Vendredi 18/09/2015
« Les footballeurs sont-ils des produits financiers ? »
Ce mot du jour m’oblige à plus de pédagogie encore que d’habitude.
Il y a parmi vous des passionnés de football, mais je crois encore plus de personnes hostiles à ce jeu qui consiste à demander à des gens modestes de payer cher pour assister à un spectacle où des millionnaires courent après un ballon.
Pour ce faire, je souhaite instiller le doute aux premiers sur la croyance à l’incertitude du sport et aux seconds de montrer que le football constitue un excellent domaine de compréhension de l’économie.
Je dois d’abord préciser 3 points pour que les seconds soient au niveau des premiers :
1° Les joueurs de foot dans les clubs professionnels ont des contrats à durée déterminée et non des CDI. Cette particularité conduit au marché des transferts où des clubs riches versent des indemnités importantes à des clubs moins riches pour racheter un contrat CDD non échu. C’est un moyen qu’ont trouvé certains clubs pour obtenir des financements. Souvent ces clubs forment des jeunes joueurs, leur font signer un contrat CDD assez long, puis avant l’échéance revende le contrat à un club fortuné.
2° Récemment, un tout jeune joueur Anthony Martial, 19 ans, a été vendu par l’AS Monaco à Manchester United pour une somme d’environ 80 millions d’Euros (les termes de ce contrat sont compliqués notamment avec de nombreux bonus comme par exemple le fait que Manchester devra verser une somme supplémentaire si ce joueur se trouve dans les 5 ans parmi les nominés au ballon d’or , c’est à dire la récompense du soi-disant meilleur joueur de football de l’année.)
3° Cette somme est absolument astronomique et a jeté la stupeur dans un monde du football qui est pourtant habitué à la surenchère monétaire. Mais dans ce cas les gens sont surpris parce que ce jeune joueur prometteur n’a encore strictement rien prouvé. Qu’un club riche qui grâce aux droits télé qui sont exorbitants en Grande Bretagne veuille s’attacher à prix d’or un super joueur lui permettant d’espérer devenir plus compétitif peut se discuter sur le plan moral (comment dilapider autant d’argent pour la futilité du sport) mais peut se justifier du point vue économique (gagner des titres rapporte beaucoup d’argent notamment en publicité) et même sportif si on considère que c’est normal que les riches l’emportent.
Pour comprendre mieux cette histoire, il faut écouter l’émission Du grain à moudre où des agents de joueur s’expriment :
Oui parce que chaque joueur dispose d’un agent qui négocie les contrats pour lui et obtient un pourcentage du salaire et du prix du transfert. Cet agent a donc intérêt à ce que le joueur soit transféré.
Et puis il y a aussi les TPO. Wikipedia nous apprend que TPO est l’abréviation médicale de thyroperoxydase, une enzyme, mais aussi l’abréviation de Territoires palestiniens occupés. Dans le football TPO signifie «third-party ownership», en français la tierce-propriété. Tout simplement des fonds d’investissement achètent un joueur (en totalité ou partie) puis interviennent dans tous ces mécanismes de transfert pour en retirer des bénéfices. Bref, ils spéculent.
L’organisme mondial du football la FIFA, qui est aussi un trou noir de l’intégrité économique, veut interdire les TPO.
Parce que bien évidemment si on achète un joueur sur lequel on ne dispose d’aucune certitude étant donné son peu d’expérience et son palmarès néant, c’est parce qu’on espère en tirer un bénéfice ultérieur. En effet, on connait de multiples exemples de jeunes joueurs prometteurs qui se sont totalement effondrés (blessure, mauvais choix, incapacité de rester constant dans l’hygiène de vie et les contraintes du sport, ou effondrement psychologique). Le footballeur devient donc bien un produit financier comme un autre : un pari sur la rentabilité future.
Pour finir je voudrais encore soulever deux points :
1° Depuis 20 ans il y a eu 20 vainqueurs de la ligue des champions. Il n’y a qu’un club qui n’appartenait pas aux 20 clubs les plus riches : Porto en 2004 (Mais ce club est très touché par le phénomène des TPO)
15 vainqueurs sur les 20 font partie des 10 clubs les plus riches et 12 font partie des 4 les plus riches
Depuis 3 ans ils font tous partie des 4 les plus riches : Real Madrid, Manchester United, Bayern Munich et Barcelone.
Le 5ème n’a pas encore gagné, c’est le PSG. Pour être juste il faut remarquer que le 6ème Manchester City, non plus.
Les supporteurs du PSG peuvent cependant être rassurés, économiquement ça pourrait le faire.
On voit donc que c’est bien les riches qui gagnent. Le sport est donc une simple déclinaison de l’injustice économique.
2° Et l’émission nous apprend autre chose qui devrait encore davantage ébranler ceux qui continuent à suivre ce sport de la démesure et du fric.
Pour espérer se qualifier pour la prestigieuse et rémunératrice ligue des champions : l’AS Monaco a affronté le FC Valence. Or 5 joueurs de Monaco et 6 joueurs de Valence ont le même agent : Jorge Mendes
Le portugais Jorge Mendes est un ancien gérant de vidéo-club et dirigeant de boîte de nuit. Quel rapport avec le foot me direz-vous ? Eh bien l’argent pardi !
Alors quand on sait que les paris sportifs, notamment en Asie sont aux mains des mafias, comment ne pas soupçonner que ces matchs peuvent faire l’objet d’arrangement quand un même homme dispose d’influence sur autant de joueurs des deux camps.
C’est actuellement l’homme le plus influent et le plus riche dans le monde des agents.
Et il joue un rôle éminent au FC Porto. Si vous avez suivi c’est la seule équipe qui ne fait pas partie des 20 plus riches qui a gagné la Ligue des champions depuis 20 ans contre l’AS Monaco d’ailleurs.
Comme ça on a fait la boucle.
Et j’espère être parvenu à titiller la curiosité de ceux qui aiment le foot et de ceux qui ne l’aiment pas.
Il me semble en effet que pour essayer de comprendre le monde il faut aussi essayer de comprendre le monde du football.
Je vous rappelle une des devises des empereurs romains dans l’empire romain en déclin : « Panem et circenses » du pain et des jeux…