Mardi 19 Avril 2016
«Je ne crois pas que quoique ce soit de révolutionnaire ait jamais été inventé par un comité»
Steve Wozniak, le cofondateur d’Apple avec Steve Jobs
J’ai trouvé un article dans Slate : http://www.slate.fr/story/116177/creatif-temps-isole-reste-du-monde dont le titre est : «Pour être créatif, passez du temps isolé du reste du monde». Cet article renvoie vers un article anglais sur le site <Quartz> et rapporte :
«Un bon ingénieur, c’est un peu comme un artiste. Steve Wozniak, le cofondateur d’Apple, se considère un peu comme un artiste. Selon lui, les ingénieurs qui ont apporté des inventions majeures à l’humanité travaillent comme les créateurs: seuls. «Je ne crois pas que quoique ce soit de révolutionnaire ait jamais été inventé par un comité», écrit-il à propos du processus d’innovation. Des études ont d’ailleurs montré la supériorité de la réflexion solitaire sur la génération d’idées en groupe.
Cette sagesse se heurte à la marche d’un monde dans lequel chacun est toujours plus connecté aux autres, que ce soit dans l’espace physique ou par l’intermédiaire des technologies de communication à distance, et à des sollicitations innombrables qui empruntent les multiples canaux du marketing. Dans ce contexte hostile d’infobésité permanente, un article de Quartz insiste sur les vertus du travail solitaire, à une époque où la demande de créativité a supplanté l’exigence de conformité aux normes dans le domaine professionnel. Cette capacité à travailler seul n’est cependant pas comparable avec un état d’ennui, et encore moins avec la détresse de la solitude. Il s’agit plutôt d’un état de complétude dans lequel l’individu donne le meilleur de lui-même.
Selon Ester Buchholz, psychologue et auteure d’un essai sur la solitude, «les autres nous inspirent, les informations nous nourrissent, la pratique améliore notre performance, mais nous avons besoin de moments de calme pour comprendre les choses, faire des découvertes et pour faire émerger des réponses originales.»
Cela suppose par contre d’affronter ses émotions et de faire face à ses souvenirs sur de longues périodes. Ou, comme le formule la romancière danoise Dorthe Nors, à rester dans une zone d’inconfort émotionnel pour en tirer l’inspiration. Sans devenir ermite pour autant, être capable de s’isoler peut donc s’avérer bénéfique.»
Voilà qui est dit ! Et je reviens vers le mouvement Nuit debout.
Et je vais commencer par ce qui fait mal, parce que bien sûr ce mouvement est comme tous les autres infiltrés par des « cons ». Il y a les casseurs, mais il y a aussi les intolérants qui ont chassé Alain Finkielkraut de la Place de la République où il était simplement allé pour écouter.
Le reste est relaté par le site Slate.fr :
«L’expédition aura été de courte durée. Alors qu’il venait d’arriver place de la République à Paris « pour écouter » les revendications des participants au mouvement « Nuit debout », qui dure depuis maintenant plus de deux semaines, Alain Finkielkraut a rapidement été pris à partie. Des clips postés sur les réseaux sociaux montrent que le philosophe polémique a notamment été accueilli samedi 16 avril par des manifestants qui lui ont lancé « casse-toi » ou encore « facho ». « Saloperies », « fascistes »[…]
Interrogé par le « Cercle des Volontaires » alors qu’il quittait la place de la République, Alain Finkielkraut a expliqué qu’il ne venait « même pas pour intervenir ou faire valoir [ses] idées » mais seulement pour « écouter ». « On a voulu purifier la place de la République de ma présence », a-t-il estimé en présence de sa femme. « Je pense que s’il n’y avait pas eu de service d’ordre, je me faisais lyncher ». « J’ai été expulsé d’une place où doivent régner la démocratie et le pluralisme, donc cette démocratie c’est du bobard, ce pluralisme c’est un mensonge », a encore regretté le philosophe»
Voilà qui est dit aussi !
Nuit debout fait suite à d’autres mouvements comme <Occupy Wall Street>, d’ailleurs le mouvement a eu la visite de <David Graeber, l’anthropologue qui s’était beaucoup impliqué dans ce mouvement> . Aujourd’hui, la candidature et le succès rencontré par Bernie Sanders dans les primaires Démocrate et qui ose dire qu’il est socialiste est une continuation de ce mouvement. <Le journal les inrocks.com débat d’ailleurs de ce rapprochement entre Nuit debout et occupy wall street>
En Espagne il y eut le mouvement des Indignés (Indignados en espagnol), cette fois c’est le parti <Podemos> avec son leader <Pablo Iglesias> qui sont issus de cette initiative.
Nuit debout veut être un mouvement différent, notamment en refusant de générer des leaders pour éviter la dérive Podemos, les participants semblent particulièrement inquiet d’une possible récupération politique ou médiatique.
Comme je ne me sens pas l’énergie ni la santé pour aller voir de mes propres yeux, je suis obligé d’entendre le témoignage d’autres : <Ainsi Bernard Lavilliers qui déclare sur Europe 1> : «Cette place de la République c’est un forum […] Nuit debout se réclame d’une forme d’anarchie. Cette place de la République, c’est un forum, Il y a des ‘y a qu’à’ et des ‘faudrait’, mais je trouve ça pas mal. Ça n’a rien à voir avec la loi Travail, c’est certainement parti de là mais ça s’est étendu à beaucoup d’autres choses […Comme par exemple] cette sorte de tyrannie des énarques, qui sont d’une arrogance incroyable et se penchent sur les problèmes du peuple, et dont le peuple ne veut plus. »
Evidemment le journal <Le Figaro> est beaucoup plus critique:
« Ce qui frappe au premier abord dans la Nuit Debout, c’est la forte homogénéité sociale du mouvement. D’ordinaire, la place de la République est bigarrée. Ce sentiment de mélange est volontiers accru par les événements qui se déroulent régulièrement sur la place: occupation périodique par des migrants ou par des familles africaines menacées d’expulsion et protégées par le Droit au Logement, mais aussi quadrillage par les familles Roms qui dorment dans la rue avec leurs bébés et leurs enfants. Le tour de force de la Nuit Debout est de babiller sans lassitude apparente sur le sexe des anges solidaires, de gauche, révolutionnaires, progressistes et autres adjectifs bisounours, dans un entre soi très bien huilé. Ici, on est bien, on est tranquille, on est humaniste, mais on est d’abord des quartiers centraux de Paris. On adore dénoncer la précarité et la discrimination, mais selon l’étiquette bobo en vigueur, qui accorde une place nulle aux «minorités visibles», manifestement peu intéressées par les sujets qui se traitent. […]
Une autre caractéristique de la Nuit Debout tient à son aversion pour le salarié. C’est l’Autre: on le plaint, on se bat pour lui, mais on ne le côtoie pas. Tout est fait, dans la Nuit Debout, pour le décourager de venir. Le premier argument est dans la définition même de la manifestation: nocturne, noctambule, elle n’est guère accessible à celui qui sort fourbu d’une journée de travail et qui doit embrayer tôt le lendemain. Il peut venir, certes, de temps à autre. Mais il doit attendre pendant des heures avant de pouvoir parler pendant trois minutes selon un formalisme figé qui laisse peu de place à l’amateurisme. Dans la Nuit Debout, le salarié, le prolétaire, est une icône. On aime le voir en peinture, mais il ne faudrait pas qu’il s’imagine changer les choses au jour le jour. La preuve? Le mouvement a finalement considéré que la résistance à la loi El-Khomri était un prétexte un peu vain, et qu’il valait mieux refaire le monde sans parler d’actualité. […]
Cette dominante sociologique s’explique par le caractère faussement improvisé du mouvement. Depuis longtemps, les indignés français sont noyautés par un petit groupe d’intellectuels auto-centrés qui n’ont nulle envie de se mélanger à d’horribles petits bourgeois qui procréent, qui s’occupent de leurs moutards et qui cultivent les relations familiales. Ceux-là sont des catholiques intégristes en puissance qu’il faut écarter.»
Cet article, publié le 8 avril, prédisait une fin rapide de cet incongruité : «Fait par les Blancs pour les Blancs, fait par les bourgeois pour les bourgeois, fait par les bobos pour les bobos, il ne devrait pas tarder à mourir de sa belle mort, à moins qu’une mutation du virus ne conduisent à une radicalisation et une popularisation inattendue.»
Il semble cependant que le mouvement soit parvenu à essaimer en banlieue, nuançant ainsi un peu la prédiction ou l’espoir du Figaro.
Car en effet, c’est bien la démocratie représentative qui est en questionnement.
Quand on écoute le Président de la République actuel s’exprimer à la télévision, on oscille entre la compassion (il fait ce qu’il peut et il peut peu), l’exaspération (il dit des choses totalement en décalage avec ce que vivent les gens du type ça va mieux, les outils sont en place pour une amélioration) le découragement (il ne donne aucun sens à son action, on ne comprend pas où on va, on ignore ce qu’imagine cet homme du passé, du monde de demain).
Il est donc pertinent de trouver de nouvelles pistes.
Mais est-ce dans la possibilité de Nuit debout.
Que pensent-ils ? Vers quoi voudraient-ils aller ?
Ils répètent que c’est trop tôt, qu’il faut attendre les réflexions des commissions, des AG etc…
Il y a quand même Frédéric Lordon qui s’exprime, mais comme simple participant parmi d’autres bien qu’il soit probablement celui qui dispose de la pensée la plus structurée et la plus aboutie.
Alors vous verrez <Ici> (à partir de 3’50) son intervention du 9 avril 2016 dans laquelle il n’appelle pas à la grève générale mais dit que c’est la conséquence normale du mouvement et que dans un élan Proudhonien <La propriété c’est le vol>, il appelle à la fin de la propriété privée.
Je n’affirme pas que ce n’est pas la solution de nos problèmes mais j’ai l’intuition que cette idée n’a pas beaucoup vocation à prospérer au niveau national et encore moins dans l’Europe telle qu’elle existe actuellement.
Pour aller plus loin, je vous invite à lire son entretien à la revue écologique « Reporterre » : « Il faut cesser de dire ce que nous ne voulons pas pour commencer à dire ce que nous voulons »
Tout ceci me laisse assez songeur et j’en reviens à l’exergue du mot du jour : «Je ne crois pas que quoique ce soit de révolutionnaire ait jamais été inventé par un comité»
J’exprime donc une grande perplexité quant aux débouchés concrets et rapides des réflexions qui peuvent sortir des brain storming des commissions et Assemblée Générale de ce mouvement.
Cela étant, il est rassurant et positif, qu’à l’ère du numérique, des gens et singulièrement des jeunes, se réunissent physiquement pour parler ensemble, sur une place emblématique de Paris, de se voir, d’être en face à face.
C’est pourquoi je continuerai à regarder ce mouvement avec bienveillance s’il ne s’abime pas dans la violence et qu’il parvient à canaliser les crétins qui se sont attaqués physiquement et verbalement à Alain Finkielkraut.