Jeudi 27 avril 2023

« Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite. !»
Jean-Guy Soumy

Qu’est-ce qu’un bon livre ?

Probablement que chacun possède sa propre réponse.

Pour moi, c’est un livre qui lorsque j’y entre je n’arrive à en sortir qu’une fois la dernière page atteinte. Il n’est pas possible de s’arrêter avant.

Ce fut le cas pour « Le Silence » de Jean-Guy Soumy, commencé en début d’après-midi, je ne l’ai lâché qu’en début de soirée lorsque je l’avais terminé.

Je ne connaissais pas Jean-Guy Soumy avant que Sophie m’en parle. Elle a marqué tant d’enthousiasme pour cet auteur, que j’ai voulu tenter l’aventure.

Je suis allé dans une des bibliothèques de Lyon qui devait détenir 3 de ses livres. Quand je suis arrivé, deux étaient prêtés, il restait « Le silence », alors je l’ai emprunté.

Jean-Guy Soumy est né le 1er juin 1952 à Guéret dans la Creuse, département dans lequel il habite toujours.

Après ses études, il est devenu professeur de mathématiques.

Sa page Wikipédia nous apprend qu’il est coauteur d’ouvrages de mathématiques parus dans la collection « Vivre les mathématiques » chez l’éditeur Armand Colin.

Mais son grand dessein est d’écrire des romans.

Il fait partie de la « Nouvelle école de Brive » dans laquelle se trouvait aussi Claude Michelet, l’auteur de « Des grives aux loups. » et qui est décédé le 26 mai 2022.

Claude Michelet avait fait auparavant partie de « L’école de Brive » qu’on avait décrit comme un mouvement régionaliste. Ce que Michelet nuançait dans cet article d’« Ouest France » de juillet 2013 :

« Ce n’est pas que ça. Dans nos œuvres, on est allé bien au-delà des terroirs de France. Yves Viollier a écrit des romans qui se déroulent en Russie, moi, j’ai écrit une saga qui se déroule en grande partie au Chili. Ce serait trop réducteur. »

En revanche, il expliquait que ce n’est pas du tout le cas de « la Nouvelle Ecole de Brive » :

« Là, c’est plus informel. Nous sommes quatre, Gilbert Bordes, moi-même, Jean-Guy Soumy et Yves Viollier, qui prenons plaisir à nous voir et nous entraider. Nous n’hésitons pas à nous refiler des tuyaux sur tel ou tel thème qu’un de nous travaille. On dit toujours que les écrivains se détestent. Vous voyez que ce n’est pas vrai ! On a plaisir à se retrouver et à parler littérature ensemble, comme un groupe d’amis. »

Concernant le livre « Le Silence » son action se déroule en grande partie à Chicago où Alexandre Leroy est un mathématicien célèbre, chercheur et professeur universitaire ayant obtenu la Médaille Fields qu’on appelle « Le Nobel » des mathématiciens. La fin du roman ramènera l’action en France, car c’est le pays d’origine d’Alexandre Leroy.

Le roman commence par le désarroi de Jessica son épouse qui est professeur de littérature à l’Université et à qui on vient d’apprendre que son mari Alexandre vient de se suicider dans un motel alors qu’elle pensait qu’il était allé dans leur maison secondaire pour aller travailler, comme il le faisait régulièrement et comme il le lui avait dit avant de partir.

Pourquoi s’est-il suicidé ?

Voici la question. Il n’a pas laissé de lettre.

Jessica qui est le personnage central de ce livre, ne comprend pas.

Tout ce livre est constitué par ses découvertes d’abord fortuites puis conséquence de ses recherches et de sa quête pour essayer de comprendre le geste de l’homme de sa vie.

C’est vraiment remarquable. L’histoire est très forte et l’écriture très fluide avec des fulgurances qui saisissent.

Lors de l’enterrement, Soumy délivre cette description qui s’achève par une conclusion que j’ai utilisée comme exergue

« Des silhouettes s’approchent. Des hommes défilent devant elle. Tous collègues ou étudiants d’Alexandre. Qui rendent hommage à leur maître sans que Jessica puisse deviner si le souvenir laissé par son mari leur est agréable ou pénible. Ils ont en commun quelque chose d’insaisissable qui la renvoie au défunt. Une légèreté d’artiste enfouie sous le simulacre de la gravité. Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite »
Page 16

La passion emporte tout et permet aussi de résister à la cruauté du monde.

Et il est possible d’être passionné par les mathématiques, cette passion qui a mené certains vers la folie.

« Le Point » a posé cette question dans un article de 2018 : « Les mathématiques rendent-elles fou ? »

L’article ne répond pas à cette question, mais cite plusieurs mathématiciens : Kurt Gödel, Georg Cantor, John Nash, Grigori Perelman qui chacun à leur manière avaient perdu le sens des réalités et des relations équilibrées avec les autres humains.

Il cite aussi le cas plus connu par un plus large public de Alexandre Grothendieck :

« En 1966, il reçoit lui aussi la médaille Fields pour avoir refondé la géométrie algébrique… et la refuse  ! Il s’installe dans un village de l’Hérault au sein d’une communauté adepte de la contre-culture. Il devient un chantre de l’écologie. Puis il se retire en Ariège pour vivre tel un ermite, refusant tout contact avec ses anciens amis. Il meurt en 2014, laissant des milliers de pages couvertes de notes. »

Jean-Guy Soumy cite d’ailleurs Grothendieck au début de son ouvrage :

« Ces deux passions, celle qui anime le mathématicien au travail, disons, et celle en l’amante ou en l’amant, sont bien plus proches qu’on ne le soupçonne généralement ou qu’on est disposé à l’admettre. »
Alexandre Grothendieck « Récolte et Semailles »

Mais que celles et ceux pour qui les mathématiques n’ont jamais été une passion mais plutôt une souffrance, se rassurent il n’y pas de mathématiques dans cet ouvrage. C’est simplement un élément de contexte.

L’histoire se déroule à travers le regard de Jessica qui est professeur de littérature et qui doit faire face à ce qu’elle vit comme une trahison. Elle doitt aussi être le roc sur lequel peuvent s’appuyer les deux fils qu’elle a eu avec Alexandre. Le premier a suivi la même carrière que son père, tout en n’en possédant pas le génie, il se sent fragilisé par cet acte incompréhensible. Mais la situation est encore plus compliquée pour le second qui souffre d’autisme.

Soumy met cette phrase dans la bouche de Jessica :

« Et je veillerai sur mon enfant, je le consolerai, je boirai ses larmes, je sécherai ses peines. Une mère est là pour ça »
Page 176

Ce livre, en outre, ouvre vers un auteur étonnant au destin tragique : Armand Robin. Jessica est la spécialiste de cet auteur qu’elle a étudié intensément et dont les écrits auront un rôle à jouer dans l’intrigue.

J’ai voulu en savoir un peu plus sur cet auteur.

Armand Robin est né en 1912 à Plouguernével, en Bretagne et il est mort le 29 mars 1961.

C’est à la fois un écrivain, un traducteur, un journaliste, un critique littéraire et un homme de radio.

Il semble qu’il existe de nombreuses controverses à son sujet. Mais ce qui parait époustouflant c’est sa capacité d’apprendre des langues.

Je cite Wikipedia :

« il entreprend en 1932 l’étude du russe et du polonais, en 1933 de l’allemand, en 1934 de l’italien, en 1937 de l’hébreu, de l’arabe et de l’espagnol, en 1941 du chinois, en 1942, de l’arabe littéral, en 1943 du finnois, du hongrois et du japonais  […]

Écrivain inclassable, libertaire, poète, il traduit en français, depuis une vingtaine de langues, une centaine d’auteurs dont Goethe, Achim von Arnim, Gottfried Benn, Max Ernst, Lope de Vega, José Bergamín, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak, Sergueï Essénine, Alexandre Blok…. »

En 1933, il voyage en URSS. Il en revient anticommuniste.

Et en 1945, il adhère à la Fédération anarchiste et contribue de cette date à 1955 au journal Le Libertaire.

Sa fin tragique nous révèle qu’en 1961 aussi, il était légitime de s’interroger sur la possibilité de violences policières :

Arrêté le 28 mars 1961 après une altercation dans un café, il est conduit au commissariat du quartier et y est « passé à tabac » par les policiers. Transféré à l’infirmerie spéciale du dépôt de la Préfecture de police de Paris, il y meurt seul le lendemain dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies.

Françoise Morvan qui semble une spécialiste de cet auteur a écrit « Armand Robin ou le mythe du poète »

La même écrit sur son blog une page dans laquelle elle entend démonter des contrevérités et falsifications sur « Armand Robin »   

En 2011, France Culture lui a réservé une émission : <Armand Robin bouge encore>

En conclusion, un livre palpitant et l’ouverture vers un autre auteur aussi étrange que fascinant.

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Mercredi 24 novembre 2021

« Comment bien poser un problème mathématique ?»
Réponse par un exemple

Ma chère belle-sœur Josiane qui me félicite pour la diversité des sujets abordés, exprimait sa crainte qu’après avoir simplement vanté la beauté d’une fleur, je me lance dans un sujet hautement intellectuel, conceptuel et abstrait.

Je note que les avis sont très partagés.

Mon ami Bertrand G. trouve que je parle trop de politique, ce qui serait une perte de temps.

Jean-Philippe ne trouve pas d’intérêt à mes sujets musicaux. D’autres lecteurs ont exprimé leur distance avec les sujets « football » que j’avais abordés.

Il est vrai que la plupart des blogs sont « mono-thème ». Ils parlent exclusivement d’art ou de bien être ou de politique ou d’Histoire ou de Sciences ou de sports ou encore d’actualité.

Le mot du jour que j’écris ne se fixe pas ce type de limite.

Il faut simplement que je comprenne un peu de quoi il en retourne, je n’ai jamais évoqué le bitcoin.

Et que j’ai le sentiment d’avoir à dire quelque chose de pertinent ou de surprenant ou de décalé, je n’ai jamais parlé d’homéopathie.

Aujourd’hui, je vais parler de mathématiques, mais pas que …

C’était en classe de mathématiques supérieures au Lycée Kléber de Strasbourg, lors de l’année scolaire 1976/1977, il y a 45 ans donc, et je m’en souviens encore.

C’était M Schmidt qui nous a posé cette question :

« Vous devez organiser un tournoi de tennis. Vous avez 100 participants. Chaque match est à élimination directe : le joueur qui gagne continue le tournoi, celui qui perd est éliminé.
Combien de matchs devez vous organiser pour finir le tournoi et dégager suite à la finale, un vainqueur ? »

Toute la classe qui comptait plusieurs futurs polytechniciens a commencé à raisonner :

  • Au premier tour je fais 50 matchs, il 50 qualifiés et 50 éliminés.
  • Au second tour j’en fais 25…
  • Au troisième tour il y a un joueur qui est exempté et je fais 12 matchs…
  • Etc…

Un autre groupe a abordé le sujet autrement. Il est parti de la finale (2 joueurs), puis de la demi-finale (4 joueurs), puis les quarts de finales (8 joueurs) et on arrive ainsi au 32ème finale avec 64 joueurs. Et il faut alors trouver le moyen de passer de 100 joueurs à 64 joueurs dans un premier tour dont on exempte les meilleurs…

Et pendant que nous cherchions à élaborer des raisonnements savants pour essayer de répondre à cette question, Monsieur Schmidt hilare se moquait de nous en nous disant :

« Alors vous êtes en math. Sup. et vous avez besoin de plus de 2 secondes pour répondre à une question aussi simple ? »

Mais oui, c’était une question d’une simplicité absolue.

Mais il fallait se poser la bonne question.

Il faut toujours bien poser les questions, même si parfois on n’a pas la réponse.

La question est plus importante que la réponse.

Nous vivons au quotidien au milieu de gens qui ont la certitude de posséder les bonnes réponses, alors qu’ils n’ont pas réfléchi aux bonnes questions à se poser.

Ces personnes sont très dangereuses.

Peut être qu’Einstein pensait à eux quand il disait : « Si vous avez un marteau dans le cerveau, tout problème prendra la forme d’un clou ! ».

Alors quelle est la bonne question pour ce tournoi ?

Vous avez 100 joueurs. Le tournoi consiste à obtenir 1 vainqueur et donc à éliminer 99 joueurs.

La question qu’il faut poser est : Combien de matchs sont nécessaires pour éliminer 99 joueurs ?

Un enfant de 6 ans sait répondre à cette question.

Avec le principe du match à élimination directe, il faut évidemment 99 matchs pour éliminer 99 joueurs et désigner un vainqueur.

M Schmidt était un grand pédagogue : 45 ans après je m’en souviens encore.

Notez que les raisonnements compliqués fonctionnent aussi.

Si on reprend le premier raisonnement, grâce à ce petit tableau on sait répondre à la question :

Nombre de joueurs avant le tour

Nombre de matchs

Nombre de qualifiés

Joueur exempté

1er tour

100

50

50

 

2ème tour

50

25

25

 

3ème tour

25

12

12

1

4ème tour

13

6

6

1

5ème tour

7

3

3

1

1/2 finale

4

2

2

 

Finale

2

1

1

 

Total des matchs

 

99

Le second raisonnement fonctionne aussi :

Il faut donc qu’au premier tour on puisse passer de 100 joueurs à 64

Pour ce faire, il faut en éliminer 36

On fait donc un premier tour de 36 matchs

Et le tableau devient celui-ci

Nombre de joueurs avant le tour

Nombre de matchs

Nombre de qualifiés

Joueurs exempté

1er tour

100

36

36

28

1/32 finale

64

32

32

 

1/16 finale

32

16

16

 

1/8 finale

16

8

8

 

1/4 finale

8

4

4

 

1/2 finale

4

2

2

 

Finale

2

1

1

 

Total des matchs

 

99

La morale de cette histoire devient alors : on peut arriver au même résultat en prenant des chemins différents, plus ou moins longs…

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Mardi 27 octobre 2020

«Le problème de l’échiquier de Sissa.»
Légende indienne qui permet « un peu » d’appréhender une évolution exponentielle

Il faut être bienveillant.

Les prévisions sont compliquées surtout si elles concernent l’avenir.

Dimanche 4 octobre 2020 Jean-François Toussaint, professeur de physiologie de l’Université Paris-Descartes et directeur de l’IRMES, Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport à l’INSEP, affirmait sur CNews : « Il n’y aura pas de deuxième vague, nous sommes dans une instrumentalisation»

Lundi 5 octobre 2020, le docteur Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’Inserm, déclarait sur Sud Radio : «Il n’y aura pas de deuxième vague car nous avons atteint l’immunité collective »

Le Professeur Raoult a eu des propos divergents sur ce sujet. <RTL> a cherché à suivre la chronologie de ses analyses. Sa dernière version est qu’il n’a jamais dit qu’il n’y aurait pas de seconde vague.

Il semble, quand même, selon les soignants, qui sont en première ligne, qu’il y a bien une seconde vague.

Ainsi, dans un article paru dans le Parisien du 25 octobre, Martin Blachier, médecin de santé publique et épidémiologiste exprime son désarroi : «Quand j’ai vu les chiffres, je n’y ai pas cru» et constate une «accélération non contrôlée».

Nos hôpitaux sont à nouveau sous tension.

Je n’ai aucune compétence pour parler de ce virus, de la manière de le contrôler, de ce qu’il faut faire ou de ce qui aurait dû être fait. Mais j’entends les cris de détresse de celles et de ceux qui doivent accueillir les malades et les soigner.

Cependant, il y a un phénomène qui m’est un peu plus familier, parce que dans ma jeunesse j’avais quelque facilité en mathématiques.

Et ce phénomène est ce que les mathématiques appellent « une fonction exponentielle ». Dans le langage courant on parle d’une évolution exponentielle.

Mais connaitre conceptuellement et je dirais par les chiffres et les graphes le profil d’une courbe exponentielle, ne permet pas forcément d’appréhender la réalité du phénomène.

Un article, qui date déjà de juin, du journal Suisse « Le Temps » tente d’expliquer : « Pourquoi notre cerveau ne comprend rien à la propagation du coronavirus »

Cet article se réfère à une étude menée par des chercheurs allemands aux Etats-Unis qui met en évidence la difficulté de la population à appréhender la croissance exponentielle de l’épidémie. Un biais qui a un impact sur l’adhésion aux mesures de distanciation sociale :

« Des chercheurs allemands se sont livrés à une analyse regroupant trois études menées aux Etats-Unis pour comprendre pourquoi une importante partie de la population a du mal à accepter et à comprendre l’utilité de ces mesures. […]

Ces études ont été menées sur trois groupes différents de plus de 500 personnes pendant la deuxième partie du mois de mars, alors que la croissance de l’épidémie s’emballe aux Etats-Unis. Dans un premier temps, les chercheurs ont demandé aux participants d’estimer le nombre de nouveaux cas sur les cinq jours passés. Sur les trois premiers jours de la semaine, ces derniers ont tendance à surestimer le nombre de cas, mais la tendance s’inverse sur les deux derniers jours. Sur l’ensemble de la période, les personnes interrogées ont en moyenne sous-estimé la croissance de l’épidémie de 45,7% par rapport à son évolution réelle.

Cette double tendance s’explique par la difficulté à appréhender la propagation exponentielle du virus. Les estimations de la majorité des participants suivent en fait un modèle linéaire d’évolution de l’épidémie. Les chercheurs ont également cherché à mettre en évidence l’influence des convictions politiques sur les estimations des participants. Globalement, ceux se considérant comme conservateurs ont eu plus de mal à estimer la vitesse de diffusion du virus que ceux se présentant comme libéraux. »

Je ne cite pas tout l’article que vous pouvez consulter. Dans le domaine économique, des études avaient aussi mis en évidence cette difficulté d’appréhender le phénomène de croissance exponentielle.

Et bien sûr, quand on ne comprend pas un phénomène on a du mal à adhérer à des consignes visant à contrôler ce phénomène, surtout si ces consignes sont contraignantes.

Il existe cependant une légende qui peut nous aider à devenir un peu plus sage.

Vous l’avez certainement déjà entendu, mais ce qui est pertinent c’est de l’appliquer au contexte du COVID.

Il s’agit d’une légende, mais elle nous apprend quelque chose de vrai.

Il était une fois en Inde, un roi du nom de Belkib qui s’ennuyait beaucoup.

Il n’y avait pas les réseaux sociaux numériques à cette époque, ni Netflix et toutes ces séries qui permettent d’occuper l’esprit quand on a du mal à remplir sa vie intérieure.

Pour lutter contre son ennui il a demandé qu’on invente un jeu pour le distraire.

Aujourd’hui en France on lancerait un appel d’offre.

Un sage du nom de Sissa se mit alors à inventer le jeu d’échecs.

Le roi Belkib fut ravi et voulut comme tout bon souverain récompenser celui qui avait si bien su le distraire.

Il était tellement content qu’il demanda même à Sissa de choisir sa récompense qui pourrait être fastueuse.

Et c’est alors que…

Sissa demanda au roi de prendre le plateau du jeu et, sur la première case, poser un grain de riz, ensuite deux sur la deuxième, puis quatre sur la troisième, et ainsi de suite, en doublant à chaque fois le nombre de grains de riz que l’on met.

Et de faire ainsi jusqu’à la 64ème case.

Le roi exprima son étonnement, il ne comprenait pas alors qu’il promettait une récompense fastueuse que le sage Sissa demande un cadeau aussi « modeste ».

Alors pour comprendre qu’il n’y a rien ici de modeste, mais que nous sommes devant un phénomène exponentiel je vous renvoie vers le problème de mathématiques qu’a publié l’Académie de Paris et qui propose aussi la solution : « La légende de l’échiquier »

L’humain moderne que nous sommes, s’il veut se rendre compte, va utiliser son tableur préféré pour calculer cette évolution dans les 64 cases puis faire la somme.Et cela vous apprendra qu’à partir de la case 50, le tableur commence à réaliser des approximations parce qu’il atteint ses limites ou plutôt qu’il cherche à optimiser ses ressources. Les concepteurs du tableur ont, en effet, fait le choix qu’à ce niveau de nombre il n’était pas judicieux de mobiliser des moyens pour donner le chiffre exact.

En conclusion, sur la 64ème case, il faut déposer 263 grains de riz, ce qui se dit en français, 2 puissance 63. En effet, sur la première case Sissa met un grain ce qui se définit par 2 puissance 0, et sur la deuxième case on aura donc 2 puissance 1 qui est égale à 2. Et ainsi de suite ce qui conduit au résultat sur la 64ème case de 2 puissance 63.

Et quand on additionne tous les grains sur les 64 cases on obtient 18 446 744 073 709 600 000. Ce qui est donc une approximation du tableur

La solution mis en ligne sur le site de l’Académie de Paris, nous donne un éclairage supplémentaire sur ce chiffre qui ne signifie pas grand-chose pour nous :

« De nos jours la production annuelle mondiale de riz est environ 600 x 106 tonnes, en français 600 millions de tonnes. (en 2000)

Un grain de riz pèse environ 0,06 g.

Le tableur donne 18 446 744 073 709 600 000 comme valeur approchée du nombre de grains de riz qui auraient dû être déposés sur l’échiquier !

La masse serait alors de 1 106 804 644 422 570 000 grammes, soit approximativement 1 106 804 644 423 tonnes.

Ce qui correspondrait à 1 845 années de production mondiale de riz ! »

Là je crois que nous comprenons mieux, ou plutôt nous sommes sidérés.

La demande de Sissa conduit à demander 1845 années de production mondiale de riz de l’année 2000 !

Comment mieux expliquer qu’on perd le contrôle.

De manière technique, cet exemple se base sur la puissance de 2, c’est une fonction exponentielle. Il en existe, bien sûr, beaucoup d’autres.

C’est Gilles Finkelstein qui, lors de son face à face avec Natacha Polony du 24 octobre 2020 sur France inter, a rappelé cette légende et l’a rapprochée de l’évolution actuelle du COVID.

Le site de l’Académie de Paris a aussi mis en ligne un dessin de l’échiquier qui fait mieux que le tableur et donne les valeurs exactes sur chaque case.


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Mardi 12 décembre 2017

« Le livre de la nature est écrit en langage mathématique »
Galilée

Je m’aperçois que je n’ai encore consacré aucun mot du jour à la mathématique qui fut pourtant un amour de jeunesse.

Je me suis appuyé sur un article de « Pour la Science » pour trouver l’exergue de ce mot du jour.

Cet article débute ainsi :

« Pythagore et ses disciples pensaient que le secret du monde tenait en quelques mots : « Toute chose est nombre. » Aujourd’hui, la science est parfois tentée de reprendre l’idée pythagoricienne en l’étendant sous la forme « Tout est mathématique », ce que Galilée disait déjà : « Le livre de la nature est écrit en langage mathématique. » Le sens et la portée de ces liens entre la science et les mathématiques sont un permanent sujet d’intérêt. »

Notre Député mathématicien Cédric Villani ne dit pas autre chose : « L’univers est sous-tendu par des concepts mathématiques »

Grâce à Twitter et à un compte qui fait référence au grand mathématicien Fermat (Fermat’s Library), nous constatons une fois de plus que le monde s’explique par les mathématiques.

Alors suivez-moi pas à pas, c’est très simple :

1 jour = 24 heures donc 24 = 4 x 3 x 2

Et 1 heure = 60 minutes donc 60 = 5 x 4 x 3

Et de même 1 minute = 60 secondes, à nouveau 60 = 5 x 4 x3

Pour finir, une mesure un peu plus inhabituelle la milliseconde

Bien sûr 1 seconde = 1000 millisecondes donc 1000 = 10 x 20 x 5 donc (2 x 5) x (5 x 4) x 5 et si on remet dans l’ordre 1000 = 5 x 5 x 5 x 4 x 2

Si vous avez suivi jusqu’ici et que nous repartons au départ :

Nous pouvons écrire 1 jour = (4x3x2) x (5x4x3) x (5x4x3) x (5x5x5x4x2) millisecondes.

Et si vous remettez tout dans l’ordre et utilisez la notation des puissances


La mathématique c’est cela : ordre, rigueur et poésie…

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Jeudi 5 décembre 2013

«J’en ai assez de [ces gens] qui prétendent qu’il n’y a qu’une bonne façon de réfléchir.»
Niels Bohr

Après quelques jours passés loin de mon bureau, je vous propose un mot du jour qui raconte une belle et un peu longue histoire.

Cette réflexion, je l’ai entendue dans l’émission de France Culture : «Le monde selon Etienne Klein».

Etienne Klein est un grand scientifique mais surtout un génial pédagogue, c’est à dire quelqu’un qui arrive à rendre simple ce qui est compliqué.

Un jour Ernest Rutherford, prix Nobel de chimie en 1908, reçut la visite d’un de ses confrères accompagné d’un de ses étudiants ; Ils voulaient faire appel à lui pour un arbitrage entre eux.

En effet, l’étudiant avait donné une réponse à une question du professeur qui lui avait donné 0, alors que l’étudiant prétendait mériter 20. Ils avaient conclu tous deux que leur différent n’était pas simple et méritait l’arbitrage du scientifique le plus renommé de leur université.

Le problème posé était le suivant : «Vous disposez d’un baromètre et vous devez mesurer la hauteur d’un immeuble, comment procédez-vous ? »

La réponse attendue était : «A l’aide du baromètre, je mesure la pression atmosphérique en haut de l’immeuble, puis je mesure la pression au niveau du sol. Puis avec un savant calcul je détermine la hauteur de l’immeuble en fonction de la différence de pression.»

L’étudiant avait répondu :

«J’attache le baromètre à une grande corde. Je monte sur le toit de l’immeuble et je laisse descendre le baromètre à l’aide de la corde jusqu’au sol. Arrivé au sol je fais une marque sur la corde puis je remonte la corde et je mesure du baromètre jusqu’à la marque, c’est la hauteur de l’immeuble.»

Le professeur a donné 0, parce qu’il prétendait que ce n’était pas une méthode scientifique. Ce que contestait l’étudiant qui rappelait qu’en outre il trouvait bien le résultat souhaité et qu’il avait utilisé le baromètre, la corde seule ne suffisant pas !

L’arbitrage de Rutherford a alors consisté à donner une seconde chance à l’étudiant et de lui demander s’il connaissait une autre méthode pour trouver la solution. L’étudiant s’exécuta et donna une dizaine d’autres solutions, mais jamais la solution attendue.

Etienne Klein présenta 3 de ces solutions :

1) On monte sur l’immeuble, on lâche le baromètre. On chronomètre la durée de la chute, on en déduit la longueur de la chute qui est la hauteur de l’immeuble.

2) On place le baromètre verticalement dehors quand il y a du soleil. On mesure la hauteur du baromètre, la longueur de son ombre et la longueur de l’ombre de l’immeuble. Et avec un simple calcul de proportion, on détermine la hauteur de l’immeuble.

3) Et celle qui a le préférence d’Etienne Klein, parce qu’elle est la plus rapide : on frappe à la porte du gardien de l’immeuble et on lui dit : «Monsieur, si vous me donnez la hauteur de votre immeuble je vous donne ce baromètre»

Interloqué, Rutherford demanda alors à l’étudiant : «Mais dites-moi, connaissez-vous la réponse attendue par votre professeur ? »

L’étudiant répondit qu’il la connaissait bien sûr, mais qu’il en avez assez de l’université et de ses professeurs qui prétendait qu’il n’y avait qu’une bonne façon de réfléchir.

Cet étudiant s’appelait Niels Bohr, génie scientifique qui continua l’œuvre de Rutherford et arriva à comprendre le fonctionnement de l’atome ce que Rutherford n’avait compris que partiellement. Il fut lauréat du prix Nobel de physique de 1922.

L’émission d’Etienne Klein en dit beaucoup plus sur ce sujet : il a donné pour titre de son émission «L’atome et le baromètre.» .

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