Vendredi 27 octobre 2023

« Partout, les forces attachées à la modération, à la coopération et à la paix ont été battues en brèche. »
Jean-Louis Bourlanges, le 23 octobre, à l’Assemblée Nationale

Hier j’ai partagé un cri de colère.

Non ! ce que le Hamas a fait n’est pas un acte de résistance !

C’est un crime contre l’humanité. Ce que ces croyants ont perpétré au nom d’Allah, ne peut s’inscrire dans les valeurs de l’humanité.

Il faut aimer la mort, comme nous aimons la vie pour agir ainsi.

Il faut croire aveuglément à un récit et dénier à celles et ceux qui n’y croient pas, jusque qu’à la dernière parcelle d’humanité.

Non, on ne peut pas considérer que ce qui s’est passé à partir de 7 octobre est une simple riposte entre deux belligérants.

Les crimes du Hamas sont au-delà de ce que nous pouvions imaginer, horreur et atrocité.

Je ne suis plus croyant dans une des religions du Livre. Mais pour les croyants, il y a cette malédiction que je crois légitime pour chacun des assassins du Hamas et de ceux qui les ont envoyés :

« Quand on le jugera, qu’il soit déclaré coupable, Et que sa prière passe pour un péché ! »
Psaume 107 verset 7 dans la traduction de Louis Segond.

Que leurs prières soient péchés !

Il fallait que cette abomination soit dénoncée.

Et le 23 octobre, un vieil homme de 77 ans, est monté, tout essoufflé, à la tribune de l’Assemblée Nationale, au Palais Bourbon.

Il avait du mal à retrouver son souffle. Il finira épuisé, au bord du malaise.

Mais lorsqu’il a vraiment débuté son discours, la magie du verbe et la lucidité de la politique, se sont emparées de ce corps fragile.

Un discours exceptionnel de Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des affaires étrangères et député Modem. Un discours comme il y en eut jadis à la tribune de cette Assemblée, loin des interventions querelleuses et électoralistes qui sont désormais le lot quotidien de la chambre basse de notre parlement.

Il a aussi commencé à poser, ce qui doit être dit :

« Le 7 octobre dernier, cette interminable tragédie a pris un cours décisivement nouveau et d’une gravité exceptionnelle : Israël s’est trouvé confronté à une agression paramilitaire de première grandeur, menée par un Hamas résolu à piétiner tous les principes, toutes les règles, tous les usages régissant les relations entre les peuples, que ceux-ci soient en guerre ou en paix. Si les mots ont un sens, il est clair que l’agression conduite par le Hamas est à la fois terroriste, constitutive d’un crime de guerre généralisé et adossée à un discours à caractère génocidaire assumé. Le Hamas met en scène les pires violences sur les populations dans le seul but d’effrayer et d’intimider : c’est du terrorisme. Le Hamas ne fait la guerre qu’aux civils, c’est la définition même et dans son extension maximale du crime de guerre ! Les fidèles du Hamas n’hésitent pas à appeler non pas uniquement à la disparition de l’État d’Israël, mais à l’élimination des Juifs en tant que Juifs ! C’est l’expression même d’une volonté de génocide porteuse d’un crime contre l’humanité.»

Mais il avait introduit ce propos par un rappel historique essentiel qui fait le constat que la situation conflictuelle au Proche-Orient depuis soixante-quinze ans provient de l’absence d’un État palestinien aux côtés de l’État israélien :

« Le 29 novembre 1947, L’Assemblée générale des Nations unies décidait, par trente-trois voix contre treize, la création de l’État d’Israël tout en prenant soin de proposer l’institution parallèle d’un État palestinien qui, à la suite de la guerre qui a accueilli la décision onusienne, n’a jamais pu voir le jour. De ce vote solennel qui engage la communauté internationale date à la fois le droit imprescriptible du peuple juif à vivre dans un État libre et souverain, et le lancinant problème posé par l’émergence indéfiniment différée de son jumeau palestinien. Israël était né, Ismaël restait dans les limbes ; la tragédie prenait ses marques au cœur d’un Moyen-Orient par ailleurs déchiré par la guerre froide. »

Pour ceux qui manquent de références bibliques, il faut savoir que selon ce récit Ismaël est le fils d’Abraham qui serait le père de tout le peuple Arabe ainsi que de la lignée menant au prophète de l’islam Mahomet. Le second fils d’Abraham sera Isaac qui lui même sera le père de Jacob qui prendra le nom d’Israël et sera l’ancêtre du peuple juif. Ces personnages apparaissent dans les livres de Moïse des juifs et dans le Coran des musulmans. Les croyants de ces deux religions croient à ce récit.

Et puis prenant de la hauteur, Jean-Louis Bourlanges s’est interrogé sur la sécurité à long terme d’Israël :

« Et c’est de la réponse à cette question que doivent dépendre nos réactions à court et à moyen terme, comme celles de l’État hébreu.

Comment un État de 20 770 kilomètres carrés, peuplé de moins de sept millions de Juifs, fer de lance d’une communauté humaine de près de treize millions de personnes, pourrait-il espérer vivre durablement en paix et en sécurité au milieu d’un environnement par hypothèse hostile de plus d’un milliard et demi de musulmans ? »

Et il répond que les murs, les équipements militaires les plus sophistiqués sont une mauvaise réponse :

« Même l’arme nucléaire dont dispose Israël n’est pas de nature à assurer la survie d’un État concentrant toute sa population sur un espace aussi restreint. »

Et puis, il y eut ce développement remarquable de clarté et de lucidité en comparant l’attitude du premier ministre actuel de l’Etat d’Israel avec ses prédécesseurs :

« Face à cette terrible situation, il faut analyser sans œillères ni préjugés ce qui s’est modifié ces dernières années sur la scène moyen-orientale. Comme l’a très justement dit monseigneur Vesco, archevêque d’Alger : « La violence barbare du Hamas est sans excuse mais elle n’est pas sans cause. »

Avant la prise de pouvoir de M. Netanyahou, les grands dirigeants historiques d’Israël, quelle qu’ait été leur sensibilité politique, ont eu une conscience aiguë de cette vulnérabilité après que la guerre du Kippour l’eut rendue manifeste.

Yitzhak Rabin, qui avait vu au plus près le péril de la patrie, a défendu, avec une force de conviction et une volonté politique sans pareille, l’idée qu’il n’y aurait ni paix ni sérénité pour Israël si les Palestiniens ne se voyaient pas reconnaître, eux aussi, un État libre et souverain.

Menahem Begin, venu pourtant de la droite de la droite, a assumé courageusement à Camp David, le choix de la paix avec le principal ennemi d’Israël, l’Égypte post-nassérienne.

Ariel Sharon, qui avait pris la mesure de l’impuissance de la force dans le cadre de l’intervention controversée qu’il avait conduite au Liban, avait, à la veille de l’accident de santé qui devait le terrasser, décidé d’amener son pays à renoncer ses ambitions coloniales en Cisjordanie.

Ces hommes avaient pressenti et pleinement reconnu, pour Yitzhak Rabin du moins, qu’Israël ne trouverait la paix qu’à la condition d’établir avec les États arabes qui l’entouraient, mais aussi avec les hommes et les femmes de Palestine, une relation équilibrée qui supposerait le respect mutuel et le partage des bénéfices de la paix.

La rupture introduite ces dernières années dans la politique israélienne par les gouvernements successifs de M. Netanyahou n’est certainement pas la cause unique de la situation nouvelle, mais elle y a puissamment contribué. »

Jean-Louis Bourlanges dit tout le mal qu’il pense de M. Netanyahou sur le plan militaire mais aussi politique :

« L’essentiel est toutefois d’ordre politique. M. Netanyahou a semblé imaginer que l’établissement de relations apaisées et coopératives avec les voisins arabes d’Israël, ce qui était en soi une excellente ambition et se révélera demain fort utile à la quête nécessaire de l’apaisement, pouvait avoir ce pouvoir indirect, mais précieux à ses yeux, de dispenser Israël de rechercher avec les Palestiniens un accord équilibré et respectueux de leurs attentes et de leurs aspirations profondes.

Bien plus, les accords d’Abraham ayant permis aux États arabes d’abandonner les Palestiniens à leur triste sort, le Gouvernement israélien s’est estimé libre d’engager sans risque une relance rampante mais brutale et déterminée de sa politique de colonisation en Cisjordanie. »

Bien sûr, Israël n’est pas le seul responsable :

« Il serait injuste d’attribuer à l’État hébreu le monopole de la nouvelle brutalisation du monde d’où l’horreur du 7 octobre est sortie. Partout, les forces attachées à la modération, à la coopération et à la paix ont été battues en brèche.
Que les Palestiniens aient eu la tentation croissante et suicidaire de se réfugier dans une sorte de nihilisme politique ne peut, hélas, pas nous surprendre.

Une population sans avenir, donc sans espoir, pouvait-elle être tentée par des partis modérés qui n’avaient rien à lui offrir ? »

Il pointe aussi la responsabilité des Etats-Unis, notamment de Trump et ajoute :

« Comment, dans ces conditions, ne pas voir que ce sont aujourd’hui les héritiers idéologiques des assassins d’Anouar el-Sadate et d’Yitzhak Rabin qui tiennent ensemble la plume de la tragédie qui s’écrit sous nos yeux ?  »

J’avais déjà expliqué dans le mot du jour de lundi, le soutien de l’actuel Ministre de la Sécurité nationale du gouvernement israélien : Itamar Ben Gvir à l’assassin de Rabin, sans oublier que Netanyahou intervenait dans des meetings où une partie des participants appelait à tuer Rabin.

Sadate a été tué par le Jihad islamique égyptien qui est une organisation armée issue des frères musulmans exactement comme le Hamas.

La fin du discours consistera à essayer de trouver le juste niveau de la riposte en épargnant les vies innocentes :

« Dans l’immédiat, il faut impérativement veiller à ce qu’une contre-attaque légitime, dès lors qu’elle vise exclusivement à détruire les moyens militaires de l’agresseur, évite les deux écueils majeurs que chacun a clairement identifiés.
D’abord le risque d’une escalade incontrôlée pouvant conduire à un embrasement général. Derrière le Hamas, il y a le Hezbollah ; derrière le Hezbollah, il y a l’Iran ; derrière l’Iran, il y a la Russie et la Chine. […]

Le deuxième risque majeur est celui d’un anéantissement massif de populations civiles utilisées par les uns comme des boucliers humains et par les autres comme l’exutoire d’une tentation de vengeance,…

…pour reprendre l’expression préoccupante du Premier ministre israélien. »

Et puis il envisage une solution à plus long terme qui ne peut que prendre en compte pleinement le besoin de justice pour la population palestinienne au terme d’une nouveau processus de dialogue basé sur la paix, le besoin de sécurité d’Israël et des concessions réciproques :

« Reste à construire un avenir de paix. La tâche est redoutable en raison du mur de détresse et de haine qui sépare aujourd’hui Israéliens et Palestiniens. Aujourd’hui, il est à la fois trop tard et trop tôt pour instituer deux États en terre de Palestine.

Il est en revanche temps – et même grand temps – de commencer à réaliser les conditions qui rendront possible, le moment venu, cette double création. La première de ces conditions, c’est qu’Israël fasse cesser sa politique de colonisation et reconnaisse enfin que la solution du problème palestinien ne saurait passer par l’exportation, en Égypte, des Palestiniens de l’Ouest et, en Jordanie, des Palestiniens de l’Est.

La seconde de ces conditions consiste à recréer, notamment avec l’appui des États modérés du pacte d’Abraham, une autorité palestinienne active, respectée et capable de prendre à Gaza le relais d’un Hamas en cendres et de négocier un statut respectueux des droits palestiniens. Au-delà du Moyen-Orient, les bonnes volontés existent, comme celle du Brésil, dont la France a eu raison de soutenir le projet de résolution à l’ONU. Il nous appartient de nous associer à leurs efforts.  »

Il en appelle aussi à l’Union européenne dont l’expérience est celle de la réconciliation franco-allemande et qui doit convaincre « Palestiniens et Israéliens de la pertinence de son logiciel de réconciliation. »

Je n’ai pas cité tout le discours mais la plus grande partie.

Si vous voulez voir intégralement, en vidéo, ce moment de haute politique : <Débat du 23 octobre 2023>. Cela commence à 1:05 :00

Vous pouvez aussi avoir, grâce au journal officiel (cela me rappelle mes études de Droit lorsque j’allais régulièrement lire le JO pour prendre connaissance des débats parlementaires.), la retranscription textuelle intégrale du discours de M Bourlanges ainsi que les interpellations agacées et négatives de M Meyer Habib, député républicain, proche du Likoud et ami revendiqué de Benyamin Netanyahou

Le lien se trouve derrière ce lien :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2023-2024/seance-du-lundi-23-octobre-2023

Ce texte permet d’ailleurs de revenir à la vidéo et au moment précis de l’intervention transcrite.

Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce discours équilibré, profond, inscrit dans l’Histoire et qui tente de tracer un objectif pour l’avenir. Le chemin pour y arriver reste compliqué.

Les extrémistes des deux côtés voudraient que l’autre peuple dégage et soit chassé de cette terre. Cela est inadmissible et ne pourrait que conduire à d’autres crimes inouïs.

Il reste à trouver la voie qui permette de faire vivre ces deux peuples dans la Palestine de l’Empire Ottoman puis du mandat britannique, dans la paix, la justice et l’équilibre.

<1772>

Jeudi 26 octobre 2023

« Ce qu’il y a de bien avec les Juifs, c’est que même lorsqu’ils sont innocents, ils sont coupables. »
Alexandra Laignel-Lavastine

Aujourd’hui je partage, une lettre, un cri de colère.

Je n’y ajoute rien, aucun commentaire.

Je vous invite à lire cette tribune, à la recevoir, à l’accueillir.

Après l’avoir lu, vous pouvez évidemment donner libre cours à votre analyse, à vos critiques, à vos désaccords.

Elle exprime un point de vue fort, que certainement beaucoup de membres de la communauté juive, notamment française, ressentent.

C’est une lettre ouverte au Président de la République par une intellectuelle : Alexandra Laignel-Lavastine

Alexandra Laignel-Lavastine est une philosophe, historienne des idées, essayiste, journaliste née à Paris le 17 octobre 1966.

Elle a écrit de nombreux articles dans Le Monde et aussi à Libération, Le Monde des débats, Philosophie Magazine.

C’est une spécialiste du totalitarisme et de l’histoire intellectuelle et politique des pays de l’ex-Europe de l’Est au XXe siècle, elle a aussi beaucoup étudié la Shoah.

Elle s’est notamment intéressée à la shoah en Roumanie : « Grand entretien. Alexandra Laignel-Lavastine autour de «Cartea neagra – Le livre noir de la destruction des juifs de Roumanie 1940-1944»

En 2017, elle a écrit un livre ayant pour titre : « Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? »

Elle s’est aussi intéressé à la montée de l’islamisme en France « Face à l’islamisme, certains intellectuels « progressistes » sont dangereux »

Cette lettre a été publiée sur ce site <Tribune Juive>

24 octobre 2023
Lettre ouverte au Président Emmanuel Macron à l’occasion de son arrivée en Israël.
Par Alexandra Laignel-Lavastine


Monsieur le Président de la République,

Il semblerait donc que nous vous attendons aujourd’hui en Israël, où je me trouvais quand les barbares du Hamas ont attaqué et massacré ce samedi 7 octobre, et où il va de soi que je me trouve toujours. D’abord, parce qu’on ne déserte pas par temps de guerre. Ensuite, parce qu’il faudrait avoir l’estomac bien accroché pour rentrer dans le pays que vous présidez, où l’esprit public et la classe politico-médiatique — aux habituelles exceptions près depuis vingt ans — a atteint, depuis quinze jours, un degré d’avilissement encore jamais vu. Je suis française en effet, pas même franco-israélienne, enfin pas encore, de ces intellectuels « néo-réactionnaires » qui s’épuisent à alerter depuis des années, de livre en livre, d’article en article, de lettre ouverte en lettre ouverte, en vain. Nous prêchons tous dans le désert.

Nous espérions vous voir ici un peu plus tôt, question d’honneur en la circonstance, « en même temps » que d’autres chefs d’État. Mais nous subissions un déluge de missiles, qui auraient déjà fait des milliers de morts en Israël si les autorités s’y comportaient comme le Hamas : interdire aux civils de s’abriter dans les abris-bunkers, en l’occurrence cinq étages de tunnels et de cité souterraine sous Gaza.

Et les missiles, M. le président, vous n’avez peut-être pas l’habitude. C’est dire si la prudence s’imposait, comme elle continue de s’imposer dans l’Hexagone face à nos islamistes locaux et autres idiots utiles du Hamas, qui sévissent en toute liberté et devant lesquels nous nous couchons depuis les massacres de Mohamed Merah en 2012, avec une lâcheté et une complaisance collectives qui n’ont d’égale que notre obstination dans l’art criminogène de se crever les yeux, y compris face à l’explosion de l’antisémitisme, toujours un symptôme indiquant que l’ensemble du corps social est malade.

Nous allons payer extrêmement cher cette indignité, les réjouissances ayant déjà commencé, vous entrouvrez peut-être un œil. Israël aussi s’était endormi, avec le résultat que l’on sait. Les massacres des kibboutz seront pour demain en France, dans nos foyers lunaires. Les même pathétiques rodomontades à chaque fois : on allait avoir « un avant et un après », après Merah, après Charlie, après le Bataclan, après Nice, après Samuel Paty, etc. etc. Or, non seulement nous n’avançons pas, mais nous régressons après chaque tuerie. Elles ne se cumulent pas, elles s’annulent.
On nous a expliqué que vous attendiez le cadre d’un « agenda utile » avant de nous faire grâce de votre personne sur place : des négociations de paix avec le Hamas, ou peut-être avec le Hezbollah ou les deux?

Au point où nous en sommes… Car nous sommes en juin 1940.
Un « agenda utile » ? Une formule qui inspire trois attitudes possibles : le fou rire (un peu nerveux par ici ces temps-ci) pour les plus conscients du désastre français, la perplexité pour les plus aveugles et la fascination pour tous : comment peut-on être aussi décalé ? Je tiens toutefois à vous rassurer si d’aventure vous changiez d’avis : on vous accueille par politesse, ici presque personne ne vous connaît et la France ne représente plus rien, devenue une minuscule province à peine capable d’aligner 15 000 soldats opérationnels, dont mon propre fils a longtemps fait partie dans une unité parachutiste (une précision au cas où l’on me donnerait des leçons). Vu d’Israël, où l’on vient de mobiliser près de 400 000 combattants, une farce.

Comment résumer ce en quoi s’illustre notre beau pays depuis le 7 octobre ? On ne sait trop par quoi commencer. D’abord, il y eut les cinq minutes d’émotion rituelle inspirées par un carnage à grande échelle, le plus abject depuis la Shoah : 1 400 victimes en un jour. Une petite cinquantaine, voire moins, nous expliquaient encore doctement certains journaux hexagonaux plusieurs jours après, l’AFP à l’appui… L’émotion : il est vrai que des bébés décapités, des femmes enceintes éventrées, des enfants et des jeunes filles violées et égorgés, des familles brûlées vives ou déchiquetées à la grenade, des êtres démembrés ou découpés à la tronçonneuse (oui, ils avaient aussi des tronçonneuses), des gosses survivants cachés et silencieux sous le corps de leurs parents et j’en passe, cela n’arrive pas non plus tous les jours.

Mais c’était tout de même bien embêtant. D’abord, ces habitants des kibboutz du sud, tous de gauche, étaient aussi en première ligne depuis longtemps pour inviter les Gazaouis à travailler avec eux dans les champs — ils croyaient en la paix. Or ce sont pour partie ces travailleurs et ces gentils voisins, en plus des terroristes infiltrés, qui les ont trucidés.

Comme pendant la Shoah : le rôle central joué par les voisins, qui se transforment en bêtes sauvages du jour au lendemain.
Grâce à eux, ce 7 octobre, les terroristes disposaient des plans très détaillées de ces kibboutz pastoraux où ils étaient bienvenus.

Très embêtant aussi, l’héroïsme de tous, de tous ces « sionistes ». Des civils, des jeunes ou des pères de famille qui sont immédiatement sortis de chez eux, avec ou sans armes, pour défendre les villages et sauver des jeunes gens qui dansaient à la Rave Party. L’héroïsme absolu des soldats et des policiers, de garçons et de filles en tout petit nombre, présents ou arrivés spontanément sur place quand ils ont commencé à comprendre, appelés au téléphone par les suppliciés tapis dans les bunkers, se battant pendant plus de vingt heures d’affilée parfois, avec un simple pistolet, contre des hordes de monstres surarmées.
Des héros n’hésitant pas à se sacrifier et à sauter eux-mêmes sur les grenades (les terroristes en avaient deux mille) pour protéger les familles ou leurs camarades. Un héroïsme dont, en France, on n’a plus idée. Les mots manquent, oui, pour décrire l’horreur. Les représentations mentales nous manquent désormais aussi, en France, pour appréhender ce courage.

On a donc vu sur « Cnews » Frédéric Taddéï s’empresser d’inviter la sociologue Laetitia Bucaille sur son plateau, « professeure » à l’INALCO et membre de l’Institut universitaire de France (IUF), un lieu d’excellence intellectuelle, pour nous expliquer que nous ne disposions d' »aucune preuve de ce qu’il s’était passé » le 7 octobre… L’animateur en question, venu de « Russia Today », la télévision de M. Poutine, jubilait, cela va de soi, sans la reprendre. Tout comme il jubilait déjà après Charlie sur « France 3 » en invitant Emmanuel Todd qui nous expliquait alors que les frères Kouachi étaient en fait des victimes (de la France catholique rance et discriminante), si bien que les victimes étaient les vrais bourreaux, nous avions mal vu (j’étais ce jour-là sur le plateau, invitée en néo-réac de service pour feindre la discussion « équilibrée »).

Frédéric Taddeï a-t-il été viré depuis ce scandaleux « dialogue » avec Madame Bucaille ? Non. Un ou plusieurs chroniqueurs de la chaîne, des esprits à l’endroit et courageux, pour mettre leur démission dans la balance ? Personne. Et Madame Bucaille, virée de sa fac ? Le minimum syndical. Non plus. La direction de l’INALCO ? Elle est « outrée » et ne bougera pas une oreille.

En Suisse, au même moment, un autre « professeur » s’est distingué par un propos négationniste similaire. Viré sur le champ et sans préavis. Nos amis helvétiques sont plus vigoureux.

À propos des universités, l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), notamment (où j’ai enseigné jadis) s’est, elle aussi, illustrée au lendemain du carnage par un communiqué émanant d’un syndicat étudiant pour pratiquer le même type de discours : nous avions affaire à « une forme de résistance à l’occupation sioniste » (Gaza n’est plus occupée depuis 2005, sinon par une dictature totalitaire). Le poisson pourrit toujours par la tête. Et il se décompose depuis longtemps, nos facultés et nos Grandes écoles s’étant islamo-wokisées en diable dans une quasi indifférence, les lanceurs d’alerte n’étant pas plus entendus sur ce point que sur d’autres.

Mieux, « France-Culture » s’est empressée de réinviter la sociologue de l’INALCO dès le lendemain, à ses « Matins », pour derechef éclairer l’opinion publique. Il fallait le faire ! Et sur quoi portent cette semaine « Les Chemins de la philosophie » sur cette même station ? Sur la « compromission » des grands intellectuels roumains des années 30 avec le fascisme et les pogroms (j’ai écrit aussi quelques livres là-dessus). Une voix pour oser faire remarquer au micro qu’on assistait à la même compromission en France depuis dix jours ? Non, bien sûr. Business as usual.

En fin de semaine, on évoquera dans cette émission le courage des dissidents d’Europe de l’Est, de Vaclav Havel et de Jan Patocka. Comme si de rien n’était, comme si, eux, auraient laissé passer pareille ignominie.

Le bal des faux-cul. Je ne généralise pas, je ne parle pas des admirables exceptions, là encore, une miraculeuse poignée dans la veulerie ambiante, à l’instar des rebelles de l’An 40 : les Georges Bensoussan, les Abnousse Shilmani et quelques autres intellectuels et journalistes, des guerriers du verbe et de la plume qui, comme après « l’étrange défaite » que nous sommes en train de revivre en live, sauvent l’honneur. Force est néanmoins de constater leur rareté.

Phase II, il y eut heureusement cette roquette, tombée sur un hôpital de Gaza et ses quelque « 500 victimes », soi-disant tirée par les méchants, donc les sionistes. Une bénédiction. Ouf ! En fait, un missile lancé par le Hamas et retombé sur le parking pour un bilan revu à quelques dizaines de morts. On l’a su très rapidement. Mais c’était trop beau, il fallait s’engouffrer dans la brèche toutes affaires cessantes.

Même vous, M. le président, avez commis la lourde faute de twitter bien vite. Et voilà la plupart des médias français reprenant aussitôt la propagande de l’organisation terroriste massacreuse, car on a toujours tendance à croire ce que l’on a envie de croire. Or, c’était irrésistible !

Puis le démenti est arrivé, preuves formelles à l’appui. Subitement, la roquette du Hamas n’a plus intéressé grand-monde, pas plus que les 450 autres ayant loupé leur cible depuis le 7 octobre pour atterrir sur la bande de Gaza et ses civils. Il en va ainsi, du reste, lors de toutes les attaques du Hamas depuis de nombreuses années, un classique, comme à l’été 14, mais l’ignorance est crasse car elle souhaite le rester.

Ce qu’il y a de bien avec les Juifs, c’est que même lorsqu’ils sont innocents, ils sont coupables. Jouissance, donc, avec cette roquette inopinée : les Juifs, pardon les sionistes, coupables de « génocide »(LCI) et de « crime contre l’humanité »… On a choisi les mots. Soulagement ! On a même vu Pierre Moscovici, ancien ministre et actuel président de la Cour des comptes, se précipiter à l’antenne de « i24News » pour expliquer qu’il faudrait nommer « une commission d’enquête indépendante ». Un esprit très mal tourné pourrait songer à la fable de La Fontaine, « Le chat, la belette et le petit lapin », « sa majesté fourrée », « un saint homme de chat, expert sur tous les cas ». Son père, le psychosociologue Serge Moscovici (dont j’ai publié chez Grasset les mémoires posthumes en 2019, Mon Après-guerre à Paris), un Grand, a survécu au pogrom de Bucarest de janvier 1941, qu’il décrit de façon stupéfiante dans ce livre. La fillette alors massacrée avec d’autres aux abattoirs de la ville par les fascistes de la Garde de fer, suspendue à un croc de boucher, portait autour du coup un écriteau : « Viande cascher », une image qui avait horrifié le monde entier… Nous n’en sommes donc plus là.

En si bon chemin, Qui a-t-on invité, cette même semaine, à « Sud-Radio » ? Jean-Jacques Bourdin a réfléchi et il a opté pour la député Danièle Obono, bien connue pour sa clairvoyance face à l’islamisme. Rien de plus urgent que de l’entendre, sachant d’avance ce qu’elle allait dire. Le Hamas, une organisation qui « résiste » au crime d’occupation, etc. « Apologie du terrorisme », a dégainé à juste titre votre ministre de l’Intérieur en saisissant le procureur. Résultat ? Elle vient d’être élue pour siéger, à partir du 6 novembre, à la Cour de justice…

À propos de ministère de l’Intérieur, qu’attend d’ailleurs votre ministre, M. le Président de la République, pour enfin autoriser — et même obliger — ses policiers à porter leur arme de service pendant leur congé, au-delà du trajet entre leur domicile et leur caserne ou leur commissariat, comme le veut jusqu’à présent la règle (un sketch) ? Le b-a ba d’un maillage plus serré du territoire s’agissant de mieux protéger leurs concitoyens, par exemple quand nos forces de l’ordre sont au cinéma en famille, dînent dans une pizzeria ou se promènent au jardin d’acclimatation avec leurs enfants, dans l’hypothèse où des énergumènes issus de nos quartiers émotifs se mettraient à mitrailler dans le tas. Vous avez peut-être fini par le comprendre, cette éventualité n’est plus à exclure.

Même chose pour nos militaires, en particulier nos officiers, et cela dépend du ministère de la Défense. Mais à sa tête, et à un quart d’heure avant une possible troisième guerre mondiale, celui-ci paraît tout aussi à l’Ouest.

Vous n’en êtes pas moins, M. le président, le Chef des Armées. Vous pourriez avoir votre mot à dire. C’est ainsi qu’en Israël, une nation de soldats, des dizaines de morts sont évités chaque année. Cela ne requiert aucun moyen, juste un brin de jugeote et une circulaire. J’ai soufflé en direct cette suggestion à des camarades qui se trouvaient sur le plateau de « Cnews » lors de l’intervention de M. Darmanin il y a quelques jours, par portables interposés. La question ne fut pas posée et elle ne le sera sans doute pas. Je la formule depuis 2015, en vain naturellement. Nous restons à des années lumières du réel.

Sans jamais nous lasser, hier soir, dimanche, nous avons remis cela à la télévision. Quelle autre « personnalité » encore sur un plateau ? Le député Alexis Corbières, encore un convive de marque, pour nous servir ses habituelles circonvolutions. Mais il y a toujours un autre invité en face pour accepter de « débattre » avec lui, en l’occurrence Alain Bauer, il est vrai très agacé.

Si tout le monde refusait (mon cas depuis 2015), on n’inviterait plus M. Corbières car il n’aurait plus de vis-à-vis. Mais comment résister à une invitation télévisuelle ? Convoquer le député France Insoumise était sans doute d’autant plus pressant que sa fille de 21 ans, une islamiste radicalisée, dont la maman est Raquel Garrido, autre tête pensante du parti de M. Mélenchon, venait de twitter : « Alors g ptet pas d’âme, mais ils me font pas du tt de peine, je les trouve mm plutôt chiants, surtt les gosses », allusions aux otages du Hamas détenus à Gaza, dont on n’ose imaginer le calvaire. Abject. Les parents ne sont certes pas responsables des déraillements de leurs enfants majeurs. Mais enfin…

La rue ? On a des manifestations monstres, dites « pro-palestiniennes », en vérité « pro-Hamas », ce qui n’échappe à personne, mais qu’il ne conviendrait pas d’interdire. Encore et toujours le choix des mots car appeler un chat un chat, nous n’en sommes plus capables. Sur une pancarte brandie par une jeune fille, parmi mille autres, Place de la République, oui, de la République, on avait il y a trois jours : « Vous avez pleurés 40 faux bébés israéliens. Où êtes-vous pour les 1000 enfants palestiniens tués ? » Cette demoiselle fâchée avec l’orthographe (on se demande comment, du reste, l’Education nationale se portant si bien) doit ignorer que les enfants en question servent au Hamas de boucliers humains, l’organisation « caritative de résistance » déployant tous les moyens possibles pour empêcher les malheureux d’évacuer vers le sud (en plus de leur interdire l’accès aux tunnels protecteurs pendant les bombardements).

Car plus il y a de « martyrs », plus le sang coule, plus le Hamas, dont on sait l’importance qu’il attache à la vie humaine, peut compter d’idiots utiles en France, en Europe et dans le monde, toujours au rendez-vous. C’est tout bon. Et que voit-on fleurir après les massacres du 7 octobre si on va faire ses emplettes au Printemps, à Paris, ces jours-ci ? Une belle affiche, où on lit ceci : « La torture des enfants palestiniens par Israël et l’occupation sioniste ». On se frotte les yeux. À ce seuil d’affaissement national, on pourrait être tenté de rendre les armes.

Je m’arrête ici, la liste serait trop longue. En deux semaines, la France, la vôtre, M. le Président, celle que vous allez représenter demain en Israël, s’est surpassée. Je n’aimerais pas être à votre place. [….]

En France, il n’est plus question que de l’aide humanitaire à Gaza et des bombardements de l’armée israélienne, un pays dont on se demande comment il ose se défendre. Et tenir à ce point à éviter d’autres carnages, au Sud comme au Nord, s’il laissait la menace prospérer comme on sait si bien le faire dans le pays qui vous a élu à la tête de l’Etat à force de regarder ailleurs. On me rapporte toutefois de source bien informée qu’on commence à observer une certaine fébrilité au sein de notre classe politique. Un avant et un après ? Pour l’heure, nous en sommes très loin, mais on aimerait malgré tout croire en un miracle. »

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Lundi 23 octobre 2023

« Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle ? »
Bouddha

Une actualité violente chasse l’autre :

On ne parle presque plus de la guerre que la Russie mène à l’Ukraine et plus du tout de l’épuration ethnique au Haut Karabakh.

On parle des crimes abjects et inimaginables que les terroristes du Hamas ont perpétré pendant leur attaque contre Israël du 7 octobre.

Avant de parler des bombardements de l’armée israélienne sur la prison à ciel ouvert de Gaza, je voudrais quand même renvoyer vers un article qui raconte le 7 octobre : « On n’avait pas vu de telles images depuis le régime nazi »

Alors, bien sûr on peut passer son chemin, se protéger de l’horreur, ne pas sombrer avec la folie meurtrière des hommes.

Mais si on veut essayer de comprendre, comprendre la sidération de la communauté juive mondiale, le désir de vengeance, la haine, il n’est pas possible de passer son chemin.

Cet article relate ce que les soldats de la base de Shura, dans le centre d’Israël, transformée en morgue géante et en service d’identification des corps ont vu et vécu.

« Depuis le carnage du 7 octobre, [ l’article est du 20 octobre ] cette morgue géante aménagée sur la base du rabbinat militaire a reçu plus de 1300 cadavres, souvent méconnaissables. Ces derniers jours, l’armée en a ouvert les portes à la presse afin de faire connaître l’ampleur des sévices infligés aux victimes. « Parce que vous êtes journalistes, prévient le colonel Weissberg, vous savez qu’en temps de guerre chaque camp s’efforce d’imposer sa vérité aux dépens de l’adversaire. Mais dans ces circonstances exceptionnelles, vous avez le devoir de me croire. De toute façon, toutes les horreurs dont nous allons vous parler ont été filmées par les terroristes puis diffusées sur les réseaux sociaux. Et je peux vous assurer qu’on n’avait pas vu de telles images depuis le régime nazi. »

Les corps sont méconnaissables, mutilés montrant une ampleur de sévices infligés aux victimes défiant absolument notre humanité.

« Depuis quelques années, on s’entraînait en prévision d’une tuerie de masse en se disant qu’on devrait ce jour-là être capables d’accueillir des dizaines de dépouilles à la fois, sourit tristement Shery, une volontaire qui a rejoint l’unité pour s’occuper spécifiquement des femmes soldats. Mais jamais on n’aurait imaginé être confrontés à une telle abomination.»

L’article donne des éléments concrets de cette inhumanité.

Je n’en ferai pas la liste, le podium de l’horreur n’a pas de sens.

Mais je m’arrêterai sur l’un de ces crimes contre l’humanité, je cite le colonel Weissberg :

« Que dire lorsque vous découvrez le corps d’une femme enceinte tuée par un terroriste qui lui a ouvert le ventre, puis en a extrait le fœtus avant de leur couper la tête à tous les deux ? ».

Oui que dire ?

Le criminel veut éradiquer toute vie, la vie juive, jusqu’à sa racine.

Et ce crime a été commis au nom d’Allah.

Au début, le conflit de la Palestine était un conflit territorial, certes les uns étaient de confession juive et les autres de confession musulmane, mais aussi chrétienne, mais la religion n’était pas prégnante dans cette opposition.

Elle l’est devenue, c’est ce qu’écrit Sylvain Cypel dans l’hebdomadaire « Le Un » : « Le conflit a basculé de national à religieux »

Le Hamas veut créer un état islamique et se bat au nom de son Dieu qui lui a donné cette terre selon sa croyance. Et du côté israélien, il y a aussi des combattants de la Foi qui affirment que ce n’est pas la décision de l’ONU qui leur a donné cette terre, mais leur Dieu qui justifie leur présence sur la terre promise. La Cisjordanie, dans leur bouche, devient la Judée Samarie, appellation biblique.

On disait parfois que la musique adoucit les mœurs, ce qui selon mon expérience n’est que partiellement exact pour les interprètes.

Mais notre expérience collective montre que la religion n’adoucit pas non plus les mœurs. Elle parvient à compliquer encore davantage des situations qui le sont déjà, et dans le cas qui nous occupe parvient à déchainer encore davantage la violence.

Et maintenant Israël réagit et bombarde la bande de Gaza.

Les 2,3 millions d’habitants ne sont pas le Hamas, mais le Hamas est parmi eux.

Ces habitants sont enfermés dans cette bande, ils ne peuvent pas la quitter, Israël et l’Egypte les en empêchent.

C’est dans ce numéro du « Un » qu’est reproduit la phrase du Bouddha mise en exergue :

« Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle ?»

J’ai été bouleversé par cette <Video> mise en ligne par une journaliste indépendante israélienne : Or-ly Barlev 

Elle a filmé ce témoignage d’une résidente survivante du kibboutz Be’éri, âgée de 19 ans, qui au delà de son désarroi et de sa douleur parvient à se hisser au-delà de la vengeance et s’en prend à Benyamin Netanyahou qu’elle appelle Bibi :

« Il a décidé de nous jeter le dôme de fer, plutôt que d’arriver à une solution politique »

Il y avait un processus de paix.

Benyamin Netanyahou n’en voulait pas.

Sur le site de Radio France, le journaliste Charles Enderlin rappelle en 2020:

« Vous savez, Benyamin Netanyahou, l’actuel Premier ministre de l’État d’Israël, était à la tête des manifestations place de Sion à Jérusalem, où la foule hurlait « À mort. Rabin, par le feu, par le sang, nous expulserons Rabin ». »

Et en face, le Hamas faisait des attentats contre les israéliens pour saboter le processus. Charles Enderlin écrit :

« Dès le début du processus d’Oslo, les extrémistes des deux camps se sont mis à l’œuvre. Le Hamas a décidé de tout faire pour empêcher la création d’un État palestinien au côté de l’État d’Israël car pour les islamistes radicaux, il n’est pas question de permettre un État juif en terre d’islam. Et pour les nationalistes messianiques juifs, il n’est pas question de permettre une Palestine libre et indépendante en terre d’Israël. Au début de l’année 1994, quelques mois après la signature des accords d’Oslo, un terroriste juif a massacré 29 Palestiniens en prière dans le caveau des Patriarches à Hébron. Cela a donné le prétexte aux islamistes de Gaza pour lancer des campagnes d’attentats suicides qui, bien entendu, ont contribué à la détérioration de l’image du processus de paix dans le public israélien. L’insécurité a commencé à régner dans les rues israéliennes. »

Aujourd’hui Netanyahou est à la tête d’Israël et le Hamas gouverne Gaza.

Rabin lui disait :

« Je continue le processus de paix comme s’il n’y avait pas d’attentats, et je lutte contre les attentats comme s’il n’y avait pas de processus de paix »

Personne ne sait si Rabin aurait pu mener le processus de Paix à son terme. Mais il en avait la volonté car il savait que l’avenir d’Israël en dépendait.

Aujourd’hui ce sont ses ennemis et les supporters de son assassin qui sont au pouvoir.

Yitzhak Rabin a été assassiné, le 4 novembre 1995 au soir, de deux balles tirées à bout portant dans le dos par un messianique exalté juif.

<Cet Article> raconte que Itamar Ben Gvir a demandé en 2007 la libération de l’assassin de Rabin : Yigal Amir.

Itamar Ben Gvir est l’actuel Ministre de la Sécurité nationale du gouvernement israélien.

Il exposait jusqu’en 2020 dans son salon une photo de Baruch Goldstein, l’auteur du massacre d’Hébron cité par Charles Enderlin. Il a déclaré l’avoir retirée en janvier 2020 après s’être aperçu que cela pouvait lui nuire politiquement. Il continue toutefois de revendiquer son admiration pour le terroriste. C’est ce que vous pourrez lire dans cet article de <Times Of Israel>

Ce que le Hamas a fait le 7 octobre constitue un paroxysme de haine.

Mais la haine ne peut pas vaincre la haine, elle ne peut que l’exacerber.

En France, il existe un mouvement de femmes : « Les guerrières de la paix » fondé en mars 2022 qui rassemblent des femmes musulmanes et juives convaincues que seules la Paix et la prise en compte de l’autre constitue une issue à toute cette haine.

Les deux co-presidentes sont Fatima Bousso et Hanna Assouline.

Cette dernière avait été invitée par Karim Rissouli dans son émission « En société » sur France 5 du dimanche 22 octobre 2023.

Hanna Assouline qui dit (reproduit sur cette page de Radio France) :

« Il faut savoir nommer les choses. Nommer l’horreur des massacres perpétués par le Hamas, celle des civils qui meurent sous les bombardements israéliens. [mais] il est important de réaliser que parler d’une souffrance n’en invisibilise pas une autre. »

Vous trouverez derrière ce lien <Guerrière de la Paix> un documentaire de 50 minutes sur ces militantes de l’espoir en Palestine et en Israël.

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Lundi 27 janvier 2020

« Il nous reste les mots »
Georges Salines et Azdyne Amimour

Lorsque mon fils Alexis travaillait et résidait à Lyon, nous avions pris l’habitude de nous retrouver, une fois par semaine, à l’heure du déjeuner pour nous voir en tête à tête et dialoguer, c’est-à-dire nous féconder mutuellement l’intelligence. Un jour Alexis m’a dit : « Si on y réfléchit, les humains ont fait le choix de communiquer essentiellement par le langage et les mots. Ce n’était peut-être pas la meilleure solution. »

Les scientifiques ne savent pas encore très bien comment communiquent entre eux les poulpes. Mais l’hypothèse qu’ils communiquent à partir de leur système nerveux qui est complètement distribué sur tout leur corps est possible. Franz de Waal posait cette question provocante : « Est-ce que l’homme est plus intelligent que le poulpe ? On ne sait pas ».

Daniel Barenboïm a écrit qu’il en apprenait plus sur la personnalité et l’intimité d’un humain en jouant de la musique avec lui pendant dix minutes plutôt qu’en lui parlant pendant des heures.

Quand on s’enlace avec tendresse et ouverture, il y aussi communication qui dépasse les mots.

Mais pour exprimer la complexité, nous autres humains utilisons les mots.

C’est l’objet même du mot du jour.

Le 1er septembre 2014, après un autre silence d’un mois j’avais fait appel à Victor Hugo et au 8ème poème du livre Un des contemplations : « Les mots sont les passants mystérieux de l’âme ».

Mais quand on analyse ce qui se passe, de la difficulté à exprimer et encore plus à entendre le message que peut former les mots, on peut être découragé.

Parce qu’un mot ne suffit pas, il faut une phrase, puis une autre qui précise ou nuance la première. Puis d’autres qui vont encore apporter des précisions et des nuances. Celui qui écoute a souvent envie d’intervenir dès la première phrase ou la seconde, enfin très vite ne laissant pas celui qui parle, développer la complexité de sa réflexion.

Sur les plateaux de la télévision, on demande toujours de s’exprimer en quelques mots.

On privilégie le « bon mot », « la phrase choc » que les anglicistes appellent les punchlines.

Faisons l’hypothèse que vous possédiez, sur un sujet particulier, une réflexion complexe dans votre cerveau et que vous vouliez la transmettre à votre interlocuteur.

Ce qui serait idéal c’est que vous puissiez transmettre, en une fraction de seconde, l’intégralité de cette réflexion dans le cerveau de l’autre, par une sorte de télé transmission et que l’autre puisse la recevoir en une seule fois, dans sa globalité et la comprendre immédiatement.

Mais ce n’est pas possible, pas encore, disent peut être les transhumanistes.

Il nous reste, pour l’instant les mots. Alors il faut accepter de prendre le temps, pour que mot après mot la communication confiante et détaillée puisse s’épanouir et se partager.

C’est ce qu’ont fait Georges Salines, le père de Lola qui a perdu la vie, à 28 ans, au Bataclan le 13 novembre 2015 et Azdyne Amimour, le père de Samy qui a aussi perdu la vie, à 28 ans, le même jour, dans le même lieu mais qui était, lui, un des trois terroristes qui a donné la mort avant de la recevoir.

« Il nous reste les mots » est le titre du livre qu’ils ont commencé à écrire ensemble après avoir dialogué plus d’un an. Ils ont utilisé ces outils imparfaits, insuffisants, pauvres que sont les mots pour échanger leur chagrin, leur désarroi, leurs blessures mais aussi trouver la force pour continuer à croire à la vie, au bonheur, à l’humanisme.

Georges Saline est médecin, il a bien sûr été dévasté par l’assassinat de sa fille, mais n’a pas voulu rester figé dans sa douleur, sa colère. Il a rapidement participé à la création d’une association : « 13 onze 15 : fraternité et vérité » dont il est devenu Président. Il voulait comprendre et faire de la prévention, comme le rapporte cet article de <La Croix>.

Il est devenu ainsi une personnalité publique qui s’exprimait dans les médias. C’est ainsi que l’a connu Azdyne Amimour qui a pris l’initiative de lui écrire en février 2017, pour le rencontrer.

C’est ainsi qu’ils se voient pour la première fois dans un café de la place de la Bastille, à Paris.

Un journaliste commente et leur donne la parole :

« Les deux pères, évidemment, appréhendent cette impensable rencontre. « Au départ, j’étais inquiet, je ne savais pas comment il allait prendre la chose, se rappelle Azdyne Amimour. Dès les premiers mots, j’ai lu sur son visage ses traits de caractère et donc il m’avait mis à l’aise. »  Lors de cette première rencontre, le père du terroriste montre une photo de son fils à l’âge de 12 ans. « On voit la photo d’un petit garçon propre sur lui, mignon, auquel on a envie de faire une bise, décrit Georges Salines. Ce que ça m’a apporté, c’est d’essayer d’être capable de ne pas réduire cette vie à son acte final. Personne ne peut être réduit à ce qu’il a fait de pire dans sa vie. Je sais que je suis sorti de cet entretien totalement bouleversé. »

La première question du père de Lola au père de Samy a été de demander pourquoi il voulait le rencontrer.

« L’homme d’origine algérienne lui répond : « Parce que je me sens aussi victime par rapport à mon fils. » Une réponse qui ne choque pas Georges Salines. « J’avais publié un livre qui s’appelle L’indicible de A à Z où j’avais dit que les familles de jihadistes sont aussi des victimes, se souvient le père de Lola. Je le savais pour avoir rencontré des mères qui avaient perdu leur enfant en Syrie et j’avais pu toucher du doigt leur détresse. À vrai dire, je pense que les terroristes, qui sont totalement coupables et à qui je ne pardonne rien, sont aussi des victimes de leur propre folie. Ils ont perdu leur vie en poursuivant une chimère »

Le père de l’enfant devenu terroriste exprime ses terribles questions :

« Je sais que j’ai failli quelque part mais je n’arrive pas à trouver. Le ‘pourquoi ?’, ça me hante, jusqu’à présent. »

<Libération> présente la famille du jeune tueur :

A Drancy (Seine-Saint-Denis) chez les Amimour, Samy, cadet de la fratrie, est un adolescent influençable et taiseux. Ses parents s’inquiètent souvent pour lui.

Dans la famille, l’islam n’est pas central, le père se définit comme «croyant mais pas pratiquant». Pour lui, Samy a «déraillé»; il a voulu partir en Afghanistan et au Yémen, pour finir par rejoindre le groupe État islamique en Syrie en septembre 2013.

La question du pardon est difficile :

« Quand le père de Samy demande «pardon pour son fils», le père de Lola balaie la question: M. Amimour «n’a pas de pardon à demander, il n’est coupable de rien, et moi je ne peux pas accorder de pardon parce qu’il n’y a plus personne pour me le demander».

«Vous étiez à mille lieues de l’intolérance, du sectarisme et de la violence, (…) tu n’es pas responsable des méfaits de ton fils (…) Le déterminisme à ses limites», répond le père de Lola. »

<Ouest France> présente les doutes de Georges Salines après la lettre d’Azdyne Amimour :

« D’abord « perplexe », le père de Lola, alors président de l’association de victimes « 13onze15 : Fraternité et vérité », accepte. « J’avais déjà parlé avec des mères de jeunes partis en Syrie, dit-il. Mais là, c’était un autre engagement : le fils d’Azdyne était potentiellement le meurtrier de ma fille. »

Mais ils concluent :

« Ce dialogue, estiment finalement les auteurs, représentait une extraordinaire opportunité de montrer qu’il nous était possible de parler. Si un tel échange avait lieu entre nous, alors nous pouvions abattre les murs de méfiance, d’incompréhension, et parfois de haine, qui divisent nos sociétés. »

Vous pouvez aussi visionner cette émission de France 24 dans laquelle, ils ont tous les deux participé.

Il a fallu du temps pour que ces mots échangés puissent permettre de se faire confiance, de se comprendre et d’avancer.

Puisqu’il nous reste les mots, je vais, dans les prochains jours, évoquer des mots et des expressions qui ont été inventés récemment ou ont été très utilisés dans l’actualité. Je tenterai de les éclairer par d’autres mots, pour continuer d’essayer maladroitement, péniblement et modestement de mieux comprendre le monde.

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Lundi 11 février 2019

«Je n’avais pas du chagrin, j’étais le chagrin»
Philippe Lançon, « Le Lambeau », page 211

« Le Lambeau » est le livre dans lequel le journaliste Philippe Lançon, rescapé du massacre de Charlie Hebdo, raconte sa longue et douloureuse épreuve pour retrouver un visage regardable et une sérénité suffisante pour continuer à vivre, après tant de violences et tant d’amis perdus.

J’ai entendu Philippe Lançon parler de son livre dans deux émissions

Sur France Inter l’interview de Léa Salamé : « Les victimes de Charlie Hebdo sont avec moi plus qu’ils ne l’ont jamais été de leur vivant »

Et sur France Culture dans l’invité des matins : «Après « Charlie », vivre et écrire». Dans cette émission il a dit :

« Écrire ce livre est un acte de mémoire sous forme de récit. Le livre fait partie d’une expérience, l’accompagne, lui donne sens et d’une certaine façon la conclut en essayant de la sublimer […] J’avais un problème de sensation à la mémoire. Je ne le sentais plus. C’est comme si j’avais oublié l’homme que j’étais auparavant. De la même façon que les nerfs, la mémoire revient d’une manière particulière dont j’ai essayé de faire le récit. »

Philippe Lançon était, en janvier 2015, journaliste littéraire à Libération et chroniqueur à Charlie Hebdo.

Dans l’équipe de « Charlie », il est avec Bernard Maris l’un des défenseurs de Michel Houellebecq, qui publiait ce même 7 janvier son livre « Soumission » dans lequel l’écrivain imagine un Premier ministre musulman à la France.

La veille, Philippe Lançon a accompagné une amie au théâtre pour assister à la pièce « La Nuit des rois », de William Shakespeare.

Ce matin du 7 janvier, Philippe Lançon est indécis. Passera-t-il d’abord par « Charlie » ou « Libération », dont il est salarié ? A Libération, il devait écrire une critique de la pièce de théâtre à laquelle il a assisté. Il décide que finalement ce sera « Charlie ». La conférence de rédaction est commencée. Les finances sont au plus bas. Depuis l’affaire des caricatures de Mahomet, le journal est « isolé ». Mais l’équipe ne cède rien à sa liberté de débattre. Et lorsque la mort surgit, il est justement question de l’abandon des banlieues, devenues ou non le nid d’un islamisme radical à la violence aveugle.

Il décrit les instants avant l’attaque :

« Il y avait une sorte de brioche devant Cabu. Wolinski dessinait sur son carnet tout en regardant d’un air amusé tel ou tel intervenant. Fabrice Nicolino n’avait pas encore entamé l’une de ses tirades nerveuses et mélancoliques contre la destruction écologique du monde. La voix de crécelle tonitruante d’Elsa Cayat a retenti, suivie d’un immense rire sauvage, un rire de sorcière libertaire. J’aimais beaucoup Elsa. Tignous dessinait peut-être. Il dessinait parfois pendant la conférence, toujours quand elle était finie. J’aimais le regarder travailler : un vieil enfant trapu et concentré, appliqué, lent, les épaules lourdes, un artisan. (…) Bernard Maris était sans doute resté à Charlie, ces dernières années, pour la même raison que moi : parce qu’il s’y sentait libre et insouciant. Ici, on disait ou l’on criait beaucoup de choses vagues, fausses, banales, idiotes, spontanées, on les disait comme on se dérouille le corps, mais, quand la sauce prenait, l’imagination suivait. Ce matin-là comme les autres, lecteur, l’humour, l’apostrophe et une forme théâtrale d’indignation étaient les juges et les éclaireurs, les bons et les mauvais génies, dans une tradition bien française qui valait ce qu’elle valait, mais dont la suite allait montrer que l’essentiel du monde lui était étranger.» »

La scène de l’attentat, longue d’une soixantaine de pages, est presque insoutenable à lire. Les balles des frères Kouachi lui ont arraché la mâchoire, l’ont défiguré, en ont fait une gueule cassée. « Blessure de guerre » a dit le pompier qui le transportait.

« J’étais maintenant à terre, sur le ventre, les yeux pas encore fermés, quand j’ai entendu le bruit des balles sortir tout à fait de la farce, de l’enfance, du dessin, et se rapprocher du caisson ou du rêve dans lequel je me trouvais. Il n’y avait pas de rafales. Celui qui avançait vers le fond de la pièce et vers moi tirait une balle et disait « Allah Akbar ! » Il tirait une autre balle et répétait encore « Allah Akbar ! »

Il était assis à côté de Bernard Maris, avec lequel il blaguait peu avant le massacre. Il se décrit comme dédoublé pour prendre conscience de la réalité :

« « Bernard est mort », m’a dit celui que j’étais, et j’ai répondu, oui il est mort, et nous nous sommes unis sur lui, sur le point de sortie de cette cervelle que j’aurais voulu remettre à l’intérieur du crâne et dont je n’arrivais plus à me détacher, car c’est par elle, à ce moment-là, que j’ai enfin senti, compris, que quelque chose d’irréversible avait eu lieu. […] Combien de temps ai-je regardé la cervelle de Bernard ? Assez longtemps pour qu’elle devienne une partie de moi-même. […] Je ne sentais pas le sang, dans lequel je baignais pourtant, je n’avais même pas encore vu le mien, mais j’entendais le silence, je n’entendais même que ça.»

Et il ajoute :

« Les morts se tenaient presque par la main. Le pied de l’un touchait le ventre de l’autre, dont les doigts effleuraient le visage du troisième, qui penchait vers la hanche du quatrième, qui semblait regarder le plafond, et tous, comme jamais et pour toujours, devinrent dans cette disposition mes camarades »

Et il raconte sa sidération :

« Etais-je, à cet instant, un survivant ? Un revenant ? Où étaient la mort, la vie ? Que restait-il de moi ? Je ne pensais pas ces questions de l’extérieur, comme des sujets de dissertation. Je les vivais. Elles étaient là, par terre, autour de moi et en moi, concrètes comme un éclat de bois ou un trou dans le parquet, vagues comme un mal non identifié, elles me saturaient et je ne savais qu’en faire. Je ne le sais toujours pas… »

Il vivra un incertain et long parcours médical avec une hospitalisation à la Pitié-Salpêtrière, puis à l’hôpital des Invalides, avec dix-sept interventions chirurgicales qui vont permettre à la cicatrisation de ses blessures, et surtout à la patiente reconstruction du tiers inférieur de son visage, détruit par un projectile,

« Ma mâchoire inférieure ayant disparu, on avait greffé à la place mon péroné droit, accompagné d’une veine et d’un bout de peau de jambe qui, sous le nom de palette, me tenait lieu de menton ».

Ce chemin de souffrance et de doute, il en viendra à bout accompagné par la lecture de livres qui puisent au plus profond de l’humanité : Shakespeare, Proust, Thomas Mann et Kafka, de l’écoute de la musique de la paix, de l’équilibre et du divin : Bach, et aussi de la puissance et du réalisme de la peinture de Vélasquez.

Il conclut :

« Il m’avait fallu atterrir en cet endroit, dans cet état […] pour sentir ce que j’avais lu cent fois chez des auteurs sans tout à fait le comprendre : écrire est la meilleure manière de sortir de soi-même, quand bien même ne parlerait-on de rien d’autre ».

<TELERAMA> : décrit ce livre avec ces mots :

«  Le Lambeau n’est pas un document sur la violence, encore moins sur le terrorisme, islamiste ou autre (« Je n’ai aucune colère contre les frères K, je sais qu’ils sont les produits de ce monde, mais je ne peux simplement pas les expliquer. Tout homme qui tue est résumé par son acte et par les morts qui restent étendus autour de moi. Mon expérience, sur ce point, déborde ma pensée… »). Il s’agit, au contraire, d’un livre empreint d’une grande, d’une admirable douceur, s’employant à sonder, sans culpabilité, « la solitude d’être vivant ». Un livre calme, déterminé, à l’image de son auteur et en dépit de l’omniprésence de la douleur physique et morale, de l’angoisse, à « ne pas faire à l’horreur vécue l’hommage d’une colère ou d’une mélancolie que j’avais si volontiers exprimées en des jours moins difficiles, désormais révolus ».

<La page culturelle de France Info>  commente et encense cette œuvre :

« En écrivant « Le lambeau » Philippe Lançon, […] ne fait pas seulement le choix de l’écriture ET de la vie. Il dépose à nos pieds une offrande. En partageant avec nous par la littérature son expérience, il nous autorise à faire corps avec les victimes de l’indicible événement, et ainsi, nous donne la possibilité d’en faire le deuil. […]

Le livre de Philippe Lançon est une offrande, déposée au pied de tous ceux qui ont été touchés par les attentats et l’indicible violence, par la perte de ces figures qui les ont accompagnés comme des tontons, des frères, des amis, depuis l’enfance : l’indémodable bouille et les dessins grinçants de Cabu, les dessins de Wolinski que l’on regardait en cachette quand on était enfant, les unes de Charb, la voix de Bernard Maris sur France Inter le vendredi matin[…]

C’est le récit d’une reconstruction, dans lequel l’auteur rend un hommage bouleversant à l’univers de l’hôpital, et plus largement à un monde dans lequel on ne tire pas sur les gens parce qu’ils ont fait des dessins, mais dans lequel au contraire on met tout en œuvre pour réparer les vivants, avec une place, toujours et quoi qu’il arrive, pour l’humour, pour les blagues, et pour la dérision. Le livre de Philippe Lançon est écrit dans une langue magnifique, tendue comme une peau de percussion au début du livre, puis se relâchant au fil du récit, à mesure que l’étau se desserre, que se banalisent les événements, que la vie revient, au rythme d’une marche paisible au bras de la femme qu’il aime, même si la violence, tapie, peut surgir à nouveau.

En partageant son expérience Philippe Lançon fait don au lecteur de la possibilité d’intérioriser un événement d’une violence tellement sidérante qu’il n’était pas possible de s’en emparer, de le faire sien ou de le digérer (d’autres diraient d’en faire le deuil). Avec ce livre, en faisant du « Je » un « Nous », il autorise chacun à faire entrer en soi les disparus. Comment réussit-il cette prouesse ? En produisant de la littérature, tout simplement. Merci Monsieur Lançon. »

J’ai aussi puisé la matière de ce mot du jour, hormis les articles et émissions déjà cités :

Dans le « Parisien » : <Dans l’enfer de l’attentat de Charlie>

Dans « Libération » : «J’allais partir quand les tueurs sont entrés…»

Dans « La Croix » : «Philippe Lançon, le Lazare de Charlie Hebdo »

Dans l’émission du « Masque et la Plume » de France Inter : <Philippe Lançon bouleverse les critiques du Masque et la Plume>

Dans l’émission du « Ca peut pas faire de mal » de France Inter : <Emission du 10 novembre 2018>

Il y a aussi cette interview dans « Elle » : <Je n’ai pas éprouvé de colère, jamais>

J’en tire ces extraits :

D’abord le commentaire du magazine :

« C’est un livre extraordinaire que « Le Lambeau », un récit splendide sur une expérience atroce, une épopée dans une chambre d’hôpital, la traversée d’un revenant, du monde des morts vers celui des vivants. […] Avec une fluidité remarquable, une intelligence éblouissante, Philippe Lançon raconte comment la nature de l’événement a changé la sienne, au cours de mois d’hospitalisation à la Salpêtrière puis aux Invalides. On dévore ce livre comme « Guerre et Paix », on en est sorti renversé, comme de cette rencontre avec cet homme revenu des enfers.

Puis des réponses de Philippe Lançon

«  Je n’ai pas éprouvé de colère, jamais. Pendant quelques mois après l’accident, cela peut sembler paradoxal, mais j’ai été au meilleur de ce que je pouvais être, dans l’ordre de la patience, de l’endurance et de la bienveillance. Je pense que les caractères sont comme des palettes de peintre, certaines couleurs ne sont jamais utilisées. Des traits de mon caractère ont connu une excroissance soudaine. Je ne m’en vante pas, c’était un réflexe vital. Aujourd’hui, je sens avec une certaine mélancolie que ces trois vertus s’amenuisent à mesure que je vais vers une vie normale. Mais j’en ai toujours plus qu’avant ! […]

Ma vie, mon métier, c’est lire et écrire. Comment pouvais-je restituer le bien que m’ont donné Chloé – la chirurgienne qui m’a opéré -, les soignants, mes amis, ma famille, sinon en en faisant des personnages ? Si j’avais été charpentier, je leur aurais fait des tables et des chaises. Mon frère a été infiniment proche, cette histoire nous a rendus jumeaux alors que cinq ans nous séparent. Il était mon interface avec l’extérieur, nous étions arrivés, sans paroles, à un point de compréhension extraordinaire, presque à la vitesse de la lumière, en tout cas à la vitesse de l’amour fraternel. On va croire que je raconte « Le Manège enchanté », mais c’est vrai. […]

Écrire des chroniques pour « Libération » m’a aidé à sortir de ma condition de malade, chacune était un ballon d’oxygène, c’était un acte vital. Le livre, c’était différent. […]

Cette expérience m’a également enlevé le goût de juger. »

Et je finirai par ce qu’il disait dans l’interview de Léa Salamé citée en début d’article :

« Dans Le Lambeau, Philippe Lançon rend aussi hommage à « sa » chirurgienne, Chloé, la femme qui lui a permis de se reconstruire. « Ce processus m’a appris que le patient est quelqu’un qui doit y mettre du sien, absolument, ce n’est pas un enfant ou un oiseau qui attend la béquée ».

Son nouveau visage, trois ans après l’attaque, « n’est pas si différent de ce qu’il était avant ». « Si je me regarde dans une glace ou sur une photo, c’est plus moi. C’est une vision psychologique, moi je sais que mon visage a changé mais c’est surtout à l’intérieur que j’ai changé ». »

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Lundi 30 novembre 2015

« Enterrer les morts et réparer les vivants. »
Anton Tchekov – Platonov

Le président de la république, lors de son discours, aux invalides en hommage aux victimes du 13 novembre, a eu cette phrase :

« Nous rassemblerons nos forces pour apaiser les douleurs et après avoir enterré les morts, il nous reviendra de réparer les vivants ».

Cette formule « réparer les vivants » a, dans un premier temps, évoqué un ouvrage récent de Maylis de Kerangal qui retrace le parcours du cœur d’un jeune homme décédé le matin dans un accident de voiture, cœur qui sera transplanté dans la journée.

Le sujet principal du livre étant « le cœur » qui va du mort au vivant.

Mais l’origine de cette phrase se trouve dans une pièce de théâtre d’Anton Tchekhov « Platonov » qu’il a écrit à l’âge de 18 ans et qui n’a jamais été joué de son vivant. Wikipedia nous apprend que cette pièce a été retrouvée en 1921, alors qu’il était mort depuis 17 ans.

C’est une réponse à une question :

« Que faire Nicolas ? »

Et la réplique :

« Enterrer les morts et réparer les vivants. ».

C’est le chemin que doit emprunter toute personne qui est dans le deuil, qu’il s’agisse d’un deuil personnel intime de sa mère, de son père, de l’être aimé ou pire d’un enfant.

C’est bien sûr aussi ce qu’il faut faire quand une collectivité, comme la nôtre, est frappée par le deuil. François Hollande a su le dire.

Et il a fini son hommage par une autre phrase qui fait écho à l’Histoire. Lors de son fabuleux discours pour l’entrée au Panthéon de Jean Moulin, André Malraux avait lancé :

« Jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France…».

Aux Invalides, la conclusion de François Hollande

« Malgré les larmes, cette génération est aujourd’hui devenue le visage de la France. »

Ce fut, en effet un discours de qualité, j’ai été ému.

Mais, il n’en reste pas moins que François Hollande, n’est pas un orateur du niveau d’André Malraux ni même plus récemment de François Mitterrand. Il y a la voix, le ton, les hésitations qui ont été cependant moins fréquentes lors de ce discours.

Mais j’ai compris quelque chose, grâce à ce discours, qui fut son meilleur. Il abuse souvent de la répétition.

Il commence par une belle introduction :

« C’est parce qu’ils étaient la vie qu’ils ont été tués. C’est parce qu’ils étaient la France qu’ils ont été abattus. C’est parce qu’ils étaient la liberté qu’ils ont été massacrés. »

Dans cette accumulation, il ne se répète pas, chaque phrase dit autre chose de la même réalité. En cela, il y a un crescendo qui révèle de la force dans le discours.

Mais quand il dit :

« C’est cette harmonie qu’ils voulaient casser, briser ». Briser n’apporte rien à casser et réciproquement.

Plus loin il dit :

« Que veulent les terroristes ? Nous diviser, nous opposer, nous jeter les uns contre les autres. »

Dans ces deux cas il aurait été beaucoup plus fort de dire simplement « C’est cette harmonie qu’ils voulaient briser » et « Les terroristes veulent nous jeter les uns contre les autres. »

C’est parce que ce discours était très bon et émouvant que j’ai pu comprendre cela.

Il s’agit de sa marque de fabrique, l’utilisation de plusieurs termes pour dire la même chose. J’interprète cela comme la révélation que cet homme ne sait pas choisir. Il ne sait pas décider, aller à l’essentiel, sélectionner le meilleur mot entre « casser » et « briser », alors il prend les deux.

Vous allez me répondre, mais comme chef de guerre, il sait décider !

Peut-être.

Mais sommes-nous vraiment en guerre ?

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Lundi 23 novembre 2015

«Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Surtout pas à Paris, surtout pas aux amis, surtout pas à la vie.»
François Morel

Le mot du jour d’aujourd’hui est la conclusion de l’appel, du cri, de la harangue que François Morel a lancé lors de son billet hebdomadaire du vendredi, le 20 novembre :

«Ne renoncez à rien !

Surtout pas au théâtre, aux terrasses de café, à la musique, à l’amitié, au vin rouge, aux feuilles de menthe et aux citrons verts dans les mojitos, aux promenades dans Paris, aux boutiques, aux illuminations de Noël, aux marronniers du boulevard Arago, aux librairies, aux cinémas, aux gâteaux d’anniversaire.

Ne renoncez à rien !

Surtout pas au Chablis, surtout pas au Reuilly, surtout pas à l’esprit. Ne renoncez à rien ! Ni aux ponts de Paris, ni à la Tour Eiffel, ni Place de la République à la statue de Marianne […].

Ne renoncez à rien !

Surtout pas à Paris, surtout pas aux titis, surtout pas à Bercy.

Ne renoncez à rien !

Ni à Gavroche, ni à Voltaire, ni à Rousseau, ni aux oiseaux, ni aux ruisseaux, ni à Nanterre, ni à Hugo.

Ne renoncez à rien !

Ni aux soleils couchants, ni aux collines désertes, ni aux forêts profondes, ni aux chansons de Barbara, ni à la foule des grands jours, ni à l’affluence des jours de fête, au Baiser de l’Hôtel de Ville, aux étreintes sous les portes cochères, ni aux enfants qui jouent sur les trottoirs, ni aux cyclistes, ni aux cavistes, ni aux pianistes.

Ne renoncez à rien !

Surtout pas aux envies, surtout pas aux lubies, surtout pas aux folies, ni aux masques, ni aux plumes, ni aux frasques, ni aux prunes, ni aux fiasques, ni aux brunes, ni aux écrivains, ni aux éclats de voix, ni aux éclats de rires, ni aux engueulades, ni aux files d’attente, ni aux salles clairsemées, ni aux filles dévêtues, ni aux garçons poilus, ni à la révolte, ni à la joie d’être ensemble, ni au bonheur de partager, au plaisir d’aimer, ni à la légèreté, ni à l’insouciance, ni à la jeunesse, ni à la liberté.

Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien !

Surtout pas à Paris, surtout pas aux amis, surtout pas à la vie.»

On peut le lire, mais il faut surtout l’écouter : http://www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-francois-morel-ne-renoncer-a-rien

En fond sonore du billet de François Morel vous entendez la romance sans parole opus 67 N° 4 appelée « la fileuse » de Mendelssohn

Oui ne renonçons à rien !

Certes il faut se défendre avec tous les moyens dont dispose l’Etat de droit et avec les services de sécurité et de renseignement.

Certes, chacun de nous peut être atteint par un attentat de ces criminels aimant la mort, autant que nous la vie.

Mais en ayant conscience que le risque pour chacun est d’une probabilité très faible. En comparaison, nous prenons un risque beaucoup plus élevé en montant dans une voiture et pourtant nous le faisons.

Donc, oui ne renonçons à rien ! C’est leur défaite et notre victoire !

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