Mardi 24 mars 2015
«Dividend recapitalization»
Méthode utilisée par des actionnaires vautours pour s’enrichir rapidement au dépens d’une société qu’ils possèdent.
Grâce à deux articles de «Mediapart» je peux vous narrer une histoire du capitalisme d’aujourd’hui.
Mais c’est une histoire qui finit bien pour l’instant.
Je cite ci-après les deux articles avec quelques commentaires :
Au départ, c’est l’histoire d’une belle aventure industrielle d’une entreprise créée en 1982 par Marc Ettienne spécialisée dans la menuiserie industrielle sur mesure et notamment les fenêtres en PVC. Son nom : FPEE.
FPEE a grossi au fil des ans, au point d’englober 7 sociétés, d’employer 650 salariés répartis sur cinq sites de production, dont le principal est à Brûlon, dans la Sarthe, et de réaliser bon an mal an un chiffre d’affaires proche de 150 millions d’euros.
Par la suite Marc Etienne a transmis la présidence exécutive de la société à une jeune femme, Cécile Sanz, depuis de longues années dans l’entreprise, et n’a gardé que la présidence de la holding de tête, la société Fenetria.
Mais progressivement, la société a basculé dans un autre univers, où les logiques industrielles ne comptent pas pour grand-chose et les logiques financières pour beaucoup. Marc Ettienne a en effet accepté une recomposition du capital de la société qu’il avait fondée.
Ne gardant plus que 30 %, il a fait entrer au tour de table trois fonds d’investissement, contrôlant les 70 % restants, soit 40 % des parts détenues par les fonds revenant à une société dénommée Atria, rebaptisée Naxicap depuis son absorption par Natixis ; 40 % revenant à un fonds dénommé Pragma et 20 % au fonds Equistone, l’ancienne société de gestion de la Barclay’s dans le « private equity », dénommée Barclays Private Equity.
Cette restructuration du capital s’est faite progressivement.
Au début donc, le fondateur de l’entreprise peut penser que cette alliance avec les fonds d’investissement est bénéfique pour tout le monde.
Pour l’entreprise qui est en fort développement, mais tout autant pour les trois fonds d’investissement, qui grâce à leur mise dans FPEE gagnent énormément d’argent.
Mais à l’évidence, les fonds sont insatiables et l’argent qu’ils gagnent ne leur suffit pas.
Les trois fonds ont, au début de l’année 2014, une idée : organiser ce que dans le sabir financier anglo-saxon on appelle un « dividend recapitalization »
La pratique est-elle légale ? Selon les juristes consultés par Mediapart, sans doute l’est-elle si la saignée financière reste dans la limite de l’intérêt social de l’entreprise, car sinon il peut s’agir d’abus de pouvoirs sociaux, ce que la loi réprime.
Et dans tous les cas de figure, c’est une pratique éthiquement stupéfiante, car cela met un pistolet financier sur la tempe des entreprises concernées, les contraignant à préempter pendant de longues années tous les bénéfices à venir pour rembourser une dette qui est devenue insupportable.
L’opération expliquée simplement est celle-ci : les actionnaires demande à l’entreprise de contracter un emprunt de 200 millions d’euros pour rembourser 67,1 millions d’euros de dette antérieurement contractée et pour servir sur le- champ aux actionnaires un dividende de 132,9 millions d’euros.
Pour les actionnaires, ce serait donc le jackpot immédiat ! C’est la nouvelle mode qui fait fureur dans le « private equity » : endetter les entreprises pour apporter tout de suite du… « cash » aux actionnaires.
Cécile Sanz et Marc Ettienne trouvent le projet contestable. Un premier « dividend recap » a en effet déjà été organisé en 2011 pour 119 millions d’euros ; et ils jugent injustifiable de ponctionner l’entreprise encore davantage.
Mais quand en avril 2014 les trois fonds demandent à la nouvelle patronne de PFEE, Cécile Sanz, de mettre en œuvre l’opération financière, celle-ci refuse de suivre l’injonction, estimant qu’elle plongerait l’entreprise dans une situation d’endettement trop dangereuse.
Elle reçoit le soutien du fondateur de la société, Marc Ettienne, qui s’oppose à son tour fermement au projet. Ce qui, soit dit en passant, n’est pas si fréquent dans la vie des affaires. Car le projet est ainsi monté que, contrôlant encore 30 % du capital de l’entreprise, il pourrait lui aussi réaliser une formidable culbute, en empochant pas loin de 35 millions d’euros de dividendes. Inespéré, non ? Quel patron refuserait, en période de crise économique, d’empocher un tel montant ? Pour Marc Ettienne, c’est hors de question, et il s’indigne encore qu’on ait pu inventer un tel projet : « Je ne peux tout de même pas faire bosser des gens à 1 500 euros par mois et me prendre un chèque pareil ! », raconte-t-il à Mediapart.
Les trois fonds sont alors furieux et somment Cécile Sanz de leur faire une proposition alternative.
Mais aucune proposition ne parvient à satisfaire les fonds et Au beau milieu de la nuit du dimanche 1er au lundi 2 février 2015, vers 0 h 30, les dirigeants des trois fonds adressent par mail à Cécile Sanz et Marc Ettienne une convocation à une réunion du conseil de surveillance de Fenetria, qui doit se tenir le jour même, à 12 heures, à Paris. Réunion où ils démettent de leurs fonctions les deux impertinents qui ont eu l’audace de se mettre en travers de leur lucratif projet.
Mais les salariés se sont mobilisés avec les médias et ils ont mobilisé les pouvoirs publics, d’abord François Fillon élu de la Sarthe, Stéphane Le Foll, Emmanuel Macron et le second article nous apprend que :
Les trois fonds d’investissement ont dû céder devant la pression : Les deux responsables sont réintégrés et les fonds sont poussés à céder leurs parts.
Je ne vous explique pas en détail tout cela que vous pourrez lire dans les articles de Mediapart.
En conclusion, on voit donc comment pratique les fonds qu’on appelle vautours.
Et puis, quand même, que mobilisé et uni on peut arriver à leur faire mordre la poussière.