Lundi 20 Juin 2016

« invisibilisation »
Substantif pour exprimer le fait de rendre invisible une réalité

Voici un mot au destin singulier. Il y a d’abord un mot de la langue française « visible » dont la racine vient du latin « visibilis » qui signifie la même chose.

Quand on y ajoute le préfixe «in», en latin comme en français cela signifie « ce qu’on ne peut pas voir. »

La langue anglaise, comme très souvent, a emprunté ce mot à la langue française pour le même usage. Mais c’est la langue anglaise qui a ensuite inventé le mot « invisibilisation » que la langue française vient de récupérer.

Pourquoi ce mot du jour ?

A cause de la tuerie d’Orlando, où un criminel se réclamant de DAESH a massacré des homosexuels !

Or beaucoup d’élus comme les journalistes ont dans un premier temps, le temps où on révèle son inconscient et ses vraies valeurs et avant que n’apparaissent les éléments de langage, ignoré ce fait.

Florian Bardou, journaliste à Slate écrit ainsi : «Chers élus, la tuerie d’Orlando n’a pas frappé une boîte, mais une boîte gay »

C’est la revue de Presse du 13/06/2016 de Nicolas Martin sur France Culture qui a attiré mon attention sur ce sujet :

« Pas un seul gros titre de la presse du jour ne mentionne que le club visé par le tueur d’Orlando était un club homosexuel.

Il est assez surprenant quand on regarde le panorama des Unes de la presse française ce matin de constater à quel point il y a un grand absent… un mot, une expression qui ne figure dans aucun des grands titres… on va faire le test tous ensemble si vous le voulez bien… « Attentat islamiste à Orlando, la terreur et la haine » dans le Figaro… « Tuerie de masse dans une boite de nuit en Floride » dans l’Humanité. « Les Etats-Unis frappés par la pire tuerie de leur histoire » dans les Echos. « Nuit d’horreur en Floride » dans Le Parisien. « Orlando, nouvelle plaie béante » dans Libération.

Voilà… il ne manque pas quelque chose ?

Eh oui… pas un grand titre qui inclut cette information, qui n’est pourtant pas accessoire… cette discothèque, ce club… c’est un club gay. Une information qui ne figure même pas dans les sous-titres du Parisien, ou de l’Huma. Le fait que ce soit la communauté homosexuelle qui ait été visée par cet attentat est donc a priori, une information accessoire, pas essentielle, pas de celle que l’on met dans les gros titres. Et on pourrait presque sourire, si ce drame n’était pas si tragique, au fait que le Figaro a choisi pour sa photo d’illustration une femme qui pleure dans les bras d’un homme.

Cette pratique a un nom, elle est souvent d’ailleurs assez inconsciente… ça s’appelle l’invisibilisation… un peu comme si au lendemain des attaques de Charlie Hebdo, la presse avait évoqué des attentats contre des bureaux… ou après l’Hyper Casher, contre un supermarché. Sans préciser la nature de la cible de l’attaque terroriste…

Parce que, s’il reste à déterminer les motivations exactes du terroriste… il n’y a pas de doute sur la nature de l’endroit qui était visé. Sur la cible de l’attaque. Et le problème avec l’invisibilisation, c’est qu’elle permet de faire « comme si », de minimiser en quelque sorte la portée du geste… C’est ce qui permet, par exemple, à des personnes qui ont pris des positions notoirement hostiles aux personnes homosexuelles, de faire « comme si » et de se fendre de messages de compassion et d’oublier comme par magie la nature de la cible visée… La Manif pour Tous par exemple s’est fendu d’un petit tweet hier, signifiant « sa peine immense pour les victimes et leurs familles »… alors même que son porte-parole, en septembre dernier, parlait dans la presse du « lobby gay » comme du « Daech de la pensée unique ». On mesure aujourd’hui encore plus amèrement la profondeur de cette réflexion… Ou Christine Boutin, récemment condamnée pour avoir parlé de l’homosexualité comme une abomination, d’envoyer sans sourciller « sa compassion pour les victimes »… ces abominables victimes, donc.

C’est encore cette invisibilisation qui préside lorsque, dans les messages de soutien de plusieurs personnalités politiques – de François Hollande à Nicolas Sarkozy, de Bruno Le Maire à Marine Le Pen, de Jean-François Copé à Alain Juppé, ne figure pas une seule mention du fait que c’est bel et bien la communauté homosexuelle qui paye aujourd’hui le tribut de la barbarie terroriste. Et que, quelles que soient les conclusions de l’enquête, il est incontestable que les terroristes cherchent à atteindre des cibles précises, pour leur importance symbolique : la communauté juive, un journal satirique, la jeunesse multiculturelle d’un quartier parisien ou aujourd’hui, la communauté homosexuelle américaine, autant de symboles que leur idéologie meurtrière vomit et qui payent une fois de plus le prix du sang.

Et pour conclure sur cette notion d’invisibilisation… le Pulse, cette discothèque gay et lesbienne d’Orlando, n’est pas qu’une discothèque gay et lesbienne. C’est une discothèque fréquentée majoritairement par des noirs et des latinos. Et ça, pour le coup, tout le monde semble s’en moquer éperdument.

Le motif homophobe semble pourtant se dessiner dans le parcours du tueur […] »

Et je reviens sur l’article de Slate évoqué qui explique :

« La timidité des réactions pour qualifier le massacre homophobe du Pulse, en France comme aux Etats-Unis, démontre que les politiques et certains journalistes sous-estiment plus ou moins inconsciemment la violence structurelle envers la communauté LGBT.

Comment encore en douter?

Au lendemain de l’attentat revendiqué par Daech dans un bar LGBT d’Orlando, en Floride, qui a fait au moins 50 victimes et 53 blessés, le caractère homophobe d’un tel massacre est incontestable. Il est incontestable car viser un espace communautaire et revendiqué comme tel, qui plus est en plein mois des marches des fiertés à travers le monde, ne peut traduire qu’une volonté délibérée de s’en prendre ouvertement à la communauté LGBT pour ce qu’elle est –communauté par ailleurs habituée à être la cible de la violence gayphobe, lesbophobe, biphobe et transphobe dans ses propres espaces de refuge.

Pourtant, depuis dimanche, en France comme aux Etats-Unis, de nombreuses réactions occultent la dimension haineuse et LGBTphobe, de l’attentat comme si l’identité du lieu et des victimes n’était qu’une donnée secondaire… Dans les heures qui ont suivi l’attaque du Pulse, «qui n’est pas n’importe quel club gay» d’Orlando, rappelait par exemple USA Today, le New York Times a, dans un premier temps, omis d’évoquer la nature du club avant de progressivement modifier ses titres. Mais le quotidien américain ne souligne pas franchement le caractère homophobe de la tuerie.

En France, même topo. Sud-Ouest est l’un des rares journaux, très rares journaux à mentionner dans son titre la cible visée et la nature de la haine: un massacre homophobe liée à Daech.»

Il existe cependant des hommes politiques qui ont su dire les choses :

« Compassion et solidarité avec le peuple américain. En frappant la communauté gay, l’attaque effroyable d’Orlando nous atteint tous ».-
Manuel Valls (@manuelvalls) 12 juin 2016

«Toutes mes pensées vont vers #Orlando atteinte par l’abjecte et lâche violence homophobe. Unis contre la terreur et la haine.» –
Najat Belkacem (@najatvb) 12 juin 2016

« Soutien à tous les gays lesbiennes, bi et trans meurtris par une attaque qui vise à remettre en cause leur droit de vivre en paix » #
Lovewins – Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) 13 juin 2016

Mediapart a également publié un article sur le même sujet : « En France, l’homophobie est soigneusement dissimulée. »

Cette « invisibilisation » révèle deux tabous :

  • Le premier est la violence qui continue à s’exercer sur les homosexuels de manière atroce dans de nombreux pays du monde et de manière plus insidieuse dans notre beau pays.
  • Le second est l’ « homophobie » constante et destructrice de l’Islam et des autres religions monothéistes. Il y a bien cette parole de sagesse récente du pape François : « Qui suis-je pour juger ? » mais elle est bien isolée dans un univers de condamnation et d’intolérance, tant il est vrai que les religions établies, paralysées dans leurs dogmes et leurs normes rejettent violemment tout ce qui est à l’extérieur.

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