Vendredi 8 mars 2019

«Hector Berlioz nous paraît former, avec Hugo et Eugène Delacroix, la trinité de l’art romantique. »
Théophile Gautier

Le 8 mars 1869, Hector Berlioz mourrait au 4 rue de Calais, dans le 9e arrondissement de Paris. C’était il y a 150 ans.

Il est né dans la petite ville de l’Isère de la Côte Saint André, sous le règne de Napoléon 1er , le 11 décembre 1803.

A la mort de Beethoven en 1827, il avait déjà 24 ans.

Parmi les grands compositeurs romantiques, il ne fut précédé que par Franz Schubert (1797-1828). Les autres compositeurs de cette période lui sont postérieurs : Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), Chopin (1810-1849), Schumann (1810-1856) et Liszt (1811-1886). Brahms (1833-1897) refermera cette période romantique.

La <symphonie fantastique> créée le 5 décembre 1830, six ans après la neuvième symphonie de Beethoven, fut un coup de tonnerre, une œuvre révolutionnaire, ouvrant de nouvelles perspectives à la musique symphonique et annonçant Bruckner et surtout Mahler.

C’était un compositeur extravagant, précurseur, génial, formidable orchestrateur.

Le nombre de ses œuvres reste cependant limité. Si on se lance dans une approche quantophrénique de ce domaine et qu’on prend comme unité de compte le CD, on pourra constater que si Warner vient de publier un coffret de l’œuvre intégrale de Berlioz en 27 CD, il est loin de Mozart (170 CD), Bach (155 CD), Beethoven (100 CD), Schubert (69 CD) et même Brahms (60 CD).

Peu avant de 18 ans, j’avais acheté, en livre de poche, les « Mémoires de Berlioz » et entrepris d’en commencer la lecture. Je n’ai pas fini, mais je me souviens encore d’un épisode qu’il a raconté. Cet épisode m’a amusé et me semble assez révélateur de sa personnalité.

Pour situer le contexte, il faut préciser que Luigi Cherubini venait d’être nommé directeur du Conservatoire de Paris. Cherubini était né à Florence en 1760 soit 10 ans avant Beethoven, mais il vécut beaucoup plus longtemps, jusqu’à 81 ans. Il a composé un très bel opéra « Médée » magnifiée dans une version chantée par Maria Callas et dirigée par Bernstein. Il écrivit aussi plusieurs messes et requiem de toute beauté. Ce fut un grand compositeur, ce ne fut pas un génie. Berlioz l’était.

Et voici ce que Berlioz raconte dans ses Mémoires au chapitre 9 :

« A peine parvenu à la direction du Conservatoire, en remplacement de Perne qui venait de mourir, Cherubini voulut signaler son avènement par des rigueurs inconnues dans l’organisation intérieure de l’école, où le puritanisme n’était pas précisément à l’ordre du jour. Il ordonna, pour rendre la rencontre des élèves des deux sexes impossible hors de la surveillance des professeurs, que les hommes entrassent par la porte du Faubourg-Poissonnière, et les femmes par celle de la rue Bergère ; ces différentes entrées étant placées aux deux extrémités opposées du bâtiment.

En me rendant un matin à la bibliothèque, ignorant le décret moral qui venait d’être promulgué, j’entrai, suivant ma coutume, par la porte de la rue Bergère, la porte féminine, et j’allais arriver à la bibliothèque quand un domestique, m’arrêtant au milieu de la cour, voulut me faire sortir pour revenir ensuite au même point en rentrant par la porte masculine. Je trouvai si ridicule cette prétention que j’envoyai paître l’argus en livrée, et je poursuivis mon chemin.

Le drôle voulait faire sa cour au nouveau maître en se montrant aussi rigide que lui. Il ne se tint donc pas pour battu, et courut rapporter le fait au directeur. J’étais depuis un quart d’heure absorbé par la lecture d’Alceste, ne songeant plus à cet incident, quand Cherubini, suivi de mon dénonciateur, entra dans la salle de lecture, la figure plus cadavéreuse, les cheveux plus hérissés, les yeux plus méchants et d’un pas plus saccadé que de coutume.

Ils firent le tour de la table où étaient accoudés plusieurs lecteurs ; après les avoir tous examinés successivement, le domestique, s’arrêtant devant moi, s’écria : « Le voilà ! »
Cherubini était dans une telle colère qu’il demeura un instant sans pouvoir articuler une parole :

« Ah ! ah ! ah ! ah ! c’est vous, dit-il enfin, avec son accent italien que sa fureur rendait plus comique, c’est vous qui entrez par la porte, qué, qué, qué zé ne veux pas qu’on passe ! —

— Monsieur, je ne connaissais pas votre défense, une autre fois je m’y conformerai.

— Une autre fois ! une autre fois ! Qué-qué-qué vénez-vous faire ici ?

— Vous le voyez, monsieur, j’y viens étudier les partitions de Gluck.

— Et qu’est-ce qué, qu’est-ce qué-qué-qué vous regardent les partitions dé Gluck ? et qui vous a permis dé venir à-à-à la bibliothèque ?

— Monsieur ! (je commençais à perdre mon sang-froid), les partitions de Gluck sont ce que je connais de plus beau en musique dramatique et je n’ai besoin de la permission de personne pour venir les étudier ici. Depuis dix heures jusqu’à trois la bibliothèque du Conservatoire est ouverte au public, j’ai le droit d’en profiter.

— Lé-lé-lé-lé droit ?
— Oui, monsieur.
— Zé vous défends d’y revenir, moi !
— J’y reviendrai, néanmoins.
— Co-comme-comment-comment vous appelez-vous ? » crie-t-il, tremblant de fureur.

Et moi pâlissant à mon tour : « Monsieur ! mon nom vous sera peut-être connu quelque jour, mais pour aujourd’hui… vous ne le saurez pas !

— Arrête, a-a-arrête-le, Hottin (le domestique s’appelait ainsi), qué-qué-qué zé lé fasse zeter en prison ! »

Ils se mettent alors tous les deux, le maître et le valet, à la grande stupéfaction des assistants, à me poursuivre autour de la table, renversant tabourets et pupitres, sans pouvoir m’atteindre, et je finis par m’enfuir à la course en jetant, avec un éclat de rire, ces mots à mon persécuteur :

« Vous n’aurez ni moi ni mon nom, et je reviendrai bientôt ici étudier encore les partitions de Gluck ! »

Voilà comment se passa ma première entrevue avec Cherubini. Je ne sais s’il s’en souvenait quand je lui fus ensuite présenté d’une façon plus officielle. Il est assez plaisant en tout cas, que douze ans après, et malgré lui, je sois devenu conservateur et enfin bibliothécaire de cette même bibliothèque d’où il avait voulu me chasser. Quant à Hottin, c’est aujourd’hui mon garçon d’orchestre le plus dévoué, le plus furibond partisan de ma musique ; il prétendait même, pendant les dernières années de la vie de Cherubini, qu’il n’y avait que moi pour remplacer l’illustre maître à la direction du Conservatoire. Ce en quoi M. Auber ne fut pas de son avis.

J’aurai d’autres anecdotes semblables à raconter sur Cherubini, où l’on verra que s’il m’a fait avaler bien des couleuvres, je lui ai lancé en retour quelques serpents à sonnettes dont les morsures lui ont cuit. »

Berlioz, comme en lui-même. Il savait ce qu’il voulait, ne se sous estimait pas, rebelle à l’autorité qui ne lui paraissait pas légitime ou professant des normes qui lui semblaient stupide.

Dans le langage d’aujourd’hui on dirait : « Il aimait casser les codes ». Je vous invite à écouter <La revue de Presse de Bernard Pommier> du 24 février qui n’a rien à voir avec Berlioz mais qui explique la vogue actuelle de tous ceux qui veulent « casser les codes ».

Avec une telle mentalité, il a eu du mal à s’imposer en France. Cet homme qui fut le seul grand compositeur à avoir comme instrument d’origine, la guitare, aurait dû devenir médecin comme son père Louis Berlioz qui a la réputation d’avoir introduit l’acupuncture en France. Son père ne trouvait pas le métier de musicien très sérieux. Et la première ambition de Berlioz fut de convaincre ses parents du contraire.

Il eut du mal parce qu’il ne parvint jamais à vivre de ce métier de musicien. S’il eut un revenu convenable, c’est grâce à un travail de journaliste et de critique musical.

Et en général, il eut du mal à s’imposer en France. Il écrivit :

« Il faut avoir un drapeau tricolore sur les yeux pour ne pas voir que la musique est morte en France maintenant, et que c’est le dernier des arts dont nous gouvernants voudrons s’occuper. On me dit que je boude la France, non je ne boude pas, le terme est trop léger : je la fuis comme on fuit les pays barbares quand on cherche la civilisation, et ce n’est pas depuis la révolution seulement. Il y a longtemps que j’avais étouffé en moi l’amour de la France. […] Sans l’Allemagne, la Bohême, la Hongrie et surtout la Russie, je serais mort de faim en France mille fois. […] Il y a un seul théâtre lyrique à Paris, l’Opéra et il est dirigé par un crétin et il m’est fermé. »
1848, Correspondance générale, III

Et cette réserve, il la conservera longtemps en France. Ainsi pour Debussy, il était le « musicien préféré de ceux qui ne connaissaient pas très bien la musique », mais Debussy a dit beaucoup de bêtises dans sa vie.

Beaucoup plus récemment, lors de l’essor du microsillon, celui qui entreprit d’enregistrer une intégrale des œuvres de Berlioz, ne fut pas un français, mais un anglais Colin Davis
avec pour l’essentiel l’Orchestre Symphonique de Londres. Ce cycle Berlioz de Colin Davis continue à faire référence dans sa globalité.

Il y a quand même des français qui ont su reconnaître ce musicien à sa juste dimension.

Ainsi, pour l’inauguration du monument élevé à Monte-Carlo, le samedi 7 mars 1903, en l’honneur du centenaire de la naissance d’H. Berlioz, Jules Massenet commença ainsi son discours :

« C’est le propre du génie d’être de tous les pays. A ce titre Berlioz est partout chez lui. Il est le citoyen de l’entière humanité. Et pourtant il passa sa vie sans joie et sans enchantement. On peut dire que sa gloire présente est faite de douleurs passées. Incompris, il ne connut guère que des amertumes. On ne vit pas la flamme de cette énergique figure d’artiste ; on ne fut pas ébloui par l’auréole qui le couronnait déjà ».

Il est vrai que Massenet est né à Saint Etienne qui se trouve dans la même région que l’isérois Berlioz

George Sand a écrit :

« Je parle sérieusement. Berlioz est un grand compositeur, un homme de génie, un véritable artiste. Il est très pauvre, très brave et très fier »
G. Sand, « Lettre à Everard », Lettres d’un voyageur, VI, 26….

Théophile Gautier qui est le poète des « Nuits d’été », chef d’œuvre de Berlioz rapproche Berlioz de Victor Hugo :

« Comme le poète a doublé la richesse des rimes pour que le vers regagnât en couleur ce qu’il perdait en cadence, le novateur musicien a nourri et serré son orchestration; il a fait chanter les instruments beaucoup plus qu’on ne l’avait fait avant lui »

T. Gautier, La Presse, 17 septembre 1838. On sait que les Nuits…

Et c’est dans l’ouvrage d’Emmanuel Reibel, « Comment la musique est devenue romantique : De Rousseau à Berlioz » paru chez Fayard, que j’ai lu la phrase de Théophile Gautier, datant de 1846, mis en exergue de ce mot du jour :

« Hector Berlioz nous paraît former, avec Hugo et Eugène Delacroix, la trinité de l’art romantique ».

Berlioz repose au cimetière de Montmartre.

L’Association Nationale Hector Berlioz qui a son adresse dans la commune de naissance du musicien, La Côte Saint André, possède <un site> qui présente l’œuvre de Berlioz

Vous trouverez aussi <ICI> un site consacré entièrement à Hector Berlioz. Sur ce site sont publiés, l’intégral des Mémoires de Berlioz.

Le Ministère de la culture consacre aussi plusieurs pages au <150ème anniversaire de sa mort>

Il faut bien sûr finir avec quelques liens musicaux :

<Les nuits d’été par l’admirable et rayonnante Véronique Gens>

Une autre perle <La captive> toujours par Véronique Gens, il n’y a pas mieux.

Le duo d’amour des troyens : < Didon et Enée : Nuit d’ivresse>

Mais là il y a beaucoup mieux, sans la vidéo <Jon Vickers et Joséphine Veasey>

Pour la symphonie fantastique, je propose ce concert étonnant à Paris où Gustave Dudamel dirigeait à la fois l’orchestre Philharmonique de Radio France et ce qui était à l’époque son orchestre Simon Bolivar du Venezuela : <Symphonie fantastique par Gustavo Dudamel>

Et pour finir, parce qu’Annie et moi avions assisté en 2012 à ce concert mémorable à l’Auditorium de Lyon <Le Requiem avec l’Orchestre National de Lyon sous la direction de Leonard Slatkin>

<1208>

Une réflexion au sujet de « Vendredi 8 mars 2019 »

  • 11 mars 2019 à 8 h 08 min
    Permalink

    Tu me donnes une furieuse envie de lire ses mémoires…

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