«La théologie de la prospérité »
Courant de pensée protestante justifiant les inégalités de richesse
Le samedi matin à 7h43, Isabelle de Gaulmyn présente une émission sur France Inter dont le titre est : « Faut-il y croire ? »
L’émission du 28 janvier 2017 était consacrée à Trump : « Et Trump, il croit en quoi ? » où on apprend la connivence de cet homme étrange et de la théorie de la prospérité.
«De fait, pour son intronisation, Donald Trump avait invité six personnalités religieuses, ce qui dans le contexte américain n’est pas incongru (un rabbin, un évêque, etc…). Parmi eux, une seule femme, et la seule aussi à avoir eu le droit de faire un discours, la pasteure évangélique, Paula White. On la présente comme sa conseillère spirituelle. Cette pasteure évangélique est responsable d’un important centre évangélique en Floride, qui appartient au courant de la « théologie de la prospérité », un mouvement issu du pentecôtisme américain.
[Cette expression] sonne étrangement, peut-être, à nos oreilles de vieux européens marqués par la tradition catholique, pour lesquels l’Évangile est plutôt associé à la pauvreté. Mais c’est un courant très puissant aux États-Unis, qui repose sur une certaine interprétation du protestantisme, pour expliquer que la richesse, l’argent, est une bénédiction de Dieu.
[…] Pour comprendre d’où cela vient, il faut remonter aux débuts du protestantisme, et à Calvin. Comme Luther, Calvin est parti de l’affirmation que l’homme est sauvé par Dieu, non pas pour ce qu’il fait, mais ce qu’il est, gratuitement sauvé (salut par la grâce et non par les œuvres). Mais contrairement à Luther, Calvin pensait que les hommes étaient soit élus par Dieu, de toute éternité, soit damnés, de toute éternité aussi. On appelle cela la double prédestination. Après sa mort, au XVIIe siècle, il y a eu toute une discussion chez les protestants calvinistes, pour savoir si certains étaient damnés, quoi qu’ils fassent. Cette conception n’est plus en cours chez les calvinistes français aujourd’hui (la majorité), mais elle a imprégné le protestantisme, en faisant parfois de la réussite matérielle, le signe de l’élection : vous êtes riche, prospère, cela signifie que Dieu vous a choisi. Vous n’êtes donc pas damnés. C’est ce qui a permis à un sociologue comme Max Weber de faire du protestantisme l’un des facteurs clé du capitalisme, dans les pays protestants, du fait de cette conception du Salut.
Alors évidemment, c’est assez caricatural, car par bien des égards, le protestantisme prône la sobriété. Mais il est vrai que s’est greffé, auprès de l’une des branches du protestantisme, le Pentecôtisme, cette « théologie de la prospérité » qui prend à la lettre la phrase de Jésus de l’Évangile qui explique que celui qui donne recevra au centuple. Et s’appuie aussi sur l’Ancien Testament, où l’on parle souvent de la bénédiction des richesses par Dieu.
Dans un aspect « soft », cela consiste à encourager les personnes à réussir leur vie, à croire en leurs talents. C’est une philosophie qui allie réussite matérielle et spirituelle, et qui est très positive. Si on est riche, bien portant, c’est que Dieu l’a voulu. C’est par exemple l’enseignement d’un autre pasteur, aujourd’hui décédé, qui a joué un rôle important dans la vie de Trump, Norman Vincent Peale, et qui avait une église sur la 5e avenue à NY, la reformed church in América. Les parents de Donald Trump, puis lui-même l’a fréquenté et s’y est marié (deux fois). Peale est l’auteur d’un best-sellers paru dans les années 1952, « le pouvoir de la pensée positive ».
Dans un volet plus « hard », cette théologie assure que la richesse vient de Dieu, et culpabilise ceux qui ne réussissent pas. Elle promet aux fidèles de la réussite matérielle, de l’argent. Et s’ils n’en obtiennent pas, si cela ne marche pas, et bien, le pasteur peut toujours dire que c’est de leur faute, c’est qu’ils ne sont pas « bénis par Dieu »…
Oui, la théologie de la prospérité est très répandue dans les milieux Pentecôtistes en Amérique latine et en Afrique, et aussi aux États-Unis. Elle est transmise par des télévangélistes, qui séduisent toujours plus. Dans les pays pauvres, elle donne lieu à de nombreuses dérives. Mais en France aussi, elle s’est répandue dans certaines églises évangéliques, au point que, il y a quelques années, les théologiens protestants évangéliques de France, dans un document très fourni, ont établi une mise en garde contre ce type de théologie : ils expliquent que cette théologie repose sur une conception erronée de la foi, et présente de réels dangers. Car si cette théologie peut rejoindre des personnes qui vivent dans la pauvreté, elle instrumentalise Dieu, expliquait ce document, qui soulignait aussi les contradictions avec le message de pauvreté de l’Évangile. Ce document fait écho à un autre texte, adopté en 2010 par 4200 responsables évangéliques du monde entier (la déclaration de Lausanne), qui lui aussi dénonçait les travers de la théologie de la prospérité. »
Ce courant de pensée permet donc de rendre compatible la religion chrétienne avec les inégalités que produit le système économique afin que les gagnants puissent profiter de leur réussite économique sans aucune culpabilité. Le fait que pour l’essentiel les riches soient enfants de riches devient donc négligeable devant cette théorie qui explique ces inégalités par la bénédiction ou non de Dieu.
L’utilisation de la religion par certains peut aussi servir à cela : justifier des situations, a priori choquantes, par des théories permettant d’éviter de réfléchir et d’analyser les processus en oeuvre qui expliquent ces situations.