Mercredi 14 juin 2017

«La poursuite de l’efficacité crée nécessairement des inégalités. Et ainsi la société est confrontée à un arbitrage entre égalité et efficacité»
Arthur Okun

Arthur Okun (1928-1980) était un économiste américain qui fut conseiller économique du président Kennedy. Il est surtout connu pour la loi qui porte son nom, la loi d’Okun, qui prétend qu’il existe une relation linéaire entre les taux de variation du chômage et du PIB. Le résumé simple qu’en donne Wikipedia est le suivant : « En dessous d’un certain seuil de croissance, le chômage augmente ; au-dessus de ce seuil, il diminue »

Éloi Laurent le cite pour une autre raison : le livre qu’il a écrit : < Egalité versus efficacité. Comment trouver l’équilibre?> dont il conteste la thèse centrale à savoir que la poursuite de l’efficacité ne peut que se réaliser par un creusement des inégalités.

Mais avant d’aborder ce sujet qu’il développe dans sa partie consacrée à la mythologie néolibérale : « Il faut produire des richesses avant de les redistribuer », Éloi Laurent pose une question :

« Ce modèle économique pose une question encore plus fondamentale : la privatisation des biens publics est-elle légitime quand elle s’accompagne de sécession fiscale ? »

Et puis il argumente à partir de la page 30 contre la thèse d’Okun :

« Une vision faussement naïve de notre système économique s’est répandue qui veut que la société civile et les entrepreneurs créent une richesse que l’État redistribue selon son bon vouloir aux « assistés » sociaux.

Ce discours à la fois élitiste et condescendant fait commodément abstraction des conditions sociales de la création de richesse. Les entrepreneurs ne viennent pas à la vie dans un monde économique qu’ils inventent en même temps que leurs produits et services. Ils bénéficient d’infrastructures de toute sorte financées par la collectivité sans lesquelles l’innovation resterait à jamais au stade de l’imagination : systèmes de formation, routes, ponts, institutions juridiques, mécanismes de financement, confiance sociale, etc., forment ce que l’on pourrait appeler l’écosystème de la création de valeur économique.

Comme ces biens communs ont un coût, le système de financement fiscal et social constitue la condition et le soubassement de toute activité entrepreneuriale. Ici aussi, la question est de savoir si les entreprises et leurs dirigeants paient leur juste part d’un effort collectif dont ils tirent à l’évidence un avantage considérable, ou s’ils se contentent de privatiser le patrimoine commun à leur profit sans contribuer à son entretien ni à son renouvellement. […]

Ne pas payer ses impôts et ne pas rémunérer le travail sont deux « modèles économiques» particulièrement prisés du capitalisme de passager clandestin.

Au-delà même de ces conditions sociales de la création de valeur, il faut s’interroger sur la primauté donnée, dans l’économie mythologique, à la production sur la répartition.

Et si la crise contemporaine des inégalités finissait par anéantir le dynamisme économique ?

Et si en d’autres termes, il fallait complètement renverser la logique de l’argumentation mythologique pour montrer que c’est la répartition des richesses qui conditionne les possibilités du développement économique ?

Pour des générations d’économistes, le « grand dilemme » entre efficacité et égalité postulé par Arthur Okun demeure la référence intellectuelle consciente ou inconsciente.

Le schéma de pensée qui émergea de son ouvrage de 1975 veut que les inégalités soient un mal nécessaire pour atteindre l’efficacité économique : « La poursuite de l’efficacité crée nécessairement des inégalités. Et ainsi la société est confrontée à un arbitrage entre égalité et efficacité. »

Comme c’est parfois le cas la traduction de cet ouvrage a conduit à une perte de sens : le mot trade-off (dilemme, arbitrage) est devenue dans l’édition française « équilibre ». Or le point-clé de l’analyse est la séparation et la hiérarchisation des enjeux d’efficacité et d’égalité. Okun est en cela fidèle à l’analyse néoclassique la plus conventionnelle […] : une politique économique doit d’abord viser l’efficacité économique, dont découlera naturellement, dans le cas idéal, la redistribution. […]

La recherche économique de ce début de XXIe siècle, par de très nombreux travaux empiriques, remet complètement en cause cette idéologie de l’efficacité naturellement juste : les inégalités sont non seulement injustes, mais elles sont tout autant inefficaces. Elles provoquent des crises financières. Elles substituent la rente à l’innovation. Elles empêchent l’essor de la santé et de l’éducation. Elles figent les positions sociales. Elles paralysent la démocratie. Elle aggravent les dégradations environnementales et nourrissent les crises écologiques.

Et Éloi Laurent illustre son propos par plusieurs exemples : Okun a proposé une image du « seau percé. Chaque politique de redistribution, comme l’impôt sur les revenus en France, serait comme un trou percé qui laisserait s’échapper un peu de dynamisme économique : au final, selon Okun, le seau parvient vide à la population, l’équité ayant tué l’efficacité. Mais Éloi Laurent inverse cette démonstration :

« Les inégalités sont autant de trous percés dans le seau de l’efficacité ; dès lors il ne sert à rien de remplir celui-ci, car son contenu ne parvient plus jusqu’aux citoyens. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui, aux États-Unis, 2 % de croissance du PIB se traduisent dans les faits par une décroissance du revenu de 90 % de la population : Entre l’accroissement du PIB et les revenus effectivement distribués à la très grande majorité des américains s’interposent les « fuites » du pouvoir de la finance, de l’inégalité salaire-profit et de l’accaparement des richesses par les individus parvenus, à l’aide de moyens largement publics, au sommet de l’échelle des revenus

Dans le cas français, on sait désormais que c’est l’ampleur des inégalités scolaires qui expliquent la faible performance d’ensemble des élèves aux tests internationaux. Les inégalités plombent l’efficacité de l’école française. »

Cette problématique de l’inefficacité de l’inégalité avait déjà été évoquée lors du mot du jour du Jeudi 16 mai 2013 : « Les perspectives de croissance économique stable et durable seraient bien meilleures, si nous ne vivions pas dans un monde où 0, 5 % des plus riches accaparent 35 % des avoirs de la planète » et cette affirmation était de Christine Lagarde Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI)

<Le caractère improductif des inégalités sur la croissance a fait l’objet de plusieurs études, voici une fiche de l’OCDE>

<J’ai trouvé aussi cet ouvrage publié à la Documentation Française : « Inégalités : quels effets sur la croissance ? »>

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