Lundi 16 octobre 2017

« La zone grise du consentement et la culture du viol»
Jean-Raphaël Bourge, chercheur à Paris-VIII

Tous nos journaux sont pleins du scandale du producteur Harvey Weinstein qui était tout puissant à Hollywood et qui en profitait pour contraindre des actrices à des relations sexuelles dont elles ne voulaient pas.

Ce scandale éclabousse beaucoup de monde, Barack Obama qui a accepté le soutien financier du prédateur, la France qui lui a décerné la légion d’honneur.

Ces contraintes, ces actes non consentis sont des viols, le viol est un crime.

Mais certains introduisent la notion de « zone grise du consentement ». Je vous rappelle que concernant le viol de la jeune enfant de 11 ans que j’ai évoqué le mercredi 27 septembre, les policiers et le procureur n’ont pas voulu utiliser ce terme approprié parce que le refus de l’enfant n’était pas explicite, c’est au cœur de cette « zone grise ». Le producteur prédateur peut aussi tenter cette défense devant des femmes qui attendaient de lui d’obtenir le rôle qui les rendrait célèbre et n’osaient pas repousser cet homme si puissant.

Des journaux libèrent la parole pour mettre des mots derrière cette réalité que le male de l’espèce homo sapiens a un problème de comportement à l’égard de son alter ego féminin.

Le site Rue 89 publie un article très instructif : « J’ai fini par céder » > :

L’article décrit d’abord un évènement qui ne peut avoir d’autre qualification que « viol »

Mais, étant donné des siècles de culture et de culpabilisation de la femme, souvent les femmes ont du mal à définir le fait par les termes appropriés :

«  Pour elle, ce ne sont pas des viols, « plutôt des énormes malentendus » avec « des gens qui n’étaient pas violents, plutôt très axés sur eux et qui ne se posaient pas la question de mon consentement ».

Un problème de consentement ! Oui c’est tout à fait cela, mais en agissant ainsi l’agresseur renvoie la victime à un statut d’objet et cela est un crime !

Et la femme qui a été victime du viol cité ci-avant, racontait cette histoire en rigolant et avec une bonne dose de culpabilité :

« Ils devaient se dire ‘tant qu’elle est là dans mon lit c’est open bar’, et je n’ai pas bataillé beaucoup pour le convaincre de l’inverse. Parce que je me disais ‘ça va être chiant, il va gueuler’, etc. »

Les journalistes ont alors lancé un appel à témoignage et exploré le concept de « la zone grise du consentement ». Les journalistes expliquent très justement :

« Disons-le tout de suite. Ce terme nous pose un problème, car il sous-entend que le consentement est quelque chose de compliqué, alors que quand ce n’est pas oui, c’est non.  On a utilisé ce terme parce que si on avait sollicité des témoignages de viols, tous ces cas considérés comme limites, flous, auraient été passés sous silence. Plus de 200 histoires nous sont parvenues, écrites dans une écrasante majorité par des femmes, dans des relations hétéros. »

Et beaucoup des témoignages recueillis ont du mal à mettre le mot « viol » sur les faits racontés, elles inventent même un concept paradoxal : « viol consenti ».

L’article explique très justement :

« On ne le dit peut-être pas assez : un viol n’est pas qu’un acte sexuel imposé face auquel la victime a crié « non ». Il peut y avoir viol sans manifestation explicite d’un refus, parce que la victime est paralysée par ce qui lui arrive, inconsciente ou pas en état de donner un consentement éclairé (droguée, alcoolisée…). Ce qui compte pour la justice est le consentement au moment des faits (et pas deux heures avant).

Un viol n’est pas non plus ce qu’en dit l’imaginaire collectif (une ruelle sombre ou un parking souterrain, par un inconnu menaçant d’un couteau). 83% des femmes victimes de viol ou de tentative de viol connaissent leur agresseur. »

La zone grise du consentement est avant tout un leurre, une supercherie utilisée pour obtenir une sorte de « circonstance atténuante ».

La zone grise, en creux, nous amène à la méconnaissance qui entoure la définition du viol et de sa représentation.
Jean-Raphaël Bourge, chercheur à Paris-VIII qui travaille sur le consentement sexuel, parle d’une « zone de refuge pour les violeurs, qui s’abritent derrière une ambiguïté ».

Pour [lui], la véritable « zone grise », ce flou du consentement concerne des « cas très rares », « mais elle est considérablement étendue par ceux qui veulent empêcher les femmes de disposer de leur corps, et on la laisse exister en rendant par exemple très difficile le fait de porter plainte pour viol ». Car la « zone grise » profite à la « culture du viol », et la nourrit.

« J’en ai tellement marre des zones grises », lâche la réalisatrice féministe Lena Dunham, dans un génial épisode de la saison 6 de « Girls », illustrant la culture du viol.

Nous sommes dans une mystification qui s’inscrit dans ce que ce chercheur appelle : « la culture du viol »

Pour illustrer la culture du viol, Jean-Raphaël Bourge parle des manuels d’éducation à la sexualité du XIXe siècle, où on conseillait aux femmes « de résister pour mieux céder ». Citons aussi le porno ou les scènes de film et de série où « la fille finit par céder sous les baisers de son agresseur… hum… séducteur ».

L’article est intéressant, détaillé et s’appuie sur de nombreux témoignages pour vider de sa substance cette zone grise du consentement pour en arriver à une conclusion qui me semble simple et pertinente :

« Qui ne dit mot ne consent pas !
Au moindre doute sur les envies de l’autre, ce n’est pas compliqué : il faut poser la question. »

Les journalistes qui ont écrit <cet article> sont Emilie Brouze et Alice Maruani

Et puis, il faut toujours revenir à la définition d’un homme donné par le père d’Albert Camus : «Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… »

<950>

Une réflexion au sujet de « Lundi 16 octobre 2017 »

  • 16 octobre 2017 à 8 h 44 min
    Permalink

    Les interdits culturels devraient pallier les interdictions mais ils disparaissent visiblement trop facilement chez ceux qui se sentent en position de force.
    Toutefois et c’est heureux, lorsque les victimes trouvent la force de parler, les prédateurs ont du souci à se faire avec les moyens modernes de diffusion de l’information, la « zone grise du consentement » ne sera pas une digue bien efficace.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *