Lundi 8 octobre 2018

« Rien de métaphysique dans tout cela. Uniquement des problèmes techniques »
Yuval Noah Harari parlant de la mort dans « Homo deus » page 35

Parmi les 5 auteurs que Yuval Noah Harari conseille de lire pour comprendre le monde (Dans le numéro du 20 septembre du Point) il cite Steven Pinker.

Le mot du jour du 21 novembre 2017 était consacré au livre de Steven Pinker : « La part d’ange en nous, Histoire de la violence et de son déclin » qui montrait que dans l’histoire de l’humanité il n’y a avait jamais eu aussi peu de violence et que globalement le sort des hommes n’avait jamais été aussi enviable qu’aujourd’hui.

Et c’est aussi ce que décrit l’historien israélien dans son livre quand il examine la situation de l’homme par rapport à la mort.

Depuis le début de l’humanité, plusieurs évènements étaient pourvoyeurs massifs de mortalité :

  • La famine
  • Les épidémies
  • La guerre

La famine constituait un fléau récurrent. Autrefois, la production de nourriture était dépendante des intempéries et de la chance. Il arrivait régulièrement qu’à cause d’une mauvaise récolte les habitants meurent de faim. À titre d’exemple, 2,8 millions de Français (soit 15% de la population de l’époque) sont morts entre 1692 et 1694 à cause de la famine engendrée par la destruction des récoltes par le mauvais temps. Pendant ce temps-là, Louis XIV le Roi-Soleil batifolait à Versailles avec ses maîtresses. La famine toucha ensuite les autres pays, que ce soit l’Estonie, la Finlande ou encore l’Ecosse.

Les hommes d’alors accusaient le destin ou la volonté de Dieu.

Aujourd’hui, la famine n’est plus inéluctable, elle constitue essentiellement un problème politique. Si nous le voulions, tout le monde pourrait manger à sa faim. Même lorsqu’une zone est touchée par des inondations ou d’autres catastrophes menant à une pénurie alimentaire, des mécanismes internationaux entrent en œuvre pour faire face au manque alimentaire. Si des famines existent encore, c’est dans les zones de conflits où les ONG ou les organismes internationaux ne peuvent accéder en raison de l’insécurité. En effet, grâce à nos réseaux développés et au commerce mondial, on peut envoyer rapidement de la nourriture sur place.

Certes, il reste une insécurité alimentaire et aussi des problèmes de qualité de la nourriture mais plus des famines comme celles rappelées ci-dessus. Harari précise d’ailleurs que c’est plutôt d’une suralimentation ou d’obésité dont nous souffrons désormais. En 2010, la famine et la malnutrition ont tué 1 million de personnes alors que l’obésité en a tué trois fois plus. C’est généralement les personnes les plus pauvres qui sont concernées, se gavant de hamburgers et de pizzas. En 2014, plus de 2,1 milliards d’habitants étaient en surpoids alors que seulement 850 millions d’individus souffraient de malnutrition.

Pour les épidémies, l’évolution est encore plus radicale. La plus mémorables des épidémies est la peste noire qui se déclara au début des années 1330 en Asie de l’Est ou Asie centrale. La peste gagna toute l’Asie, l’Europe et l’Afrique du Nord en se propageant via une armée de rats et de puces. Entre 75 et 200 millions de personnes moururent à cause de cette épidémie. Tous étaient démunis face à celle-ci, on n’avait aucune idée qui aurait permis de l’enrayer. Seules des prières et des processions étaient réalisées en désespoir de cause, les hommes attribuant les maladies au courroux des dieux ou encore aux démons. Ils ne soupçonnaient pas qu’une minuscule puce ou une simple goutte d’eau puisse contenir toute une armada de prédateurs mortels. La peste noire ne fut même pas la pire des épidémies, les explorateurs et les colons décimaient jusqu’à 90% des autochtones en arrivant chez eux avec leurs maladies.

À côté de ces grandes épidémies, il y avait les autres maladies qui tuaient des millions de personnes chaque année, notamment les enfants qui étaient peu immunisés. Jusqu’au XXe siècle, un tiers des enfants mourraient avant d’avoir atteint l’âge adulte à cause d’un mélange de malnutrition et de maladie. Cependant, les progrès de la médecine ont permis de réduire la mortalité infantile à seulement 5% et même à 1% dans les pays développés. Tout cela grâce à l’élaboration de vaccins, d’antibiotiques, une meilleure hygiène et une infrastructure médicale améliorée.

Ainsi, la variole a été éradiquée. C’est la première épidémie que les hommes aient pu effacer de la surface de la terre.

Concernant la guerre, l’étude de Pinker est sans appel, même si parfois nous avons du mal à y croire. Depuis le début de l’humanité, la paix était précaire et la guerre pouvait se déclarer à tout moment. Désormais, la guerre s’est faite plus rare que jamais. De nos jours, seulement 1% de la population mondiale en meurt. Le diabète tue plus que la guerre :

« Le sucre est devenu plus dangereux que la poudre à canon » p.25

Aujourd’hui, on meurt plus de trop manger que de ne pas manger assez, plus de vieillesse que de maladies et plus de suicides que de la guerre.

Même le terrorisme, jugé à l’aune de la guerre d’autrefois ou d’autres problèmes constitue une menace mineure concernant la mortalité. Ils sèment plus de peur qu’ils ne causent de vrais dommages matériels.

« Pour l’Américain ou l’Européen moyen, Coca-Cola représente une menace plus mortelle qu’Al-Qaïda. » p.29

En dehors de ces catastrophes, il y avait toutes les maladies qui abrégeaient la vie des humains.

Car Harari fait remarquer que même dans les temps plus anciens il arrivait que certains hommes vivaient très vieux. Qu’ainsi la médecine moderne et l’hygiène n’ont pas tant allongé la durée de vie moyenne des humains que diminuer de manière drastique les causes de morts prématurés.

Mais Harari rappelle surtout comment et dans quels univers mental les hommes mouraient :

« Les contes de fées du Moyen-âge représentaient la mort sou l’apparence d’une figure vêtue d’un manteau noir à capuche, une grande faux à la main. Un homme vit sa vie se, se tracassant pour ceci ou cela, courant ici ou là, quand soudain paraît devant lui la Grande faucheuse : elle lui donne une petite tape sur l’épaule de l’un de ses doigts osseux : « Viens ! » […] C’est ainsi que nous mourons. » P. 33

Le grand cinéaste suédois, Ingmar Bergman, dans son film « le septième sceau » reprend cette symbolique. Il y ajoute un élément d’indécision en faisant jouer aux échecs l’homme concerné et la mort. Mais bien sûr, dans ce récit, la mort gagne aussi aux échecs

Nous avons changé de récit et de compréhension :

« En réalité, cependant les hommes ne meurent pas parce qu’un personnage en manteau noir leur tapote l’épaule, que Dieu l’a décrété, ou que la mortalité est une partie essentielle d’un plus grand dessin cosmique. Les humains meurent toujours des suites d’un pépin technique. Le cœur cesse de pomper le sang, des dépôts de graisse bouchent l’artère principale […] Rien de métaphysique dans tout cela. Uniquement des problèmes techniques.

Et tout problème technique a une solution technique […] Certes, pour l’heure, nous n’avons pas de solutions à tous les problèmes techniques, mais c’est précisément pour cette raison que nous consacrons tant de temps et d’argent à la recherche sur le cancer, les germes, la génétique et les nanotechnologies. […]

Même quand des gens meurent dans un ouragan, un accident de la route ou une guerre, nous avons tendance à y voir un échec technique qui aurait pu et dû être évité. Si seulement le gouvernement avait mis en œuvre une meilleure politique ; si la municipalité […], si le chef des armées […], la mort aurait pu être évitée.

La mort est devenue une cause presque automatique de poursuites et d’enquêtes. Comment ont-ils pu mourir ? Quelqu’un, quelque part a failli ! » P 34-35

Et page 12, il exprime ce sentiment de manière encore plus péremptoire :

« Quand la famine, l’épidémie ou la guerre échappent à tout contrôle, nous avons plutôt le sentiment que quelqu’un a dû foirer »

La mort, un problème technique ?

Alors, évidemment des techniciens vont se mettre à l’ouvrage…

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Une réflexion au sujet de « Lundi 8 octobre 2018 »

  • 8 octobre 2018 à 8 h 45 min
    Permalink

    Régis Debray dit que l’espérance de vie a considérablement diminué dans les pays modernes car jadis, l’être humain vivait en moyenne 40 ans avec la vie éternelle ensuite et qu’aujourd’hui il vit 80 ans mais sans rien après.
    Sous cet aspect, on peut comprendre son désir ardent d’en profiter tout de suite et tous les espoirs qu’il met dans la science pour prolonger le temps

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