Mardi 23 Juin 2015

Mardi 23 Juin 2015
«Sport : l’imposture absolue»
Michel Caillat
C’est donc la justice américaine qui a enfin donné un grand coup dans la fourmilière de la FIFA, après s’être attaqué à Lance Armstrong.
Ce n’est pas la première fois que j’en parle, le mot du jour du 17 juin 2014, au moment de la coupe du monde au Brésil, était cette phrase de Platon : « L’impudent est l’homme qui supporte le mépris, pourvu qu’il fasse ses affaires ». Cette phrase pour évoquer « la FIFA ! Cette association “à but non lucratif !!!!” internationale basée en Suisse, [qui] gouverne le monde du football, sans contre-pouvoir, sans contrôle extérieur. Dans les journaux et des livres apparait la vérité crue. Et il est vrai que Sepp Blatter et la FIFA sont largement méprisés. Mais qu’importe si le business continue. Un journaliste écossais, Andrew Jennings, a produit un livre dont le titre complet est : “Omerta, la FIFA de Blatter, une histoire de mafia”»
Et au lendemain de la victoire de l’Allemagne, mon commentaire du 15 juillet commençait par cette phrase : « Que dire d’intelligent, maintenant que ce grand show sportif et médiatique, organisé par une organisation mafieuse, la FIFA, a donné son verdict.
En réalité, il s’agit d’un grand rut des nations qui ont trouvé un moyen moins violent que la guerre pour s’affronter et désigner le mâle dominant, pardon l’équipe victorieuse.»
Le mot du jour d’aujourd’hui part du football mais étend la réflexion à l’ensemble du “sport compétition”, qui est avant tout spectacle dont se sont emparées des puissances économiques car elles ont trouvé une poule aux œufs d’or.
Car comme l’a montré Jean Viard, les hommes et femmes d’aujourd’hui ont énormément de temps libre qu’il faut occuper. La méditation, la culture, la réflexion, l’échange avec les autres n’étant pas l’apanage du plus grand nombre, il faut bien occuper ce vide abyssal. Les jeux et le sport sont là pour cela.
Mediapart a invité Michel Caillat qui est l’auteur d’ouvrages et d’articles de sociologie du sport. Il analyse le sport non comme un jeu anodin et innocent mais comme un fait social majeur de notre temps aux multiples implications politiques, économiques et idéologiques. Il est responsable du Centre d’Analyse Critique du Sport (CACS). Avant de devenir professeur d’économie et de droit, Michel Caillat fut journaliste.
Ce qui est passionnant c’est l’analyse qu’il fait du sport compétition en tant que phénomène mondial, économique, social et politique. Son analyse est quasi unique. Il met en lumière l’opposition entre les idéaux affichés et la réalité du phénomène, c’est en cela qu’il y a imposture absolue.
Michel Caillat observe le sport depuis près de quarante ans, et il ne voit rien de nouveau dans les scandales qui se succèdent. Tout au plus une différence de degré, mais pas de nature. « Coubertin disait que “le sport, c’est la liberté de l’excès”, eh bien le sport c’est simplement l’excès dans tous les domaines. »
« Il y a corruption depuis que le sport existe », assure Caillat en ouverture, en citant le premier championnat de France de football, lors de la saison 1932-1933 : Antibes, déjà, avait été déclassée pour avoir acheté son adversaire lillois !
« Au-dessus des hommes, il y a un système », explique-t-il, en assurant par exemple que l’opposition Platini-Le Graet dans l’affaire Blatter « est un jeu de rôles » (7e minute de l’entretien)…
Ce système est celui du « sport » qu’il oppose à « l’activité physique » (10e minute) : « Le sport est une situation avec des règles institutionnelles, et il est forcément compétitif. Il faut gagner. Quand je cours au bord de la Loire, je ne fais pas de sport. Le sport n’est pas bon pour la santé, l’activité physique, oui. »
Que l’on parle de dopage (10e minute), ou de politique (20e minute), ce qui frappe le plus Michel Caillat c’est la permanence d’un discours sur l’idéal et le maintien d’une réalité qui le bafoue. « Un idéal mythique qui dissimule des desseins immoraux, et je ne comprends pas que l’analyse de ce système soit aussi faible compte tenu de l’importance du phénomène. » Le sport déclenchant les passions et l’identification, « il y a un consensus total », quel que soit le bord politique des pouvoirs en place.
Il remarque d’ailleurs que les pouvoirs politiques les plus durs : (Nazi, URSS, RDA Chine, Argentine de Videla, aujourd’hui Qatar) ont toujours chéri le sport.
 
Le mot du jour reprend le titre de son dernier livre <Sport : l’imposture absolue>  qui est sorti en 2014 aux éditions Le Cavalier Bleu,
On lit sur la page de cette émission le commentaire suivant : «C’est cette imposture, sous toutes ses formes et dans tous les sports, que dénonce Michel Caillat dans son livre, l’imposture de « l’idéal sportif » qui masque la violence, le racisme, la corruption et le dopage. Son réquisitoire est à la mesure de l’omerta qui sévit un peu partout dans le monde sportif sur ces questions. Derrière les paroles lénifiantes sur la valeur éducative, le fair-play, le dépassement de soi, c’est une réalité bien différente qu’il met en lumière. L’esprit de compétition tourne vite à la guerre de tous contre tous, il apparaît sous sa plume, non pas comme la saine concurrence d’individus libres et égaux dans une activité ludique et physique mais comme la continuation de la guerre sous d’autres formes. Avec le business du sport, on est loin du jeu à somme nulle que décrit Claude Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage, tel que le pratiquent les Gahaku-Gama de Guinée qui ont appris à jouer au foot mais le conçoivent comme un rituel stabilisateur, jouant autant de parties que nécessaire pour parvenir à une égalité des victoires et des défaites dans chaque camp.
Il est vrai que l’esprit de compétition semble consubstantiel à notre humanité moderne, au point que l’on a pu observer que le plaisir des enfants s’émoussait assez vite au jeu si l’on n’organisait pas une compétition entre eux. Mais outre que les conditions de cette rivalité sont loin d’être égalitaires dans le sport professionnel compte tenu de sa mercantilisation, avec le dopage cette compétition ne prend pas seulement une tournure moralement condamnable, elle vire à la concurrence déloyale et à la joute entre laboratoires. On sait désormais que le dopage touche pratiquement tous les sports, engageant une course de vitesse entre contrôles et produits encore indétectables. On évoque même la possibilité d’usages de la thérapie génique dans cette quête infinie des résultats et des records. A tel point que la situation s’est en quelque sorte inversée : ce ne sont plus les sportifs qu’il faudrait protéger des apprentis-sorciers, mais les scientifiques eux-mêmes des pressions provenant du monde et de l’économie du sport pour détourner des traitements expérimentaux afin d’améliorer les performances. L’époque des athlètes génétiquement modifiés n’est pas loin.»
La charte olympique commence par cet article : « L’Olympisme est une philosophie de vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple, la responsabilité sociale et le respect des principes éthiques fondamentaux universel.»
Ça sonne faux, non ?