Mardi 17 octobre 2017

« Notre rencontre fut celle d’un homme et d’une statue »
Pablo Neruda

Pablo Neruda est un des plus grands écrivains de l’histoire d’Amérique du sud. Il obtient le Prix Nobel de littérature le 21 octobre 1971. Homme de gauche, il soutint Salvador Allende et mourut le 23 septembre 1973, 12 jours après le coup d’état qui renversa le gouvernement légitime du Chili. Certains soutiennent la thèse qu’il a été assassiné par une injection létale pendant un séjour à l’hôpital pour soigner son cancer de la prostate.

C’est une référence dans le camp de celles et ceux qui se réclament de gauche ou du camp du progrès pour prendre une terminologie actuelle.

Il a écrit un livre autobiographique « J’avoue que j’ai vécu » qui est paru en 1974, à titre posthume.

Dans ce livre, « l’homme moyen », Pablo Neruda raconte un fait :

« Mon bungalow était situé à l’écart de toute vie urbaine. Le jour où je le louai j’essayai de savoir où se trouvaient les lieux d’aisances, que je ne voyais nulle part. En effet, ils se cachaient loin de la douche, vers le fond de la maison.

Je les examinai avec curiosité. Une caisse de bois percée d’un trou en son milieu les constituait, et je revis l’édicule de mon enfance paysanne, au Chili. Mais là-bas les planches surmontaient un puits profond ou un ruisseau. Ici la fosse se réduisait à un simple seau de métal sous le trou rond.

Chaque jour, par je ne savais quel mystère, je retrouvais le seau miraculeusement propre. Or un matin où je m’étais levé plus tôt qu’à l’accoutumée, le spectacle qui s’offrit à moi me confondit.

Par le fond de la maison et pareille à une noire statue en mouvement, je vis entrer la femme la plus belle que j’eusse aperçue jusqu’alors à Ceylan, une Tamoul de la caste des parias. Un sari rouge et or de toile grossière l’enveloppait. De lourds anneaux entouraient ses pieds nus. Sur chacune de ses narines brillaient de petits points rouges, verroteries ordinaires sans doute mais qui prenait sur elle des allures de rubis.

D’un pas solennel elle se dirigea vers les cabinets, sans me regarder ni même avoir l’air de remarquer mon existence, conservant sa démarche de déesse, s’éloigna et disparut avec sur la tête le sordide réceptacle.

Elle était si belle qu’oubliant son humble fonction, je me mis à penser à elle. Comme s’il se fût agi d’une bête sauvage, d’un animal venu de la jungle, elle appartenait à un autre monde, à un monde à part. Je l’appelais sans résultat. Plus tard, il arriva de lui laisser sur son chemin un petit cadeau, une soierie ou un fruit. Elle passait indifférente. Sa sombre beauté avait transformé ce trajet misérable en cérémonie obligatoire pour reine insensible.

Un matin, décidé à tout, je l’attrapais avec force par le poignet et la regardait droit dans les yeux. Je ne disposais d’aucune langue pour lui parler. Elle se laissa entraîner sans un sourire et fut bientôt nue sur mon lit. Sa taille mince, ces hanches pleines, les coupes débordantes de ses seins l’assimilaient aux sculptures millénaires du sud de l’Inde. Notre rencontre fut celle d’un homme et d’une statue. Elle resta tout le temps les yeux ouverts, impassible. Elle avait raison de me mépriser. L’expérience ne se répéta pas. »
Pages 151 et 152 dans la collection Folio

Que raconte cet épisode ?

C’est un viol, c’est un crime !

Les deux dernières phrases semblent indiquer que Pablo Neruda n’est pas très fier de ce qu’il a fait.
Mais ce qu’il exprime, dans cette modeste contrition, pourrait se comprendre si voyant un gâteau particulièrement appétissant, il l’avait volé et mangé sans le payer.

Nous ne sommes pas ici, à ce niveau de « chapardage ».
Il raconte tranquillement son crime, il a violé cette pauvre femme qui n’a pas réagi devant cet homme blanc comme une esclave devant son maître.

Et Pablo Neruda ne se rend absolument pas compte de l’immensité de sa faute.

C’est cela la « culture du viol », il n’y a pas de juste appréciation de l’acte, un vague remord d’être allé un peu trop loin.

La rencontre d’un homme et d’une statue… d’un objet.

C’est cela aussi le viol, réduire dans son comportement la femme à un objet de plaisir.

Après avoir subi ce crime, qu’est devenue cette femme ?

Comment vit-on dans sa culture quand on est une femme et qu’on a été violée ?

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Une réflexion au sujet de « Mardi 17 octobre 2017 »

  • 17 octobre 2017 à 10 h 00 min
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    Le système des castes est parfaitement incompréhensible d’un point de vue occidental et complètement accepté en Inde depuis des millénaires en donnant un fondement religieux aux différences sociales qu’il convient de ne pas remettre en cause pour ne pas perturber l’équilibre même de la société. Chacun est et doit rester à sa place dans cette vie en attendant un sort meilleur dans une vie ultérieure.
    Peut-être faut-il assimiler la différence des sexes à une forme plus universelle du système des castes ?

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