Jeudi 30 mars 2017

Jeudi 30 mars 2017
«La confusion est un signe qu’on vit un moment de bascule»
François Hartog, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
Manuel Valls est accusé d’être un traitre.
Il me semble que du point de vue du français, “parjure” serait plus juste.
Le parjure est celui qui viole un serment, or Valls a fait le serment en entrant dans la compétition des primaires de soutenir celui qui gagnerait.
Il ne le fait pas.
Le PS est très proche de l’explosion.
François Fillon n’a pas encore perdu. Rien ne dit non plus que dans un second tour où François Fillon serait opposé à Marine Le Pen, cette dernière ne gagnerait pas.
Mais si les prévisions s’avèrent juste, au lendemain de la défaite de François Fillon au premier tour, le parti des républicains explosera aussi.
Il n’est pas certain non plus que Macron battra Marine Le Pen au second tour.
Certains diront, il n’est pas certain que Marine Le Pen soit au second tour. Peut être, mais je n’y crois pas un instant, je pense plutôt que les sondages sous-estime le vote Front National.
Nous sommes donc dans un moment de grande confusion.
Si nous restons optimiste nous pouvons espérer que la confusion conduira à une reconstruction.
Mediapart a invité un historien, François Hartog, pour qu’il jette son regard d’intellectuel sur notre moment présent que le journal présente avec les assertions suivantes :
  • Épuisement de la Ve République ;
  • Désagrégation du bipartisme ;
  • Possibilité de voir l’extrême droite accéder à la plus haute fonction du pays
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J’en tire les extraits suivants :
« Mediapart : Est-on en mesure de cerner ce qu’est un « moment historique » et si nous sommes en train d’en vivre un ?
François Hartog : […] Il me semble alors qu’un des indices négatifs qui signale que l’on vit un « moment historique », c’est précisément l’aveuglement, le fait qu’on n’y voit rien, qu’on n’y comprend rien. Dans ce que nous vivons aujourd’hui d’un point de vue politique, on est frappés par la confusion généralisée, qui ne cesse de favoriser Marine Le Pen.
Si on cherche à comparer avec des moments de bascule, comme la Révolution française, on constate a posteriori que c’était un moment d’extrême confusion. Les contemporains étaient complètement perdus, ne comprenaient pas ce qui se passait, refusaient de comprendre, croyaient comprendre et se trompaient…
La perte des repères, les références qui n’ont plus de prise sur le moment, la désorientation et la confusion sont symptomatiques de moments de bascule. […]
Quand on n’a que le présent comme base sur laquelle reposer, il est logique qu’on se retrouve perdus.
Même ceux qui regardent vers le passé, et qui ont toujours existé, à savoir les réactionnaires et les nostalgiques, ne savent plus trop vers quel passé se retourner, vers quoi regarder. Les électeurs de Trump lorgnent vers l’Amérique d’après-guerre, de la grande expansion, qui était précisément une Amérique tournée vers l’avenir, alors même que l’idée d’aller vers l’émancipation, le progrès ou la croissance, sous la conduite des avant-gardes artistiques ou politiques, a du plomb dans l’aile depuis des décennies. . […]
Hollande a été élu sur le slogan « le changement c’est maintenant », c’est-à-dire un slogan présentiste qui ne donne pas place au temps. Le changement est pourtant déjà un terme moins chargé et ambitieux que « progrès » ou « développement ». Dans la campagne présente, Benoît Hamon tente de réintroduire une perspective future avec l’idée d’un revenu universel qui, quoi qu’on pense de la proposition elle-même, renoue avec un des grands éléments structurants du socialisme, c’est-à-dire un certain idéalisme ou une part d’utopie. Le revenu universel, ce n’est pas pour maintenant, c’est un horizon, même si on peut se questionner pour savoir si c’est le bon. Ce rapport au temps fait place au futur, mais tombe immédiatement sous les critiques de ceux qui pensent que c’est irréaliste.
Plus généralement, le problème est que les politiques qui font aujourd’hui campagne ont été élevés dans l’idée que leur raison d’être était de guider leur peuple vers le futur et de marcher vers la terre promise ou l’avenir radieux : une affaire qui a commencé avec Moïse… Mais, se retrouvant dans un univers où ce type de position et de posture n’est plus tenable, ils s’avèrent complètement perdus. On leur reproche tout le temps de ne pas avoir de vision, mais qui a une vision aujourd’hui ? La plupart des politiques ont donc théorisé le fait qu’il valait mieux de ne pas avoir de stratégie de long terme, pour se permettre d’être le plus réactif possible, comme dernière attitude politique payante dans un moment présentiste.
Cette impossibilité de sortir du présent n’existe pas seulement en matière politique, elle domine également désormais le champ économique, avec la flexibilité à outrance, l’organisation de la production à flux tendus…
[…]
Marine Le Pen propose en réalité un retour à un avenir très daté, vers un monde mythifié. François Fillon promet un redressement dans la douleur qui me semble moins être une ouverture qu’une rupture avec ce qu’il estime être les calamités du socialisme. Mais Fillon et Le Pen n’utilisent pas le mot de « révolution », que Macron emploie. Même s’il y a une dimension marketing, cet usage est intéressant car il veut signifier la possibilité de regarder vers le futur. Il n’est d’ailleurs pas anodin que les deux candidats – Macron et Mélenchon – qui proposent une véritable vision du futur (numérique pour le premier, écologiste pour le second) soient aussi les deux candidats qui entretiennent un véritable rapport à l’Histoire. Ils montrent quelques capacités à s’affranchir du présent immédiat.
[…]
À ce titre, le parcours du  mot « réforme » est intéressant. Le terme a été un  grand mot de la politique au XIXe siècle, comme  substitut de « Révolution », revendiqué par ceux qui  se trouvaient du côté du mouvement, et contesté par  ceux situés du côté de la réaction. Mais, désormais, la  « réforme » est devenue quelque chose qui ne signifie  qu’ajustement, remise à plat, adaptation, et qui aurait  dû intervenir plus tôt. Ce mot est donc immédiatement  et légitimement compris par tous les intéressés comme  une régression. Alors que la « réforme » était porteuse  d’espérance et d’un projet social et politique, c’est  devenu un slogan. La « réforme » n’ouvre plus  aucun avenir et a été rattrapée et s’est engluée dans  le présentisme, au point qu’on vote des réformes  qu’on n’a pas le temps d’appliquer avant la prochaine  réforme…
[…]
Ce qui nous menace est-il davantage du registre  de la catastrophe ou de l’apocalypse ? Et sur  un plan politique, comment pourrait-on qualifier  une victoire de l’extrême droite à la prochaine  présidentielle ?
L’apocalypse, c’est la fin du temps ou des temps,  mais c’est aussi le début de tout autre chose, d’un  nouveau ciel, d’une nouvelle terre. Au contraire de la  catastrophe, l’apocalypse donne un sens à ce qui est  enduré. La catastrophe est dénuée de sens ; elle vous  tombe dessus et il n’y a pas grand-chose à comprendre.
Pour les politiques, l’important est de tenter de  prévenir les catastrophes, mais surtout de réagir  rapidement lorsqu’une catastrophe se produit, sans  essayer de comprendre mais seulement de compatir.
Les catastrophes viennent se loger dans le temps, elles  sont présentes dans le paysage.
À ce titre, une victoire du Front national est désormais  dans le paysage et Marine Le Pen ne promet ni un autre  ciel, ni une autre terre. Cela relève donc davantage du  registre de la catastrophe, de celles sur lesquelles on  a préféré s’aveugler et qui nous paralysent au fur et à  mesure qu’elles s’approchent.
[…] »
S’affranchir du présent immédiat, regarder vers le futur et peut être oserais-je ce mot : réenchanter la réforme qui aujourd’hui n’est plus vécu que comme une régression.