Vendredi 16 juin 2017

«Il faut qu’une parole politisée fasse retour pour que le charme des mythologies économiques soit enfin rompu.»
Éloi Laurent

La troisième et dernière partie du livre d’Éloi Laurent que nous examinons cette semaine concerne la mythologie écolo-sceptique. Il exprime d’abord la constatation du recul de l’écologie politique en Europe et en France. Il ne pense pas que ce recul s’explique parce que tout le monde serait devenu écologiste. Il inscrit plutôt ce repli dans une régression sous l’effet de la crise sociale qui n’en finit plus et d’une idéologie du dénigrement dans laquelle les mythologies économiques jouent un grand rôle.

Il parle d’une échelle graduée de mauvaise foi.

« On commence généralement par prétendre que les crises écologiques sont exagérées à des fins idéologiques, puis on affirme que, quand bien même leur gravité seraient avérées, elles trouveront leur résolution naturelle au moyen des marchés et par la grâce de la croissance, avant de soutenir que, si tel n’était pas le cas, le coût économique et politique de leur atténuation serait de toute façon prohibitif.

Cette stratégie rhétorique n’est pas sans rappeler la parabole du chaudron percé imaginé par Freud dans « le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient » : soit un individu qui a emprunté à un autre un chaudron et le restitue percé d’un grand trou qui rend l’objet hors d’usage. L’emprunteur se défend par ces arguments successifs :

  1. « je n’ai jamais emprunté de chaudron » (les crises écologiques n’existent pas) ;
  2. « j’ai rendu le chaudron intact » (elles existent, mais la croissance et le marché nous en préserveront) ;
  3. « le chaudron était déjà percé lorsque je l’ai emprunté » (les deux mensonges précédents sont dévoilés, mais dissimulés derrière un troisième : les crises écologiques sont bien réelles, le marché et la croissance ne suffiront pas à les atténuer, mais aller au-delà affaiblirait notre économie, voire notre démocratie).

[…]

Résultat : nous perdons un temps précieux à remonter le temps des arguments dépassés, sans jamais pouvoir poser les bonnes questions pour l’avenir, comme celle des causes et des conséquences sociales des crises écologiques. C’est précisément le but de la mythologie écolo sceptique : retarder par tous les moyens l’heure des choix, qui a pourtant bel et bien sonné.

Il démonte dans cette troisième partie deux autre croyances : « les marchés la croissance sont les véritables solutions à l’urgence écologique » et « l’écologie est l’ennemi de l’innovation et de l’emploi » .

Je finirai ce cinquième mot du jour consacré à l’ouvrage d’Éloi Laurent par son épilogue :

« Dans ses mythologies, Roland Barthes montre comment certains objets de consommation se nourrissent des grands mythes humains qui peuvent ainsi être instrumentalisés à des fins marchandes. Le pouvoir économique, depuis l’avènement de la société industrielle et aujourd’hui encore, utilise la mythologie comme sésame pour pénétrer et coloniser les imaginaires. Mais, nouveauté fondamentale, il peuple désormais les esprits de ses propres mythes.

Barthes s’attache aussi, en conclusion de son ouvrage, a dévoilé les fonctions du mythe, et il parvient à une conclusion particulièrement éclairante : « le mythe est une parole dépolitisée ». Les mythes forment ensemble de « fausses évidences » qui se présentent comme naturelles et organisent un monde « sans contradiction parce que sans profondeur ». La fonction du mythe est autant de mettre en lumière que de passer sous silence.

C’est précisément ce que l’on voit à l’aune des 15 illustrations proposées dans ce livre : les mythes économiques contemporains, qui ont colonisé les esprits, ont pour fonction principale de détourner l’attention des citoyens des véritables enjeux dont ils devraient se soucier et débattre. Nos mythologies économiques sont des mystifications politiques. On ne pourra donc pas les dissiper seulement en les démentant, ce que cet ouvrage a tenté de faire. De même qu’une théorie n’est pas démentie par des faits, mais par une autre théorie, il faut qu’une parole politisée fasse retour pour que le charme des mythologies économiques soit enfin rompu. […].

C’est pourquoi il est indispensable de s’atteler à la construction de nouveaux récits communs positifs, dans l’esprit de la mythologie grecque, où la raison et le rêve, sur un pied d’égalité, se nourrissent mutuellement pour donner sens à l’existence humaine. Vaste et beau programme. »

Quand on parle de politique, on veut dire qu’il est possible par des actes de gouvernement d’avoir une influence sur le cours des choses.

Mais pour qu’une pensée politique nouvelle puisse émerger, il faut créer de nouveaux récits, de nouveaux mythes.

Pour que tout cela puisse fonctionner, il faut aussi parvenir à investir (pacifiquement bien évidemment) un territoire sur lequel la Politique est en capacité de maîtriser les pulsions cupides de l’homo economicus et de parler d’égal à égal avec les forces économiques. Le territoire de la France est insuffisant à cette tâche.

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