement elle se trouve une excuse pour l’assassinat, mais y ajoute un nouveau procès de notre comportement.

C’est vrai que cette phrase a plusieurs sens selon la conscience que l’on a de sa propre immobilité. Mais si sensible que je sois au destin palestinien, je ne puis m’empêcher d’y voir une volonté de ne pas se consoler du meurtre même qu’on prétend justifier par notre défense. Le meurtre, c’est le meurtre. Les enfants des autres, ce sont les nôtres. Aujourd’hui, presque partout, il ne s’agit que d’enfants ou d’adolescents. Ils sont la majorité chez les djihadistes. »

J’ai déjà rapporté les paroles d’humanité que Daniel Barenboïm avait prononcés à Ramallah lors de l’unique concert qu’il a pu réaliser en Palestine, ce ne fut jamais possible en Israël, avec l’orchestre qu’il a créé avec Edward Saïd et composé de musiciens israéliens, palestiniens et arabes :

« Nous croyons qu’il n’existe pas de solution militaire à ce conflit,
Nous croyons que les destinées de ces deux peuples palestinien et israélien sont inextricablement liées. […]
Nombreux sont ceux qui comprendront bientôt que nous avons ici deux peuples pas un.
Deux peuples liés par un lien très fort philosophique, psychologique et historique à cette région du monde.
C’est notre devoir d’apprendre à vivre ensemble.
Nous avons le choix : nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager. »

C’est ainsi que je reviens à ce poème d’Akhmatova qui parle d’exil.

Et nous avons deux peuples qui ont été obligés à l’exil. Le premier pour fuir l’antisémitisme, d’abord en Russie puis dans toute l’Europe. Le second peuple parce que le premier est venu sur la terre qu’il habitait.

Nous avons affaire à deux récits ou deux narratifs comme le disent plutôt les anglo-saxons.

Probablement qu’il faut revenir à ces deux narratifs et espérer que chacun sache entendre celui de l’autre.

Afin, que l’avenir ne soit pas de s’entretuer mais d’apprendre à partager ce qui peut se partager.

L’objectif du gouvernement de Benyamin Netanyahou n’a jamais été de faire la paix mais d’assurer la sécurité d’Israël.

Il a échoué.

Le peuple arabe de Palestine se reconnait probablement dans ces vers d’Akhmatova :

« Honte à ceux qui laissent leur terre
A leur ennemi triomphant ; »

Mais aujourd’hui il y a deux peuples sur cette terre, une partie de chacun des peuples veut voir disparaître l’autre peuple.

Cela ne se fera pas ou alors par des cruautés et des souffrances encore plus terribles qui ne pourront avoir comme conséquence qu’une haine démultipliée qui entrainera d’autres violences et massacres.

Pour éviter cela, il faut tenter de comprendre l’autre.

Et trouver une voie vers la Paix

Pour que les rires remplacent les larmes.

<1780>

Mardi 21 novembre 2023

« Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ? »
David Ben Gourion en 1956 en parlant des arabes, propos reproduit par Nahum Goldmann dans « Le Paradoxe juif »

Depuis un mois, il y a un grand effort de la part des médias pour rappeler ce que la situation au Moyen-Orient doit à l’Histoire et notamment à l’histoire du sionisme.

Le sionisme, c’est-à-dire créer un État pour les juifs, est une réponse à l’antisémitisme millénaire

La prise de conscience a d’abord lieu dans la Russie tsariste, dans les années 1880.

L’assassinat d’Alexandre II, le 13 mars 1881, déclenche, en effet, une vague de pogroms jusqu’à l’été 1884.

Les massacres et les pillages, encouragés par l’autocratie d’Alexandre III, rappellent brutalement aux Juifs qu’ils ne sont que tolérés en Russie.

Dès lors, beaucoup d’entre eux choisiront la rupture avec la Russie – rupture « mentale » par l’engagement dans les mouvements révolutionnaires, rupture « physique » par l’émigration.

La masse des expatriés (600 000 sur plus de cinq millions de Juifs russes entre 1881 et 1903) s’installera aux États-Unis. Mais une partie d’entre eux optera pour une solution radicale : l’installation en Erefz Israël (la Terre d’Israël), où ils édifieront des villages qui formeront la base d’une société juive autonome.

Cette émigration vers la Palestine qui est une province, administrée depuis 1517, par l’Empire ottoman portera pour nom « Aliya »

Un mouvement sera créé en Russie par un médecin d’Odessa Léo Pinsker (1821-1891) : « Les Amants de Sion »

C’est dans ce cadre que va germer l’idée que la survie des Juifs nécessite la reconstitution d’une patrie en Palestine

David Ben Gourion, premier Premier ministre de l’État d’Israël, l’homme qui a proclamé la création de l’Etat d’Israël est né le 16 octobre 1886, en Pologne, dans la partie qui était alors intégrée dans l’Empire russe.

Son père était professeur d’hébreu et membre des Amants de Sion

David Ben Gourion émigrera en 1906, dans ce que les historiens appelleront la deuxième Aliya.

Mais la formidable dynamique du « sionisme » sera surtout l’œuvre de Theodor Herzl (1860-1904), fils de négociants hongrois aisés, devenu journaliste à Vienne.

Il sera le vrai fondateur du mouvement sioniste au « congrès de Bâle en 1897 » et l’auteur de « Der Judenstaat » (L’État des Juifs) en 1896 dans lequel il explique comment il pense possible, avec l’appui de la communauté internationale, d’obtenir une souveraineté sur un territoire déterminé.

Il y aura des discussions sur ce territoire, on parle de l’Argentine, ou encore de l’Ouganda, mais le terme utilisé de « Sion » qui est le nom biblique d’une colline de Jérusalem, laissait quand même prévoir que le territoire espéré était celui qui naguère, au début de l’ère chrétienne, avait pour nom Judée, Galilée et Samarie.

Mais il faudra encore la première guerre mondiale et l’intervention pertinente de Chaim Weizman, inventeur de l’explosif Acetone, pour que l’Empire Britannique accepte l’idée d’«un foyer national juif en Palestine » dans la « Déclaration Balfour ».

Cet épisode historique, je l’ai déjà raconté dans le mot du jour du < 17 mars 2015>

Chaim Weizman sera Président de l’Organisation Sioniste Mondiale, par deux fois, de 1920 à 1931, puis de 1935 à 1946, avant de devenir le premier président de l’État d’Israël entre 1949 et 1952.

Et puis il faudra la seconde guerre mondiale, la Shoah, la création de l’ONU, le plan de partage de la Palestine voté à l’ONU le 29 novembre 1947 entre un État juif et un État arabe et enfin la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine dans le hall du Musée d’art de Tel Aviv par David Ben Gourion.

L’État arabe n’a pas été créé jusqu’à présent.

En 1948, la Palestine comptait 2/3 d’arabes musulmans et chrétiens et 1/3 de juifs.

Nahum Goldmann était aussi né dans l’Empire russe, le 10 juillet 1895 en Biélorussie, il est mort en 1982. Il était également dirigeant du mouvement sioniste.

Il a écrit en 1976, un livre « Le Paradoxe juif », sous-titré « Conversations en français avec Léon Abramowicz »

Lors de la Seconde Guerre mondiale, Nahum Goldmann s’établit aux États-Unis et participa activement aux négociations en faveur de la création de l’État d’Israël.

En 1948, il est l’un des leaders de la Confédération sioniste et à partir de 1956, son président ; il est également ensuite président du Congrès juif mondial.

Il eut un rôle primordial dans les négociations de l’accord de réparations avec l’Allemagne

Il était un ami intime de David Ben Gourion, même si leurs relations furent parfois tumultueuses.

Il écrit :

« Nous nous sommes souvent affrontés, tant en public, qu’en privé, mais, en dépit de nos différents, surtout en ce qui concernait la politique arabe, nous étions fort liés et chez David Ben Gourion, j’ai toujours admiré l’homme d’État. »
Le Paradoxe juif page 115

Il en fait un portrait élogieux mais sans concession :

« Il fut non seulement un grand homme d’Etat, mais aussi un diplomate et un politicien très habile, très rusé, en vérité l’un des meilleurs que je n’aie jamais connus. Une promesse de lui ne valait rien du tout. Il n’hésitait pas à promettre une chose et ensuite à faire le contraire. Il était tout à fait dénué de scrupules. Il n’a jamais poursuivi d’autres but que de réaliser l’idéal sioniste et d’assouvir son immense ambition. […]
J’ai connu beaucoup d’hommes d’État, mais presque aucun n’ayant son sens historique. Il était persuadé que chaque mot qu’il prononçait l’était pour l’éternité. »
Le Paradoxe juif Page 116

En résumé, ils étaient d’accord sur tout, sauf sur la politique Arabe.

Ben Gourion ne voulait pas lui confier les négociations avec les Arabes. Après avoir encensé tous ses talents, notamment de diplomate, Ben Gourion a posé ce jugement :

« Tu as donc le droit de te demander pourquoi je ne te charge pas du problème qui décidera de l’avenir de l’État d’Israël : la paix avec les Arabes. Je vais t’en expliquer les raisons…
[Dans tes missions précédentes avec les hommes politiques américains, avec Adenauer] A ces hommes tu as parlé d’égal à égal car vous partagez les mêmes qualités. Mais avec les Arabes, qui sont des barbares, tous tes dons n’ont aucune valeur. Ni ta culture, ni ton charme, ni ton art de la persuasion n’auraient d’effet sur eux. Eux ne comprennent que la manière forte, et la main de fer, c’est moi, pas toi. Voilà l’explication. »
Le Paradoxe juif pages 118 et 119.

Alors que Nahum Goldmann était persuadé que : « sans un accord avec les Arabes, Israël ne connaîtrait pas d’avenir à long terme. » Le Paradoxe juif page 121

Et Nahum Goldmann va révéler un échange qu’il aura dans l’intimité de la cuisine de l’habitation de David Ben Gourion. Je cite l’intégralité de ce passage avec son introduction :

« En effet, il m’est souvent apparu que chez les hommes d’État, le caractère l’emporte sur l’intelligence.
Nombre d’entre eux comprennent avec leur cerveau ce qu’il convient de faire, mais leur caractère leur interdit de le réaliser.
Ce comportement est typique de Ben Gourion : je vais en donner un exemple que je n’oublierai jamais.
Un jour, ou plutôt une nuit de 1956, je suis resté chez lui jusqu’à trois heures du matin. Nos véritables conversations se déroulaient souvent dans la cuisine et, comme à l’accoutumée il voulait que sa femme Paula allât dormir. Comme elle insistait pour rester, Ben Gourion me disait : « Nahum, tu es le seul qu’elle respecte. SI je lui demande, elle n’ira pas dormir, mais, si toi tu l’en pries, elle acceptera. » Je disais donc à Paula : «  Fais moi plaisir, va te coucher », puis Ben Gourion préparait du café et des sandwiches.
Cette nuit-là, une belle nuit d’été, nous eûmes une conversation à cœur ouvert sur le problème arabe.

« Je ne comprends pas ton optimisme », me déclara Ben Gourion.
« Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais, moi, un leader arabe, jamais je ne signerais avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays.
Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur.
Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ?
Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ?
Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ?
Ils oublieront peut-être dans une ou deux générations, mais, pour l’instant, il n’y a aucune chance.
Alors, c’est simple : nous devons rester forts, avoir une armée puissante.
Toute la politique est là. Autrement, les Arabes nous détruiront. »
J’étais bouleversé par ce pessimisme, mais il poursuivit :
« J’aurai bientôt soixante-dix ans. Eh bien, Nahum, me demanderais-tu si je mourrai et si je serai enterré dans un État juif que je te répondrais oui : dans dix ans, dans quinze ans, je crois qu’il y aura encore un État juif.
Mais si tu me demandes si mon fils Amos, qui aura cinquante ans à la fin de l’année, a des chances de mourir et d’être enterré dans un État juif, je te répondrais : cinquante pour cent. »
Mais enfin, l’interrompis-je, comment peux-tu dormir avec l’idée d’une telle perspective tout en étant Premier ministre d’Israël ?
« Qui te dit que je dors ? » répondit-il simplement. »
Le Paradoxe juif pages 121 et 122

Nous sommes 67 ans après cet échange de 1956.

Le pessimisme de Ben Gourion a été démenti, Israël est toujours puissant, l’État a une armée redoutable et dispose d’une modernité technologique à la pointe.

Mais il n’a pas résolu le problème Arabe. 3 générations après, les palestiniens n’ont pas oublié.

Nahum Goldmann écrit :

« Les Arabes ont, eux, la même mémoire historique que les Juifs. La race sémite est très entêtée et n’oublie rien.
Lors d’un grand meeting à Sydney, en Australie, j’ai dit que le malheur d’Israël était d’avoir pour adversaires les Arabes et non plus les Anglais. En effet, les Anglais ont le génie de l’oubli ; en l’espace d’une génération, ils ont perdu le plus grand empire du monde et, malgré cela, ils sont très heureux : le plus grand souci populaire fut longtemps de savoir qui épousera la princesse… Imaginez-vous les Juifs dans cette situation ? Il y a deux mille ans, le temple de Jérusalem fut détruit et, chaque année, pour commémorer cette destruction, nous observons un jour de jeûne. Si nous avions perdu un empire équivalant à celui des Anglais, nous devrions jeûner deux fois par semaine pendant vingt siècles !
Et les Arabes sont comme nous. C’est une idée tout à fait naïve de croire qu’ils finiront par oublier notre présence en Palestine, qu’ils se feront une raison ».
Le Paradoxe juif page 241

Bien sûr cela n’excuse en rien les actes inhumains que les membres du Hamas ont commis le 7 octobre.

Cela explique cependant pourquoi les peuples arabes ne condamnent pas le Hamas, même s’ils n’approuvent pas leur barbarie.

Ils ont toujours en mémoire ce que Ben Gourion reconnaissait en toute lucidité « nous avons pris leur pays » et « les nazis, Hitler, Auschwitz » n’étaient pas la faute des arabes.

Et il n’y a toujours pas d’État Palestinien !

Et la colonisation en Cisjordanie rend cette perspective quasi impossible.

Je n’ai pas de solution miracle à proposer, mais il me semble que cet éclairage est nécessaire pour comprendre ce qui se passe.

Le Hamas est une organisation islamiste, nihiliste en ce sens que ce qui lui importe n’est pas le bien être du peuple palestinien sur cette terre, mais l’installation d’un régime islamiste, sur ce territoire, pour la vie après la mort.

La colère et la haine des israéliens contre le Hamas est compréhensible.

Mais éradiquer le Hamas ne suffira pas, si toutefois Israël y parvient.

Et si cette éradication se fait au prix de la destruction de toute possibilité de vie à Gaza, et au prix d’un nombre de plus en plus grand de victimes innocentes, la haine ne fera que s’exaspérer.

Nahum Goldmann développe dans son livre cette vision certes utopique :

« Si j’avais rencontré Nasser, j’aurais aimé lui dire ceci « Vous autres Arabes êtes un peuple très généreux. Votre rencontre avec les Juifs au cours de l’histoire a été meilleure que la nôtre avec les chrétiens. Vous nous avez persécutés, mais nous avons également connu des périodes de coopération merveilleuse : en Espagne, à Bagdad, en Algérie… Alors restez généreux. Notre peuple est malheureux. J’admets que la Palestine vous appartenait d’après les lois internationales. Mais nous avons tant souffert depuis deux mille ans, nous avons perdu un tiers de notre population parce que nous n’avions pas de territoire. Alors cédez-nous au moins un pour cent du vôtre et garantissez notre existence. Soyez avec l’Amérique, la Russie et la France l’un des garants de la survie d’Israël. »
Je suis persuadé qu’un tel discours aurait eu une grande influence psychologique sur les Arabes, en leur donnant un sentiment de fierté, voire d’égalité. J’en ai d’ailleurs parlé avec quelques leaders arabes qui étaient fascinés par cette idée ; hélas ! il ne semble pas qu’Israël choisisse cette voie-là. »

Le Paradoxe juif page 106

<1777>

Vendredi 17 novembre 2023

« C’était un temps déraisonnable. On avait mis les morts à table […] Moi si j’y tenais mal mon rôle. C’était de n’y comprendre rien. »
Louis Aragon, « Le roman inachevé »

« Le roman inachevé » est une des plus grandes œuvres de Louis Aragon (1897-1982).

C’est une des six œuvres que j’ai eu la chance d’étudier lors de mon passage inabouti en classe préparatoire scientifique dans les années 1976 à 1979.

On décrit cet ouvrage sous la forme « d’une autobiographie poétique ».

Aragon parle de son passé et en fait un recueil de poésie.

Le livre est divisé en trois parties et chaque partie comprend des thèmes.

Le dernier thème de la 1ère partie a pour titre : « La guerre et ce qui s’en suivit »

La guerre dont il s’agit est celle de 1914-1918.

Il est mobilisé en 1917 et rejoint le front au printemps 1918 comme médecin auxiliaire.

La page Wikipedia qui lui est consacrée rapporte :

« Sur le front, il fait l’expérience des chairs blessées, de la violence extrême de la Première Guerre mondiale, d’une horreur dont on ne revient jamais tout à fait mais qui réapparaîtra constamment dans son œuvre et qui est à l’origine de son engagement futur pour la paix. Il reçoit la croix de guerre et reste mobilisé jusqu’en juin 1919 en Rhénanie occupée, épisode qui lui inspirera le célèbre poème «  Bierstube Magie allemande. » »

En réalité, les poèmes ne portent pas de titre et on les nomme par leur premier vers, ainsi de celui-ci dont je cite la première strophe :

« Bierstube Magie allemande
Et douces comme un lait d’amandes
Mina Linda lèvres gourmandes
Qui tant souhaitent d’être crues
A fredonner tout bas s’obstinent
L’air Ach du lieber Augustin
Qu’un passant siffle dans la rue

Léo Ferré fera de ce poème une chanson qu’il nommera : « Est-ce ainsi que les hommes vivent »

Car il ajoutera un refrain de deux vers qui sont dans la quatrième strophe :

« Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent »

Mais la chanson de Léo Ferré débute à la cinquième strophe :

« Tout est affaire de décors
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays »

La septième strophe du poème et troisième de la chanson est la suivante :

« C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien »

C’est Pierre Servent, spécialiste des questions de défense, pendant 20 ans professeur de stratégie d’influence à l’Ecole de guerre; qui pour dire que nous ne pouvons pas être certain que des décisions raisonnables vont être prises dans le conflit à Gaza, a rappelé ces vers d’Aragon « C’était un temps déraisonnable. On avait mis les morts à table ».

Il était l’invité, ce jeudi 16 novembre de la matinale de France Inter : <Quelle est la stratégie militaire d’Israël ?>

Il n’était pas raisonnable que Poutine attaque l’Ukraine, il l’a fait pourtant.

Il était raisonnable cependant pour l’Azerbaïdjan de s’emparer du Haut Karabakh car les Azéris savaient que personne ne réagirait et c’est ce qui s’est passé.

Dans la guerre de Gaza, il y a beaucoup de choses déraisonnables et d’autres qui pourraient encore arriver.

En tout cas, « on a mis les morts à table », expression que je comprends comme le fait que ces guerres font de plus en plus de morts et qu’ils s’invitent à notre table par les informations et le sinistre décompte des victimes de chaque camp.

Ce que nous disons, en France, sur ce conflit n’a aucun effet sur ce qui se passe là bas.

Mais en France aussi est venu un temps déraisonnable.

Les actes antisémites ont explosé, nos concitoyens juifs ont peur.

Mais Jean-Luc Melenchon n’a pas voulu aller à la marche contre l’antisémitisme. Le 7 novembre à 8:12 PM il a tweeté :

« Dimanche manif de « l’arc républicain » du RN à la macronie de Braun-Pivet. Et sous prétexte d’antisémitisme, ramène Israël-Palestine sans demander le cessez-le-feu. Les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous. »

Selon la déraison de cet homme, il n’est pas possible de séparer de manière étanche les actes antisémites en France et la guerre d’Israël contre le Hamas

Et donc selon cette logique, les français juifs sont tous responsables de la politique que mène le gouvernement d’Israël. Sinon, s’ils ne sont pas responsables, il n’est pas admissible qu’il fasse l’objet de menace, insulte ou agression. Et donc s’ils ne sont pas responsables, il est normal de défiler contre l’antisémitisme.

Le Président de la République a également refusé de défiler.

En 1990, le Président d’alors, François Mitterrand avait défilé.

Il est vrai qu’au moment de cette manifestation, il était clair dans l’esprit de tous que les coupables des profanations du cimetière juif de Carpentras étaient d’extrême droite. Ce qui s’est avéré faux après enquête.

Les actes antisémites, contre lesquels il s’agissait de défiler sont majoritairement commis par des personnes qui sont révoltées par le destin du peuple palestinien. Beaucoup sont d’origine musulmane.

Il y a donc une lutte noble contre l’antisémitisme, celle qui vient de l’extrême droite.

Et une autre qui l’est moins, celle de l’antisémitisme qui ne vient pas d’extrême droite.

Le président a expliqué qu’il ne voulait pas fracturer la société française, puis il a dit explicitement

« Protéger les Français de confession juive, ce n’est pas mettre au pilori les Français de confession musulmane. »

J’exprime la croyance que la majorité de la communauté musulmane n’est pas antisémite et n’approuve pas les actes commis en France et encore une fois ne juge pas responsable chaque juif de France de ce qui se passe au Proche Orient.

Il était donc possible et bienvenue, pour une large majorité des musulmans et le Président de la République, de s’associer à cette marche.

Pour ma part, il m’apparaissait très important de participer à la déclinaison lyonnaise, Place Bellecour, de la marche de Paris.

Cela ne dit rien de mon opinion sur ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie.

Mais je dis non à l’antisémitisme. L’antisémitisme est mon ennemi et je trouve très important en tant que non juif de prendre ma part dans sa dénonciation.

Et je voudrais encore répliquer à certains réticents que dans une guerre on choisit son ennemi, pas ses amis. Lors de la dernière guerre mondiale, le camp allié a choisi son ennemi : Hitler, il n’a pas choisi Staline comme un ami, mais simplement il a fait le constat que dans le combat contre Hitler, ils étaient dans le même camp.

Nous vivons un temps déraisonnable il n’est plus possible d’entendre les arguments de celles et de ceux qui ne partagent pas exactement les mêmes indignations et les mêmes croyances.

On n’exprime pas un désaccord, on ne discute plus du tout, on ne lit plus, on n’écoute plus celle ou celui que l’on a classé dans l’autre camp ou même pas suffisamment dans son camp.

Les pro-israéliens ne peuvent-ils pas entendre qu’il s’est passé des évènements, des actes avant le 7 octobre qui ont eu pour conséquence une explosion de haine du côté palestinien ?

Les pro-palestiniens ne peuvent-ils pas admettre qu’un acte de résistance aurait du se limiter à attaquer les postes de l’armée israélienne et non pas de s’attaquer à des civils, aux kibboutz , à une manifestation musicale et en plus commettre des actes d’une abomination absolue ?

Parmi les victimes, il y avait en outre, notamment dans les kibboutz, des hommes et des femmes qui avaient consacré leur vie pour donner une chance à la paix.

Vivian Silver était l’une d’entre elles. On n’a identifié son corps qu’il y a deux jours. Elle a été tuée le 7 octobre dans le kibboutz Be’eri où elle résidait. Elle était membre de l’ONG Women Wage Peace (WWP) qui regroupe des femmes de tous horizons – juives, chrétiennes, musulmanes, religieuses, athées, orthodoxes, libérales, de droite, de gauche pour œuvrer pour la paix. Elle organisait depuis des années le transfert de Gazaouis ne pouvant être soignés dans l’enclave palestinienne vers des hôpitaux israéliens.

Il existe bien entendu des hommes et des femmes de lumière dans le camp palestinien.

Écoutez, cette infirmière américaine, Emily Callahan, qui a passé près d’un mois dans l’enclave palestinienne pour Médecins sans frontières, raconter son expérience avec des soignants palestiniens extraordinaire d’humanité et de dévouement aux autres.

Les pro-israéliens peuvent-ils entendre que le comportement des colons en Cisjordanie est non seulement inacceptable à l’égard des palestiniens, mais ne peut qu’attiser davantage la haine et surtout rend la paix impossible. Paix qui est la seule solution possible pour que l’État juif puisse vivre en sécurité ?

D’ailleurs Netanyahu ne veut pas de la paix. La paix l’obligerait à discuter des colonies en Cisjordanie et à les démanteler pour la plus grande part.

Jean-Louis Bourlanges dans le « Nouvel Esprit Public » du 5 novembre expliquait :

« Avant le 7 octobre, la seule stratégie M. Netanyahou ait envisagé à propos du problème palestinien, c’était de le régler par le vide : « Il y a des gens à Gaza qui devraient plutôt être chez le maréchal Sissi. Et il y a des gens en Cisjordanie qui devraient plutôt être chez le roi Abdallah II. » […]

Son choix fondamental, et fondamentalement pervers, a consisté à accepter la confrontation générale. Bien sûr, il n’avait pas imaginé les évènements du 7 octobre, mais comment pouvait-il espérer qu’une organisation aussi démente que le Hamas se contenterait d’encaisser l’argent du Qatar sans préparer quelque chose, alors qu’on sait que ces gens sont habités par des passions destructrices et nihilistes, et qu’ils veulent la mort d’Israël ? M. Netanyahou n’a cessé de jeter de l’huile sur le feu : provocations répétées dans les lieux saints, extensions très violentes des colonies, accompagnée d’une quasi élévation des colons de Cisjordanie au rang de garde nationale … Imaginait-il vraiment que tout cela ne produirait aucun effet ?

C’était la « théorie du mur », selon laquelle Israël était parfaitement capable de vivre en parfaite inimitié avec son entourage proche : peu importe l’hostilité de l’environnement, tant que le « mur » est assez haut et épais. Israël a des alliés, de l’argent, la meilleure armée du monde, le dôme de fer, bref il s’est cru à l’abri. »

Le Hamas ne veut pas davantage la paix que Netanyahou. Négocier la paix signifierait accepter l’existence de l’État d’Israël, ce qui est incompatible avec leur volonté de créer un état islamique sur l’ensemble du territoire.

Et les pro-palestiniens peuvent-ils entendre que le malheur actuel des gazaouis est en grande partie dû à la stratégie et aux actes du Hamas. D’abord en raison de la barbarie démesurée du 7 octobre qui entraîne cette réplique d’une violence inouïe de Tsahal. Ensuite parce qu’ils se protègent derrière les civils de Gaza et que si eux se réfugient dans les tunnels souterrains pour résister aux bombardements, ils laissent les civils recevoir toutes les bombes sans protection ? Le Hamas est d’un cynisme absolu et n’en a que faire des femmes, des enfants et des hommes qui meurent à Gaza. Son objectif n’est pas le bonheur sur terre et chaque victime supplémentaire constitue un carburant supplémentaire pour la haine et le rejet d’Israël que poursuit le Hamas.

Et on pourrait continuer à interpeller les uns et les autres dans leur déraison.

Et on continue à « mettre les morts à table ».

Alors que la seule solution, bien sûr très compliquée, mais c’est la seule qui est viable à terme, c’est de mettre des vivants à la table, des vivants capable de négocier, d’écouter l’autre et de faire des pas vers l’autre. Et aussi remettre au centre de ce conflit la raison du différent qui est territorial. Enfin, en écarter autant que possible le caractère religieux qui est une impasse parce qu’elle écarte le compromis au dépens d’un absolutisme délétère.

<1776>

Lundi 23 octobre 2023

« Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle ? »
Bouddha

Une actualité violente chasse l’autre :

On ne parle presque plus de la guerre que la Russie mène à l’Ukraine et plus du tout de l’épuration ethnique au Haut Karabakh.

On parle des crimes abjects et inimaginables que les terroristes du Hamas ont perpétré pendant leur attaque contre Israël du 7 octobre.

Avant de parler des bombardements de l’armée israélienne sur la prison à ciel ouvert de Gaza, je voudrais quand même renvoyer vers un article qui raconte le 7 octobre : « On n’avait pas vu de telles images depuis le régime nazi »

Alors, bien sûr on peut passer son chemin, se protéger de l’horreur, ne pas sombrer avec la folie meurtrière des hommes.

Mais si on veut essayer de comprendre, comprendre la sidération de la communauté juive mondiale, le désir de vengeance, la haine, il n’est pas possible de passer son chemin.

Cet article relate ce que les soldats de la base de Shura, dans le centre d’Israël, transformée en morgue géante et en service d’identification des corps ont vu et vécu.

« Depuis le carnage du 7 octobre, [ l’article est du 20 octobre ] cette morgue géante aménagée sur la base du rabbinat militaire a reçu plus de 1300 cadavres, souvent méconnaissables. Ces derniers jours, l’armée en a ouvert les portes à la presse afin de faire connaître l’ampleur des sévices infligés aux victimes. « Parce que vous êtes journalistes, prévient le colonel Weissberg, vous savez qu’en temps de guerre chaque camp s’efforce d’imposer sa vérité aux dépens de l’adversaire. Mais dans ces circonstances exceptionnelles, vous avez le devoir de me croire. De toute façon, toutes les horreurs dont nous allons vous parler ont été filmées par les terroristes puis diffusées sur les réseaux sociaux. Et je peux vous assurer qu’on n’avait pas vu de telles images depuis le régime nazi. »

Les corps sont méconnaissables, mutilés montrant une ampleur de sévices infligés aux victimes défiant absolument notre humanité.

« Depuis quelques années, on s’entraînait en prévision d’une tuerie de masse en se disant qu’on devrait ce jour-là être capables d’accueillir des dizaines de dépouilles à la fois, sourit tristement Shery, une volontaire qui a rejoint l’unité pour s’occuper spécifiquement des femmes soldats. Mais jamais on n’aurait imaginé être confrontés à une telle abomination.»

L’article donne des éléments concrets de cette inhumanité.

Je n’en ferai pas la liste, le podium de l’horreur n’a pas de sens.

Mais je m’arrêterai sur l’un de ces crimes contre l’humanité, je cite le colonel Weissberg :

« Que dire lorsque vous découvrez le corps d’une femme enceinte tuée par un terroriste qui lui a ouvert le ventre, puis en a extrait le fœtus avant de leur couper la tête à tous les deux ? ».

Oui que dire ?

Le criminel veut éradiquer toute vie, la vie juive, jusqu’à sa racine.

Et ce crime a été commis au nom d’Allah.

Au début, le conflit de la Palestine était un conflit territorial, certes les uns étaient de confession juive et les autres de confession musulmane, mais aussi chrétienne, mais la religion n’était pas prégnante dans cette opposition.

Elle l’est devenue, c’est ce qu’écrit Sylvain Cypel dans l’hebdomadaire « Le Un » : « Le conflit a basculé de national à religieux »

Le Hamas veut créer un état islamique et se bat au nom de son Dieu qui lui a donné cette terre selon sa croyance. Et du côté israélien, il y a aussi des combattants de la Foi qui affirment que ce n’est pas la décision de l’ONU qui leur a donné cette terre, mais leur Dieu qui justifie leur présence sur la terre promise. La Cisjordanie, dans leur bouche, devient la Judée Samarie, appellation biblique.

On disait parfois que la musique adoucit les mœurs, ce qui selon mon expérience n’est que partiellement exact pour les interprètes.

Mais notre expérience collective montre que la religion n’adoucit pas non plus les mœurs. Elle parvient à compliquer encore davantage des situations qui le sont déjà, et dans le cas qui nous occupe parvient à déchainer encore davantage la violence.

Et maintenant Israël réagit et bombarde la bande de Gaza.

Les 2,3 millions d’habitants ne sont pas le Hamas, mais le Hamas est parmi eux.

Ces habitants sont enfermés dans cette bande, ils ne peuvent pas la quitter, Israël et l’Egypte les en empêchent.

C’est dans ce numéro du « Un » qu’est reproduit la phrase du Bouddha mise en exergue :

« Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle ?»

J’ai été bouleversé par cette <Video> mise en ligne par une journaliste indépendante israélienne : Or-ly Barlev 

Elle a filmé ce témoignage d’une résidente survivante du kibboutz Be’éri, âgée de 19 ans, qui au delà de son désarroi et de sa douleur parvient à se hisser au-delà de la vengeance et s’en prend à Benyamin Netanyahou qu’elle appelle Bibi :

« Il a décidé de nous jeter le dôme de fer, plutôt que d’arriver à une solution politique »

Il y avait un processus de paix.

Benyamin Netanyahou n’en voulait pas.

Sur le site de Radio France, le journaliste Charles Enderlin rappelle en 2020:

« Vous savez, Benyamin Netanyahou, l’actuel Premier ministre de l’État d’Israël, était à la tête des manifestations place de Sion à Jérusalem, où la foule hurlait « À mort. Rabin, par le feu, par le sang, nous expulserons Rabin ». »

Et en face, le Hamas faisait des attentats contre les israéliens pour saboter le processus. Charles Enderlin écrit :

« Dès le début du processus d’Oslo, les extrémistes des deux camps se sont mis à l’œuvre. Le Hamas a décidé de tout faire pour empêcher la création d’un État palestinien au côté de l’État d’Israël car pour les islamistes radicaux, il n’est pas question de permettre un État juif en terre d’islam. Et pour les nationalistes messianiques juifs, il n’est pas question de permettre une Palestine libre et indépendante en terre d’Israël. Au début de l’année 1994, quelques mois après la signature des accords d’Oslo, un terroriste juif a massacré 29 Palestiniens en prière dans le caveau des Patriarches à Hébron. Cela a donné le prétexte aux islamistes de Gaza pour lancer des campagnes d’attentats suicides qui, bien entendu, ont contribué à la détérioration de l’image du processus de paix dans le public israélien. L’insécurité a commencé à régner dans les rues israéliennes. »

Aujourd’hui Netanyahou est à la tête d’Israël et le Hamas gouverne Gaza.

Rabin lui disait :

« Je continue le processus de paix comme s’il n’y avait pas d’attentats, et je lutte contre les attentats comme s’il n’y avait pas de processus de paix »

Personne ne sait si Rabin aurait pu mener le processus de Paix à son terme. Mais il en avait la volonté car il savait que l’avenir d’Israël en dépendait.

Aujourd’hui ce sont ses ennemis et les supporters de son assassin qui sont au pouvoir.

Yitzhak Rabin a été assassiné, le 4 novembre 1995 au soir, de deux balles tirées à bout portant dans le dos par un messianique exalté juif.

<Cet Article> raconte que Itamar Ben Gvir a demandé en 2007 la libération de l’assassin de Rabin : Yigal Amir.

Itamar Ben Gvir est l’actuel Ministre de la Sécurité nationale du gouvernement israélien.

Il exposait jusqu’en 2020 dans son salon une photo de Baruch Goldstein, l’auteur du massacre d’Hébron cité par Charles Enderlin. Il a déclaré l’avoir retirée en janvier 2020 après s’être aperçu que cela pouvait lui nuire politiquement. Il continue toutefois de revendiquer son admiration pour le terroriste. C’est ce que vous pourrez lire dans cet article de <Times Of Israel>

Ce que le Hamas a fait le 7 octobre constitue un paroxysme de haine.

Mais la haine ne peut pas vaincre la haine, elle ne peut que l’exacerber.

En France, il existe un mouvement de femmes : « Les guerrières de la paix » fondé en mars 2022 qui rassemblent des femmes musulmanes et juives convaincues que seules la Paix et la prise en compte de l’autre constitue une issue à toute cette haine.

Les deux co-presidentes sont Fatima Bousso et Hanna Assouline.

Cette dernière avait été invitée par Karim Rissouli dans son émission « En société » sur France 5 du dimanche 22 octobre 2023.

Hanna Assouline qui dit (reproduit sur cette page de Radio France) :

« Il faut savoir nommer les choses. Nommer l’horreur des massacres perpétués par le Hamas, celle des civils qui meurent sous les bombardements israéliens. [mais] il est important de réaliser que parler d’une souffrance n’en invisibilise pas une autre. »

Vous trouverez derrière ce lien <Guerrière de la Paix> un documentaire de 50 minutes sur ces militantes de l’espoir en Palestine et en Israël.

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Jeudi 4 juin 2015

Jeudi 4 juin 2015
[Pour surmonter ce conflit]
«une chose est absolument nécessaire : la compassion»
Daniel Barenboïm qui parle du conflit israélo palestinien à ses musiciens

Daniel Barenboïm est un des plus grands musiciens vivants, pianiste et chef d’orchestre.

Il est juif de nationalité israélienne. Contrairement à Herbert von Karajan évoqué lors d’un mot du jour récent, il ne se réfugie pas dans son art pour rester sourd aux drames qui l’entourent.

Il a créé un orchestre avec l’écrivain chrétien américano-palestinien Edward Saïd composé d’israéliens, de palestiniens et d’arabes de Syrie, du Liban, de Jordanie et d’Egypte.

La création de cet orchestre a lieu en 1999 à Weimar à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Goethe : le nom de l’orchestre vient d’ailleurs du recueil West-östlicher Divan (Divan occidental-oriental) du poète allemand.

Il prend en effet pour nom : Le West-Eastern Divan Orchestra (Orchestre du Divan occidental-oriental).

Edward Saïd est décédé en septembre 2003.

Chaque été environ ces 80 jeunes instrumentistes viennent en Europe se former et jouer ensemble.

Il s’assemble en Espagne, à Séville où il répète pendant le mois de juillet avant d’entreprendre en août une tournée mondiale (Europe, Amérique du Sud, …)

Daniel Barenboïm a été l’invité d’Anne Sinclair le 25 mai 2015 :  http://www.europe1.fr/emissions/l-interview/daniel-barenboim-linterview-integrale-989228

Anne Sinclair l’interroge d’abord sur des sujets artistiques car il vient interpréter l’intégrale des sonates de piano de Schubert à la Philharmonie de Paris.

Mais dans la seconde partie de l’entretien elle l’interroge sur le conflit israélo-palestinien.

Il raconte d’abord un épisode de l’Histoire de l’orchestre.

Il était prévu de se réunir comme chaque année en juillet 2014 mais la guerre de Gaza venait d’être engagé par Israël.

Plusieurs jeunes musiciens ne voulaient pas venir.

Alors Daniel Barenboim leur a dit à chacun :

« Écoute en restant dehors tu n’aides pas la chose. Viens et on va en parler tous ensemble.
Si après que tu sois venu, tu ne te sens pas bien alors tu pourras partir, je ne t’en voudrai pas.
Le premier soir on a immédiatement fait une réunion et on a parlé de tout et tout le monde se disputait et chahutait.
Alors j’ai pris la parole et j’ai dit : Écoutez c’est complètement irréaliste d’attendre d’un israélien d’avoir de la sympathie avec le destin d’un Palestinien ou pour un Palestinien d’avoir de la sympathie pour un israélien.
Parce que la sympathie c’est une qualité émotionnelle.
Mais une chose est absolument nécessaire et ça c’est la compassion qui n’est pas une qualité émotionnelle mais une qualité morale.
Et si parmi vous, les musiciens, il existe des musiciens qui n’ont pas cette compassion, alors votre place n’est pas ici, vous pouvez partir demain.
Tout le monde est resté.»

Le mot « compassion » vient du latin : cum patior, « je souffre avec ».
C’est une vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui.

Cet extrait se situe à partir de 16:30 de l’entretien.

Et un peu plus loin il dit cette chose simple et tellement évidente :

« Ce n’est pas un conflit symétrique. Les Israéliens sont les occupants et les palestiniens sont les occupés.
Une partie nettement plus grande de la responsabilité repose sur les épaules des israéliens. »

En janvier 2008, l’Orchestre avait enfin reçu l’autorisation de jouer en Cisjordanie, à Ramallah

<Ici vous verrez et entendrez les mots que Daniel Barenboim prononce à la fin de ce concert exceptionnel :
« Ce projet qu’Edward Said et moi-même avons entrepris a parfois été décrit comme un orchestre pour la paix, un orchestre capable d’insuffler tel ou tel sentiment.
Mesdames et messieurs, je vous l’affirme, nous n’apportons pas la paix vous le savez.
C’est un fait, ces gens merveilleux qui jouent ensemble n’apporteront pas la paix.
Ce qu’ils peuvent apporter c’est la compréhension, la patience, le courage et la curiosité d’écouter ce que l’autre veut dire. C’est là toute notre ambition.
Dans ce contexte chacun a pu s’exprimer librement et ce qui est aussi important a pu entendre la version de l’autre.
C’est la raison de notre présence parmi vous pour apporter un message d’humanité pas un message politique, un message d’humanité, de solidarité pour la liberté qui fait défaut à la Palestine. Cette liberté dont toute la région a besoin.
Nous croyons qu’il n’existe pas de solution militaire à ce conflit.
Nous croyons que les destinées de ces deux peuples palestinien et israélien sont inextricablement liées.
Ainsi le bien être, le sentiment de justice et le bonheur de l’un dépendront inévitablement de ceux de l’autre.
Ils représentent notre objectif.
Nous œuvrons pour le changement du mode de pensée qui prévaut dans cette région.
Nombreux sont ceux qui comprendront bientôt que nous avons ici deux peuples pas un.
Deux peuples liés par un lien très fort philosophique, psychologique et historique à cette région du monde.
C’est notre devoir d’apprendre à vivre ensemble.
Nous avons le choix : nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager.
C’est ce message que nous venons vous porter aujourd’hui. »

Depuis janvier 2008, Daniel Barenboïm a reçu un passeport palestinien de la part de l’autorité palestinienne.

Cette attitude ouverte ne lui attire pas que des sympathies en Israël.

Ainsi, un député du parti ultra-orthodoxe Shass affirme que « c’est une honte que le chef d’orchestre ait accepté la nationalité palestinienne »

Il demande que « son passeport israélien lui soit confisqué, puisque désormais, il en détient un autre, d’une entité ennemie ».

Nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager, tout est dit.

Et en 2009, je pense que l’académie Nobel aurait pu donner le prix Nobel de la paix à Barenboïm et à cet orchestre plutôt qu’à Obama.

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