Mercredi 29 avril 2020

«Je ne reprocherai jamais à un joueur de respecter l’éthique du jeu.»
Robert Herbin après la défaite de Saint Etienne à Liverpool en 1977

Dans ma famille, la grande passion était la musique qui était devenu le métier de mon père et qui a toujours été le métier de mon frère ainé Gérard.

Mais nous nourrissions tous une passion, disons secondaire, pour le football. Mon frère Roger a d’ailleurs abandonné le piano pour se consacrer davantage au football qu’il a pratiqué fort longtemps dans des clubs amateurs de très bon niveau. Mon père et moi avons ainsi visité de très nombreux stades de football de l’Est de la France pour le suivre.

Et Parallèlement nous avons suivi l’épopée des verts de l’AS Saint-Etienne sous la direction de Robert Herbin.

Depuis je me suis éloigné du football, j’ai expliqué ce malaise lors de plusieurs mots du jour consacrés au football et notamment la série réalisée avant la coupe du monde de 2018 en Russie et que j’avais mis sous la philosophie de cette phrase de Camus : «Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois »
Il est vrai que depuis cette époque la financiarisation du monde s’est aussi abattue sur le monde du football, dans lequel le fric peut tout, envahit tout, salit tout.
Déjà à la fin de l’épopée des verts, Robert Herbin fut aussi touché par le scandale de la caisse noire mise en place par le président du club Roger Rocher noyé dans ses rêves de grandeur et de besoin d’argent pour faire face au début de l’inflation sur le marché du football.

C’était le début de la fin pour mon grand intérêt pour le football.

Mais avant, il y eut les 3 magnifiques épopées des verts en coupe d’Europe des champions.

Bien sûr, tout le monde parle des poteaux carrés du stade des Glasgow Rangers qui selon la légende avait empêché Saint Etienne de marquer un but à Sepp Maier, le mythique gardien du Bayern Munich.

Robert Herbin affirme ne jamais avoir revu ce match. Mais un autre joueur l’avait revu. Je ne me souviens plus du nom de ce joueur mais je me souviens de son analyse :

« Je croyais qu’on avait dominé le Bayern Munich, mais après avoir revu, le match j’ai compris que c’était eux qui le maîtrisait.»

Quelquefois les premières impressions sont trompeuses. Mais c’est avec cette légende et ces premières impressions d’une équipe de Saint Etienne quasi vainqueur qu’il avait été décidé de faire défiler l’équipe sur les Champs Elysées comme après chaque victoire sur les allemands …

Lors de la première épopée lors de la saison 1974-1975, Saint Etienne avait été stoppée en demi-finale déjà par le Bayern de Munich. Mais avant cela en Huitième de finale, Saint Etienne avait fait vibrer toute la France. Après un médiocre match aller en Yougoslavie perdu 4-1, Saint Etienne a réalisé un exploit au retour en battant Hajduk Split par 5-1. Cette remontée est restée dans ma mémoire, comme un moment d’émotion. Je pense que je ne suis pas le seul.

Puis la saison suivante, l’année de la finale, il y eut un autre retournement en quart de finale contre le Dynamo Kiev. Après un 2-0 à l’aller, Saint Etienne a vaincu le club du ballon d’or, Oleg Blokhine, 3-0.

Et puis vint la demi-finale avec une défense héroïque au PSV Eindhoven 0-0 après une victoire sur le plus petit score à l’aller à Geoffroy Guichard.

Mais c’est sur un autre match que je voudrai revenir, c’était la saison suivante, en quart de finale contre Liverpool.

Saint Etienne avait gagné le match aller 1-0 et le retour avait lieu dans le stade de l’Anfield Road dans lequel les supporters de Liverpool chante des hymnes qui subjuguent les adversaires de leur club et notamment le fameux « You’ll never walk alone ».
Ce fut un match magnifique. Saint Etienne était qualifié jusqu’à 6 minutes de la fin du match.

<Les cahiers du football> racontent alors ce qui s’est passé :

« La fatigue se fait sentir de part et d’autres et les entraîneurs commencent à procéder à quelques remplacements. Alain Merchadier a le visage en sang et se fait remplacer par un attaquant, Hervé Révelli. Robert Herbin est convaincu que le meilleur moyen de défendre face aux Reds est de les prendre à la gorge. De son coté, Bob Paisley remplace John Toshack par un jeune rouquin, quasiment inconnu chez nous, David Fairclough.

Le gamin de vingt ans est bien en jambes. À Liverpool, on le surnomme déjà Super-Sub pour avoir en quelques occasions inscrit un but important peu après son entrée en jeu. Lorsqu’il est lancé par Ray Kennedy, à la 84e minute de ce quart de finale contre Saint-Étienne, il se montre plus rapide que Christian Lopez. Il entre dans la surface de réparation, contrôle et frappe du pied droit. Le ballon passe sous Ivan Curkovic et va mourir au fond des filets.

« Supersub strikes again !« , s’égosille le commentateur de la BBC. Les images sont gravées dans l’inconscient collectif: Fairclough court ses longs bras levés devant le Kop qui, comme embrasé, est devenu entièrement rouge. 3-1, les Verts ne s’en relèveront plus. Certains esprits reprocheront à Christian Lopez de ne pas avoir su stopper la course du rouquin, de ne pas avoir commis la faute qui aurait empêché le but »

Lopez n’a pas fait le croc en jambe avant la surface de réparation qui aurait annihilé la course de l’anglais contre un coup franc beaucoup moins dangereux.

Après le match, on a demandé à Robert Herbin s’il ne regrettait pas que Lopez n’ait pas taclé Fairclough. et par un acte d’anti-jeu permis à Saint-Etienne de se qualifier. La réponse de Herbin fut la suivante :

« Je ne reprocherai jamais à un joueur de respecter l’éthique du jeu »

Je n’ai pas retrouvé cette phrase sur internet, je la cite de mémoire et je suis certain de l’esprit de la réponse sans être sur des mots.

Cette saison-là Liverpool allait gagner sa première ligue des champions avant beaucoup d’autres et mettre fin au règne du Bayern de Munich vainqueur des trois dernières éditions.

Saint-Etienne si elle s’était qualifiée aurait peut être gagné la coupe, le Bayern était éliminé. Robert Herbin ne gagna jamais cette compétition.

On apprend beaucoup par le football, aussi qu’on peut mettre les valeurs et l’éthique avant la victoire. Tel était Robert Herbin.

On trouve sur le site de l’AS Saint-Etienne, le récit suivant :

« La suite est connue avec ce maudit 3e but de la part de Fairclough, à 6 minutes de la fin du match, remplaçant de luxe qui a l’habitude d’être décisif à chaque fois qu’il rentre. Christian Lopez a essayé de l’arrêter mais il n’a pas commis l’irréparable pour l’empêcher d’aller au bout de son action qui s’est terminé par un tir à ras de terre imparable. Il aurait pu pourtant et aujourd’hui, un défenseur ne se serait même pas posé la question mais à pas à l’époque. Il est trop tard pour revenir et Saint-Etienne est éliminée alors que tous les observateurs sont unanimes une fois de plus pour souligner que les Français ont réalisé certainement leur meilleur match européen. Cela n’a pas suffi et bien peu peuvent s’imaginer en fait qu’ils ont assisté à Anfield Road à la fin d’une épopée.

Obsédé par cette coupe dEurope, Roger Rocher va alors abandonner la politique de formation qui avait fait la force de l’ASSE pour recruter des stars avec le résultat que l’on connaît.

Pour sa part, Liverpool va continuer sa route qui le mènera jusqu’à la victoire finale. Quand on sait que les Anglais ont affronté le FC Zurich en demi-finale qu’ils ont surclassés ainsi que les Allemands du Borussia Moenchengladbach qu’ils ont facilement battu en finale (3-1), les regrets peuvent être éternels pour la troupe de Robert Herbin. »

Il y a une autre raison qui me plait chez Robert Herbin qui a quitté ce monde le 27 avril 2020, c’était un mélomane averti. Il rejoint ainsi ma première passion

Claude Askolovitch rapporte dans sa revue de presse de ce mardi:

« On parle d’une symphonie…Qui porte le beau nom de « Résurrection » et qu’un père musicien fit découvrir à son fils footballeur et blessé, c’était en 1966: Robert Herbin pendant la Coupe du monde était passé à la moulinette d’un anglais destructeur, Nobby Stiles, on ne savait pas s’il marcherait à nouveau, mais le papa de Robert jouait du trombone à l’opéra de Nice et savait ce qui guérit, la deuxième symphonie de Gustav Mahler, Résurrection. Robert qui marcha et joua à nouveau et puis fut entraineur et pendant le football et après le football continua à chérir Mahler et ce matin l’on me parle de Gustav Mahler dans l’Equipe, sur le site France Info dans le Parisien dans le Progrès où je vois des photos en noir et blanc d’un enfant footballeur puis d’un homme au même regard habité… C’est au Progrès qu’Herbin avait raconté en 2009 la naissance de sa passion musicale….

On me parle de Gustav Mahler parce que vous le savez Robert Herbin est mort et l’on égrène alors ce qui compta dans une vie qui changea la nôtre… »

Donc la symphonie N° 2 « Résurrection » de Mahler dont j’avais fait l’objet du mot du jour du <Dimanche 5 avril 2020>.

Claude Askolovitch qui nous donne aussi l’explication pourquoi on appelait Robert Herbin, le sphinx. Ce nom lui avait été donné par le journaliste Jaques Vendroux

«  Vendroux, il le raconte à l’Equipe, était supporter et ami de Herbin, dont il avait trouvé le surnom qui fait la Une de l’Equipe ce matin, « la légende d’un sphinx », un jour où il s’était mis en colère contre Robert qui répondait par des oui monosyllabiques à ses question s: « T’es un sphinx, tu ne réagis pas, tu ne dis rien! » »

Robert Herbin vivait comme un ermite près de Saint Etienne. Il avait sombré dans l’addiction à l’alcool.

Pourquoi cette solitude, ce retrait ?

Jean-François Larios, ancien joueur de Saint Etienne alors que Robert Herbin était l’entraîneur donne son explication de ce retrait :

« Parce qu’à un moment donné, parler aux cons, ça les enrichit. Et il n’en avait plus envie. Il a préféré terminer ses jours dans son monde, entouré de ses chiens et bercé par sa musique. Sans déranger personne. »

Cette solitude au temps du confinement a conduit à une finitude triste :

« Éloigné volontairement de ses anciens coéquipiers et amis, il n’avait pour seule compagnie son chien. Il bénéficiait de l’aide d’une femme de ménage et d’un proche qui faisait ses courses, mais avec le confinement, il s’est retrouvé démuni. C’est sa sœur, inquiète de ne pas avoir de nouvelles depuis plusieurs jours, qui a lancé l’alerte. La gendarmerie a alors découvert Robert Herbin incapable du moindre mouvement, désorienté et en déshydratation. Le CHU de Saint-Etienne, malgré la crise du coronavirus, a pu lui trouver un lit. »

Sic transit gloria mundi
« Ainsi passe la gloire du monde ».

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