Ma chère belle-sœur Josiane qui me félicite pour la diversité des sujets abordés, exprimait sa crainte qu’après avoir simplement vanté la beauté d’une fleur, je me lance dans un sujet hautement intellectuel, conceptuel et abstrait.
Je note que les avis sont très partagés.
Mon ami Bertrand G. trouve que je parle trop de politique, ce qui serait une perte de temps.
Jean-Philippe ne trouve pas d’intérêt à mes sujets musicaux. D’autres lecteurs ont exprimé leur distance avec les sujets « football » que j’avais abordés.
Il est vrai que la plupart des blogs sont « mono-thème ». Ils parlent exclusivement d’art ou de bien être ou de politique ou d’Histoire ou de Sciences ou de sports ou encore d’actualité.
Le mot du jour que j’écris ne se fixe pas ce type de limite.
Il faut simplement que je comprenne un peu de quoi il en retourne, je n’ai jamais évoqué le bitcoin.
Et que j’ai le sentiment d’avoir à dire quelque chose de pertinent ou de surprenant ou de décalé, je n’ai jamais parlé d’homéopathie.
Aujourd’hui, je vais parler de mathématiques, mais pas que …
C’était en classe de mathématiques supérieures au Lycée Kléber de Strasbourg, lors de l’année scolaire 1976/1977, il y a 45 ans donc, et je m’en souviens encore.
C’était M Schmidt qui nous a posé cette question :
« Vous devez organiser un tournoi de tennis. Vous avez 100 participants. Chaque match est à élimination directe : le joueur qui gagne continue le tournoi, celui qui perd est éliminé.
Combien de matchs devez vous organiser pour finir le tournoi et dégager suite à la finale, un vainqueur ? »
Toute la classe qui comptait plusieurs futurs polytechniciens a commencé à raisonner :
- Au premier tour je fais 50 matchs, il 50 qualifiés et 50 éliminés.
- Au second tour j’en fais 25…
- Au troisième tour il y a un joueur qui est exempté et je fais 12 matchs…
- Etc…
Un autre groupe a abordé le sujet autrement. Il est parti de la finale (2 joueurs), puis de la demi-finale (4 joueurs), puis les quarts de finales (8 joueurs) et on arrive ainsi au 32ème finale avec 64 joueurs. Et il faut alors trouver le moyen de passer de 100 joueurs à 64 joueurs dans un premier tour dont on exempte les meilleurs…
Et pendant que nous cherchions à élaborer des raisonnements savants pour essayer de répondre à cette question, Monsieur Schmidt hilare se moquait de nous en nous disant :
« Alors vous êtes en math. Sup. et vous avez besoin de plus de 2 secondes pour répondre à une question aussi simple ? »
Mais oui, c’était une question d’une simplicité absolue.
Mais il fallait se poser la bonne question.
Il faut toujours bien poser les questions, même si parfois on n’a pas la réponse.
La question est plus importante que la réponse.
Nous vivons au quotidien au milieu de gens qui ont la certitude de posséder les bonnes réponses, alors qu’ils n’ont pas réfléchi aux bonnes questions à se poser.
Ces personnes sont très dangereuses.
Peut être qu’Einstein pensait à eux quand il disait : « Si vous avez un marteau dans le cerveau, tout problème prendra la forme d’un clou ! ».
Alors quelle est la bonne question pour ce tournoi ?
Vous avez 100 joueurs. Le tournoi consiste à obtenir 1 vainqueur et donc à éliminer 99 joueurs.
La question qu’il faut poser est : Combien de matchs sont nécessaires pour éliminer 99 joueurs ?
Un enfant de 6 ans sait répondre à cette question.
Avec le principe du match à élimination directe, il faut évidemment 99 matchs pour éliminer 99 joueurs et désigner un vainqueur.
M Schmidt était un grand pédagogue : 45 ans après je m’en souviens encore.
Notez que les raisonnements compliqués fonctionnent aussi.
Si on reprend le premier raisonnement, grâce à ce petit tableau on sait répondre à la question :
Nombre de joueurs avant le tour |
Nombre de matchs |
Nombre de qualifiés |
Joueur exempté |
|
1er tour |
100 |
50 |
50 |
|
2ème tour |
50 |
25 |
25 |
|
3ème tour |
25 |
12 |
12 |
1 |
4ème tour |
13 |
6 |
6 |
1 |
5ème tour |
7 |
3 |
3 |
1 |
1/2 finale |
4 |
2 |
2 |
|
Finale |
2 |
1 |
1 |
|
Total des matchs |
|
99 |
Le second raisonnement fonctionne aussi :
Il faut donc qu’au premier tour on puisse passer de 100 joueurs à 64
Pour ce faire, il faut en éliminer 36
On fait donc un premier tour de 36 matchs
Et le tableau devient celui-ci
Nombre de joueurs avant le tour |
Nombre de matchs |
Nombre de qualifiés |
Joueurs exempté |
|
1er tour |
100 |
36 |
36 |
28 |
1/32 finale |
64 |
32 |
32 |
|
1/16 finale |
32 |
16 |
16 |
|
1/8 finale |
16 |
8 |
8 |
|
1/4 finale |
8 |
4 |
4 |
|
1/2 finale |
4 |
2 |
2 |
|
Finale |
2 |
1 |
1 |
|
Total des matchs |
|
99 |
La morale de cette histoire devient alors : on peut arriver au même résultat en prenant des chemins différents, plus ou moins longs…
<1628>
Ce mot est amusant et recoupe des remarques que je fais plus en plus à mes étudiants.
Je dis souvent aux étudiants en thèse, « Bien poser un problème, c’est le comprendre et d’une certaine façon le résoudre ». Je fais cette remarque car j’ai beaucoup d’étudiants brillants qui savent résoudre des problèmes très complexes mais uniquement s’ils sont bien posés. Et certains calent devant un problème mal posé. Or en recherche, on est souvent confrontés à des problèmes mal posés (il manque des données, tout n’est pas formalisé, …), c’est donc en soi une difficulté (peu valorisée par les études académiques) que de bien poser un problème.
En enseignement d’architecture logicielle (l’organisation des logiciels), je fais aussi une remarque similaire aux étudiants. Je leur demande de faire des organisations les plus simples possibles, car on se perd des fois à résoudre des problèmes inutilement compliqués (faire fonctionner un logiciel mal organisé) alors qu’il est plus aisé de résoudre des problèmes si le logiciel est bien structuré. Mais il faut reconnaitre que c’est parfois extrêmement compliqué de faire simple.
Plus généralement, comme le disait un de mes ainés chercheur, l’être humain est ainsi fait que « quand on perd ses clés, il est toujours plus facile de les chercher dans des lieux éclairés » ;).
Merci pour ce mot du jour. Je vais désormais utiliser ton anecdote pour illustrer mes propos 😉
PS : je ne suis pas sur que ton professeur ne soit pas parti de la solution pour comprendre comment bien poser le problème 😉
Ah non, tu n’as pas le droit de critiquer mon professeur de math. sup ! 😉
Personnellement j’aime TOUS les sujets du mot du jour, peut importe si je les survole ou les lit avec rigueur. Ce sont des portes ouvertes. Merci Alain donc. A quand un sujet sur les macarons ladurée ton péché mignon de notre époque collaborative ?…
Merci Chantal pour ton soutien absolu.
Concernant Ladurée, je ne sais pas si je veux en parler.
Depuis janvier 2019 et l’évolution de ma santé, je n’ai plus mangé un seul gâteau, un seul chocolat.
Mais le pire de Ladurée, c’est que ces traitres, ces accapareurs, ces cupides ne produisent plus aucun de leurs macarons en France.
La fabrication se fait en Suisse dans le canton de Fribourg dont les autorités politiques ont accordé à Ladurée une exonération fiscale d’une durée de dix ans.
Même pour offrir je n’achèterais plus JAMAIS de macarons de Ladurée.
https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/pourquoi-les-macarons-laduree-ne-sont-plus-made-in-france-1362014
Mais non…. Tout fout le camp….
Salut Alain
Merci pour ce mot du jour
Je suis quand même un peu déçu qu’aucun de vous n’ait pensé à appliquer un raisonnement par récurrence qui donne le résultat très vite
Nombre de matches = nombre de participants -1
Ça marche pour p= 1, p=2, p=3…
Tu le prouves pour tout p entier naturel non nul et hop pour p=100, m=99
Amitiés
Taratata, le raisonnement par récurrence est tout sauf subtil et élégant.
Je me souviens qu’en terminale on avait prouve avec ce raisonnement que 1 + 2 + 3 + + n-1 + n = (n x (n+1))/2
Et c’est encore M Schmidt qui m’a appris comment faire une démonstration subtile et élégante
On écrit la somme dans l’ordre chronologique puis dans l’ordre inverse exactement en dessous
1 + 2 + 3 + + n-1 + n
n +n-1+n-2+ + 2 + 1
Quand on fait cela on constate que si on fait la somme de chaque terme de la ligne 1 et de la ligne 2 on obtient systématiquement n+1
Et alors comme on a par définition n termes la somme des deux lignes est n x (n+1)
Dès lors si on veut la somme d’une ligne on obtient (n x (n+1))/2
Ça c’est de la démonstration !
C’est rigolo car ma prof de l’époque nous avait également fait cette même démonstration très visuelle. Et je dois reconnaître que c’est une des rares choses dont je me souvienne encore, tant il est facile de reproduire le schéma. La somme des termes d’une suite géométrique est autrement plus barbare !
Rohhhh, je vois que tu n’as pas perdu ton art du rebond au fil des ans! Pointer le manque d’élégance de la récurrence dans ce cas précis alors que tu étais parti sur une construction de tableau tour par tour pour résoudre le problème est assez formidable, non?
Ou alors c’est moi qui suis conditionné par ce que j’entends plusieurs fois par jour depuis 20 ans comme quoi il faut adapter les moyens aux enjeux ☺️
Amitiés
Rohhhh, je vois que tu n’as pas perdu ton art du rebond au fil des ans! Pointer le manque d’élégance de la récurrence dans ce cas précis alors que tu étais parti sur une construction de tableau tour par tour pour résoudre le problème est assez formidable, non?