Vendredi 29 avril 2016

Vendredi 29 avril 2016
« Le fort fait ce qu’il peut et le faible subit ce qu’il doit !»
Thucydide
L’histoire de la guerre du Péloponnèse – Ve s. av. J.-C.
Je vais encore évoquer l’émission de France Inter : AGORA du 17 avril 2016.
Cette fois, Stéphane Paoli a invité Yannis Varoufakis, l’ancien Ministre de l’Economie grecque qui est venu présenter son dernier livre : «Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ?»
D’une voix calme, avec un argumentaire fort venant de sa grande culture économique, il démontre les erreurs d’analyse de la pensée néo libérale qui ont cours actuellement dans L’union européenne.
Il explique pourquoi rien de ce qui est fait ne permettra d’améliorer la situation de la dette grecque, dette qui ne pourra et ne sera pas remboursée.
Je l’ai trouvé très intéressant et très intelligent.
Mais je voudrais, une nouvelle fois, partager la chronique d’Aurore Vincenti qu’elle a consacrée au mot «faible» qui se trouve dans le titre du livre.
«En tant que seule femme autour de ce plateau, je suis bien placé pour parler du terme faible.
Il y a surtout un sexe qui est dit faible.  Pourquoi ? Parce que la femme n’a pas la même corpulence qu’un homme !  Elle ne peut pas rouler des mécaniques.
Je lis dans mon dictionnaire : «on dit sexe faible par plaisanterie». Très bonne blague, vraiment super drôle.
Alors qu’on ne devrait pas rire des faibles.
Non, étymologiquement on devrait les pleurer. Parce que le mot vient du latin  «flebilis», « digne d’être pleuré».
Alors le titre de votre ouvrage Monsieur Varoufakis vient d’une phrase de Thucydide dans L’histoire de la guerre du Péloponnèse, si je ne m’abuse : « Les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles subissent ce qu’ils doivent »
La difficulté de cette définition, c’est qu’elle définit le faible par opposition au fort, par défaut.
Le faible est la trace d’un manque, d’un manque de force.
Et je dirais, définition plus actuelle : un manque de pouvoir.
Et pourtant ce qui manque au faible, c’est surtout les larmes, les larmes qui étaient dans la racine latine. Il manque de la compassion, de la sympathie, mot grec qui signifie je prends part à ta souffrance, du moins je l’entends, je la reconnais pour ce qu’elle est.
Mais il n’y a pas de larmes à verser pour les chiffres.
Car les faibles, les pauvres, les démunis on les compte et puis c’est tout, sans les envisager, sans les dévisager.
C’est pour cela aussi qu’il est difficile de dire qui sont les faibles.
Cependant, une chose est certaine : numériquement ils sont en force, parfois on dit  99 % par rapport à 1 % de forts.
Et s’ils subissent le pouvoir des forts, les forts ont aussi besoin d’eux pour exercer leur pouvoir du haut vers le bas.
Mais ne laissons pas ainsi les choses figées !
Vous posez une question Monsieur Varoufakis : «et les faibles subissent ce qu’ils doivent ?»
On voit émerger des mouvements partout en Europe, même en France, des mouvements qui viennent du bas, des faibles
Les mots sont à la fois peu et beaucoup de choses.
Je vous en propose quelques-uns pour conjurer le sort.
Pour montrer l’immuable binarité entre le faible fort, en français, il y a le mot «révolution» qui va avec «révolte» et même «bouleversement». Ces trois mots véhiculent la même idée celle d’un renversement : du haut  qui se retrouve en bas et du bas qui se retrouve en haut.
Et puis j’ai un autre mot, en anglais : « Empowerment». Ce mot n’a pas vraiment de traduction en français,  on a dit développement du pouvoir d’agir. Mais dans « Empowerment», il y a de l’émancipation, il y a l’idée que l’on se grandit hors de sa condition que l’on s’érige que l’on gagne, non en pouvoir d’écraser, mais en pouvoir d’agir, de faire.»
En fin d’émission, Yannis Varoufakis répète ce propos du Ministre de l’Economie allemande Wolfgang Schaüble qu’il avait déjà rapporté et où ce dernier lui disait qu’il savait bien que la solution proposée ne résoudrait rien pour la Grèce, mais qu’il avait besoin de cette solution dans son combat avec les élites françaises pour leur imposer l’austérité.
Je rapproche ce propos d’une récente chronique  de Bernard Guetta <L’arroseur arrosé>, où ce dernier expliquait que Wolfgang Schaüble avait tenté d’influencer la BCE pour mettre fin à sa politique de taux d’intérêt très bas qui était très défavorable aux retraités allemands et à leurs fonds de pension. Maria Draghi en réponse lui a simplement rappelé que la BCE était indépendante et que c’était l’Allemagne qui avait voulu qu’il en soit ainsi. D’où le concept d’arroseur arrosé de Guetta.
J’avais déjà dit que l’Europe avait un problème avec ses vieux, cet échange nous apprend que le problème est particulièrement vivace avec les vieux allemands…