Jeudi 03/11/2016
« Et en l’hébergeant, j’ai semé de bonnes graines. C’était totalement gratos, mais ce que cela m’a apporté n’a pas de prix. »
Farshad, parisien, franco-iranien ayant accepté d’héberger un réfugié syrien dans le cadre du programme CALM
J’écoute toujours avec attention la revue de presse du week end de Frédéric Pommier, moment de poésie et de découvertes toujours étonnant, souvent touchant.
Ainsi la revue de presse du dimanche 30 octobre, où j’ai appris l’existence du mensuel NEON et du dispositif CALM : « Comme A La Maison . »
Ainsi, Frédéric Pommier rapporte :
«A ce propos, on estime du reste à 10.000 le nombre de Français qui ont aujourd’hui proposé d’ouvrir leurs portes aux réfugiés. 10.000 personnes l’ont proposé, et 250 l’ont fait à travers le dispositif CALM, signifiant « Comme A La Maison »… C’est dans ce cadre-là que Farshad, 35 ans, Parisien qui navigue entre l’animation et la production musicale, a accueilli chez lui un jeune Syrien pendant deux mois… Il raconte son expérience dans le mensuel NEON et, d’emblée, il prévient : « Je ne suis pas l’Abbé Pierre et pas un adepte de ce qu’on appelle les ‘bons sentiments’… »
Mais au printemps dernier, un reportage à la télé lui « vrille » littéralement le cœur… On y voyait une mère syrienne pataugeant dans une rivière en serrant son môme dans les bras.
Ses bras à lui, Farshad décide alors de ne pas les laisser croisés. Et sans doute parce qu’il est lui-même un exilé – ses parents ont quitté l’Iran quand il n’avait que quelques mois, il a donc contacté une association qui met en lien des réfugiés et des particuliers prêts à les héberger. Et c’est ainsi qu’on lui a présenté Rudi, journaliste syrien maintes fois écroué dans les geôles d’Assad pour délit d’opinion. Il y a connu la torture, a perdu des dizaines de proches. « On s’est regardé, et j’ai vu un mec épuisé. Epuisé mais digne et qui ne portait pas sa douleur en bandoulière. On s’est illico sentit ‘frérots’ », raconte-t-il…
Bien sûr, la cohabitation a nécessité, au départ, quelques ajustements. « En propriétaire mesquin, j’avoue que j’ai d’abord craint qu’il me pique des trucs. Et Rudi, lui, avait tendance à se comporter chez moi comme une femme de ménage, pour s’excuser d’être là. » Ensuite, ce ne fut qu’une vie de partage. Le quotidien, les soirées, jusqu’à ce que Rudi trouve un appartement à louer. Deux mois de cohabitation, et une amitié devenue indéfectible. « Ce mec, c’est ma plus belle rencontre», reconnaît Farshad. « Et en l’hébergeant, j’ai semé de bonnes graines. C’était totalement gratos, mais ce que cela m’a apporté n’a pas de prix. » Parfois, certains laissent de jolie traces sans même s’en rendre compte.
Témoignage simple et lumineux, à lire donc dans le mensuel NEON.»,
Frédéric Pommier, évoque les traces qu’on laisse, parce qu’avant de parler du geste de Farshad, il a évoqué le journal LA CROIX et une chronique de Bruno Frappat :
«Quelle trace laisse-t-on sur terre une fois qu’on n’y est plus ? C’est la question qu’on se pose à certaines étapes de sa vie… Quand on prend de l’âge, souvent… Un anniversaire de plus. Ou alors quand on tombe malade. Et parfois, on réalise que des traces, on n’en laissera aucune… Parce qu’on n’a pas été quelqu’un d’exceptionnel. Rien fait d’exceptionnel. Rien créé ni rien fait pour que le monde se porte mieux… Mais lorsque l’on meurt, il arrive tout de même que certains prennent la plume pour dire leur peine et dire qu’ils pensent à celle ou à celui qui s’est éteint. C’est ce que fait, ce week-end, Bruno Frappat dans LA CROIX, avec une chronique qu’il a très sobrement titrée « Le Monsieur du sixième ».
« Le monsieur du sixième est décédé. Dans la discrétion. Comme il avait vécu. Enfin disons plutôt qu’il s’est éclipsé, comme on le voyait faire quand, par extraordinaire, il franchissait le seuil de l’immeuble cossu pour aller s’acheter des cigarettes, toujours la même marque mentholée, par cartouches entières… » De son voisin, Bruno Frappat ne savait pas grand-chose. Tout juste qu’il était le doyen de l’immeuble et que dans sa jeunesse, il avait exercé le métier de contorsionniste.
Il n’était pas causant, excepté avec la gardienne. Il avait peu de famille. Juste une sœur dans le Sud-Ouest, mais ils étaient brouillés. Et puis il est tombé malade et il est mort à l’hôpital. « Il est sorti de la société et de nos vies par la petite porte », conclue le chroniqueur.
Et son très joli texte est une forme d’hommage à tous ceux qui meurent sans qu’on s’en aperçoive. Un hommage à tous ceux qu’on n’a pas pris le temps de regarder. »