Pour celles et ceux qui ne le savent pas, Renaud Camus, né en 1946 est un écrivain et un militant politique français. Il a été un moment, dans les années 1970-1980, membre du Parti socialiste. Son cheminement politique l’a ensuite amené à l’extrême droite. Il crée en 2002 le parti de l’Innocence et publie en 2010 un livre dont le titre est « L’abécédaire de l’in-nocence » et dans lequel il introduit le concept du « grand remplacement ».
Dans ce concept, il théorise l’idée qu’à la faveur de l’immigration et des différentiels de fécondité, « des immigrés ou des Français administratifs issus de l’immigration », ou des peuples venus de l’Afrique et notamment du Maghreb, tendent à devenir majoritaires sur des portions en expansion constante du territoire français métropolitain, et que ce processus doit conduire à une substitution de population au terme de laquelle la France cessera d’être une nation essentiellement européenne. Il prétend même que ce phénomène doit s’effectuer en quelques décennies.
Qu’un penseur illuminé défende ce type de fantasme ne présente pas d’intérêt, mais cette pensée irrigue de plus en plus la pensée d’extrême droite et aussi toute une partie des républicains, celle qui est proche de la pensée identitaire.
C’est une des mythologies social-xénophobe qu’Éloi Laurent tente de démonter dans son livre « Nos mythologies économiques ». Il appelle ainsi l’évolution du discours xénophobe des extrêmes droites parce qu’elles ont ajouté à leurs fantasmes d’identité nationale le fait que l’immigration menacerait l’attachement des Européens à leur modèle social.
Il définit cette mythologie de la manière suivante : « les flux migratoires actuels sont incontrôlables et conduiront sous peu au « grand remplacement » de la population française. »
Il écrit :
« Le mythe peut être le mieux ancré dans le discours social-xénophobe veut que la mondialisation actuelle se distingue de toutes les périodes d’intégration économique antérieures par des flux migratoires considérables et incontrôlables. Disons-le d’emblée sans détour, c’est le contraire qui est vrai : alors que la période dite de « première mondialisation » (1870–1914) a connu des mouvements de populations massifs, notamment de l’Europe vers les États-Unis, les migrants ne représentent dans notre mondialisation qu’environ 3 % de la population mondiale (230 millions de migrants pour 7 milliards d’habitants sur la terre). Cela signifie que 97 % des habitants de la planète demeurent où ils sont nés (cette proportion étant stable depuis 25 ans). Les humains sont donc aujourd’hui infiniment plus sédentaires que nomades, ce qui ne fut pas toujours vrai. En revanche, bien entendu, la population de la planète a considérablement augmenté au cours du XXe siècle (d’un facteur quatre), d’où une progression des migrations en volume. Mais elles ont bien diminué en proportion.
Pour ce qui est de la France, par comparaison avec la période de forte émigration des années 1960, les flux ont régressé non seulement en proportion mais également en volume. Contrairement à la vulgate véhiculée par l’extrême droite et qui a contaminé une bonne partie des esprits conservateurs, et parfois même progressistes, les flux migratoires sont à un point historiquement bas : de l’ordre de 280 000 personnes par an, dont 80 000 d’origine européenne et 60 000 étudiants (dont un tiers environ ne restera pas en France). Ramenée à la population française, la proportion terrifiante de ces envahisseurs sur le sol national atteint 0,4 %.
Je vous épargne toute une autre série de chiffres que l’économiste donne à l’appui de sa démonstration à la page 59 de son ouvrage pour en arriver à sa conclusion qui ne nie pas les difficultés, mais pointe le véritable problème de la France dans ce domaine :
« Comme souvent, le discours mythologique est un écran de fumée toxique : la vraie question nationale n’est pas l’insoutenabilité de l’immigration actuelle, mais la défaillance de l’intégration sociale des immigrés d’hier et de leurs enfants. Quelle chance la République a-t-elle données et donne-t-elle aux quelques 12 millions de Français immigrés ou nés en France d’un parent immigré ? Comment la France cultive-t-elle la richesse d’une population devenu tranquillement diverse au cours du XXe siècle ? »
Cette question a été étudiée (d’ailleurs Éloi Laurent renvoie vers cet auteur) par François Héran qui a publié notamment : « Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française » (Seuil, « La république des idées », 2007).
Post scriptum :<Après la publication de ce mot : Alain Finkelkraut a invité, le 24 juin dans son émission « Répliques », Renaud Camus et l’a confronté à Hervé le Bras>. Le sujet de cette émission était bien le Grand Remplacement.
<904>