La paresse n’a pas bonne presse.
Elle fait partie de l’ensemble des 7 péchés capitaux que la religion catholique et Thomas d’Aquin ont répertorié comme les « vices » qui entrainent tous les autres.
A l’école non plus la paresse n’est pas appréciée. « Paresseux » constitue souvent une critique très lourde à porter. « Dispose de potentialités, mais…la paresse l’emporte » et voilà un élève stigmatisé…
Dans la société comme dans le monde de l’emploi la réputation de paresse est quasi unanimement considérée comme un défaut. Et même un défaut impardonnable, parce que non excusable, dû uniquement à un manque de volonté.
Par rapport aux hikikomori décrits hier, plus que la réclusion chez leurs parents, ce qui est considéré comme le plus honteux est certainement le fait qu’ils se complaisent dans l’oisiveté et qu’ils sont donc paresseux.
Le confinement actuel, pour certains et pour certains seulement, peut conduire à une douce indolence, une paresse coupable voire des rêves fous d’un autre monde.
Le Centre patronal suisse s’en inquiète et veut lutter avec fermeté contre les effets nocifs du confinement :
« Il faut éviter que certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, voire de se laisser séduire par ses apparences insidieuses: beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation… Cette perception romantique est trompeuse, car le ralentissement de la vie sociale et économique est en réalité très pénible pour d’innombrables habitants qui n’ont aucune envie de subir plus La mise à l’arrêt de nombreuses activités économiques, mais aussi sociales et politiques, a permis de limiter l’épidémie de coronavirus, mais elle a aussi un énorme coût financier et humain. Il faut maintenant – et le Conseil fédéral en est conscient – planifier un retour progressif à la normale »
Bernard Pivot, du haut de sa sagesse que lui donne son grand âge ne partage pas cette crainte : < Le confinement dans la paresse > et citent de nombreux auteurs qui en font l’éloge : Kundera, Baudelaire, Perec, Sagan, Kessel…
Il commence ainsi son article :
« Le plus célèbre des confinés de tous les temps, Robinson Crusoé, n’est pas tombé dans l’oisiveté. Pour survivre, il a été dans l’obligation de faire travailler son imagination et ses bras. Il n’en est pas de même pour les deux milliards de personnes tenues de rester chez elles pour lutter contre la propagation du coronavirus. Hormis celles et ceux qui ont la possibilité de recourir au télétravail et les mères et pères de famille nombreuse, les autres sont plus ou moins confinés dans l’inaction. Cela est insupportable pour certains. D’autres, au contraire, s’en accommodent, découvrant les plaisirs du temps à meubler, du temps à laisser filer, du temps à perdre. Ils pénètrent dans le monde enchanté, jusqu’alors inaccessible pour eux, de la paresse. »
J’avais déjà consacré un mot du jour à la paresse. C’était pour évoquer le livre du gendre de Karl Marx, Paul Lafargue, « Le droit à la paresse ». Livre qu’il avait écrit alors qu’il était incarcéré à la prison Sainte-Pélagie pour propagande révolutionnaire.
Un jour lors d’une des formations que j’ai suivie au cours de ma carrière, il m’avait été demandé de trouver un point de vue à défendre pour approfondir la capacité d’argumentation. J’avais alors défendu l’ide que c’était les paresseux qui avait fait avancer le monde.
J’avais à peu près tenu ce langage.
La société humaine est constamment écartelée par l’action de deux types de personnes : les paresseux et les besogneux.
Les besogneux travaillent, travaillent beaucoup sans se poser de questions. Ils font ce qu’il y a faire et veulent toujours faire plus.
Le paresseux voit faire les besogneux et il sent que la pression sociale l’oblige à réaliser à peu près le même boulot.
Alors le paresseux réfléchit et trouve la solution pour faire le même boulot que le besogneux mais en se fatigant moins.
C’est ainsi que c’est un paresseux qui a inventé la roue, parce qu’il ne supportait plus de porter de lourdes charges comme le besogneux.
C’est ce qu’on appelle le progrès.
Seulement, le besogneux est tapi dans l’ombre et c’est un copieur. Il s’est alors emparé de l’idée du paresseux pour porter des charges de plus en plus lourdes jusqu’à ce qu’un paresseux trouve l’idée du moteur etc.
J’avais tenu dix minutes à multiplier les exemples qui montrent ce balancement entre le progrès et le « toujours plus » dont nous souffrons aujourd’hui.
Alors j’ai été ravi d’apprendre que Bill Gates, le fondateur de Microsoft, disait :
« Je choisis une personne paresseuse pour un travail difficile, car une personne paresseuse va trouver un moyen facile de le faire ».
C’est ce que j’ai appris en écoutant l’émission de France Culture que j’ai évoqué hier et qui fait partie de la même série que « les hikikomori ».
Car en réalité je n’ai découvert les hikikomori que dans un second temps, j’ai été attiré par l’émission qui avait pour titre : < Cherchons F/H paresseux pour un poste de directeur>
Nous sommes donc dans le monde de l’entreprise.
L’invitée était la psychologue du travail Gwenaëlle Hamelin, spécialiste du stress au travail et du burn out.
Le site de France Culture a mis sur la page de cette émission une photo de cette psychologue avec une peluche représentant un paresseux.
Je vous invite à écouter cette émission. J’en tire quelques extraits :
Elle insiste d’abord sur ce qui permet de déployer sa force de travail :
« L’énergie cela ne se décrète pas. L’énergie cela se puise dans le désir, dans l’envie. Et ça ce sont des valeurs qui ne s’apprennent pas, qui ne se décident pas, qui s’écoutent et c’est pour cela qu’il faut une certaine paresse et c’est cela que j’essaie de vivre au quotidien, qui me guide, qui me donne de l’énergie et que j’essaie d’essaimer quand j’interviens en entreprise ou quand je fais mes conférences. »
Alors évidemment dans l’entreprise ce n’est pas facile de dire qu’on a besoin de paresser un peu. C’est plutôt le contraire qui se passe et la psychologue pointe que souvent le salarié est complice de trop de travail.
« Aujourd’hui personne n’assume de dire qu’il accepte de se reposer, qu’il accepte de dire non. Même si on n’est pas surmené, souvent on véhicule l’image de quelqu’un qui l’est parce que c’est mieux pour sa carrière. C’est toujours bon de dire qu’on a travaillé tard, qu’on a travaillé le week end. Il y a une sorte de paradoxe à savoir si le travailler trop est subi ou choisi. Et même dans le burn out, il y a cette dualité : en effet il y avait un environnement qui poussait à travailler toujours plus et qui vous a fait exploser en vol. Et en même temps, on trouve en soi, un certain plaisir pour accepter ce challenge. »
Les personnes moins concentrées et moins productives seront plus à même d’observer et de repérer les signes. Adopter une certaine forme de paresse c’est diminuer son exposition au stress et au risque de burn-out.
« Aujourd’hui, on parle beaucoup de burn-out et on a oublié que cela existait déjà et qu’on appelait cela le surmenage. Il y a une différence, aujourd’hui on en parle et on comprend que c’est un phénomène menaçant, contre lequel il faut lutter et avoir des politiques de prévention. Alors qu’avant quand on parlait de surmenage c’était l’apanage du faible. Dans les offres d’emplois on pouvait même lire que dans les qualités recherchées il fallait une résistance importante au stress. Aujourd’hui personne ne s’autoriserait à marquer dans une offre d’emploi qu’il faudrait de la résistance au stress. Parce que cela véhiculerait une image de l’entreprise qui ferait partir les meilleurs candidats. […] Il y a donc une évolution des mentalités »
Toutefois Gwenaëlle Hamelin pense qu’il reste beaucoup à faire.
« Il y a une prise de conscience qui est en train de se dessiner. Les gens veulent du bien être avant toute chose. Et le bien-être, c’est s’autoriser une certaine paresse. Si on est conscient que cette paresse est aussi la condition à un certain renouvellement des idées, nécessaire à la productivité qu’on recherche, on peut avancer dans le bon sens. »
A ce stade l’émission renvoie vers une étude menée, en 2016, au Japon par le professeur Hasegawa . Il a fait une étude sur les parallèles entre des colonies de fourmis et les entreprises. Il a constaté que de 20% à 30% des fourmis ne font rien qui rentre dans la catégorie travail. Elles sont toutefois précieuses car elle dispose d’une réserve de force et prendront le relais de manière plus productive que les travailleuses en cas d’urgence.
Et c’est ainsi qu’on peut comprendre que les éléments considérés comme paresseux sont les seuls à être réactifs aux situations d’urgence. Les paresseux savent considérer et jouer habilement avec le temps, pour pouvoir être plus efficaces ensuite. Ils savent prioriser. En période de crise, ils ne se perdent pas dans les détails et se concentrent sur ce qui compte vraiment.
En outre le temps de paresse est aussi un temps de créativité.
Quand un salarie est toujours en activité, engluer à faire ce qu’il sait faire le plus vite possible sans s’arrêter, il ne reste aucun temps pour réfléchir, pour être créatif. Certes par entrainement, il est possible de faire de plus en plus vite ce que l’on sait faire. Mais on ne sort pas de là, on fait toujours la même chose, et ce n’est pas ainsi qu’on progresse et qu’on fait progresser l’entreprise.
Et la psychologue de rappeler le fameux « euréka » qu’Archimède a lancé en ayant compris la mécanique des fluides. Cette découverte scientifique majeure, il l’a découverte en paressant calmement dans son bain.
Bon je vous laisse écouter cette émission de moins d’une demi-heure : < Cherchons F/H paresseux pour un poste de directeur>
Il ne s’agit pas de ne rien faire, mais de se laisser du temps de réflexion, de paresse pour laisser murir sa créativité.
Comme le faisait si souvent l’inoubliable Gaston Lagaffe, créé en 1957 par André Franquin.
<1408>
Je serais prêt à partager ces idées si on remplaçait le terme « paresse » par « respiration ».
Je crois que ce sont les moments d’inactivité nécessaires qu’on ne sait plus assumer dans un monde de compétition où tout est transformé en chiffres, en compétitivité.
Le monde n’a pas besoin de paresse mais il a surement besoin de moments où on lève la tête du guidon pour réfléchir au sens de ce que nous faisons
Je préfère garder le terme de paresse, en ajoutant comme il peut exister un mauvais usage du travail qui peut devenir abrutissant et aliénant, il peut existe une mauvaise utilisation de la paresse qui est alors passivité et mollesse.